Viens voir papa... |
« Le
Maître de la Lumière veut qu’on brûle ses ennemis, le Dieu Noyé qu’on les noie.
Pourquoi les dieux sont-ils tous des connards malveillants ? Où est le dieu
des nichons et du vin ? »
Tyrion Lannister.
Croyances et magie : le retour du refoulé
L’épopée de Game of Thrones se déroule dans un monde
où les saisons s’étendent sur plusieurs années. Si l’on excepte cette
particularité, l’œuvre de George R. R. Martin se présente comme une histoire de
medieval fantasy où la fantasy se montre tout d’abord assez
discrète. Bien que le prologue du premier tome, tout comme la scène
d’exposition de l’épisode pilote, nous ait déjà mis en présence des
« Marcheurs blancs », ces cadavres ambulants aux yeux bleus qui vous
coupent en deux avec une facilité quelque peu humiliante, l’histoire se
concentre ensuite sur les luttes de pouvoir, les manigances, les trahisons – le
grand jeu de chaise musicale (au singulier) autour du trône de fer. On lorgne
beaucoup plus vers la Guerre des Deux-Roses que vers Le Seigneur des Anneaux. Pas de gobelins ni d’orcs à l’horizon. Les
Marcheurs blancs, vous dites ? De vieilles légendes ! Les
dragons ? Les dragons ont disparu depuis des siècles. Le fantastique ne va
se révéler que progressivement aux différents personnages, qui n’en reviendront
pas de voir une princesse dothrakie – une khaleesi
– ressortir saine et sauve d’un bûcher, entourée de trois bébés dragons ;
de faire face pour la première fois à un revenant vindicatif ou à un
géant ; de parvenir à entrer dans l’esprit d’un loup…
C’est
certainement ce qui a séduit même ceux qui ne sont pas familiers des histoires
d’heroic fantasy : on vous
présente avant tout un drame shakespearien – les élucubrations à la Tolkien
sont une toile de fond d’abord discrète, qui prend de plus en plus d’ampleur à
mesure que l’hiver approche.
Je
l’ai déjà dit : lorsque nous entrons dans l’histoire des Sept Couronnes, à
travers les livres ou la série, nous entrons dans un monde déjà vieux, un monde
dont le passé remonte à 12 300 ans. Et ce n’est pas le moindre des talents
de Martin que de parvenir à nous faire sentir réellement ce passé, cette longue
histoire qui survit à travers les récits des anciens, le temps ayant fait son
œuvre à tel point qu’on ne sait plus vraiment ce qui appartient à l’Histoire
véritable et ce qui n’est que pure légende. Les aventures vécues par les héros
semblent parfois la répétition de faits plus anciens, enfouis dans la mémoire
collective, le comportement de Daenerys rappelle celui de Rhaegar Targaryen,
son frère mort lors de la Bataille du Trident, et qu’elle n’a jamais connu.
Janos Slynt, un sceptique. |
Au contraire
des habitants du sud, les « nordiens », dont font partie les Stark,
ont conservé des liens très forts avec le passé, notamment à travers la
religion, puisqu’ils continuent d’honorer les anciens dieux sans nom, ces dieux
auxquels se vouaient les Enfants de la forêt, premiers occupants de Westeros,
qui creusaient des visages dans les arbres sacrés. La religion des Sept,
importée par les Andals qui se sont installés à Westeros trois mille ans avant l’histoire
racontée ici, est la religion dominante. Elle est marquée par la croyance en
sept dieux qui sont en fait les sept visages d’un dieu unique : le Père,
la Mère, l’Aïeule, le Guerrier, le Ferrant, la Jouvencelle et l’Étranger – le
dieu de la mort. Les habitants des Îles de Fer, peuple de marins, vénèrent le
Dieu Noyé. Vient ensuite R’hllor, le Maître de la Lumière, qui est adoré par
les prêtres rouges venus d’Asshaï, à l’extrême sud-est d’Essos. Une religion
encore très rare à Westeros, mais qui fait son chemin petit à petit, grâce à
Thoros de Myr et Mélisandre. Enfin, pour compliquer encore un peu plus les
choses, il faut ajouter le dieu multiface, qui fait l’objet d’un culte très
secret au sein de la Demeure du Noir et du Blanc, à Braavos.
La secte des
prêtres rouges est considérée avec méfiance par les habitants de Westeros, tant
son culte semble imprégné de sorcellerie, de magie noire. Le feu et le sang
sont les éléments principaux du culte, des sacrifices humains y sont pratiqués.
