"Satan, dont je ne voudrais cependant pas tout le temps parler et tenir compte presque plus que de Dieu, est-il donc à ce point en moi, ancré par une habitude et une faiblesse ancienne qui lui permet de familières et perpétuelles entrées ?"
Mireille Havet, Journal, 22 octobre 1927.
Mireille Havet, Journal, 22 octobre 1927.
A chaque fois que l'éditrice Claire Paulhan publie un nouveau tome du Journal de Mireille Havet, c'est une nouvelle étape terrifiante vers la mort qu'elle propose. Quel choc ce sera, lorsqu'elle décidera de revenir en amont du Journal déjà publié, pour faire découvrir aux lecteurs les jeunes années de la "petite poyétesse" chérie d'Apollinaire, de 1913 à 1918 !
On en est loin, de la jeunesse, dans ce volume qui recouvre les années 1927-1928, au titre terrible: "Héroïne, cocaïne! La nuit s'avance..." Mireille Havet, pourtant, n'a que trente ans... Le volume s'ouvre sur de petites notes griffonnées dans un agenda: elle semble n'avoir plus la force de s'épancher dans les pages de son journal, elle souffre le martyre, couchée dans une chambre de Tréboul, fiévreuse, tourmentée par de nombreux abcès. Quand elle remonte à la surface, elle pense avoir triomphé de la morphine. Elle se trompe.
Le silence guette à la fin de cette année 1927, année de cure interminable, de lutte désespérée contre la drogue. "Ecrire dans la vie n'est pas si drôle, quand, à force de douleur, dans le feu même de la souffrance qui purifie, pulvérise, fond et vaccine, on a perdu le goût de s'analyser soi-même et de cette contemplation intérieure qui est la source même, la beauté et le ridicule du Romantisme, l'école de notre adolescence, souffrante et émerveillée de son développement, que l'on croit alors unique et devant nous mener à l'exceptionnel." (27 décembre 1927)
Les phrases s'allongent démesurément, galopent et trébuchent, Mireille s'est lancée dans une cavalcade folle, mais après quoi court-elle ? Ses trente ans perdus, ses années gâchées, ses amours pulvérisées, ce talent qui aurait pu faire d'elle une grande artiste, étranglé par cette fureur de vivre qui la mènera à la tombe à fond les ballons. Mireille Havet, c'est James Dean.
Née en octobre 1898, Mireille Havet aurait pu rester une vague figure du milieu des artistes parisiens des années 20, auteur oubliée de nouvelles, de poèmes et d'un court roman, Carnaval, dont l'histoire littéraire aurait à peine gardé la trace si Claire Paulhan n'avait pas eu l'idée d'exhumer ce Journal incendiaire, grâce à Dominique Tiry, petite-fille de Ludmila Savitzky, amie et légataire des écrits intimes de Mireille.
Flamboyante Mireille Havet! Un feu-follet, comme son ami Jacques Rigaut... Il faut la voir, sur les photographies qu'elle nous a laissées. En 1911, en robe blanche dans le parc de Ker Aulen, en Loire-Atlantique, elle penche son visage plein de rires vers sa soeur aînée Christiane, assise à côté d'elle. Elle a posé un bras sur l'épaule de sa soeur, l'autre est nonchalamment posé sur sa hanche. Une mèche s'échappe de ses longs cheveux noirs tirés en arrière et coule le long de sa joue. Elle est aux anges, elle va sur ses douze ans. En 1917, elle a dix-huit ans, s'apprête à publier son recueil de nouvelles, La Maison dans l'oeil du chat. Guillaume Apollinaire a déjà publié plusieurs de ses textes, en prose ou en vers, le poète Paul Fort s'est enflammé pour elle. Elle fréquente Mallarmé, Cocteau, Colette, Giraudoux... Foulard autour du cou, bandeau dans les cheveux, elle fixe l'objectif d'un intense regard sombre, un peu perdu, ses cheveux tirés recouvrent ses oreilles. La bouche est un peu triste. En 1923, photographiée à l'occasion de la parution de Carnaval, elle baigne dans un léger flou, les cheveux courts, le regard distant, col de fourrure et chemisier blanc. En 1931, la photo d'identité de son passeport est saisissante: le cheveu court, raie sur le côté, une coupe masculine, le regard noir et la bouche dure - le visage accuse les accidents de la vie, la dope et le manque, les souffrances, le désespoir. Elle porte un costume d'homme, une cravate. Elle n'a plus qu'un an à vivre.
