La presse
marche bien dans l’ensemble (sauf les journaux littéraires et les journaux de
cinéma). Avec ça, et un gentil petit fonds de livres « classiques »,
+ polars, espionnage et romans à l’eau de rose, on peut à peu près s’en sortir
(…). Il faut être terriblement terre à terre dans ce genre de boulot, et
surtout bien se garder de vendre ce que l’on aime !
Jean-Pierre Martinet, lettre à Alfred Eibel.
L’écrivain
peut bien travailler chez lui ou dans une chambre d’hôtel, face à la mer ou face
à un papier peint déprimant, dans une chemise à fleurs, un caleçon à paillettes
ou un peignoir de bain, c’est dans une librairie qu’il va rencontrer son
lecteur. Ou dans une bibliothèque, bien sûr, ou à l’école, ou sur le banc de
square où son livre aura été oublié – mais en tout cas, la librairie est
toujours l’étape numéro un.
Il
peut bien puer l’alcool et le tabac froid, avoir les pieds moisis et les
cheveux gras, l’écrivain se montre au lecteur sous ses plus beaux atours :
couverture souple et papier blanc, reliure collée ou brochée, prix fixe et
quatrième de couverture alléchante. Le livre, c’est Brad Pitt jeune, nanti d’un
chef opérateur talentueux. L’écrivain, c’est Brad Pitt dans la vraie vie, sans
maquillage ni lumière savamment orientée : le poil qui grisonne, la peau
qui s’affaisse, la brioche qui pousse. Céline le disait : le lecteur n’a
pas besoin de visiter les cuisines. Ce qu’il veut, c’est du rêve, de
l’aventure, du dépaysement. Une belle couverture, un titre bien trouvé, un
volume épais : autant de promesses de longues heures de lecture
passionnée.
Je
sais bien qu’on est à l’ère de la dématérialisation et qu’il faut être de son
temps. Je suis comme vous, il m’arrive de passer des commandes sur Amazon. Mais
je crois bien qu’une bonne librairie est le lieu où, en dehors de mon domicile,
je me sens le plus chez moi.
Il
y en a qui rêvent devant des canapés en cuir, des cuisines équipées avec hotte
électrique, des téléviseurs HD, des voitures avec double airbag et air
conditionné, des bijoux ou des vêtements. Au fond, je ne comprendrais jamais
ces gens-là. Je suis un être bienveillant, j’accepte donc de dialoguer avec
eux, mais il y a un fossé entre nous. Il n’y a rien qui ressemble plus à un
canapé qu’un autre canapé, ou à une voiture qu’une autre voiture. Vous pouvez
dire ce que vous voulez, je ne vois aucune différence entre une Fiat Panda et
une Peugeot 308 (élue voiture de l’année 2014). Comptez avec moi : elles
ont exactement le même nombre de roues. Maintenant, entrez avec moi dans une librairie,
je vous tiens la porte, ding-dong, je m’efface pour vous laisser passer :
tadaaa ! Qu’est-ce que vous remarquez ?
Des
livres ! Des livres partout, sur les tables, dans les rayons, des gros,
des petits, des grands, des à la couverture crème, rouge, verte, jaune, noire,
des richement illustrés, des avec des bandeaux rouges, des que vous pourriez
mettre dans votre poche, des qu’il vous faudrait des épaules de déménageur pour
ramener chez vous : pas deux identiques. Ou alors il s’agit de plusieurs
exemplaires du même, mais là vous cherchez juste à me contredire.
Alors
vous vous promenez devant tous ces livres, prêt à en saisir un au hasard, mais
non, le hasard n’a rien à voir là-dedans. Vous en prenez un parce que le titre
vous plaît, parce que la couverture vous a tapé dans l’œil ou parce que vous
connaissez déjà l’auteur. Vous l’ouvrez, vous lisez les premières lignes,
hop ! vous êtes déjà happé – vous voyagez. Gratis. Vous n’allez pas trop
loin, de peur que le libraire qui vous surveille du coin de l’œil vous demande
de lui régler la course. Vous descendez du véhicule, vous le remettez à sa
place sur la pile. Gardez son titre en tête, vous reviendrez peut-être
l’acheter après avoir poursuivi votre lèche-vitrine. D’ailleurs, vous vous en
êtes peut-être déjà emparé : je ne suis pas au courant de tout. Et puis
vous faites ce que vous voulez. Peut-être que vous, les librairies, ce n’est
pas votre truc. La lecture, tout ça, pfff… Oui, ben je vous ai pas forcé à
venir, hein. Maintenant, laissez-moi, je vais un peu traîner au rayon BD.
2 commentaires:
Oui enfin ! Un livre c'est d'abord du papier qu'on a blanchi laborieusement à la javel avant de le tacher avec de l'encre.
Je me demande parfois si les imprimeurs réfléchissent à ce qu'ils font avant de faire gémir les presses ?
Au fait cette Pat Bitt c'est une ex-copine à toi ?
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