Thoros de Myr avait sans succès tenté de convertir à cette croyance le roi
Aerys II Targaryen, dit le Roi Fou, et désormais, il est essentiellement
préposé à la résurrection de lord Béric Dondarrion, qui a une fâcheuse tendance
à mourir pour un oui ou pour un non. Mélisandre d’Asshaï, quant à elle, s’est
mise au service de Stannis Baratheon, qu’elle veut aider à reconquérir le trône
de fer. Elle a vu sa victoire dans les flammes, paraît-il, mais à l’heure où
nous mettons sous presse, elle n’est plus aussi sûre de ce qu’elle a vu.
Lady Mélisandre n'y voit que du feu. |
Ainsi, tout
l’univers fantastique qui compose l’arrière-plan de Game of Thrones est connu des habitants des Sept Couronnes,
notamment des nordiens, qui continuent à raconter aux enfants des histoires de
dragons et de marcheurs blancs – mais il a été refoulé. Y croire paraît aussi
stupide que croire au Père Noël ou à une princesse qui aurait dormi cent ans
avant d’ouvrir les yeux sous le baiser d’un prince (je vous dis pas l’haleine
au réveil). Les dragons, certes, ont existé, personne ne le nie : mais il
y a près de deux siècles qu’ils ont disparu. Seuls les dix-neuf crânes des
derniers spécimens restent encore visibles dans les sous-sols du Donjon Rouge.
Quand Tyrion Lannister accompagne Jon Snow au Mur, ce n’est que la curiosité
qui le pousse. Pas plus qu’un autre, il
ne croit à ces histoires de créatures d’au-delà du Mur. Le patrouilleur Gared,
qui a déserté la Garde de Nuit après avoir vu les marcheurs blancs à l’œuvre,
est exécuté par Ned Stark qui le croit dément. Pourquoi pas des vampires et des
sorcières, pendant qu’on y est ?
Lorsque les
œufs de dragon que transporte Daenerys éclosent et qu’elle-même surgit intacte
des flammes – dans le livre, elle y a tout de même laissé sa chevelure ;
il faut croire que l’actrice Emilia Clarke n’était pas prête à se la jouer
Ripley dans Alien 3 – et lorsque les
plus incrédules doivent se rendre à l’évidence que ce qu’ils ont sous les yeux
est bien un cadavre ambulant et énervé, c’est tout l’univers que les hommes
avaient voulu enfouir dans l’oubli qui refait surface. Le passé reprend sa
place et soudain, les guerres humaines ont l’air bien vaines. Stannis Baratheon
en prend conscience qui, après avoir essuyé une défaite dans les eaux de la
Néra, comprend que le véritable combat doit se mener au nord. Que les Lannister
s’accrochent à leur misérable trône de fer ! La véritable menace est
ailleurs… Même les hommes de la Garde de Nuit n’ont pas conscience du danger,
et s’imaginent encore que le Mur a été construit pour les protéger des sauvageons.
Jon Snow est le seul à avoir compris qu’ils ont besoin des sauvageons et que ce
qui se cache derrière le Mur est bien plus terrible qu’une bande de pillards et
d’assassins. Cette clairvoyance lui attirera quelques ennuis.
Bran,
l’estropié, est peut-être celui qui, pour avoir suivi la corneille à trois yeux
jusque dans les confins au-delà du Mur, sauvera l’univers des Sept Couronnes,
et qui le fera sans aucun intérêt pour les luttes de pouvoir autour d’un siège
ridicule. C’est une hypothèse… Au fond, Game
of Thrones n’est peut-être rien de plus qu’une fable écolo visant à nous
rappeler que toutes nos ambitions sont bien futiles si nous ne savons pas nous
réconcilier avec la nature. (Et si c’est vraiment ça, alors okay, c’est nul.)
Notre Sauveur ? |
On the road again
Game of Thrones met à l’honneur une
figure emblématique de la littérature médiévale, celle du chevalier errant.
D’un bout à l’autre de Westeros et d’Essos, on n’arrête pas de marcher. Il n’y
a pas que les chevaliers, d’ailleurs, pour prendre la route : enfants en
fuite, brigands, soldats sans bannière, armées en marche… Du reste, peu de
chevaliers, dans Game of Thrones,
méritent réellement ce titre. Sandor Clegane, le « Limier », refuse
de le porter. Lui sait bien que la plupart des hommes d’armes qui gravitent
autour du roi Joffrey ne méritent pas leur titre de noblesse, à commencer par
son frère Gregor, la « Montagne »…
Des
chevaliers errants, on peut en dénombrer quelques-uns : Brienne de Tarth
et Jaime Lannister, notamment. Mais tout le monde erre, en quête de quelque
chose… Souvent, il s’agit simplement d’une question de survie : il faut
fuir. Le voyage a rarement l’honneur pour point de mire. Le Limier quitte
Port-Réal parce qu’après la bataille de la Néra, il ne veut plus servir
Joffrey. Barristan Selmy, véritable chevalier, lui, s’en va humilié, renvoyé de
la Garde royale. À l’exception des grands seigneurs qui partent livrer bataille
et espèrent se couvrir de gloire (ils sont souvent déçus), les personnages de
la saga sont souvent jetés sur la route la queue entre les jambes, quand ils en
ont une. Mais Game of Thrones, tout
de même, a son Graal : comment désigner autrement cette corneille à trois
yeux vers laquelle Bran s’est lancé avec toute la vigueur de ses jambes
mortes ?
