Maintenant, foutez-moi la paix.
Paul Léautaud.
Il
ne faut pas rater sa sortie.
Bien
sûr, les humbles n’ont pas ce souci là. Les petites gens peuvent s’en aller
pépères, comme bon leur semble, d’un cancer bien placé ou d’une fluxion de poitrine.
Personne n’attend d’eux qu’ils prononcent une phrase qui restera dans
l’histoire, le truc définitif qui imposera le respect sur plusieurs
générations… Mais quand on est un peu connu, ça fait partie de la
tradition : on ne peut pas sortir de table sans un mot, un dernier os
lancé aux historiens, qu’ils aient quelque chose à ronger pour un bout de
temps. C’est une question de politesse.
Seulement
voilà : dans les ultimes instants de sa vie, on n’a pas forcément la tête
à faire des phrases. On peut espérer des écrivains qu’ils relèvent un peu le
niveau puisque, après tout, les phrases, c’est leur métier. Mais mettez-vous à
leur place : c’est un moment crucial, il ne faut pas se louper – ça
intimide un peu, c’est normal…
Du
reste, les dernières phrases célèbres ne sont pas toujours véridiques. Certains
témoins, jugeant peut-être que le mort, dans ses derniers instants, a un peu
manqué d’imagination, tricotent pour lui un mot de la fin sur mesure qui
rejoindra le grand dictionnaire des citations. Il n’est pas du tout sûr, par
exemple, que César ait prononcé les mots « Toi aussi, mon fils », à
l’intention de Brutus venu lui porter le dernier coup de poignard au Sénat
romain, en 44 avant J.-C. Il faut dire qu’après avoir été transpercé d’une vingtaine
de coups de lame, on n’a peut-être pas le cœur à bavarder.
Les
dernières phrases, en général, sont sujettes à caution, surtout quand elles
ressemblent un peu trop à l’idée qu’on se fait de leur auteur… C’est tellement
tentant d’imaginer que Balzac, sur son lit de mort, ait fait appel à un
personnage de sa Comédie humaine :
« Appelez Bianchon ! Seul Bianchon peut me sauver ! » Ou
qu’Oscar Wilde, recevant la note du médecin, ait expiré en remarquant :
« Je meurs vraiment au-dessus de mes moyens ! »
Il y a aussi
le commentaire purement pratique, qui aurait pu passer totalement inaperçu, et
qui se dote d’un poids considérable du seul fait que c’est Machin qui l’a
prononcé. Exemple : Goethe qui lance : « Lumière ! Plus de
lumière ! » Il y en a qui veulent y voir le cri désespéré d’un homme
toujours avide de plus de connaissance… alors que bon, il se plaignait sans
doute simplement de l’obscurité de sa chambre…
Vous aurez
remarqué qu’en général, les grands hommes, au moment de leur dernière phrase,
évitent avec soin tout ce qui pourrait paraître trivial, tout ce qui ferait un
peu tache dans notre dictionnaire. Il n’y en a pas beaucoup, par exemple, pour
demander le bassin, ou pour se plaindre de leurs escarres… Il paraît tout de
même que Baudelaire, dans ses derniers instants, ayant totalement perdu la
tête, ne disait plus rien d’autre que : « Crénom ! » Je ne
sais pas ce que vous en pensez, mais moi, ça me le rend encore plus
sympathique, de savoir que lui, au moins, n’essayait plus de faire des phrases…
Il faut dire
aussi qu’il y a plusieurs difficultés à affronter pour faire une belle phrase
de fin. Déjà, cette phrase, il faut la trouver, mais en plus, il faut savoir la
prononcer au bon moment ! Imaginez, vous vous sentez partir, vous
regroupez vos dernières forces et sortez cette phrase que vous aviez préparée,
que vous vouliez pleine d’humour, de détachement, à votre image :
« Il faudra vraiment penser à refaire la tapisserie », ou
« Tiens ? C’est quoi cette lumière au bout du tunnel ? »…
et vous attendez… vous attendez… et la mort ne vient pas ! Alors
quoi ? Vous êtes condamné à vous taire jusqu’à ce qu’elle se décide ?
Ou vous allez devoir trouver autre chose ? Vous n’allez quand même pas
répéter la même phrase une deuxième
fois, vous auriez l’air de quoi ?
Un conseil :
efforcez-vous de finir votre phrase. Évitez les propos du genre :
« Dites à ma femme que je… arrrrrrghhh !!! » Il n’y a rien de
plus frustrant pour ceux qui se tiennent à votre chevet, crayon en main, prêts
à noter vos ultimes paroles pour la postérité. Il faut se mettre à leur place
aussi.
Moi, cette
question me préoccupe. Je ne tiens pas à mourir n’importe comment, comme un
débutant ! Je suis sûr qu’au dernier moment, je vais hésiter entre
plusieurs phrases, ou me demander si celle que j’ai choisie n’est pas une
réminiscence de quelque chose, un truc que j’aurai lu quelque part… Je m’en
voudrais vraiment, après avoir à peu près raté ma vie, de rater ma mort.
« “Je vous enverrai une carte postale !” Euh… non, attendez, c’est
nul… Plutôt : “Vous croyez que j’ai besoin de mon passeport ?” Non,
non, euh… “Ah ! Je crois que ça va mieux ! ” Ouais, bof… Oh et puis
merde. » De toute façon, avec le bol que j’ai, je vais crever tout seul.
Enfin, bref.
Il y a tout juste deux ans, j’ai ouvert cette Bibliothèque de Jupiter avec un texte intitulé « La première
phrase ». Il est donc tout à fait logique de la refermer sur « Le
dernier mot ». Quatre-vingt chroniques en tout, je pense qu’il est temps
de s’arrêter là. D’ailleurs, après avoir écrit mon texte sur les éditeurs la
semaine dernière, je me suis aperçu qu’il faisait doublon avec celui que
j’avais écrit en 2013 sur l’autoédition, et que j’avais complètement oublié. Si
je commence à tourner en rond, il vaut mieux que j’arrête tout. Je n’arrête pas
d’écrire, bien sûr (ne criez pas victoire trop tôt !), mais cette Bibliothèque, en tout cas, je la trouve
suffisamment bien remplie, maintenant. Là, évidemment, il faudrait que je m’en
aille sur un dernier mot bien chiadé, après tout ce que j’ai raconté…
L’avantage
d’un écrivain, c’est que s’il sèche sur son lit de mort, avec un peu de chance,
il a pu laisser une dernière phrase idéale dans son tout dernier livre. C’est
le cas d’Henri Calet, qui achève son ultime manuscrit, Peau d’ours, par ces mots célèbres : « Ne me secouez pas.
Je suis plein de larmes. » Il paraît que Tristan Corbière, mourant de la
tuberculose à l’hôpital Dubois, aurait écrit à ses
parents : « Je suis à Dubois dont on fait les
cercueils... » Là encore, c’est peut-être une légende.
Quant à moi,
je préfère réserver mes derniers mots pour une autre fois.
3 commentaires:
Les derniers mots de Nabilla : Non mais allo quoi ?
P.S C'est un peu de l'éphémère mais à notre époque on n'a plus les moyens de l'éternité !
Les derniers mots de l'humanité ? Probablement un 0 - 1 - 0 - 1 ... d'un ordinateur !
Haha, merci pour ce moment
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