Vendredi 22 juillet 2016.
En
revoyant Le Silence des agneaux, le
« type » même du serial killer
movie, je ne peux m’empêcher de penser à quel point, si l’on s’intéresse un
peu aux véritables tueurs en série, la fiction est toujours en deçà de la
réalité. Qu’Hannibal Lecter soit un monstre, c’est indéniable, sa muselière est
là pour le rappeler, avant même son évasion spectaculaire et sanglante. Malgré
tout, même s’il s’agit d’un méchant manipulateur qui flanque le frisson, on ne
peut s’empêcher de le trouver fascinant, et de l’apprécier, même, d’une
certaine façon. À vrai dire, ce n’est jamais lui le « méchant ». On
comprend tout de suite qu’il ne fera jamais de mal à Clarice Starling, et on en
viendrait presque à le trouver chevaleresque quand il règle son compte au
détenu qui a jeté son sperme au visage de la jeune femme…
Le cinéma
hollywoodien et les séries ont imposé le serial
killer « justicier », celui qui fait le boulot de la police en
débarrassant le monde de ses pires ordures. Dans Hannibal, le Dr Lecter montre qui il est vraiment, et ce n’est pas
glorieux : aussi atroce que soit le traitement qu’il réserve à ses
victimes, au fond, on l’admire, on le trouve trop cool, et on se dit qu’elles
l’ont bien mérité. Les vrais « gentils », il ne leur fait pas le
moindre mal : il finit même par couper sa propre main quand Clarice
s’attache à lui avec ses menottes, plutôt que de l’amputer, elle… Si ça, c’est
pas sympa ! Son personnage annonce au fond le héros de la série Dexter, qui proposait le challenge de
rendre un serial killer attachant.
Mais ce n’était pas un challenge bien difficile à réaliser, puisque Dexter
Morgan ne supprime que des salauds… Hélas, dans la réalité, ce n’est pas ça, un
serial killer. Dans la réalité, un serial killer ressemble bien plus au
Buffalo Bill du Silence des agneaux,
dont le personnage s’inspire de deux meurtriers célèbres, Gary Heidnick et Ed
Gein (ce dernier ayant aussi inspiré le Norman Bates de Psychose et le Leatherface de Massacre
à la tronçonneuse), qui n’étaient pas franchement de rigolos redresseurs de
torts…
Le
film qui, à mes yeux, offre l’image la plus réaliste de ce que peut être le
quotidien d’un véritable tueur en série est Henry :
portrait of a serial killer. Un film dans lequel les assassins (très
librement inspirés d’Henry Lee Lucas et Ottis Toole) ne peuvent à aucun moment
éveiller de fascination chez le spectateur – mais un véritable sentiment
d’horreur. Leurs crimes sont brutaux, sans grandeur, sans fioritures
esthétiques (ils ne s’amusent pas à pendre leurs victimes à dix mètres de
hauteur en les emballant dans un drapeau américain pour qu’on siffle
d’admiration devant la scène de crime), ils passent d’un délire à l’autre en se
soûlant à mort, revoient les vidéos de leurs crimes avachis dans le canapé,
semi-débiles, définitivement désocialisés… Bien sûr, il s’agit de tueurs
psychotiques, désorganisés, et on peut leur opposer le tueur psychopathe à la
Hannibal Lecter (ou, dans la réalité, des types comme Ed Kemper, Albert DeSalvo
ou Ted Bundy), qui prémédite son action, repère les lieux, s’efforce de cacher
le corps – bref : agit en prévoyant le travail des enquêteurs de police et
en s’efforçant de masquer ses traces. Seulement les réalisateurs de cinéma et
de séries ont un peu trop tendance à confondre « tueur organisé » et
« décorateur d’intérieur ». En ce qui me concerne, je suis fatigué de
ces films et de ces séries qui montrent des scènes de crime extrêmement
élaborées, où le tueur a disposé le corps de ses victimes de façon à ce qu’ils
composent des lettres, ou des chiffres, ou encore ces tueurs qui, en guise de
« signature », laissent sur place un as de pique – « Okay les
gars ! C’est le Tueur à l’As de
Pique, y’a pas de doute ! » – ou un message codé qui ressemble à une
grille de sudoku spécial vacances. Certes, il existe quelques cas de tueurs en
série un peu joueurs, comme le tueur du Zodiac ou Dennis Rader (le BTK Killer), qui prenaient plaisir à
envoyer des bafouilles aux policiers, mais la découverte d’un cadavre est
généralement moins fun que ça…
Mardi 26 juillet 2016.
