Si sa
bibliothèque est la véritable patrie de l’écrivain, il me semble que sa
description constituerait 1 volume entier, et c’est pourquoi je décide par la
présente de remettre à plus tard ce projet gigogne, poupée russe moins grande
en quantité qu’en rêves.
Thomas Clerc, Intérieur.
« Bibliothèque »
est un mot polysémique. Il y a le lieu (public) et l’objet, le meuble (qui peut
être public ou privé). Jusqu’ici, je ne vous apprends rien. D’ailleurs je crois
que globalement, avec La Bibliothèque de
Jupiter, vous n’apprenez pas grand-chose – mais l’essentiel, c’est qu’on
rigole bien.
Tiens,
justement : la « Bibliothèque » de Jupiter… Lieu ou meuble, la
bibliothèque peut aussi l’être de façon abstraite. J’appelle ça bibliothèque
parce que d’une certaine façon, je vous étale mes livres sous les yeux.
Je
vais encore parler de moi, mais ce sera toujours moins pénible que de vous
entendre parler de vous. Quand j’étais enfant – enfin je veux dire, quand je
l’étais plus que maintenant – je
passais tous mes mercredis et samedis après-midi à la bibliothèque municipale.
Oui, pour regarder les filles, bien sûr, mais aussi pour les livres. Ma mère
nous donnait, à mon frère et à moi, dix francs d’argent de poche toutes les
semaines. Incapable d’économiser si peu que ce soit (un défaut qui m’est
resté), je les dépensais assez rapidement en bonbecs, sachant que pour assouvir
ma soif de lecture, j’avais à ma disposition, et gratuitement, tous les
ouvrages de la bibliothèque. Je me souviens encore du jour où j’ai quitté le
rayon jeunesse pour me rendre dans le coin adulte : adieu, Jim Hawkins et
Tom Sawyer ! Sachez que je ne vous oublierai jamais…
Quand
je suis devenu étudiant, j’ai pris l’habitude d’acheter mes propres livres. Et
à partir du moment où j’ai trouvé des allocs du travail, je suis passé
tout naturellement de la bibliothèque-lieu à la bibliothèque-meuble.
Aujourd’hui,
je croule sous le poids des livres. Je ne supporte plus l’idée de me séparer
d’un bouquin une fois ma lecture achevée. Il faut qu’il reste dans les parages,
que je puisse encore l’ouvrir, en relire une page ou deux – j’ai avec les
livres un désir de possession que je n’éprouvais pas avant, ou de façon moins
prononcée. Il y a des livres que j’avais empruntés quand j’étais plus jeune et
que j’ai rachetés non pas pour les relire (même si on n’est jamais à l’abri
d’une rechute) mais parce que je ne supportais pas l’idée de ne pas les avoir à
portée de main. Le comble de la misère pour moi ? Ne pas pouvoir acheter
de livres.
« Au
milieu de votre bibliothèque, quelle île déserte emporteriez-vous ? »
Ma
bibliothèque, qui comporte quelque chose comme 1 500 volumes (à un moment,
j’ai arrêté de compter) est pleine de livres que je n’ai pas encore ouverts. Je
pourrais arrêter d’acheter des bouquins pendant au moins un an – ce que je ne
ferai pas – et avoir quand même de quoi lire. Mon problème, c’est que j’ai
horreur du vide. Dans certaines bibliothèques, on pose à la place du livre
sorti des rayons un petit carré de papier ou de carton, qu’on appelle
« fantôme », pour combler le trou laissé par l’ouvrage manquant. Chez
moi, il n’y a pas de place pour les fantômes, les exorcistes peuvent aller se
faire pendre chez Pôle-Emploi : les livres se chevauchent, débordent sur
les tables, les étagères plient mais ne rompent pas (jusqu’à présent)… Quand un
pan de bibliothèque est rempli, on en rachète un autre, mais quand tous vos
murs sont couverts de livres, et que le flux semble ne jamais devoir s’arrêter,
qu’est-ce que vous faites ?
Mes
livres ne sont pas vraiment « rangés ». J’essaie de séparer les
poches et les grands formats, afin de faciliter la répartition du poids, et de
mettre ensemble tous les livres d’un même auteur. Mais si Emmanuel Carrère
succède à Henri Calet, ce qui est alphabétiquement correct, ils sont suivis par
Flaubert, Dostoïevski, Balzac, dans une anarchie totale. Et pourtant, je ne
cherche presque jamais un livre. Je sais toujours dans quelle zone de ma
bibliothèque, sous quelle pile, va se trouver le volume que j’ai décidé d’ouvrir.
J’en conclus que ma bibliothèque doit reproduire dans la réalité le bordel que
j’ai dans la tête.
Plusieurs
fois, je me suis dit qu’il faudrait que je plonge là-dedans et que j’y mette un
semblant d’ordre. Le problème, c’est toujours de savoir quel ordre choisir.
Évidemment, l’alphabet paraît toujours le plus logique. Mais j’ai tendance à
aimer classer par genre aussi : j’ai un rayon poésie, où les ouvrages sont
rangés dans un ordre totalement aléatoire, un rayon de livres sur le rock,
j’aimerais me constituer un rayon d’ouvrages de guerre… Et d’un autre côté,
l’alphabet pur et simple présente un certain intérêt, par les auteurs qu’il
force à se côtoyer… mais où ranger les œuvres anonymes ? La Bible, le Lancelot-Graal…
Perec
s’était déjà posé la question du classement des livres – dans l’indispensable Penser/classer, évidemment :
« classement
alphabétique
classement
par continents ou par pays
classement
par couleurs
classement
par date d’acquisition
classement
par date de parution
classement
par formats
classement
par genres
classement
par grandes périodes littéraires
classement
par langues
classement
par priorité de lecture
classement
par reliures
classement
par séries »
Oui,
on n’est pas sortis de l’auberge, quoi…
4 commentaires:
Ou alors par degré de snobisme ?
- livre pour apprenti snob
- livre pour snob premier degré
- livre pour grand snob
Renaud Camus la Marie-Chantal du livre pourrait t'en dire plus long sur cette matière !
J'ai exactement le problème inverse : quand j'étais étudiante, je prenais 5 livres tous les quinze jours à la bibliothèque et je les lisais rapidement. En me disant qu'il fallait que je les rende donc urgence. Aujourd'hui, j'achète les livres, je ne les lis jamais. A chaque fois, je me dis "ok, j'ai le temps, ils vont pas mourir".
Je me suis toujours demandé comment on pouvait encaisser autant de bouquins en un temps record.
Est-on toujours certain de bien les lire et comprendre les auteurs ?
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