Ne meurs pas de
faim !
Cette
fois, pourtant, j’avais plutôt bien commencé. Dès mon réveil sur cette île
déserte, je m’étais lancé dans la collecte systématique de toutes les
ressources nécessaires à ma survie. Brindilles et cailloux, herbes sèches,
silex allaient me permettre de confectionner des outils rudimentaires, une
hache d’abord, et peut-être une pioche. M’improvisant bûcheron, j’allais
m’approvisionner en bois pour faire un feu de camp. La nuit tombe vite dans ces
régions, et le feu est indispensable à qui veut garder l’espoir de voir se
lever l’aurore. Parce qu’ici, l’obscurité est meurtrière… Pour me nourrir,
quelques carottes et quelques baies sauvages me suffiraient pour cette première
journée.
Le lendemain,
un peu d’exploration s’imposait. Il fallait que je parte à la découverte de mon
environnement, que je cartographie la zone – la faune et la flore de cet
endroit ont tant de choses à m’apprendre ! En chemin, bien sûr, je
continuais à cueillir tout ce qui pouvait s’avérer utile et/ou comestible, à
couper encore un peu de bois… Rapidement, j’ai découvert une zone où les lapins
étaient légion. Quelques herbes sèches et quelques branches m’ont permis de
confectionner des pièges. Avec un peu de chance, cette nuit, je n’allais pas
être condamné à manger végétarien. Me tenant prudemment à l’écart des marécages
et d’immenses nids d’araignées que ma bonne éducation m’incitait à ne pas
déranger, j’atteignis en début de soirée une contrée rocheuse. Armé de ma
pioche, je mis à profit les dernières lueurs du jour pour casser des cailloux,
et trouvai même quelques pépites d’or. Devant mon feu, grillant un lapin et
quelques carottes, je ruminais de sombres pensées, terrorisé malgré moi par les
bruits environnants. « Hauts les cœurs ! », me morigénai-je.
Facile à dire…
Le troisième
jour, je m’adonnais à une occupation en apparence futile : la cueillette
de quelques fleurs. Quand j’en eus une quantité suffisante, je me confectionnai
une jolie couronne dont je me coiffai fièrement. Le sentiment de solitude et
l’angoisse qui m’étreignait sur cette terre hostile nuisaient considérablement
à ma santé mentale et cette couronne de fleurs avait une vertu
inattendue : elle apaisait mes tourments. Croyez-le ou non, avec cette
chose ridicule sur la tête, je me sentais déjà beaucoup mieux. Cet endroit
était décidément plein de surprises !
Plus tard ce
jour-là, je fis la connaissance d’un animal de compagnie attachant et
pratique : un étrange coffre à pattes que je baptisais Chester, parce que
les jeux de mots anglais n’ont aucun secret pour moi. Il était grand temps,
d’ailleurs, que je puisse me décharger d’une partie des vivres et des
ressources que je trimballais… Suivant un sentier au hasard, je tombai enfin
sur un endroit qui me paraissait propice à l’établissement de mon camp de base.
En pleine savane, de nombreux terriers à lapin allaient me fournir des
provisions suffisantes pour attendre l’hiver, et à proximité, un troupeau de
paisibles bovidés au pelage laineux m’offriraient une protection contre les
bêtes féroces, ainsi que du fumier pour fertiliser mes récoltes. Sans parler de
leur laine, grâce à laquelle je me confectionnerai quelques vêtements chauds.
Jusqu'ici, tout va bien. |
Allons !
C’était décidé : j’allais devenir sédentaire. Avec un peu de pierre et de
bois, je fabriquai un âtre de bien meilleure qualité que mes précédentes
tentatives, et avec l’or, une machine à science grâce à laquelle de nouvelles
possibilités de création allaient m’être données. Près d’elle, je me sentais
bien plus intelligent, bien plus compétent pour inventer de nouveaux outils,
maîtriser des technologies qui jusque là me semblaient inenvisageables… Moi, je
me connais : rien que le fait de changer une ampoule, ça m’intimide !
Je vous
épargne le récit détaillé des jours suivants : très vite, j’ai pu me
fabriquer une marmite et améliorer considérablement mon régime. Je suis devenu
ami avec d’étranges cochons humanoïdes (mais tout est étrange, par ici, vous ne
l’aviez pas encore compris ?), je me suis laissé pousser une barbe dans le
plus pur style naufragé-sur-une-île-déserte, j’ai – puisqu’il faut tout avouer
– profané quelques tombes dans le but d’y trouver des trésors, je me suis mis à
l’agriculture, j’ai replanté des arbres, j’ai fabriqué des coffres pour me
vider les poches, mon camp de base s’est élargi, je lui ai ajouté un
paratonnerre de peur de le voir partir en fumée un jour d’orage… Vraiment,
j’avais appris de mes erreurs passées. Chaque fois que je suis mort, je me suis
dit : « Wilson, mon ami, que cela te serve de leçon ! »
Il existe tant
de façons de mourir ! La faim, tout bien considéré, n’est pas le pire
fléau – même si, bien entendu, je suis aussi
mort de faim, et à de nombreuses reprises… Tout, ici, semble vouloir vous
détruire : l’obscurité, la folie, les bêtes sauvages, la nature vengeresse
(avez-vous déjà été poursuivi par un arbre en colère, irrité de vous voir
décimer la forêt pour vous chauffer ? Non ? Ça impressionne, la
première fois.), les créatures gigantesques surgies d’on ne sait où, le froid…
Chaque fois : « Que cela te serve te leçon, Wilson ! » Et
pourtant, ça ne m’a jamais empêché de refaire les mêmes erreurs.
Cette fois-ci,
j’ai tenu jusqu’au treizième jour. Même pas foutu de passer le premier hiver. Je
m’attendais bien à ce qu’une meute de ces horribles molosses agressifs
m’attaque tôt ou tard, j’étais même étonné que cela ne se soit pas encore
produit. Quand je les ai entendus aboyer au loin, sans paniquer, j’ai suivi les
consignes de sécurité apprises de manière empirique : lance à la main, j’ai
couru me réfugier au milieu des bovins, afin que les clébards, en cherchant à
me mordre, les excitent et se fassent laminer par mes amis herbivores,
pacifistes certes, mais irascibles. Hélas ! Ces charmants bestiaux étaient
justement en période de rut, et à ne pas prendre avec des pincettes. Pris entre
deux feux, entre crocs et cornes, je me suis fait étriper en moins de deux.
C’est toujours un peu vexant : à chaque fois qu’on se fait tuer ici, la
première réflexion qui nous vient à l’esprit est : « Quelle mort à la
con ! »
Au fond, la
seule chose que Don’t Starve,
l’excellent jeu vidéo de Klei Entertainment m’a appris, c’est que la survie, ce
n’est vraiment pas mon truc. Le jour où un cataclysme dévaste le monde et que
nous nous retrouvons obligés de revenir au bon vieux temps de la chasse et de
la pêche, à devoir faire des provisions et se rationner pour tenir le plus
longtemps possible, se préparer aux périodes de grand froid, moi je suis
tranquille : je ne tiendrai pas une semaine.
400e jour de survie : a priori, ce n'est pas moi qui joue. |
Manuels de savoir-survivre en société
J’aimerais
bien savoir pourquoi le thème de la survie en milieu hostile inspire autant
tous les médias culturels possibles… Jeux vidéo, cinéma, télévision,
littérature… Ça et les émissions de cuisine avec des chefs hystériques qui
traitent leur personnel comme de la merde. Mais comme je n’aime pas les
émissions de bouffe, je préfère rester concentré sur le sujet qui me préoccupe
ici : le devenir Man VS Wild de
l’humanité. Tenez, vous avez déjà regardé une émission de Bear Grylls ? Ce
type semble vraiment convaincu que ses expériences ont une vertu
pédagogique ! On le voit surtout se donner en spectacle : escalader
une paroi verticale à mains nues, boire son urine, croquer des insectes, se
baigner dans un lac gelé, avec l’air de croire réellement que dans des
conditions semblables, nous agirions comme lui… En ce qui me concerne, je ne me
souviens pas avoir reçu un entraînement commando. Dans des conditions
semblables, moi… bon, je préfère éviter de me retrouver dans des conditions
semblables.