Je
me suis passionné assez jeune pour les récits de true crimes. La preuve : j’ai conservé les numéros de la revue
Dossiers Meurtre que j’achetais
régulièrement, or c’est une revue qui date de 1991. J’avais donc quatorze ans
lorsque je lisais les récits des crimes, entre autres, de Thierry Paulin, de
Landru, de Ted Bundy, de John Reginald Christie, de Marcel Barbeault ou de Peter
Sutcliffe, l’éventreur du Yorkshire, récits accompagnés d’une iconographie
plutôt explicite. J’ai toujours aimé ça, mais je n’éprouve pas de fascination
pour les tueurs en série. Je ne les trouve pas badass. C’est pour cette raison que, même si je trouve qu’Hannibal
Lecter est un bon méchant de cinéma, je considère son personnage de serial killer peu crédible – disons,
trop hollywoodien, trop grand-méchant-loup pour être honnête.
Au
fond, ce qui me fascine, c’est la psychologie du criminel – raison pour
laquelle j’ai par la suite dévoré les ouvrages de John Douglas, l’ancien
profiler du FBI qui a servi de modèle au Jack Crawford du Silence des agneaux… La psychologie du criminel et, surtout, ce qui
le sépare du citoyen lambda, celui qui n’éprouve pas le besoin d’égorger et de
dépecer sa voisine pour ensuite violer son cadavre (vous et moi, en quelque
sorte)…
Je
me rends compte en écrivant comme cet intérêt pour les tueurs en série, au
fond, se justifie mal. Malgré tout, il dérive de cette passion infantile pour
l’hémoglobine que l’on trouve chez les ados fans de gore et de slasher movies… Alors, continuer à se
passionner pour des types comme Albert Fish, Joseph Vacher, Jeffrey Dahmer ou
Jack l’Éventreur, à quarante balais, ça paraît forcément régressif et un peu
louche. Admettons : je suis régressif, voilà. Et un peu myope.
Mercredi 3 août 2016.
Lecture
du livre de Stéphane Bourgoin, Qui a tué
le Dahlia noir ? Un livre qui s’ajoute aux milliers de pages que j’ai
déjà lues sur le cas de cette pauvre Betty Short. À force de lire, il ne manque
pas de sujets dans lesquels j’excellerais : les récits de guerre, les true crime novels, les journaux intimes
d’écrivains… J’aurais pu, avec un peu de jugeotte et d’imagination, un peu de
courage aussi, poursuivre mes études et enseigner à l’université, me faire
chroniqueur judiciaire ou trouver d’autres manières d’exploiter mes connaissances.
Au lieu de quoi, je suis toujours incapable de trouver un emploi qui me
corresponde et m’intéresse un tant soit peu… Il faudrait que je puisse raturer
et mettre à la poubelle, disons, les quinze dernières années de ma vie, pour
les recommencer en faisant les bons choix. Mais il paraît qu’on n’a pas encore
inventé la machine qui permettrait ce genre de trucs.
