Interprétation œcuménique d’une œuvre
exaltant
l’Amour inconditionnel de notre Seigneur
Jésus-Christ
ou
Exégèse de La Chenille
Mes frères,
mes sœurs,
Nous
sommes réunis en cette assemblée pour rendre hommage à Stanislas Ferron.
Stanislas Ferron, un homme de foi, un homme de convictions, qui a toujours su
s’investir sans compter pour notre paroisse. Stanislas Ferron, un homme de
culture aussi.
Bien
sûr, nous sommes là pour fêter le quarantième anniversaire et demi de notre frère Stanislas. Mais j’aimerais, si vous le
permettez, insister sur la place de la religion dans son sacré cœur. D’aucuns
parmi vous diront qu’elle n’est pas si visible que ça, tout de même – d’autres
iront jusqu’à ricaner doucement en se disant que pfff, hin hin, portnawak la religion
l’autre, et puis quoi encore.
Et
pourtant, oui, la religion.
Car
la religion est entrée dans le cœur de Stanislas, oui, forant son poitrail d’un
vilebrequin d’amour, par la grâce d’une chanson. Une simple chanson,
d’apparence profane, et qui pourtant lui a ouvert en grand les Portes du Ciel,
et lui a tendu le Tabouret de bar de la Jérusalem céleste, à portée de main de
la Tireuse de nectar et d’ambroisie.
Cette
chanson, vous l’avez tous compris, c’est « La Chenille ».
Vous
riez ! « La Chenille », une chanson religieuse ? Portnawak,
pfff, et puis quoi encore.
Pourtant,
quelle plus belle invitation au partage, à la paix, à l’amour
inconditionnel ? J’aimerais revenir avec vous sur les paroles de ce poème
sacré, faire l’exégèse de ce catéchisme queuleuliste[1].
Les
Chevaliers de l’Ordre de Saint-Basile, qui se sont rebaptisés « la Bande à
Basile » parce que c’était plus vendeur, font admirablement passer leur
message œcuménique – il suffit d’être attentif aux paroles…
Pose les deux pieds en canard
C’est la chenille qui
se prépare
En voitur’ les
voyageurs
La chenille part
toujours à l’heure
Oui,
la foi est un voyage, la foi est un abandon. Elle est une ouverture, comme ces
deux pieds ouverts « en canard », prêts à recevoir l’offrande de la
route qui s’étend devant eux. Le croyant est un voyageur, et cette chanson
n’est rien d’autre qu’une invitation à la communion, la communion qui unira le
croyant avec ses frères, tous ensembles, « en voitur’ les
voyageurs ». L’homme de foi est partie d’un tout, non pas maillon d’une
« chaîne », abominable image des fers, de l’emprisonnement – mais
segment d’une chenille. Et qu’est-ce qu’une chenille, sinon une larve destinée
à devenir papillon ? Nous ne sommes rien, au départ de ce voyage. Nous
sommes larve, nous rampons misérablement sur cette terre – mais nous nous
révèlerons papillon au bout du chemin, quand nous illuminera la Lumière du
Christ. Je n’invente rien, tout est dit dans la chanson. Tenez, vous savez
comment s’appellent les petits orifices qui permettent à la chenille de
respirer ? Des « stigmates ». Intéressant, non ? Je
continue.
Accroch’ tes mains à ma taille
Pour pas que la
chenille déraille
Tout ira bien et si tu
veux
Prie la chenille et le
Bon Dieu
Dois-je
vous faire un dessin ? On retrouve l’idée de communion, d’union des âmes
en un seul corps, celui de la chenille : « accroch’ tes mains à ma
taille ». « Pour pas que la chenille déraille » ? Qu’est-ce
que saint Basile veut nous dire par là ? Bien sûr, c’est l’idée du péché.
Nous sommes pécheurs. Nous sommes faillibles. Mais c’est en acceptant l’autre,
en s’abandonnant à l’Amour de Dieu, que nous sommes forts. Alors, oui,
« tout ira bien ». Il suffit de « prier le Bon Dieu ». Mais
aussi « la chenille », car accepter Dieu, c’est accepter tous les
hommes, c’est s’accepter soi-même. On passe aux couplets.