L'enfant terrible du jeune vingtième siècle déjà secoué par la guerre qui lui a pris Apollinaire et de nombreux amis d'enfance, écrivait en septembre 1922 : "Il faut compter que l'incohérence de notre époque vient de ce vide accidentel des talents, des intelligences supprimées par la mort. Notre génération n'est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d'une génération qui promettait, hélas, plus qu'aucune autre. Tout au monde est désaxé, tout. [...] Et nous, enfants gâtés nés pour le plaisir du soir, la douceur des lampes, le crépuscule qui fond les contours, nous voici en pleine apocalypse. Nous n'aimons pas fonder, construire, résoudre. Nous aimons tout ce qui finit et tout ce qui meurt. Voilà pourquoi, sans doute, tous nos amis sont morts. Notre faute est d'y survivre."
Orpheline de maîtres et d'amis, puis orpheline de père et de mère, Mireille Havet se retrouve seule comme une gosse perdue, s'accrochant à l'amour avec avidité. L'amour des femmes, toujours: Madeleine de Limur, Marcelle Garros, Suzanne Léger, Reine Bénard, Robbie Robertson, Norma Crandall, Mary Butts... Son unique expérience hétérosexuelle, la perte de sa virginité, sera résumée dans son journal par une formule lapidaire : "Arraché dent."
Mais quelle gloire dans cette damnation! Quelle vie dans cette marche vers la mort! Mireille Havet brûlant d'amour, hurlant de désespoir mais portée par la passion foudroyante, passion des femmes, passion de la vie, passion de toutes les choses terrestres - et l'on connaît l'étymologie du mot "passion"... Oui, quelle lumière dans cette montée au Calvaire! "Aller droit à l'enfer, par le chemin même qui le fait oublier", écrit-elle en septembre 1919. Une vie si intense qu'elle y use toutes ses forces, que seule la bouche du revolver semble pouvoir l'en délivrer. Ce revolver, elle l'achète, elle supplie Dieu de le lui pardonner, elle accuse Robbie, sa maîtresse, de la pousser à l'utiliser. "Tu veux la guerre, Robbie, tu l'auras, par amour. Je veux avoir la certitude, avant de me tuer, des mobiles qui te font agir, et lire dans tes yeux, si durs souvent, que tu ne m'aimes pas." (16 avril 1928)
Voilà la vie de Mireille Havet : un bûcher permanent.
On en est loin, de la jeunesse, dans ce volume qui recouvre les années 1927-1928, au titre terrible: "Héroïne, cocaïne! La nuit s'avance..." Mireille Havet, pourtant, n'a que trente ans... Le volume s'ouvre sur de petites notes griffonnées dans un agenda: elle semble n'avoir plus la force de s'épancher dans les pages de son journal, elle souffre le martyre, couchée dans une chambre de Tréboul, fiévreuse, tourmentée par de nombreux abcès. Quand elle remonte à la surface, elle pense avoir triomphé de la morphine. Elle se trompe.
Le silence guette à la fin de cette année 1927, année de cure interminable, de lutte désespérée contre la drogue. "Ecrire dans la vie n'est pas si drôle, quand, à force de douleur, dans le feu même de la souffrance qui purifie, pulvérise, fond et vaccine, on a perdu le goût de s'analyser soi-même et de cette contemplation intérieure qui est la source même, la beauté et le ridicule du Romantisme, l'école de notre adolescence, souffrante et émerveillée de son développement, que l'on croit alors unique et devant nous mener à l'exceptionnel." (27 décembre 1927)
Les phrases s'allongent démesurément, galopent et trébuchent, Mireille s'est lancée dans une cavalcade folle, mais après quoi court-elle ? Ses trente ans perdus, ses années gâchées, ses amours pulvérisées, ce talent qui aurait pu faire d'elle une grande artiste, étranglé par cette fureur de vivre qui la mènera à la tombe à fond les ballons. Mireille Havet, c'est James Dean.
Née en octobre 1898, Mireille Havet aurait pu rester une vague figure du milieu des artistes parisiens des années 20, auteur oubliée de nouvelles, de poèmes et d'un court roman, Carnaval, dont l'histoire littéraire aurait à peine gardé la trace si Claire Paulhan n'avait pas eu l'idée d'exhumer ce Journal incendiaire, grâce à Dominique Tiry, petite-fille de Ludmila Savitzky, amie et légataire des écrits intimes de Mireille.
