Vous les
voyez, là dehors. Vous savez que lorsque vous mourrez, vous serez l’un d’entre
eux. Vous croyez qu’on se planque pour échapper aux morts-vivants ? Vous
ne comprenez pas ? C’est nous, les morts-vivants !
Rick Grimes, Walking Dead t. 4, « Amour et mort »
Bien
sûr, il y a True Detective, Fargo, Breaking Bad, Game of Thrones… Bien sûr, il y a eu Six feet under, Les Sopranos, Lost, Deadwood... Autant de séries télé
excellentes dont je pourrais vous entretenir longuement, décortiquant telle
scène marquante, étudiant à la loupe le fonctionnement du suspense, la
psychologie des personnages, l’évolution de l’intrigue… Mais c’est d’une autre
série que je veux vous parler.
The Walking Dead est une série à succès.
Normal : depuis une dizaine d’années, les zombies sont omniprésents
partout : cinéma, télévision, littérature, bande dessinée, jeux vidéo… Mais
bizarrement, elle est rarement citée parmi les « bonnes » séries du
moment. Je veux dire qu’il y a une liste plus ou moins implicite de séries
indéniablement bien écrites, audacieuses, qui ont renouvelé le genre du
feuilleton télévisé depuis une vingtaine d’années maintenant, et parmi
lesquelles on retrouve celles que je viens de citer, ainsi que The Wire, Homeland, Rome, Real Humans et une poignée d’autres. Et
je n’entends jamais parler de The Walking
Dead. Sans doute à cause de son aspect gore, de son thème inspiré de la série
B… Alors, puisque j’ai un goût immodéré pour les histoires de zombies, je me
lance. Il est grand temps que j’assume pleinement mon côté geek. Et je préviens
les éventuels fans de la série qui seraient en retard de quelques épisodes ou
les curieux qui auraient envie de s’y lancer : il est possible que je vous
« spoile », comme il est d’usage de dire…
Zombie or not zombie ?
The Walking Dead n’est d’ailleurs pas la
première série télévisée à traiter des morts-vivants. En 2008, une mini-série
britannique de cinq épisodes, Dead Set,
l’avait précédée. Une épidémie inexpliquée se répandait en Angleterre à une
vitesse vertigineuse un soir de prime
de l’émission Big Brother. Et seuls
les occupants du loft, coupés du monde extérieur, restaient à l’abri de la contamination…
pendant un moment, du moins. Mais dès 2003, The
Walking Dead a participé, sous forme de comic book, au renouveau du genre
zombie survenu en 2002 avec le film 28
jours plus tard, de Danny Boyle – film qui n’est d’ailleurs pas à
proprement parler une histoire de zombies, mais d’« infectés ». En
2004, Zack Snyder enfonce le clou en tournant un remake du Dawn of the Dead de Romero (en français : L’Armée des morts), et la même année en Angleterre, Simon Pegg
invite le zombie dans le genre de la comédie avec l’excellent Shaun of the Dead.
Au
moment même où sortent ces films, donc, le scénariste de bandes dessinées
Robert Kirkman s’empare de la figure du zombie pour créer The Walking Dead avec l’aide du dessinateur Tony Moore, remplacé
plus tard par Charlie Adlard.
Mais
avant d’aller plus loin, mettons-nous d’accord sur ce qu’est un
« zombie ». On le sait, le zombie est originaire de la culture
vaudou. Il s’agit d’un mort ramené à la vie par sorcellerie, afin de servir
d’esclave aux vivants. Si l’on s’attache à cette version du zombie, alors le
premier film de zombies de l’histoire du cinéma est White Zombie (1932), avec Bela Lugosi. Mais ce n’est pas de ce
genre de zombies que nous parlons. Nous parlons du zombie
« moderne », tel qu’il apparaît en 1968 dans le film de George A.
Romero, La Nuit des morts-vivants. Le
mot « zombie » n’est d’ailleurs pas une seule fois prononcé par les
personnages de Romero (de même que les morts-vivants de The Walking Dead ne sont jamais appelés « zombies »). Ce
terme s’est imposé de lui-même, par analogie avec le zombie vaudou… pour finir
par se substituer à lui.
C’est
que Romero n’est pas allé chercher son inspiration dans la tradition haïtienne,
mais principalement dans le roman de Richard Matheson, Je suis une légende (I Am
Legend, 1954) et dans son adaptation au cinéma par Sidney Salkow sortie dix
ans plus tard. Il suffit de revoir ce film pour remarquer à quel point les
morts-vivants de Romero ont calqué leur démarche sur celle des vampires de
Matheson…
George
A. Romero a donc inventé le zombie moderne. Il lui a donné un
« look » particulier – celui que vous auriez probablement après être
passé de vie à trépas et vous être réveillé dans un état de putréfaction plus
ou moins avancé (alors que les vampires ont toujours le teint frais quoiqu’un
peu pâlot) – et quelques caractéristiques immuables : a) un penchant
inextinguible pour la chair fraîche, celle des vivants évidemment, et quand il
y goûte, il les transforme à leur tour en zombie ; b) un seul et unique
point faible : il faut viser la tête, b.a.-ba que chaque apprenti
survivant se doit d’intégrer le plus tôt possible dans le film ; c) une
certaine façon de marcher, immortalisée par l’acteur Bill Hinzman, premier de
ces zombies modernes, que l’on voit tituber dans le cimetière, dans les
premières minutes de La Nuit des
morts-vivants.
