L’imprimerie est à l’écriture ce que l’écriture avait été aux
hiéroglyphes: elle a fait faire un second pas à la pensée.
Rivarol
Les écrivains se la jouent souvent jeunes rebelles (même quand ils
sont vieux, comme si le fait d’être « contre » faisait office de cure
de jouvence), anticonformistes, chevelus, « on ne me fera pas
taire », c’est la faute à Voltaire, vous voyez le genre.
La vérité, c’est que les écrivains aiment la police. Ils travaillent
même tous les jours avec elle.
Leur police, les écrivains, ils la préfèrent de caractère.
Le premier flic devant lequel les écrivains se sont agenouillés – à
moins qu’ils ne se soient placés face au mur, les jambes écartées, prêts pour
la fouille, je ne connais pas trop les coutumes – s’appelait Johannes
Gutenberg. C’est lui, c’est ce mec-là, avec sa barbe à deux battants, qui, en
inventant la typographie, a transformé les écrivains en artisans de la police.
Il ne faut pas lui en vouloir, à ce petit imprimeur allemand du XVe
siècle : il n’a fait que son travail, comme les administrateurs du régime
de Vichy pendant l’Occupation... D’ailleurs, les Chinois utilisaient déjà des
caractères mobiles en terre cuite qu’ils frottaient sur le papier pour les
fixer. En Europe, avant Gutenberg, on utilisait du bois pour graver des pages
entières. Lui décida tout simplement de fabriquer des caractères mobiles fondus
avec un alliage de plomb, de fer, d’étain et d’antimoine.
Je suis navré, mais cet article étant entièrement basé sur un
calembour pourri à propos de la police, je ne peux pas me permettre de vous en
infliger un autre avec « antimoine ». J’ai déjà suffisamment honte.
Gutenberg s’adjoint les services du banquier Fust pour financer son
projet et décide, pour être sûr que les tirages du premier livre imprimé
couvriront les sommes engagées, de commencer par le best-seller de l’époque :
la Bible. La Vulgate est imprimée à cent quatre-vingts exemplaires de six cent
quarante et un feuillets, chacun d’entre eux présentant un texte en deux
colonnes de quarante-deux lignes en caractères gothiques de type Textura. Ceci
dit si vous voulez briller en société en sortant votre science. Hélas pour lui,
Gutenberg connaîtra la misère de l’écrivain « à compte d’auteur » :
la plupart de ses Bibles lui resteront sur les bras un bout de temps. Il aurait
mieux fait d’inventer Facebook.
Je ne sais même pas pourquoi c’est ce terme de « police »
qui s’est imposé pour désigner la forme, le style de ces caractères. En
cherchant un peu sur Internet, je pourrais peut-être le découvrir, remarquez...
En tout cas, il a fallu l’arrivée de l’imprimerie pour que les lettres sur la
page se tiennent aussi droites, impeccablement alignées, comme pour une parade
du 14 Juillet, sans la moindre tête brûlée pour rompre les rangs. On dit que le
texte est « justifié ». Les écrivains ont toujours besoin de se
justifier. Une telle rigueur dans la pose, un tel ordre dans la casse – pas
étonnant que ça nous vienne d’Allemagne, si on y réfléchit bien...
Comme toutes les inventions révolutionnaires, il y a une part d’injustice :
ce n’est que dans les toutes dernières années de sa vie que Gutenberg est
anobli et qu’il peut enfin bénéficier d’une rente, mais il mourra dans l’indifférence
générale, et en ignorant bien sûr le succès que connaîtra l’imprimerie après
lui. À vous dégoûter d’inventer quoi que ce soit...
Tout aurait pu être uniformisé, mais non : chacun a voulu créer
ses propres glyphes, sa propre police, donc, et c’est ainsi que des Claude
Garamont, des Stanley Morison, des John Baskerville ou des Hermann Zapf se sont
amusés à fignoler leurs propres caractères typographiques. Et maintenant, à
cause de leurs excentricités, on se retrouve souvent forcés de se taper sur
Internet des articles entiers en Comic Sans MS, en Calibri ou en Verdana... Je
ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je suis totalement
allergique aux caractères sans empattement, vous savez, les lettres qu’on dit
« à bâton » ou « sans sérif »... Je ne sais pas d’où ça
vient, je vous jure que j’essaie de me soigner, mais quand je vois des textes
écrits avec ce genre de police, je n’ai même pas envie de savoir si le type a
réellement quelque chose à m’apprendre ou pas. Bizarrement, à l’écran, ça
passe. C’est à l'impression que soudain, ça m’a l’air d’un travail d’amateur.
Alors que bon, dès qu’il y a des empattements, je me sens mieux. Je ne suis
vraiment pas difficile à contenter.
2 commentaires:
On sent toute la "tenure" du professeur titularisé ; le petit doigt sur la couture de la police du clavier ... à vos ordres écrivez !
...
Chef, j'ai glissé !
Adujdant Juldé, à vos ordres !
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