Le cercle
n’est autre chose qu’une ligne droite réunie par les deux bouts.
Pierre Roux, La Science de Dieu.
On
aurait tendance à penser qu’ils le sont tous, fous, les écrivains. Que c’est
une marque de fabrique, une option offerte avec le pack de départ. De toute
façon, pour remplir des tonnes de papier, tout seul, sans avoir la moindre
certitude qu’un quelconque éditeur sera intéressé par votre prose, il faut en
tenir une sacrée couche.
Et
pourtant, parmi ces fous d’écrivains, il s’en trouve quelques-uns qui, ayant
fait le mur de l’asile d’aliénés, se sont mis en tête d’en trouver de plus
dérangés qu’eux. Un besoin, bien compréhensible, de se rassurer et de se
trouver une tribu. Ayant réussi à dénicher ces dingues parmi les dingues, ces
modèles dans le pétage de fusibles, ils les ont tout simplement appelés les
« fous littéraires ».
Ça
a commencé avec les surréalistes. Évidemment, dès qu’il est question de folie,
les surréalistes ne sont jamais loin. Eux qui sont nés pour ainsi dire avec la
psychanalyse, qui ne juraient que par l’écriture automatique et les rêves, ne
pouvaient que s’intéresser à des auteurs que les médecins avaient jugés irrationnels.
Pour
les surréalistes, ça ne faisait pas de doute : la folie était l’autre nom
du génie. Les fous étaient des poètes, et réciproquement. Pour appuyer leur
thèse, ils ne manquaient pas d’ouvrages érudits sur la question, à commencer
par celui de Charles Nodier, publié en 1835, De quelques livres excentriques. Dans L’Homme de génie (1877), Cesare Lombroso prétend notamment que
l’inspiration artistique et scientifique sont liées à l’épilepsie, et entend
démontrer l’aliénation mentale de trente-six « génies » parmi
lesquels on trouve Baudelaire, Newton, Nerval, Rousseau, Schopenhauer… Pour
lui, ce n’est pas tant que les fous sont des génies : ce qui est sûr,
c’est que les génies sont des fous. Rappelons tout de même que c’est le même
Lombroso, médecin légiste, qui prétendait qu’il existait des criminels-nés, que
l’on pouvait reconnaître à certaines caractéristiques physiques les rapprochant
de la bestialité : déformations crâniennes, bras démesurément longs, etc.
Ses thèses concernant les génies sont rapidement contestées, mais les liens
entre la création et la folie continuent à intéresser les chercheurs et produit
une abondante littérature : Talent
poétique chez les dégénérés de Vigen (1904), Poésie et folie d’Antheaume et Dromard (1908)…
Au début des
années 30, le jeune Raymond Queneau, ayant quitté le groupe d’André Breton,
décide d’approfondir ses connaissances des « fous littéraires »
découverts avec les surréalistes, tels que Pierre Roux, Joseph Lacomme ou Jean-Pierre
Brisset. Il se lance dans un travail d’érudition de plusieurs années, étudiant
quantité d’ouvrages, ceux de ces excentriques, ainsi que des livres de
psychiatrie, et entamant lui-même une psychanalyse. Il en sort un manuscrit de
sept cent pages, qu’il parvient à réduire de moitié pour le proposer aux
éditeurs dans le courant de l’année 1934. L’ouvrage, finalement intitulé Aux confins des ténèbres, sera
successivement refusé par Gallimard puis par Denoël.
Queneau décide
donc d’intégrer son essai à l’intérieur d’un roman, Les Enfants du limon, dans lequel un proviseur, Chambernac, prétend
constituer une Encyclopédie des sciences
inexactes, sous-titrée Aux confins
des ténèbres et divisée en quatre parties dont les titres sont ceux du
manuscrit initial de l’auteur : « Le Cercle », « Le
Monde », « Le Verbe », « Le Temps ».
Et qui
sont-ils, ces « fous littéraires » ?
Raymond
Queneau, qui s’avoue peu satisfait de ce terme (et lui préférera plus tard
celui d’« hétéroclites »), en identifie de deux sortes : ceux
qui soutiennent des thèses scientifiques extravagantes (quadrature du cercle,
système du monde, origines du langage) et les « persécutés »,
« messies » et autres « prophètes ». Mais finalement, il
doit confesser sa déception d’avoir trouvé parmi ces « fous » bien
peu de véritables poètes : « N’étaient
guère exhumés que des paranoïaques réactionnaires et des bavards gâteux. »
En 1982, André
Blavier a repris et prolongé le projet de Queneau dans une somme monumentale, Les Fous littéraires. On y retrouve les
mêmes : le linguiste Jean-Pierre Brisset qui, analysant le langage sur la
base du calembour, prétendait démontrer que l’homme descend de la
grenouille ; Pierre Roux et sa théorie sur la nature excrémentielle et
satanique du soleil ; Charbonnel et son Histoire d’un fou qui s’est guéri deux fois malgré les médecins et une
troisième fois sans eux (1837) ; et des centaines d’autres prophètes,
quadrateurs, persécutés et « faiseurs d’histoire(s) »…
On dit souvent
que dans les hôpitaux psychiatriques, il n’est pas toujours évident de
différencier les médecins des malades. Edgar Poe y a trouvé la trame d’une
nouvelle, Le Système du docteur Goudron
et du professeur Plume. On peut se poser la même question : entre tous
ces « fous littéraires », et ceux qui ont choisi de passer plusieurs
années de leur vie à les recenser et à se faire les exégètes de leurs délires,
lesquels sont les plus dérangés ?
3 commentaires:
Sir Arthur Conan Doyle était-il fou ? Comme Allan Kardec il croyait au spiritisme ... en tout cas moi je suis le seul druide de Rueil-Malmaison qui fréquente ton blog, cela j'en suis sûr !
Non en fait je crois que la seule manière authentique d'être un fou littéraire c'est d'être un moraliste.
Le reste n’est que folie commune … à la Raymond Roussel !
Suis-je un bon lecteur miroir de Juldé ? That is the problem ..
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