En
règle générale, on retient les noms des tueurs en série, mais jamais ceux de
leurs victimes. Avec Elizabeth Short, le Dahlia noir, c’est exactement
l’inverse : on ne se souvient que du nom de la victime, à laquelle on a
même donné ce surnom inspiré de la fleur qu’elle attachait à ses cheveux. Il
faut dire qu’on n’a jamais su avec certitude qui avait commis ce crime atroce…
Bourgoin, à la suite de bien d’autres, se lance dans l’enquête, et désigne un
coupable potentiel qui est particulièrement crédible. Un suspect que l’on
trouvait déjà chez John Gilmore, mais auquel Bourgoin attribue, en plus des
meurtres de Betty Short et de Georgette Bauerdorff, ceux commis par le
« Boucher de Cleveland ». Les similitudes entre ces crimes et
l’emploi du temps supposé du Boucher vont dans le sens de son hypothèse,
nettement plus crédible que les délires d’un Steve Hodel, persuadé que son
papounet a commis la moitié des crimes non résolus de l’histoire des États-Unis,
ou d’un Donald Wolfe qui accusait la mafia. Évidemment, le coupable présumé
étant mort, cette affaire restera à jamais un cold case.
Drôle
de destin, tout de même, que celui de cette jeune femme de vingt-trois ans,
sorte d’Emma Bovary débarquant à Los Angeles avec l’envie de faire du cinéma,
de connaître la gloire, et qui, de son vivant, n’apparaîtra jamais sur la
moindre bobine de film (contrairement à l’idée répandue). Il lui aura fallu cette
mort atroce pour entrer dans la légende américaine. Il aura fallu qu’elle devienne
ce cadavre coupé en deux, atrocement mutilé et défiguré, vidé de son sang et
déposé sur un terrain vague de Los Angeles le 15 janvier 1947, pour atteindre
enfin la gloire qu’elle espérait et éveiller tous les fantasmes les plus
morbides qu’on puisse imaginer. Elizabeth Short est la Marylin Monroe des
nécrophiles… Un statut qu’elle partage avec Sharon Tate, autre star trucidée,
qui n’aurait sans doute pas connu une telle gloire sans cette fin tragique. À
tel point qu’il est difficile de décider si elle a rendu célèbre Charles
Manson, ou si c’est Manson qui l’a rendue célèbre…
Samedi 24 septembre 2016.
Alors,
c’est ça qui va se passer, maintenant, quand je lirai un livre de guerre ?
J’ai tellement regardé les séances de L’Encyclopédiedes guerres de Jean-Yves Jouannais, qu’il m’arrive de relever des passages
non pas tellement parce qu’ils me plaisent ou m’intriguent, mais parce qu’ils
m’évoquent l’une ou l’autre des entrées de son interminable dictionnaire. Je
m’y arrête en pensant : « Tiens, ça c’est pour
Jouannais ! » Un passage comme celui-ci, par exemple, dans le livre
de Stephen Ambrose, Band of Brothers,
qui a inspiré la série homonyme de Spielberg et Tom Hanks :
« La région de Mourmelon qui se trouve
dans la plaine entre la Marne, au sud, et l’Aisne, au nord, sur la route
empruntée traditionnellement par les envahisseurs pour atteindre Paris (ou le
Rhin, selon la nationalité de ceux qui mènent l’offensive), a été le théâtre de
nombreuses batailles au cours des siècles et récemment encore entre 1914 et
1918. Les trous d’obus et les tranchées de la Grande Guerre étaient encore
visibles un peu partout. En 1918, les Sammies s’étaient battus non loin de là, à Château-Thierry et au bois
Belleau. »
Aussitôt, je
me dis qu’il s’agit de la description d’un lieu belligène, qui porte en lui-même la guerre – un adjectif
qu’affectionne Jean-Yves Jouannais. Et quelques pages plus loin, un autre
passage m’évoque son entrée climatologie, qui développe l’idée que la guerre est
liée au rythme des saisons : « Il
semblerait qu’aucun des hommes n’était vraiment impatient de se rendre à Paris
car tous avaient l’impression qu’ils allaient rester à Mourmelon jusqu’au
printemps, époque où le climat serait de nouveau favorable à une
campagne. »
À vrai dire,
ces deux passages, je ne les aurais pas notés si, en les lisant, je n’avais pas
aussitôt songé à L’Encyclopédie des
guerres et si ça ne m’avait pas amené à me poser des questions sur d’autres
passages que j’ai pu relever auparavant. Il y a par exemple celui-ci :
« Début décembre 1943, de nouveau sur
le terrain, la compagnie E s’est enterrée au sommet d’une haute colline dénudée
et balayée par le vent. Les chefs de section ont demandé à leurs hommes de
creuser des trous individuels particulièrement profonds, ce qui était difficile
vu la nature rocheuse du terrain. Peu après, un groupe de chars d’assaut
Sherman est passé à l’attaque. Webster a écrit par la suite dans son
journal : “Ils ont gravi la colline en rugissant comme des monstres
préhistoriques. Ils se sont arrêtés, puis se sont détournés pour passer par
notre travers. Un pourtant a chargé dans notre direction. Mon trou n’était pas
assez profond pour qu’il puisse passer sur moi sans me faire de mal, aussi je
me suis mis à hurler désespérément : ‘Enjambe-moi ! Enjambe-moi !’
