Tous les
matins, on me fait une radio du thorax. Petit à petit, le poumon retrouve sa
place. Le radiologiste est plutôt sympa. On parle un peu. « Vous êtes bien
ici, il fait un froid de canard ce matin. » Merde, il a raison, je suis
bien ici, vissé à ce lit.
Jean-Baptiste Gendarme, Chambre
sous oxygène.
Il
y a des moments comme ça où on n’est pas motivé. Je pourrais presque me
spécialiser dans ces moments-là, d’ailleurs. Je crois vous avoir expliqué une
ou deux fois qu’à l’époque où j’ai commencé la Bibliothèque de Jupiter, j’avais fait une liste de thèmes
envisageables, histoire de m’assurer que ce projet était viable. J’avais abouti
à une quarantaine de sujets, jetés sur le carnet à la volée, tout en sachant
que certains ne m’enthousiasmaient pas, dès le départ. Je notais tout ce qui me
passait par la tête et que je pourrais, d’une façon ou d’une autre, lier à la
littérature. Il y avait des sujets qui me plaisaient d’emblée, dont je savais
que j’aurais plaisir à les traiter – et d’autres, donc, qui me rebutaient.
« Le paragraphe ? Non mais
sans déconner, je n’ai rien à dire sur le paragraphe… » Il y en a que je
ne peux plus faire, parce que je les ai déjà traités en partie : j’avais
noté l’humour, mais j’ai déjà traité
de l’ironie et des jeux de mots. J’avais noté le crime et la violence,
mais j’ai déjà traité les faits divers…
Et
puis, de temps à autres, de nouvelles idées viennent se rajouter à la liste
originale. L’enfant, par exemple,
n’était pas prévu à l’origine ; ni même la marche, ni l’Histoire.
Aujourd’hui,
je dois trouver un thème, et aucune idée ne me vient. Alors, je reprends cette
liste et regarde les quelques sujets que je n’ai pas encore rayés, mais aucun
ne me motive. Tous m’ont l’air de faire partie soit de la catégorie des sujets
qui vont m’assommer, soit de la catégorie des sujets que j’ai déjà plus ou
moins traités.
Heureusement,
un des mes amis – que ton nom soit sanctifié, DJ Zukry – m’a fait remarquer
dernièrement, au détour d’une tartiflette, que je n’avais jamais traité de la
maladie, qui est pourtant un thème littéraire aussi. Ah oui, tiens, c’est
vrai !
Bon,
la maladie, c’est un thème littéraire si on veut vraiment en faire un thème
littéraire. Ce qui est le cas de la plupart des sujets traités dans la Bibliothèque de Jupiter, donc ça me
convient parfaitement.
Les
écrivains sont des grands malades. Sinon, ils ne s’enfermeraient pas pour
écrire à longueur de journée sur un bureau, ou pour s’y mettre le soir alors
qu’ils ont déjà une journée de « vrai » travail dans les pattes. Ce
sont de grands malades, mais certains le sont plus que d’autres, et écrivent
sur cette maladie.
Bien
sûr, ça contamine aussi ceux qui ne sont pas véritablement écrivain : si
un animateur télé quelconque attrape un cancer, il trouvera sans peine un
éditeur intéressé par le récit « sur le vif » de son
« combat ». Mais bon : on sera sans doute très loin du livre incontournable
de Fritz Zorn, Mars, qui commence par
ces mots : « Je suis jeune et
riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. »
Les
écrivains malades (pas forcément de la peste) sont légion. La littérature, ce
sanatorium… Fritz Zorn cancéreux, Hervé Guibert, Michel Foucault, Guillaume
Dustan sidéens (sans oublier Guy Hocquenghem ou Conrad Detrez – le SIDA était
très à la mode à une époque, comme le suicide au XIXème siècle),
Proust asthmatique, Dostoïevski épileptique, Tristan Corbière phtisique… Car la
tuberculose a eu son heure de gloire aussi : Henry Murger, l’auteur bien
oublié des Scènes de la vie de bohème,
y a succombé, de même qu’Hégésippe Moreau, qui n’aura pas attendu d’avoir
trente ans pour tirer sa révérence, en laissant quelques vers. Corbière a fait
de Moreau le « créateur de l’art-hôpital ». Il pouvait bien se moquer
des tubards, ce maigre morlaisien sarcastique, puisqu’il faisait partie de la
famille…
Corbière,
mon cher Corbière, dont toute la courte vie ne fut qu’un éclat de rire jaune à
l’égard de la mort qui l’attendait peinarde en affûtant sa faux, cloue au
pilori tous les poètes de la maladie – y incluant Lamartine, pour avoir mis en
vers (en vers… ô bonheur de la
polysémie !) la mort de sa fille Julia, et même Baudelaire. Mais dans ce
poème, Un jeune qui s’en va, il se
moque aussi de lui : en s’attaquant à ces poètes, il s’interdit de devenir
l’un d’eux et de pleurnicher sur son lit en crachant ses éponges – ce qui ne
l’empêche pas d’évoquer quand même son mal, l’air de rien. Bien joué,
Tristan !
‒ Décès : Rolla : –
l’Académie –
Murger,
Baudelaire : – hôpital, –
Lamartine : – en
perdant la vie
De sa fille, en
strophes pas mal…
Doux bedeau, pleureuse
en lévite,
Harmonieux tronc des
moissonnés,
Inventeur de la larme
écrite,
Lacrymatoire d’abonnés !...
Moreau – j’oubliais –
Hégésippe,
Créateur de
l’art-hôpital…
Depuis, j’ai la
phtisie en grippe ;
Ce n’est plus même original.
Non,
la maladie, au fond, n’a rien d’original. Quand l’horizon se réduit à une
chambre d’hôpital, vous avez intérêt à faire preuve d’imagination… Mais le huis
clos, après tout, est un modèle littéraire qui a fait ses preuves aussi. Et
l’avantage de la convalescence, c’est qu’elle laisse du temps pour l’écriture.
7 commentaires:
Oui même les livres finissent leur courte ou longue vie comme de grands malades : rongés par l'acide, par les vers, par l'humidité, par l'oubli parfois !
...
Jean-Paul Brighelli vient d'écrire aujourd'hui un articulet sur sa maladie de grand lecteur-valétudinaire c'est pourquoi il m'y fait penser.
Y a aussi des livres qui rendent dingues style le Coran ; je veux dire qu'y a pas que des Sid Vicious de la musique ... y a aussi des bouquins qui font une drôle de musique qui rend malade !
D'ailleurs, à ce propos, faites attention en traversant...
Peut-on délirer d'ailleurs sur la maladie ? Il ne faut occulter le fait que la maladie peut être la conséquence d'une infection; elle peut aussi etre symptomatique : provoquée par une autre maladie, une non-evolution ...
Bonne guérison
Pour tes étrennes je te donne un thème à traiter dans les formes :
- Vaut-il mieux refuser le prix Nobel ou la Légion d'honneur pour son bon renom d'écrivain et de célébrité future ?
La meilleure façon de refuser un prix est de ne pas le mériter !
Un peu facile Monseigneur ! A ce compte beaucoup trop de boutonnières resteraient vierges ... et la virginité prolongée ça vous connaît !
Enregistrer un commentaire