Promenons-nous dans les bois... |
La
route a une importance capitale dans Game
of Thrones, parce qu’elle rythme le récit. On ne voyage pas tranquillement
de Port-Réal à Winterfell, ou de Winterfell au Mur. On n’arrive pas à
destination comme une fleur, en l’espace d’une ellipse, d’un fondu-enchaîné –
non, le trajet demande du temps, beaucoup de temps, et de nombreux obstacles
peuvent se rencontrer en chemin. Certains voyageurs n’atteignent jamais leur
but, d’autres sont détournés de leur chemin par les hasards des rencontres,
heureuses ou malheureuses. Plus souvent malheureuses, on va pas se mentir…
Tiens !
Amusons-nous à suivre un de ces trajets. Où était censée aller Arya Stark, à la
mort de son père, déjà ? Ah oui ! Au Mur, déguisée en garçon, avec
Yoren, Gendry (l’un des nombreux bâtards de Robert) et une poignée d’autres.
Hélas pour elle, la reine-mère Cersei a lancé ses hommes à la recherche du
bâtard et, après ce qu’il faut de massacres, la voilà prisonnière dans le
château d’Harrenhal pour un bon moment. Elle finit tout de même par s’évader
grâce à la complicité de Jaqen H’ghar et tente de rejoindre Vivesaigues. En
chemin, elle tombe sur des hommes de la Fraternité sans bannière, qui la mènent
à lord Béric Dondarrion. Elle y trouve le Limier, également prisonnier de la
Fraternité. Après un duel judiciaire entre Béric et le Limier (Béric meurt,
mais il va tout de suite mieux), elle s’enfuit à nouveau, mais Clegane la
rattrape et veut l’emmener aux Jumeaux pour la livrer contre rançon à son frère
Robb Stark. Ils arrivent au moment où Robb et Catelyn Stark sont assassinés par
les Frey. Caramba ! Encore raté.
C’est donc de nouveau vers Vivesaigues que Sandor Clegane et Arya se dirigent,
mais après un combat contre des hommes de Gregor Clegane, Arya abandonne le
Limier blessé à mort (le combat contre Brienne de Tarth est une invention
(brillante) de la série télé) et s’embarque, enfin, pour Braavos. Ces
pérégrinations occupent deux tomes sur les cinq écrits par George R. R. Martin,
trois saisons de la série. Les voyageurs qui se plaignent des retards de la
SNCF ne connaissent pas leur bonheur.
Quant
à Daenerys, elle est censée rentrer à Westeros, plein ouest, impossible de se
tromper, et depuis le début de la saga, elle ne cesse de s’enfoncer toujours
plus loin vers l’est. Mais ça, j’en ai déjà parlé la dernière fois…
Quand on arrive en ville... |
Tous
ces déplacements, donc, imposent leur rythme à l’histoire. Tandis que certains
restent fixés à un endroit, au moins pour un temps – les Lannister à Port-Réal,
la Garde de Nuit au Mur, etc. – d’autres sont en mouvement, des informations
sont transmises, des nouvelles arrivent (quand les corbeaux messagers ne sont
pas tués en vol), et la géographie du royaume, telle qu’elle apparaît en images
de synthèse au générique de la série, la carte évoluant à chaque épisode, prend
tout son sens. Des fans se sont amusés à créer une carte interactive sur
laquelle il est possible de suivre tous les déplacements des personnages
principaux. Le lecteur à l’âme vagabonde pourrait même, crayon en main, se
faire un véritable Guide du Routard
de Westeros et d’Essos. En notant scrupuleusement les bed & breakfast qui jalonnent le parcours : l’auberge de
Masha Heddle, au carrefour du Trident, où Catelyn s’empare de Tyrion, ou celle
de l’Homme-à-genoux, où Arya, Gendry et Tourte s’imaginent avoir trouvé refuge…
Il est possible d’attribuer quelques étoiles, mais dans l’ensemble, on est
assez mal reçu, et on court toujours le risque de se retrouver avec plusieurs
centimètres de fer dans le ventre. Je ne sais pas ce qu’en pense TripAdvisor.
(A suivre)
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