Ce qu’il a fait.” »
Ce qui m’a
séduit dans ce passage, c’est la comparaison entre les chars Sherman et des
créatures préhistoriques. Ça m’a aussitôt rappelé un passage des Nus et les morts que j’aime beaucoup, dans
lequel des soldats harassés portant un canon sont comparés à un insecte. Et je
me suis souvenu que ce passage, avant de le lire chez Norman Mailer, je l’avais
découvert cité par Jouannais, justement – une citation qui m’avait marqué. Et
lorsque j’avais lu Les Nus et les morts,
j’avais eu plaisir à retrouver cette description étonnamment visuelle. Cette
manière d’embrasser les hommes et le canon qu’ils transportent dans une même
comparaison animale me touche particulièrement, et c’est un peu le même
sentiment que je retrouve avec cette description des chars. Mais en notant cet
extrait, je ne peux m’empêcher de me demander si c’est parce qu’il me plaît
vraiment, ou si c’est parce qu’ils s’agit d’une analogie qui pourrait trouver
sa place dans L’Encyclopédie des guerres ?
La réponse à cette question étant « on s’en fout », évidemment. Des
passages me plaisent, je les relève, et il n’y a pas de quoi en faire une
thèse. Mais bon, au cas où, la question est posée.
Lundi 26 septembre 2016.
Voilà
un extrait qui aurait tout à fait sa place dans une hypothétique entrée Cravate de L’Encyclopédie des guerres :
« Un obus éclata devant la porte de la
grange, et Hale, frappé par un éclat, tomba à la renverse. Un des SS tira un
couteau de sa botte, se jeta sur lui et l’égorgea. Le sang giclait. Liebgott
abattit l’égorgeur puis les cinq autres officiers SS. Heureusement pour Hale,
son agresseur n’avait pas réussi à sectionner une artère, ni la trachée,
seulement l’œsophage. Roe, l’infirmier, pansa la blessure après l’avoir
saupoudrée de sulfamides. Une jeep a évacué Hale sur Luxembourg où un médecin
l’a recousu de son mieux. Hale se retrouvant avec un œsophage tordu, le médecin qui l’avait opéré
a rédigé un certificat médical dispensant le malheureux sergent du port de la
cravate. Par la suite, Hale s’est trouvé un jour en présence du général Patton
qui l’engueula parce qu’il ne portait pas de cravate. D’un air triomphant, Hale
sortit son certificat et, pour une fois, Patton resta sans voix. »
Vendredi 7 octobre 2016.
Dans
les Carnets de guerre de Louis Barthas,
tonnelier, il y a une chose que je remarque : c’est le besoin que
semblait éprouver le soldat à se retrouver avec des camarades venus de la même
région que lui. Une tendance qui confine même à un certain chauvinisme.