Encore une
fois, ce que m’ont appris les quelques jeux vidéo de survie auxquels j’ai joué
ces derniers temps, Don’t Starve
donc, et le très bon This War of Mine,
du studio polonais 11 Bit, c’est qu’en cas d’apocalypse, je suis mal barré. La
raison en est simple : je suis incapable d’anticiper. J’ai beau savoir que
ce sont les règles mêmes du jeu qui forcent le joueur à remplir son inventaire
de ressources vitales, je me retrouve toujours en train de courir pour
récupérer le minimum de nourriture ou de médicaments qui me permettront de
tenir un jour de plus. J’essaie pourtant de faire des stocks, mais je m’y
prends mal, je fais n’importe quoi, c’est à pleurer. Vraiment, c’en est
déprimant : si j’ai pu croire un jour que je saurais éventuellement me
débrouiller seul pour subvenir à mes besoins, toutes ces mises en situation
m’ont convaincu du contraire. Il ne faudrait vraiment pas qu’une bombe atomique
tombe sur Laval et que je sois le seul à m’en tirer : je serais incapable
de faire des réserves d’eau et de conserves, trop occupé à bouquiner, à
regarder des séries télé ou à jouer à des jeux vidéo.
Je crois qu’au
fond, je n’ai aucun sens du concret.
C'est ça, fais ton malin... |
En tout cas,
cette question occupe l’esprit de beaucoup de gens, visiblement. Il suffit de
voir le nombre de productions qui touchent au sujet de la survie, jeux vidéo et
séries télé en tête ! Survie après une invasion de zombies : Dead Set ou The Walking Dead pour la télé (sans parler du spin off de cette
deuxième série, qui ne devrait pas tarder à voir le jour), DayZ, 7 Days to die ou Project Zomboid pour les consoles et les
PC. Survie en forêt, dans la neige, sur une île déserte : il y a là une
quantité industrielle de jeux, vendus en version alpha, c’est-à-dire pas finis,
remplis de bugs, et qui resteront sans doute dans cet état, tant pis pour les
joueurs impatients qui ont tenu à les acheter avant leur sortie
officielle : Rust, The Forest, The
Long Dark, Stranded Deep… Et je ne parle là que de jeux qui se présentent
comme des simulations « réalistes » du phénomène de la survie, avec
jauges de faim et de soif, gestion de la température corporelle, inventaire
restreint (on ne se balade pas en permanence avec vingt kilos de matériaux
quand on n’a même pas de sac à dos), ce genre de trucs…
« Comme
pour n’importe quel type de combat armé, précise Max Brooks dans son Guide de survie en territoire zombie, la
lutte anti-morts-vivants n’est jamais l’affaire d’une seule personne. On l’a
vu, les sociétés occidentales – et surtout américaines – baignent dans la
culture des super-héros. Un seul homme aux nerfs d’acier, bien armé et
parfaitement entraîné peut conquérir le monde… Ceux qui croient de telles
âneries feraient tout aussi bien de se déshabiller, d’appeler les zombies et de
se coucher tout nus sur un plateau d’argent. Si vous y allez seul, non
seulement vous mourrez, mais vous irez grossir les rangs des zombies. Le
travail d’équipe a maintes fois prouvé sa supériorité stratégique dès qu’on
envisage sérieusement d’annihiler l’armée des morts. »
C’est
peut-être aussi ça, mon problème : je suis un joueur solo. Je déteste
l’idée même d’une partie « en coop’ », je ne veux surtout pas imposer
ma propre nullité aux autres. Me faire engueuler parce que je suis incapable de
me débrouiller pour ramener des provisions ou me battre avec efficacité, non
merci. Abandonnez-moi sur le bord de la route, les mecs, je vais vous ralentir…
Non, non, gardez la bouffe, vous en aurez besoin. De toute façon, j’ai pas
faim.
Seuls les bons élèves survivront
La plupart de
ces jeux de survie se ressemblent désespérément. Vous commencez quasiment à
poil, sans le moindre outil (pas de bol, la catastrophe a eu lieu pile le jour
où vous avez décidé d’arrêter de fumer, et vous n’avez même pas un simple
briquet sur vous) et une grande partie de votre temps va passer à explorer les
lieux à la recherche de nourriture, d’eau potable, de médicaments, de matériel
de chauffage et surtout… d’armes. Parce qu’il faut savoir que le jour où le
drame se produira, vous vous apercevrez que vos voisins dissimulaient chez eux
un arsenal des plus hétéroclites : battes de base-ball (dans un jeu vidéo de
ce type, une batte de base-ball ne vous servira jamais à jouer au base-ball), katana, .357 Magnum, fusil d’assaut
M4 à double chargeur, fusil de sniper Mosin 9130… On en revient à l’entraînement
commando, qu’il est préférable d’avoir suivi au préalable (c’est toujours dans
ces moments là qu’on regrette d’avoir été réformé).
Paré pour la survie |
La survie
n’est pas un sujet récent, ni dans les jeux vidéo, ni au cinéma, ni dans la
littérature. Mais enfin, quand même, depuis quelque temps, on bouffe de
l’apocalypse et du naufrage à tous les râteliers ! Daniel Defoe serait
tout à fait à son aise dans notre époque : il n’aurait même pas besoin de
redonner un coup de jeune à son Robinson
Crusoé… Géricault, lui, se verrait sûrement accusé de surfer sur la vague.
La fin du monde change simplement d’origine, de temps en temps : un virus
mortel qui se répand à une vitesse phénoménale, une invasion de zombies (et le
mariage des deux : un virus zombie), des catastrophes naturelles,
nucléaires et autres… Tenez, j’ai encore découvert deux séries sur le sujet,
dernièrement : The Last Ship,
qui n’a aucun intérêt, et The Last Man on
Earth, qui est assez marrante. L’invasion extra-terrestre façon Independance Day a un peu été laissée de
côté, sans doute qu’elle manque de crédibilité (alors que bon, des morts qui
marchent, hein…). Et bizarrement, une guerre totale liée au terrorisme
international – scénario qui se révèle de jour en jour plus réaliste – inspire
assez peu les créateurs. À l’exception notable du jeu This War of Mine, qui se déroule dans une ville dévastée par la
guerre civile.
La littérature
est à la traîne, sur le plan de la survie. Quand on voit la qualité de la
majeure partie de la production vidéoludique, cinématographique et télévisuelle
que ce sujet inspire, on ne peut que s’en féliciter. Bien sûr, il y a les
classiques de Defoe et de Jules Verne, entre autres, pour l’aspect île déserte.
Le zombie, en tout cas, est une créature cinématographique par excellence, contrairement
au vampire, au golem, au robot ou au monstre de Frankenstein, tous enfantés par
la littérature… Les tentatives actuelles de nombreux écrivains populaires pour
s’emparer du zombie sont plutôt pathétiques. Il y a quelques exceptions, mais
dans l’ensemble, les auteurs ont un peu de mal à se détacher du scénario
basique de l’infection et de sa propagation rapide, cliché rebattu depuis
Romero.
Je ne pense
pas pour autant que nous soyons réellement prêts à la catastrophe. En toute
logique, si le pire devait arriver, les personnes les plus susceptibles de s’en
tirer seraient les geeks. Ceux qui ont passé des centaines d’heures sur DayZ ou qui connaissent par cœur les
meilleures répliques de The Walking Dead
(surtout celles à base de grognements) devraient avoir intégré presque malgré
eux les étapes fondamentales de la survie. Et entre nous, qui aurait envie de
connaître un monde où ne subsisteraient plus que des fans de Minecraft, des passionnés de cosplay, de
mangas et de Donjons et dragons ?
Heureusement,
cela n’arrivera pas : les geeks ont autant de chance que les autres de
mourir, voire plus, et c’est très bien comme ça. Déjà, parce que le grand
cataclysme les obligera à faire face au monde réel, et qu’un geek qui se
déconnecte est un peu comme un poisson rouge expulsé de son bocal. Un geek sans
Internet a une autonomie de deux heures, grand maximum. C’est triste à dire,
mais ceux qui s’en tireront, a priori, ce seront bel et bien les Bear Grylls,
les militaires des forces spéciales rompus aux opérations en milieu hostile,
les professeurs d’E.P.S., les Américains, enfin tous ces types costauds et
débrouillards qui m’énervent, quoi… Et les lézards, évidemment.
Par contre, si
ça se trouve, à Don’t Starve, ils
sont nuls.
Survivra |
Ne survivra pas |
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