Je ne sais
pas si tous les garçons ont la même attirance que moi pour l’horreur ; je
sais seulement que j’aimais le cimetière, que j’aimais déchiffrer les épitaphes
sur les tombes, épier les travaux du fossoyeur, prêter l’oreille aux racontars
et aux vieilles superstitions du village à propos de reliques…
J. Sheridan Le Fanu, La Maison
près du cimetière.
Quand
les Goths, ces barbares germains, se ruaient sur les armées romaines au temps
des Grandes Invasions, ils ne pouvaient pas se douter que le nom de leur peuple
allait rester dans les mémoires – encore moins pour qualifier des œuvres d’art.
Les œuvres d’art, ils les réduisaient en miettes, eux : c’est ce que font
habituellement les barbares.
Pourtant,
quand au XIIe siècle sont apparues en France les premières
cathédrales dotées de voûtes sur croisée d’ogives et d’arcs-boutants pour
soutenir l’édifice, l’art gothique est né. On dit encore à l'époque « art
français », francigenum opus,
mais ces techniques sont suffisamment éloignées de la tradition architecturale
de l’époque pour paraître barbares, et ce sont les hommes de la Renaissance,
êtres raffinés par excellence, qui colleront l’étiquette « gothique »
à ces bâtiments. Triste paradoxe : pour une fois qu’on pouvait se vanter
d’avoir donné naissance à un art purement français, voilà que Strasbourg et
Cologne deviennent les écoles de ce style que nous avions créé – et l’Italie le
qualifie d’art tudesque, puis gothique… et voilà comment on se fait repiétiner
par les Germains avec dix siècles d’écart. Fumiers de boches !
Le
gothique connaîtra de nombreuses déclinaisons avant de désigner ces jeunes gens
qui s’habillent en noir, se maquillent les lèvres et les ongles de noir, se
dandinent sur du Marilyn Manson et trouvent que la vie ça craint. (Pardon, on
me signale dans mon oreillette qu’on ne dit plus « ça craint » depuis
1995, au temps pour moi.)
La
littérature gothique, elle, fait son apparition au milieu du XVIIIe
siècle en Angleterre, à une époque où l’on redécouvre l’architecture médiévale.
Horace Walpole, écrivain et esthète, commence par se faire construire une
immense demeure de style néogothique à Strawberry Hill, avant de publier, en
1764, Le Château d’Otrante, premier
« roman gothique » qui ouvre la voie à une mode littéraire qui se
poursuivra sur près d’un siècle.
Mais
alors, vous allez me dire : comment fait-on un roman gothique ? Quels
sont les ingrédients ? Le temps de cuisson ? Et si je laisse mon
roman gothique refroidir sur le bord de la fenêtre, est-ce que les enfants du
voisin ne vont pas venir me le piquer ?
D’abord,
il faut que l’action se déroule dans des lieux sombres et emplis de mystère. Un
château hanté, une crypte, un cimetière… Si ça tombe en ruines, c’est très
bien : il faut laisser comme ça. N’allez surtout pas appeler une
entreprise de maçonnerie, à moins que vous ne vouliez perdre des
lecteurs ! Autre chose : l’exotisme. Le roman gothique se passe
généralement à l’étranger. En Orient, en Italie, en Espagne… Quand Ann
Radcliffe décrit les Pyrénées et la chaîne des Apennins dans Les Mystères d’Udolphe (1794), elle le
fait sans y avoir jamais mis les pieds.
Au
niveau de l’intrigue, tout ce qui peut être lié au vampirisme, à la possession
démoniaque, au passé enfoui qui refait surface, au sentiment de persécution,
fonctionne parfaitement. La jolie héroïne effrayée, ça marchait déjà à cette
époque là, ça marche toujours. On peut aussi insister sur les phénomènes
climatiques : nuit d’orage, tempête en mer, ça fait toujours son petit
effet.
Évidemment,
dit comme ça, le roman gothique, ça fait un peu piteux. Un peu comme un film
d’horreur dans lequel on verrait arriver la menace longtemps à l’avance. Je
vous rappelle quand même qu’on est au XVIIIe siècle, les gars, et
que Wes Craven n’a même pas vu le jour ! Je vous parle d’une époque qui ne
connaissait même pas Massacre à la
tronçonneuse ! Et ils feraient moins les mariolles, les Wes Craven,
les Tobe Hooper et les Dario Argento, si la littérature gothique n’avait pas
débroussaillé le chemin devant eux !
De
vous à moi, le roman gothique, même pour un p’tit gars plein de bonne volonté
comme moi, ça n’a pas toujours bien vieilli. Mais il reste tout de même, parmi
la masse de livres que les petites excentricités de Walpole ont influencés, une
quantité non négligeable de chefs-d’œuvre : Le Moine de Lewis, Frankenstein
de Mary Shelley ou encore Carmilla de
Sheridan Le Fanu, premier roman à mettre en scène une femme vampire (honneur
aux dames !), plus de vingt ans avant Bram Stoker et son Dracula…
Mais
alors par contre, non, aucun rapport avec Marilyn Manson. Désolé.
3 commentaires:
Monsieur Frankenstein Juldé,
Z'êtes craignos ! La zone de Laval ça fout les jetons quand on vous croise blême sur votre écritoire marmonnant vos patenôtres habillé de noir tout de long !
...
Joyeuse halloween quand même sacripant !
Au sujet de Tim Burton maître du genre j'ai vu l'autre jour sa comédie musicale gothique :
Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street avec Johnny Deep assez réussi je dois dire !
La littérature noire pour adolescent tourmenté par la puberté remonte à loin !
Voir sur wikipedia article "penny dreadful" et "James Malcolm Rymer" auteur du premier Sweeney Todd.
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