mercredi 25 mai 2011

André A., le dernier des purs


[André A. sévissait depuis quatre ans dans les colonnes du magazine Tranzistor, feuille d'informations lavalloise sur la pratique des musiques actuelles en Mayenne. Autant dire que c'est de la micro-histoire locale. Tant pis. Lorsque ce génie méconnu a décidé de jeter l'éponge, un recueil de l'intégralité de ses chroniques a été publié - et il m'a demandé d'en rédiger la préface. On ne refuse rien à un ami. On peut lire l'ouvrage en question ici, si l'on veut briller en société ensuite.]

J'aurais pu intituler cette préface "le dernier des rebelles" - mais c'est un vocable qui aurait certainement faire rire (ou vomir) celui qui, par ses chroniques trimestrielles dans Tranzistor, n'avait rien d'un excité boutonneux à tee-shirt Che Guevara. André A. n'a jamais prétendu révolutionner quoi que ce soit, et surtout pas la chronique musicale. Quant à réveiller les consciences, ce n'était pas son truc : d'ailleurs il savait bien qu'un tel réveil tiendrait du miracle de la Résurrection.

André A. était l'homme le plus désintéressé qu'il m'ait été donné de rencontrer. Toute sa vie, il aura fui les honneurs, les mondanités que son talent aurait pu lui offrir sur un plateau. Il n'aurait jamais sacrifié sa solitude pour un quelconque cocktail de cultureux locaux - malgré son goût avoué pour les boissons alcoolisées.

Le raté lumineux, le clochard céleste, l'artiste sans œuvre, voilà ce qu'il recherchait avant tout - voilà ce qu'il voulait glorifier. L'humanité, il la croisait à la sortie des bars louches, à deux heures du matin, et c'était là qu'il dénichait le génie, la beauté des borborygmes de pochtrons, la mélancolie des regards délavés, jaunis par le demi-pression, la violence des petits matins qui succèdent à la nuit blanche : tout ce qui nourrissait ses papiers brûlants de vie.

Cette attirance pour les humbles, les refusés de partout, les invisibles, conférait à André A. un regard de sociologue du monde des "musiques actuelles" (encore une expression qui lui donnait de l'urticaire). Qu'on relise son article consacré aux festivals de l'été, ou ses rencontres avec des musiciens de province, Jipé l'ambitieux, Adèle et José les amoureux chantant pour le Christ, le groupe mayennais AMPC : à chaque fois, ce sont des tranches de vie qui nous sont offertes. A chaque fois, nous sommes frappés par la vérité qui se dégage de ces échanges. Parce que c'était ça qui l'intéressait, André A., par-dessus tout : la vérité des êtres. La musique, les styles, les genres : il s'en moquait, et d'ailleurs sans doute n'y connaissait-il pas grand-chose. Rap, dub, punk, électro, garage... Du chinois, tout ça ! Mais derrière tout ce jargon, il y a ce type qui sue derrière ses platines ou sa guitare désaccordée, avec ses rêves de gloire au bout des doigts - et c'était tout ce qui comptait.

André A. passait souvent pour un réactionnaire, on reprochait à ses articles de démolir gratuitement tout ce qui "marchait" bien, tout ce qui plaisait aux jeunes... Gratuitement, vraiment ? Non. J'affirme que ses violences verbales étaient une manière pudique de cacher ce qu'était réellement André A. : un pur. Le dernier, sans doute.

1 commentaire:

iPidiblue et l'année de l'indignation a dit…

Je parie qu'André A. n'a jamais lu "Indignez-vous !" d'un certain Stéphane H. ?