Cette
façon de marcher n’est pas anodine : on y reviendra. Que Danny Boyle ait
décidé de faire courir ses infectés dans 28
jours plus tard, c’est une chose : encore une fois, ce sont des
vivants contaminés, par des macchabées ambulants. Mais que Snyder, dans L’Armée des morts (très bon film au
demeurant), ait imaginé que les zombies pouvaient courir, c’est une erreur, à
mon avis. De l’avis de Romero aussi, d’ailleurs : « Se sont-ils relevés
d’entre les morts pour aller s’inscrire immédiatement à un cours de
gym ? », demande-t-il dans une interview pour Moviefone… N’importe quel cadavre vous le dira : après la
mort, on n’est pas du tout prêt à se taper un sprint ! D’ailleurs, si vous
dites à quelqu’un qu’il marche comme un zombie, je ne suis pas sûr qu’il en
conclura que vous saluez ses performances à la course.
Dernière
petite chose, et pas des moindres, avec le zombie moderne : son apparition
est le symptôme de la fin de l’humanité, et de la civilisation telle qu’on l’a
connue. À la différence du loup-garou ou du vampire, quand les morts-vivants
sortent, ils annoncent une invasion à grande échelle. Dracula fait pâle figure
(c’est le cas de le dire) à côté de nos goules romériennes : celles-ci
tiennent autant du monstre que du virus hyper balèze, type peste, SIDA ou
Ebola… Et d’ailleurs, l’arrivée des zombies est généralement due à un virus
échappé d’un labo.
Des morts et des pixels
Il
ne faut pas croire qu’en 2003, proposer à un éditeur un comic book sur le thème
des zombies allait de soi. Le succès de 28
jours plus tard était en train de remettre les mangeurs de chair fraîche au
goût du jour, mais il était encore un peu tôt pour que les éditeurs de bandes
dessinées flairent le filon. Certes l’immense succès en 1978 du deuxième film
de zombies de Romero, Dawn of the Dead
– que l’on connaît en Europe sous le titre Zombie
et dans une version charcutée revue et corrigée par Dario Argento –
avait réellement donné naissance au genre. Les films de série B se sont
succédés, avec leur lot de merveilles et de navets, du zombie-spaghetti ultra
gore de Lucio Fulci à des nanards géniaux (et incontournables) comme Le Retour des morts-vivants 2… Mais
l’enthousiasme s’était tari au cours des années 90, au cinéma tout au moins. C’est
dans le domaine du jeu vidéo que le zombie avait repris du service !
Depuis le tout premier jeu d’Ubisoft, Zombi
(1989), qui s’inspirait de Dawn of the
Dead, jusqu’à l’inépuisable franchise de Capcom Resident Evil, dont le premier volet sort en 1993.
Il faut dire
que le zombie, dans les jeux vidéo, a un aspect pratique. Papa et maman voient
d’un œil inquiet Junior s’exciter sur sa manette en tuant des gens à longueur
de journée. Remplacez ces gens par des zombies, et tout rentre dans l’ordre.
Notez que ça marche aussi avec des nazis. Et s’il s’agit d’un mixe zombie-nazi,
Junior peut s’amuser toute la nuit, s’il le souhaite : au moins, il ne
dégomme plus tout à fait des « gens ». Souvenez-vous du jeu Carmageddon, sorti en 1997, ce jeu de
course qui avait fait scandale parce qu’on pouvait y écraser les piétons sans
vergogne… La version allemande du jeu a remplacé les piétons par des zombies,
la couleur rouge du sang est devenue verte, et ça n’a plus posé aucun problème.
Aujourd’hui encore, vous pouvez gaillardement dézinguer du macchabée à la pelle
avec tous vos copains dans Left 4 Dead 2,
et personne ne vous en tiendra rigueur. Peut-être même que vous décrocherez un
succès pour ça…
Tout ça pour
dire que le zombie avait déserté les écrans de cinéma sans tout à fait se faire
oublier. En tout cas, ça n’était pas vraiment le genre d’histoire qu’un éditeur
de comic book recherchait en 2003, quand Robert Kirkman est allé proposer son
projet à Image Comics. D’ailleurs le projet original s’intitulait Dead Planet et reposait sur un scénario
de science-fiction dans lequel intervenait une épidémie de zombies. Mais
Kirkman change ses plans en cours de route et se lance dans le récit d’une
épidémie survenant dans un univers contemporain, avec le projet de suivre un
groupe de survivants dans une histoire au long cours. Les premiers fascicules
mensuels de The Walking Dead sont
lancés dans la plus grande discrétion, mais le succès arrive très vite, et est
phénoménal. Le public attendait ça, que les morts viennent dévorer les vivants
en BD – et il ne le savait même pas.
1 commentaire:
Il faut laisser du gras autour de l'os pour appâter le chaland ! Ne violons pas l'innocence de ces jeux Juvénaux !
Enregistrer un commentaire