« Tout le malheur des hommes vient
d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une
chambre. »
Blaise Pascal
Tout
le monde n’a pas la chance d’être en prison. Et de l’être dans les meilleures
conditions qui soient : cellule individuelle avec petite tablette pour
écrire, encre et papier à disposition permanente. Et même un ordinateur, si
possible. L’idéal étant la cellule monacale, entièrement vouée aux
« choses de l’esprit ».
Sade,
par exemple, a eu beaucoup de chance. De nos jours, un écrivain qui se retrouve
en prison risque fort de partager sa cellule avec quelque délinquant mal élevé
et brutal, peu respectueux de la quiétude nécessaire à la réflexion et à
l’écriture. Les prisons sont des lieux de plus en plus mal fréquentés, c’est
une honte.
Virginia
Woolf constatait en 1929 que pour qu’une femme se mette à écrire, elle devait
disposer de deux choses : une chambre à soi, qu’elle puisse fermer à clé
afin de n’être dérangée par personne, et cinq cent livres de rente pour être à
l’abri du besoin. Deux choses impensables pour l’époque : les femmes ne
pouvaient pas disposer de l’argent qu’elles gagnaient, qui revenait au père ou
au mari. Quant à avoir un lieu clos où elles pouvaient rester seules sans
rendre de comptes à personne, inutile d’y songer : de toute façon, une
femme n’a pas besoin de penser, encore moins d’avoir des secrets…
Une
chambre à soi, donc, et suffisamment d’argent pour se consacrer exclusivement à
l’écriture : voilà les deux outils indispensables à l’écrivain. En
refusant aux femmes la possibilité de les obtenir, on s’épargnait le
désagrément de voir le monde se peupler de Shakespearettes ou de Flaubertines.
On restait entre couilles, et c’était très bien comme ça.
De
nos jours, une femme peut étudier et écrire sans que son mari n’éprouve
immédiatement le besoin d’appeler l’hôpital psychiatrique le plus proche. Sauf
peut-être chez certains couples caricaturaux, le genre qui cause avec l’accent
picard et qu’on voit témoigner dans Confessions
intimes sur TF1. Il n’empêche que cette question de la chambre, du lieu
pour écrire, de l’atelier, restent pertinentes.
Laissons
de côté le problème de l’argent, on a déjà parlé ici du « vrai
métier » des écrivains.
Reste
l’idée qu’une œuvre littéraire ne peut se concevoir que dans un espace clos,
hors du monde et de ses distractions. Bien sûr, on pourra nous objecter
quelques écrivains baroudeurs, aimant la foule, le bruit, capables d’écrire en
musique, debout sur une jambe ou la tête en bas. Il y en a toujours qui font
les malins. Mais les écrivains normaux, eux, ont besoin de concentration.
En
soulevant la question d’une chambre à soi, Virginia Woolf parlait des femmes,
les intellectuels de son temps étant des hommes qui avaient tous réglé ce
problème. Mais aujourd’hui, avec la télévision, Facebook et Twitter, même une
chambre close n’est pas suffisante à nous couper du monde. On ne ferme pas la
porte à la procrastination.
L’écriture
étant une activité solitaire, elle subit les aléas de la solitude : manque
d’entrain, manque de motivation, découragement… « Pourquoi me mettre à
écrire maintenant, puisque je pourrai tout aussi bien le faire demain… et que
de toute façon, personne n’attend aucun texte de moi ? » Une chambre
à soi, très bien, mais qui dit chambre dit lit, et pourquoi quitterais-je la
position horizontale, si confortable, si naturelle, si propice à la
méditation ? Pour m’asseoir et mettre par écrit les fruits de cette
méditation ? Bof…
Parfois,
sortir de la chambre est une solution. Trouver un lieu d’écriture hors de chez
soi, qui nous incite à respecter des horaires, qui nous tienne à l’écart de
toute tentation (vagabondages sur le Net, visionnage de DVD, musique…). Du
temps de Virginia Woolf, il suffisait de s’enfermer dans sa chambre pour
trouver le calme propice à l’écriture. Maintenant que le monde grouille jusque
dans notre chambre, s’insinuant par câble ou Wi-Fi, il est nécessaire de fuir
les lieux trop familiers. Certains écrivains préconisent la chambre d’hôtel –
ce qui se rapproche le plus de la cellule monacale : une table, une
chaise, un lit, un cabinet de toilettes. Et, misère de misère, trente-six
chaînes de télé. Aujourd’hui, même enfermé dans sa chambre du Grand Hôtel de
Mayenne, Antoine Blondin trouverait encore de quoi se détourner de son
manuscrit. Mais l’idée est là, quand même. S’extraire du lieu où l’on a amassé
des années de mauvaises habitudes et de mauvaise volonté pour se dénicher un
endroit tout neuf, entièrement dévolu au travail. Quitter la chambre à soi.
1 commentaire:
Méfie-toi des Mousquetaires au Couvent ! Ils font des ravages dans les coeurs esseulés ... les lettres de la religieuse portugaise attestent qu'une soeur de foi peut être aussi un écrivain de talent.
P.S Même s'il s'agit d'une supercherie littéraire en l'occurrence !
Enregistrer un commentaire