Il semble que
l’histoire ne plaise que comme la tragédie, qui languit si elle n’est animée
par les passions, les forfaits et les grandes infortunes.
Voltaire
Il
y a des moments où l’écrivain se gratte la tête en cherchant de nouveaux
sujets, une idée originale qui jaillirait dans un gros splotch, comme une
pin-up sortant d’un gâteau en faisant tourner ses nippies. Et puis parfois, en remuant quelques papiers, en
mâchonnant son café ou en sirotant son cigare, il a une illumination :
pourquoi se fatiguer à chercher de nouveaux sujets alors que l’Histoire – avec
une grande hache – en regorge, d’histoires (avec un petit s) ?
L’Histoire,
la grande Histoire, tapis roulant ininterrompu depuis Hérode et même avant,
jusqu’à De Gaulle et même après, en passant par Henri IV, Jeanne d’Arc,
Napoléon ou les Poilus de 14, est une mine inépuisable de romans qui
n’attendent que d’être écrits. Et là, je n’ai vaguement évoqué que l’histoire
de France. Mais si votre truc, c’est plutôt l’Angleterre victorienne, le IIIe
Reich ou le Japon de l’ère Meiji, c’est aussi bien, n’hésitez pas !
(Méfiez-vous quand même un peu avec le IIIe Reich, hein, je dis ça
je dis rien).
Ce
qu’il y a de bien, avec l’Histoire, c’est qu’elle est faite par les puissants
de ce monde, mais qu’elle concerne aussi bien le petit paysan anonyme que les
courtisans qui agitent les bras pour avoir un rôle à jouer (sans voir qu’ils en
jouent déjà un : celui du courtisan qui agite les bras). Victor Hugo,
Stendhal, Flaubert ou Balzac, pour rester chez nous, sont les spécialistes du
héros modeste emporté par le tourbillon de l’Histoire. L’Histoire, c’est
souvent la guerre ou les révolutions. Remarquez, DSK qui viole une femme de
chambre dans un Sofitel, ça peut aussi marcher. Les auteurs cités s’inspiraient
d’abord de l’histoire contemporaine : quand on a soi-même vécu des guerres
et des révolutions, ça aide. Mais l’histoire contemporaine, ce n’est pas vraiment
de l’Histoire : l’Histoire, c’est toujours ce qu’il s’est passé avant
notre naissance. Quand Blaise Cendrars écrit La Main coupée, il s’inspire de sa propre expérience de la Grande
Guerre. Quand Jean Échenoz écrit 14,
il fait un roman historique. C’est avec Quatrevingt-treize
que Victor Hugo signe son grand roman historique.
Nous
n’allons pas crier « cocorico ! », mais plutôt, avec l’accent
écossais : « cock-a-doodle-doo ! » C’est avec les œuvres de
Walter Scott que l’on commence à parler de roman historique. Il écrit d’abord
sur l’époque des Stuarts (XVIIe siècle), avant de relancer la mode
du récit moyenâgeux avec Ivanhoé
(1819) et Quentin Durward (1823), qui
feront des émules dans toute l’Europe. Hugo, toujours dans les bons coups, fera
aussi son roman médiéval avec Notre-Dame
de Paris (1831).
Et
si l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée ne vous convient pas, vous pouvez
aussi vous lancer dans l’uchronie. L’uchronie, c’est la réalité revue et
corrigée par la phrase de Pascal sur le nez de Cléopâtre. « Autant
Nabilla peut prendre deux tailles de bonnet sans que ça perturbe vraiment les
relations diplomatiques – autant si Cléopâtre s’était fait raboter le pif, on
n’en serait pas là. » Je cite de mémoire. Le mot « uchronie »
est inventé par Charles Renouvier en 1857, pour désigner l’histoire non pas
telle qu’elle a été, mais telle qu’elle aurait pu être. Tite-Live faisait donc
de l’uchronie sans le savoir dans son Histoire
de Rome, en imaginant ce qu’il se serait passé si Alexandre avait choisi de
conquérir l’Ouest plutôt que l’Est, Rome plutôt que la Perse. Dans Le Maître du Haut Château, Philip K.
Dick imagine ce que serait l’Amérique moderne si Roosevelt avait été assassiné
en 1933 et si la Seconde Guerre mondiale avait été remportée par les forces de
l’Axe.
Les
spécialistes de la question différencient plusieurs types d’uchronies. Il y a
notamment l’uchronie « pure », dans laquelle les personnages fictifs
ne connaissent qu’une seule Histoire (comme c’est le cas chez Dick) et
l’uchronie « impure », dans laquelle l’Histoire aurait dû se dérouler
normalement, mais a été altérée par un événement particulier. Le voyage dans le
temps est un bon moyen de changer son cours. Récemment, Stephen King a imaginé,
dans 22.11.63, que son héros
remontait le temps pour empêcher l’assassinat de Kennedy.
Il
y a donc l’Histoire réelle, passée à la trame de la fiction, et l’uchronie, qui
décrit l’Histoire telle qu’elle aurait éventuellement pu se passer si… Et
depuis quelques années, un nouveau genre est arrivé, le steampunk, qui décrit un passé transformé par des éléments
d’anticipation. Selon Daniel Riche, « Le
steampunk s’efforce d’imaginer jusqu’à quel point le passé aurait pu être
différent si le futur était arrivé plus tôt. » Imaginons une
Angleterre victorienne au ciel obscurci par d’immenses appareils volants, ou
des moyens de communication modernes, comme le téléphone ou même le visiophone,
dès l’aube de la révolution industrielle… Le steampunk, au fond, est nostalgique du futur tel que pouvaient
l’imaginer Jules Verne, ou Louis-Sébastien Mercier dans 2440, rêve s’il en fût jamais (1771). Un futur dans lequel les machines
volantes fonctionnaient à la vapeur et où on atteignait la lune dans un obus
tiré par un canon géant…
2 commentaires:
"Un futur dans lequel les machines volantes fonctionnaient à la vapeur et où on atteignait la lune dans un obus tiré par un canon géant…"
Lapsus linguae ? As-tu enfin atteint la Lune avec ton canon géant ?
Chez Joseph Gibert ils ont créé un rayon "Littérature sentimentale" ; enfin un bon geste pour la préservation des relations humaines !
P.S C'est au premier.
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