Si tu crois qu’j’t’ai pas vue
Faire la p’tite
ingénue
Avec Pierrot dans le
tunnel
Allez sois pas jalouse
C’est un copain, c’est
tout
Tu sais qu’nous deux
c’est pas pareil
Exercice
difficile que l’exégèse de ce passage. Que faut-il comprendre ? Il est
question de jalousie, de soupçon, d’un acte honteux et adultère commis dans un
tunnel… Mais il est question de confiance, surtout : « Allez sois pas
jaloux (…) Tu sais qu’nous deux c’est pas pareil » Pourquoi c’est pas
pareil ? Parce que l’amour nous protège. L’amour de Dieu, bien sûr, pas
celui du facteur. On continue.
Eh ! Vous deux les pip’lettes
Lâchez-nous les
baskets
Avec vos histoires de
nanas
On va être en retard
Voici le chef de gare
Qui nous fait sign’
pour le départ
Évocation de deux
« nanas ». Rien de plus biblique que cela, évidemment ! Il y a
deux modèles de femmes dans la Bible : la Pécheresse et la Vierge. Eve et
Marie. Ou Marie-Madeleine et Marie, pour le Nouveau Testament. Les voilà
réunies toutes les deux dans cette chenille, impossible de savoir qui est qui.
Peu importe : bientôt la Pécheresse sera une Sainte, elle aussi. À noter
que nous sommes désormais dans un train, dans l’attente du signal du chef de gare
– un détail déjà suggéré auparavant par le « tunnel », et plus loin
par le terme « wagon ». Alors, chenille ou train ? L’explication
est difficile, peut-être faut-il y voir une erreur du traducteur. L’araméen,
c’est quand même un peu du chinois.
Vous
êtes prêts pour le Grand Flash, l’Illumination divine ? Vous êtes prêts à
en prendre plein les mirettes, de la Jérusalem céleste ? Accrochez-vous,
c’est parti :
Regarde l’éléphant bleu
Qui dans’ sur
l’arc-en-ciel
Sous les bravos des
hirondelles
Ah !
Ça c’est de l’hallucination mystique ! Bernadette Soubirous peut aller se
rhabiller ! On n’a pas vu la Vierge, mais il s’en est fallu de peu !
À croire qu’elle était indisposée…
Viens là le troubadour
Je vais lire dans ta
main
Tes joies, tes
chagrins, tes amours
Je
vois bien les mécréants parmi vous, qui hausseront les épaules et ne verront là
dedans qu’une bête chanson de carnaval. Oui, l’éléphant bleu, l’arc-en-ciel, ça
doit être un char, le troubadour, la diseuse de bonne aventure, le Pierrot, ce
sont des déguisements… Bien sûr, que c’est le carnaval ! Mais qu’est-ce
que le carnaval, sinon la fin du Carême, ce moment où, après avoir fait maigre
durant quarante jours, on peut enfin
se desserrer la ceinture et s’en, pardonnez-moi l’expression, foutre jusque là ?
Dernier
couplet :
Eh ! Vous les amoureux
Remuez-vous un peu
C’est pas l’moment de
roucouler
À la prochaine station
Restez dans le wagon
Et n’essayez pas d’en
profiter !
« La
prochaine station »… Le Calvaire du Christ a duré quatorze stations. Ce
voyage est moins long : c’est une ligne directe vers le Ciel, terminus
Paradis, pension complète, tous frais payés. Non, les amoureux, le
« moment de roucouler » n’est pas encore venu : il ne faut pas
descendre avant l’arrêt complet du véhicule. Mais l’heure de la Délivrance
approche, et là, vous ne serez pas les seuls à en profiter. Alléluia !
Voilà
à quel voyage nous invite notre frère Stanislas sitôt qu’après avoir pratiqué
l’Eucharistie (et même plutôt deux fois qu’une qu’il en boira du sang du Christ,
on va quand même pas rester sur une patte), sitôt qu’après avoir bien picolé,
donc, il entonne ce cantique. Il a cette force là, Stanislas : celle de
nous permettre de communier religieusement, les pieds en canard et les
mains sur la taille, lombric humain rempli de doutes, d’inhibitions et
d’incertitudes. Il nous rassure, il nous pousse vers le haut, il fait de nous
des papillons, dans la Paix du Christ.
Amen.
Discours prononcé à l'occasion des 40 ans 1/2 de Stanislas Ferron, 11 juillet 2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire