Je ne sais pas si mes camarades se rendent bien
compte de l’effort que j’ai fourni en les suivant à Athènes pour couvrir avec
eux cette compétition sportive… Même Gérald a préféré nous laisser tomber pour
aider le Pape à soigner des écrouelles (l’imposition des mains, c’est très
compliqué quand on souffre de la maladie de Parkinson) ! Moi, j’ignore à
peu près tout du sport et si ceux de combat sont à peu près les seuls qui
trouvent grâce à mes yeux, môssieur Fayal, c’est avant tout parce que leurs
règles sont un peu moins compliquées qu’ailleurs. Par exemple, Milàn vient de
m’apprendre qu’au tennis, le but du jeu n’était pas de mettre la balle au fond
du filet. Ils en savent, des choses, ces Hongrois… Je commence à comprendre
pourquoi mes notes d’E.P.S. au lycée étaient si médiocres… Mais surtout, je
viens d’apprendre qu’ACcRoc et Zukry (binôme que dorénavant j’appellerai ACkry
pour plus de commodité) ne couvriront pas toute la compétition : j’ai en
effet découvert dans le sac à main d’ACkry (qui était ouvert sur la table où se
trouve mon ordinateur), entre quelques serviettes fort peu hygiéniques et un
flacon de déodorant pour nous les hommes, deux billets d’avion ! Ces
deux-là s’étaient bien gardés de me dire qu’ils comptaient s’éclipser au beau
milieu des hostilités pour rejoindre le Portugal et y couler des jours
paisibles, loin des médailles et des honneurs ! Ah, les lâches ! Et
moi qui ai déjà mon billet de retour pour le 30 au matin, je vais donc me taper
tout le boulot ! Ah, il a bon dos, le mulet ! Et c’est eux qui vont
écrire mon journal intime, peut-être ?... Imaginez l’ambiance dans le
bungalow ! Ajoutez la chaleur, l’odeur de pieds (bon, je reconnais que
j’en ai deux aussi) et le fait qu’aucun de mes colocataires ne respecte mes
heures de sommeil (6 h – 13 h 30, c’est quand même pas dur, putain), vous
comprendrez que ma survie dans l’Attique est très incertaine, et mes
résistances mentales très affaiblies. Le Péloponnèse doit être beaucoup plus
calme, en comparaison. Même ACcRoc est perturbée, je le vois bien : elle
porte des chaussettes de la même couleur.
Malgré mon triste état, j’ai accompagné Yanis au
Centre Olympique pour y suivre les épreuves de gymnastique. Voilà encore un
sport que je maîtrise peu, mais l’idée que j’étais autorisé à me rincer l’œil
sur quelques cuisses de jeunes filles, que j’y étais même encouragé avec
emphase puisque Stanislas devait récupérer de la terrible épreuve dite de
« l’apéro » et ne pouvait donc se plier à cette tâche, oui, cette
idée, je dois le dire, m’enchantait. La résonance des gymnases — ces églises où
évoluent les Martyrs modernes, ceux qui ont livré leurs corps à la Sainte Sueur
de la Compétition — m’a toujours profondément fait souffrir. Et Yanis, à côté
de moi, hurlait dans mes pauvres tympans pour m’expliquer les barèmes de
notation des juges alors que j’essayais de comprendre à quoi pouvait servir,
dans la vie réelle, de savoir faire des galipettes sur une poutre. À moins
d’être poursuivi par une tribu hostile et de devoir traverser un précipice sur
un tronc d’arbre (avec une rivière en dessous, une jolie chute d’eau et une
poignée d’alligators) tout en esquivant flèches, lances et autres tirs de
sarbacane, franchement, je ne vois pas… Je me demande si Indiana Jones était
doué en gym à l’école. Moi, très peu : c’est pour cette raison que j’ai
toujours été un peu réticent à l’idée de faire du tourisme en Amazonie.
Enfin, toujours est-il que je n’ai pu réellement me
concentrer que sur les épreuves d’enchaînement au sol. Je crois être tombé un
peu amoureux de la Russe Elena Zamoldchikova qui, consciencieuse enfant, fixait
obstinément la surface sur laquelle, dans quelques secondes, elle allait
virevolter comme portée par l’aile d’un ange, en évitant mes regards enflammés
sur son corps vibrant sous l’effort, afin de rester concentrée. J’ai maudit la
sévérité des juges (bien que ne comprenant toujours rien aux notations), mes
poings se sont crispés, Yanis ne m’avait jamais vu comme ça et j’ai profité de
sa stupeur pour lui chiper quelques M & M’s. Svetlana Khorkina a suivi sa compatriote sur le praticable. Je n’aurais jamais
pensé que des jambes aussi maigres étaient homologuées dans ce genre de
discipline. J’ai eu peur à plusieurs reprises qu’elles ne se brisent d’un coup
sec, comme une branche morte, crac ! Mais non. Qu’elles sont longues, ces
jambes… elles n’en finiront donc jamais… J’ai dû m’endormir à un moment, ces
jambes étaient vraiment trop longues, beaucoup plus que l’enchaînement de leur
propriétaire, et je n’ai malheureusement aucun souvenir de la suite. Dans mon
rêve, j’étais la queue de cheval de l’Américaine Carly Patterson et, après
m’être balancé mollement au-dessus de sa nuque, je me suis mis à tournoyer dans
les airs, incapable de différencier le sol du plafond, maman qu’est-ce qu’il
m’arrive, le cœur au bord des lèvres et la cervelle à la cave, emporté par une
série de saltos arrière, ne retrouvant un peu de stabilité que pour m’envoler
dans l’autre sens, oh non v’là qu’ça recommence, pourvu que mon dernier repas
reste bien arrimé à mon œsophage, pas de tout repos les gars la vie de catogan,
c’est moi qui vous le dis, et quand j’ai rouvert les yeux, Yanis me racontait
en hurlant à dix millimètres de mon appendice nasal la victoire des Roumaines :
« Tu avais vu juste hier, Raphaël ! Tu avais vu juste ! »
(C’est vrai qu’il est un peu lèche-cul, ce Yanis). Plein d’enthousiasme, il
voulait m’imiter le double carpé final de la championne Catalina Ponor avant de
s’écrouler en emportant deux ou trois juges dans sa chute. Bien fait pour ces
rats.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire