L'ambition finale de François Bon étant de composer un livre numérique à partir de tous les textes proposés, une consigne a été imposée dès le départ sur l'ensemble des futures contributions : que chacune d'entre elles soit constituée d'un paragraphe unique.
- L'atelier démarrait en douceur, par une proposition sur le thème des peurs. "il ne s’agit pas de développer une peur. Il s’agit d’effectuer dans un seul et unique paragraphe, à chacun d’en décider le format – mais en pensant qu’il doit s’insérer dans la dynamique des autres – l’ensemble des plus anciens souvenirs liés aux peurs, et sans hésiter à remonter à l’enfance."
Les peurs
Il y a un homme qui me surveille.
Invisible à la lumière, il apparaît seulement dans le reflet du globe terrestre
lorsque j’éteins la lampe. L’une de mes plus anciennes peurs d’enfant. Je
demandais chaque soir à mes parents si la porte d’entrée était bien fermée. Pas
de monstres sous mon lit, la menace était toujours bien humaine. Enfant encore,
je revois ce type en voiture qui était passé à ma portée, alors que je me
baladais. Il avait poursuivi sa route jusqu’au premier rond-point et je l’avais
vu passer à nouveau, dans l’autre sens. Puis, après un nouveau demi-tour, le
voilà revenu, ralentissant en approchant de moi, me lançant par la vitre
ouverte : « Eh, petit ! N’aie pas peur, je vais rien te
faire ! » Sans doute la phrase la plus effrayante que j’aie jamais
entendue. Un homme que j’ai un peu trop dévisagé, dans un centre commercial,
qui s’est approché de moi menaçant jusqu’à ce que je détourne la tête. J’ai
toujours eu peur de recevoir des coups. Pas besoin d’autrui, pourtant, pour que
naisse la terreur : je suis un trouillard encyclopédique. Je n’ai jamais
pu apprendre à nager par peur de la noyade, ni à conduire par peur de
l’accident. Atteint de vertige alors que je grimpais les marches de pierre d’un
immense clocher, j’ai cru devenir fou quand les cloches se sont mises à sonner.
Partout, toujours, j’ai peur de m’engager, de parler, d’exister un peu trop.
J’ai peur qu’on me repousse, qu’on me veuille du mal. Pourquoi ne m’en
voudrait-on pas ?
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