Généralement, s’il précise qu’un soldat ou un officier est peyriacois comme
lui, on peut être sûr que leurs relations seront bonnes, qu’il ne s’en plaindra
jamais dans ses notes. Il n’a pas de mots assez durs pour ses supérieurs quand
ceux-ci se montrent injustes, cruels, ou prêts à envoyer le régiment se faire
tuer pour rien (ce qui était, il faut le dire, le lot de pas mal d’officiers à
l’époque), mais s’il s’agit d’un « pays », ou au moins d’un gars du
Midi, tout va bien. Pour un jeune homme qui quitte pour la première fois son
patelin pour s’en aller au front, je peux le comprends, mais Louis Barthas a
quarante ans quand il part à la guerre. Je suppose qu’à l’époque, l’origine de
chacun avait plus d’importance qu’aujourd’hui, et du reste, il est tout à fait
logique qu’à se retrouver loin de chez soi, dans une collectivité forcée avec
des étrangers et dans des circonstances aussi dramatiques, on s’accroche à ce
qu’on peut. C’est d’ailleurs à la même époque que les Britanniques, afin
d’encourager la conscription, avaient mis en place les pals battalions, les « bataillons de copains », qui
permettaient aux conscrits d’une même ville, d’un même quartier, du même
orchestre ou du même club de football, de se réunir au sein d’un même régiment.
Alors, effectivement, qu’un Breton soit ravi de trouver un autre Breton, ou un
Marseillais un autre Marseillais, rien de plus normal. N’ayant jamais remarqué
une telle insistance sur ce sujet dans d’autres témoignages de Poilus, je n’y
avais pas vraiment songé. Mais à présent, je me dis que mon arrière-grand-père,
Jean-Baptiste Chabrun, incorporé au 44e RAC avec Paul Lintier, autre
Mayennais, a fatalement dû se lier d’amitié avec celui-ci, bien qu’ils n’aient
pas été affectés à la même batterie, et qu’ils n’étaient pas du même milieu
social… (Une chose est sûre : Lintier, sans doute moins chauvin que Louis
Barthas, ne parle pas de mon aïeul dans les deux volumes qu’il a eu le temps
d’écrire avant d’être tué.)
Dimanche 20 novembre 2016.
Il
m’arrive parfois d’avoir une idée de roman qui m’enthousiasme vraiment, alors
que je me sens incapable de l’écrire moi-même. Je me dis : « S’il
existait un roman qui raconte cette histoire, il faudrait que je coure
l’acheter ! » au lieu de me dire : « Si ce roman n’existe
pas, c’est à moi de l’écrire ! »
Regardant
sur YouTube des documentaires sur les civilisations disparues, notamment celle
des Mayas, me voilà à imaginer que l’humanité, à son tour, a disparu, et que
plusieurs milliers d’années après, une nouvelle espèce intelligente a évolué
sur Terre et s’intéresse aux ruines laissées par ses prédécesseurs. Que
comprendrait-elle de notre civilisation ?
Je
ne suis pas sûr que cette idée soit d’une grande originalité, d’ailleurs. En y
repensant, je me souviens que Richard Matheson avait écrit une nouvelle dans ce
style : on y suivait une institutrice accompagnant ses élèves dans un
musée d’histoire naturelle et, après les reptiles, les fauves et autres espèces
disparues, on découvrait une salle consacrée à l’homo sapiens – et le lecteur comprenait alors que les personnages
qu’il suivait depuis le début étaient des extraterrestres. Une nouvelle dans
l’esprit Quatrième dimension.
