« On
reconnaît facilement le photographe professionnel au milieu d’un troupeau de
touristes : c’est celui qui cache son appareil. »
Roland Topor
« Moi,
pour me faire lire un livre, il faut qu’il y ait des images ! »
Combien
de fois l’avez-vous entendue, cette phrase prononcée par un jeune imbécile ravi
d’étaler au grand jour son ignorance, d’y mettre un joli ruban, de s’en faire
un étendard ? Et vous, sautant sur l’occasion, vous le prenez au
mot : un fin lettré amoureux de l’image, c’est une aubaine ! Vous
allez pouvoir discuter avec lui des enlumineurs du Moyen Âge, peut-être
connaît-il le De Laudibus Sanctae Crucis
de Raban Maur et ses calligrammes extraordinaires ? Ou Opicinus de
Canistris, le scribe fou, et ses cartes anthropomorphes ? Ou peut-être que
lorsqu’il parle d’images, il veut parler de peinture ? Une belle
monographie consacrée à un grand peintre de la Renaissance lui ferait
certainement plaisir…
Ou
alors, mais bien sûr, où aviez-vous la tête ? Quand il vous parle de
livres contenant des images, il pense plutôt, par exemple, à Un cœur simple, de Flaubert, où les
affiches, les gravures, les portraits, les vitraux s’accumulent ! « Les deux panneaux en retour
disparaissaient sous des dessins à la plume, des paysages à la gouache et des
gravures d’Audran, souvenirs d’un temps meilleur et d’un luxe évanoui. […] À
l’église, elle contemplait toujours le Saint-Esprit, et observa qu’il avait
quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus manifeste sur
une image d’Épinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses ailes
de pourpre et son corps d’émeraude, c’était vraiment le portrait de
Loulou. »
Ou
peut-être aux livres de Jean-Jacques Schuhl, où les paysages et les portraits
de toute sorte abondent, sur photographie, polaroïd, billets de banque,
affiches, couvertures de magazine… « Il
existe une photo de Marlene Dietrich qu’elle a donnée à Hemingway : elle y
est toute en jambes, assise, comme dans la fameuse publicité qu’elle fera plus
tard pour les fourrures Blackgammon, la tête est baissée, juste, en profil
perdu, la ligne nez-bouche-menton : assez pour l’identifier instantanément
comme on réagit à un logo, un sigle, un pictogramme, et, à côté de ses
célèbres jambes nues croisées qui dévorent l’espace et que la Lloyd assurait
cinq millions de dollars, elle a écrit : I cook too. » (Ingrid Caven)
Non,
évidemment. Ne vous faites pas plus idiot que vous n’êtes : vous savez
très bien que lorsque Jean-Kévin déclare, avec un petit sourire arrogant, qu’il
préfère les livres « avec des images », ce n’est pas de cela qu’il
parle. Ce qu’il veut dire, c’est tout simplement qu’il n’aime pas lire, que
tous ces mots agglutinés sur la page l’angoissent. Et après tout, on peut le
comprendre : moi, ça me fait pareil avec les chiffres.
Quand
il parle de livre « avec des images », Jean-Kévin ne pense évidemment
pas à des livres d’art ou à des manuscrits enluminés, qu’est-ce que vous
croyez ? Pour lui, un livre d’images c’est, à la rigueur, un roman
agrémenté de nombreuses illustrations, ou une bande dessinée.
Ce
que Jean-Kévin n’a pas l’air de comprendre (en plus du fait que c’est ridicule
de porter un pantalon qui vous laisse la moitié du cul à l’air), c’est qu’il
est tout aussi difficile de « lire » une image qu’un chapitre de
roman. Notre jeune ami, ce qu’il aime, c’est « regarder » les images.
« Moi j’lis pas, je regarde les images. » Mais non, même ça tu ne le
fais pas. Tu ne sais pas regarder.
Tu
te dis : okay, une image, c’est simple à comprendre, y’a qu’à regarder.
D’ailleurs, les premiers hommes, dans leurs cavernes à la con, ils ne savaient
pas écrire, ils dessinaient. Ils faisaient du pochoir avec leurs mains sur les
parois des grottes, et puis ils dessinaient des bisons. D’accord, mais
qu’est-ce qu’elles veulent dire, ces mains négatives ? Et c’est quoi, ces
bisons ? Ce n’est pas tout, de regarder, mon p’tit bonhomme : il faut
aussi comprendre ce qu’on regarde. On s’en fout un peu, que tu trouves que L’Enlèvement des Sabines c’est
« bien peint », ou que le Nu
descendant un escalier c’est de la merde… Maintenant, il va falloir que tu
nous expliques tout ça…
Et
d’ailleurs, il suffit qu’un professeur de français propose à ses élèves une
séance d’« analyse de l’image » pour qu’il se rende compte assez vite
que, malgré ce qu’ils pouvaient prétendre jusque là, ils ne sont pas beaucoup
plus à l’aise face à l’iconographie qu’ils ne le sont devant le texte. « On
n’y voit rien ! », cette exclamation que l’historien d’art Daniel
Arasse avait choisie pour titre d’un de ses essais, a simplement remplacé
« On n’y comprend rien ! » Et le gentil professeur d’évaluer,
d’un regard vers la fenêtre, la distance qui sépare son corps du bitume de la
cour. « Bon ! lance-t-il avec un sourire qui se veut débonnaire, eh
bien nous allons commencer par apprendre à regarder,
les enfants… » Et voilà des milliers de petits yeux jusqu’ici pleins
d’innocence, définitivement assombris par la révélation soudaine que ce qu’ils
croyaient savoir faire depuis toujours (« ben y’a qu’à ouvrir les yeux,
quoi ! »), cela s’apprend
aussi, comme tout le reste.
« Ouais,
bon, okay. Fais voir ce qu’il y a écrit, à côté de l’image, là ? »
3 commentaires:
Moi je lis toujours les vignettes ! Si mon gros rouge est titré 12° c'est du bon (dubonnet) si c'est du 11° je crache dessus mais je le bois quand même parce que sinon c'est gâché ! Pour moi il n'y a qu'un saint dont je garde une image pieuse dans ma cambuse c'est Nicolas le caviste.
Eh ! je veux pas dire Juju mais ta gonzesse Europe elle a la gueule qui se barre en couilles ! Faut la redresser ... à grands coups de lattes dans l'oignon s'il le faut ! Tu vois ce que je veux dire ...
Faut pas écouter les conneries à Pidi ... surtout quand il picole comme Picrochole !
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