Depuis le début de l’été, je participe à l’atelier
d’écriture hebdomadaire que propose François Bon sur son site Le Tiers Livre.
Un atelier qui tombait très bien, son thème étant le récit fantastique, juste
au moment où, lisant les nouvelles de Richard Matheson et revoyant même des
épisodes de La Quatrième dimension,
je baignais dans le fantastique.
L’ambition finale de François Bon étant de composer un livre
numérique à partir de tous les textes proposés, une consigne a été imposée dès
le départ sur l’ensemble des futures contributions : que chacune d’entre
elles soit constituée d’un paragraphe unique.
- Atelier n° 6 : juste avant, tout juste.
À l’intuition, on choisit le lieu qui pour soi-même serait
susceptible d’induire ce basculement fantastique. (…) Le basculement vers le
fantastique (…), on ne le regarde pas, on ne s’en préoccupe pas. On fait
seulement confiance au fait que ça guette derrière notre épaule, que c’est
cette possibilité de bascule qui nous a fait choisir ce lieu précis, et que c’est
lui, ce lieu précis, juste avant la bascule fantastique, qui la rendra crédible
quand elle adviendra. Qu’il va donc se charger malgré nous de tout ce que nous
ne savons pas encore y voir.
Juste avant, tout juste
Le soleil perce la cime des
arbres en froufroutant dans les branches, à moins que ce ne soit le vent. De
face comme ça, dans la clarté aveuglante des fins d’après-midi, il a l’air tout
à fait capable, le soleil, de remuer les tilleuls qui encerclent le coin des
enfants, le séparant nettement du reste du jardin public. Vraiment, c’est dans
ses cordes. Du banc sur lequel je suis assis, le front baigné de sueur, j’ai
sous les yeux une sorte de petit théâtre, bien délimité. Au centre de la scène,
la grande structure vaguement sphérique, rouge vif, qui sert aux enfants de mur
d’escalade, et de laquelle ils s’expulsent eux-mêmes dans des gloussements de
bonheur par le biais d’un long toboggan jaune. Ils sont une bonne dizaine à
grimper là-dessus comme des petits singes, se prenant pour des pirates, des
super-héros ou je ne sais quoi, et une poignée aussi à courir autour –
« Touché ! C’est toi le loup ! » – alors qu’un peu
plus loin, le portique à balançoires et le trébuchet n’intéressent plus
personne. Les cris, les rires, les bousculades me confirment une fois de plus
que je ne supporte pas les enfants. Sur les bancs qui encadrent la structure et
son bac à sable, les adultes sont assis, les parents des petits chérubins. Un
couple avec un landau sur le premier banc à gauche, un groupe de quatre femmes
sur le deuxième, et je me demande si elles sont toutes mères, ou s’il s’agit
d’un groupe d’amies dont une ou deux seulement ont des enfants parmi le tas
braillard et désordonné qui ne cesse d’aller et venir autour de la sphère
rouge. À droite, je compte encore deux couples, et un homme et deux femmes ont
rejoint leur progéniture autour de la structure, pour les encourager, ou les
soutenir moralement dans ce moment difficile et un peu humiliant qu’est
l’enfance. Et moi qui viens régulièrement sur ce banc, je réalise seulement
aujourd’hui que cette structure, dont je ne vois la plupart du temps que le
dos, est censée représenter un dragon, dont le toboggan jaune serait, si je
comprends bien, les flammes qui sortent de sa gueule.
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