Mon
histoire est différente. Il s’agirait, d’abord, d’imaginer à quoi pourrait bien
ressembler cette espèce qui, après les catastrophes climatiques qui nous
pendent au nez (et c’est bien fait pour nous), sortirait à nouveau des océans
et, s’adaptant à ce nouvel écosystème, bâtirait une civilisation sur les ruines
de la nôtre. Et ces créatures qu’il faudrait inventer, dont il faudrait tout
connaître (constitution physique, taille, sexualité (seraient-ils encore
mammifères, ce truc de ringards ?), culture, système politique, croyances,
procédés de communication (auraient-ils encore besoin de vocaliser, ce truc de losers ?), etc.), ces créatures,
donc, redécouvrant ce qui resterait de nos autoroutes, de nos buildings, de nos
machines, de nos inscriptions rédigées dans un alphabet – pire encore, des alphabets – qu’elles ne sauront pas
déchiffrer, n’auront qu’une vague idée de ce que pouvaient être nos vies. Exactement
comme, bien qu’on ait fait d’énormes découvertes sur les civilisations maya,
khmère ou anasazie, ou sur l’homme de Néanderthal, nous n’avons certainement
qu’une idée très parcellaire de ce que fut réellement le quotidien de ces
hommes et de ces femmes. On peut très bien imaginer, par exemple, que déterrant
quelques-unes de nos immenses affiches publicitaires de bords d’autoroute et
voyant s’étaler sur une surface immense la reproduction d’une de ces machines
dont ils auraient retrouvé les débris en très grand nombre (automobiles,
cafetières, étagère Ikea…), ces créatures post-humaines s’imaginent que nous
vénérions ces objets, qu’il s’agissait d’une forme de culte animiste, et que
nous voyions un Dieu dans nos véhicules, dans nos fours à micro-ondes ou dans
nos serviettes hygiéniques (oui,même là)…
Cette
idée de l’humanité comme civilisation disparue, sujette à des travaux
d’archéologie, et laissant des écritures indéchiffrables pour les civilisations
futures, me fait d’ailleurs penser à ce tunnel immense creusé en Finlande pour
y recueillir les déchets nucléaires du pays, et censé devoir rester scellé pour
les cent mille prochaines années. Un projet fascinant surtout pour les
interrogations qu’il suscite : comment faire comprendre aux générations futures
que cet endroit doit rester hermétiquement clos ? Dans quelle langue, ou
avec quels symboles, s’exprimer pour être sûr d’être encore compris dans cent
mille ans ? Et pour avoir la certitude que ces mises en garde soient
prises au sérieux, et qu’elles n’aient pas l’effet opposé : celui
d’aiguiser la curiosité des chercheurs du futur ?... Les Égyptiens et les
Mayas avaient protégé les sépultures de leurs rois de malédictions à l’encontre
des profanateurs, mais ça n’a jamais empêché les archéologues d’ouvrir ces
tombeaux…
Enfin,
je vois très bien quel serait le potentiel de cette histoire (et peut-être
qu’une idée assez proche a déjà été traitée : mes connaissances dans le
domaine de la science-fiction sont plutôt limitées), et je m’enflamme bêtement
à y penser – tout en me sentant, donc, incapable de l’écrire. Ah ! Quel
homme de talent je pourrais être, si je n’étais pas moi…
Samedi 24 décembre 2016.
Tout
le monde fête en famille l’arrivée du petit Jésus (alors qu’il nous fait le
coup tous les ans), et les cinémas sont déserts. C’est le moment idéal pour
voir Premier contact (Arrival), le film de
Denis Villeneuve. Excellent film de science-fiction, qui renouvelle le sujet
classique de l’arrivée des extraterrestres sur notre planète. Comme pour Rencontres du troisième type ou le Contact de Zemeckis, il s’agit de
comprendre les intentions de ces créatures étrangères, qui ne semblent pas
vouloir quitter leurs étranges vaisseaux ovoïdes. Une linguiste et un physicien
sont appelés en renfort pour entrer en communication avec eux. C’est l’un des
propos majeurs du film : comment établir un contact avec des
extraterrestres qui ne parlent pas notre langue (dans beaucoup de films de SF,
on ne s’embarrasse pas de ce genre de détails : les aliens sont plus avancés que nous, donc ils font l’effort de parler
anglais, ou ils s’amusent avec les nombres premiers pour faire les malins) ?
Tandis que la linguiste et le physicien essaient de traduire les glyphes
circulaires que les extraterrestres projettent et qui leur servent de moyen
d’expression, les grandes puissances s’arment, redoutant une colonisation
mondiale. Et plus les spécialistes avancent dans leur compréhension du langage
des aliens, plus ils comprennent que
celui-ci est lié au temps, que leur temporalité et la nôtre sont différentes. Et
cet apprentissage d’un langage nouveau, qui ne ressemble à rien de connu,
bouleverse profondément la linguiste. J’espérais un bon film, et je ne suis pas
déçu : il s’inscrit dans la lignée de 2001
ou d’Interstellar, et sans rougir de
la comparaison.
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