Flamboyante Mireille Havet! Un feu-follet, comme son ami Jacques Rigaut... Il faut la voir, sur les photographies qu'elle nous a laissées. En 1911, en robe blanche dans le parc de Ker Aulen, en Loire-Atlantique, elle penche son visage plein de rires vers sa soeur aînée Christiane, assise à côté d'elle. Elle a posé un bras sur l'épaule de sa soeur, l'autre est nonchalamment posé sur sa hanche. Une mèche s'échappe de ses longs cheveux noirs tirés en arrière et coule le long de sa joue. Elle est aux anges, elle va sur ses douze ans. En 1917, elle a dix-huit ans, s'apprête à publier son recueil de nouvelles, La Maison dans l'oeil du chat. Guillaume Apollinaire a déjà publié plusieurs de ses textes, en prose ou en vers, le poète Paul Fort s'est enflammé pour elle. Elle fréquente Mallarmé, Cocteau, Colette, Giraudoux... Foulard autour du cou, bandeau dans les cheveux, elle fixe l'objectif d'un intense regard sombre, un peu perdu, ses cheveux tirés recouvrent ses oreilles. La bouche est un peu triste. En 1923, photographiée à l'occasion de la parution de Carnaval, elle baigne dans un léger flou, les cheveux courts, le regard distant, col de fourrure et chemisier blanc. En 1931, la photo d'identité de son passeport est saisissante: le cheveu court, raie sur le côté, une coupe masculine, le regard noir et la bouche dure - le visage accuse les accidents de la vie, la dope et le manque, les souffrances, le désespoir. Elle porte un costume d'homme, une cravate. Elle n'a plus qu'un an à vivre.
L'enfant terrible du jeune vingtième siècle déjà secoué par la guerre qui lui a pris Apollinaire et de nombreux amis d'enfance, écrivait en septembre 1922 : "Il faut compter que l'incohérence de notre époque vient de ce vide accidentel des talents, des intelligences supprimées par la mort. Notre génération n'est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d'une génération qui promettait, hélas, plus qu'aucune autre. Tout au monde est désaxé, tout. [...] Et nous, enfants gâtés nés pour le plaisir du soir, la douceur des lampes, le crépuscule qui fond les contours, nous voici en pleine apocalypse. Nous n'aimons pas fonder, construire, résoudre. Nous aimons tout ce qui finit et tout ce qui meurt. Voilà pourquoi, sans doute, tous nos amis sont morts. Notre faute est d'y survivre."
Orpheline de maîtres et d'amis, puis orpheline de père et de mère, Mireille Havet se retrouve seule comme une gosse perdue, s'accrochant à l'amour avec avidité. L'amour des femmes, toujours: Madeleine de Limur, Marcelle Garros, Suzanne Léger, Reine Bénard, Robbie Robertson, Norma Crandall, Mary Butts... Son unique expérience hétérosexuelle, la perte de sa virginité, sera résumée dans son journal par une formule lapidaire : "Arraché dent."
Mais quelle gloire dans cette damnation! Quelle vie dans cette marche vers la mort! Mireille Havet brûlant d'amour, hurlant de désespoir mais portée par la passion foudroyante, passion des femmes, passion de la vie, passion de toutes les choses terrestres - et l'on connaît l'étymologie du mot "passion"... Oui, quelle lumière dans cette montée au Calvaire! "Aller droit à l'enfer, par le chemin même qui le fait oublier", écrit-elle en septembre 1919. Une vie si intense qu'elle y use toutes ses forces, que seule la bouche du revolver semble pouvoir l'en délivrer. Ce revolver, elle l'achète, elle supplie Dieu de le lui pardonner, elle accuse Robbie, sa maîtresse, de la pousser à l'utiliser. "Tu veux la guerre, Robbie, tu l'auras, par amour. Je veux avoir la certitude, avant de me tuer, des mobiles qui te font agir, et lire dans tes yeux, si durs souvent, que tu ne m'aimes pas." (16 avril 1928)
Voilà la vie de Mireille Havet : un bûcher permanent.
Le Magazine des Livres, novembre-décembre 2010.
1 commentaire:
Je préfère les messieurs déguisés en messieurs ...
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