Il était tout fier d’avoir vendu
la mèche, le Steven. Comme un bon élève, il était allé voir le CPE du lycée
pour lui dire qu’il jouait dans un groupe de rock. Coup de bol, ça tombait pile
poil pour la fête de fin d’année. Cette fois, on ne se contenterait pas d’un
goûter avec la chaîne laser qui gueule du Eminem ou du Orelsan : on aurait
un vrai groupe amateur ! Je voyais bien le père Chassagne se frotter les
mains dans la tête, limite ému de voir ses petits lycéens se lancer dans des
projets personnels – et puis n’est-ce pas, ce sera un bon exemple pour les
autres… D’ailleurs, entre le moment où Steven nous a vendus à Chassagne et le
jour de la fête, il y a eu un type qui a proposé de faire le DJ, un qui
jouerait de la gratte sèche et un autre qui voulait se ramener avec du matos de
jonglage et des tenues de clown. C’était plus la fête du lycée, c’était
carrément Woodstock. Woodstock version Zavatta.
Bon, faut reconnaître qu’on se la
jouait tous un peu rockstars depuis qu’on réussissait à aligner deux mesures à
peu près dans le tempo. Alors quand le CPE nous a proposé de jouer devant tout
le monde, on s’est pas fait prier. Un peu, qu’on allait leur montrer, aux
autres ! Et après, quand on a réfléchi à ce qu’on venait de dire, qu’on a
compté les semaines qui nous séparaient de la date du concert et qu’on a
VRAIMENT écouté ce qu’on faisait (en s’enregistrant sur un magnéto pourrave),
on a gentiment commencé à flipper.
Dans la panique générale où on
était, genre les femmes et les enfants d’abord, on n’arrivait plus vraiment à
réfléchir. Heureusement que Noémie avait un peu plus de sang-froid, à croire
que rien ne l’atteint : elle a tout organisé pour que l’accouchement se
passe en douceur. Sur ses conseils, on a commencé à recenser les morceaux qu’on
savait jouer sans trop se planter. C’était vite vu, y’en avait quatre ou cinq.
De quoi tenir vingt minutes, ce qui était amplement suffisant pour une fête de
fin d’année. Eh bien, à partir de maintenant et jusqu’au jour J, on n’allait plus
répéter que ces morceaux-là.
Vu comme ça, ça paraissait si
facile qu’on en était tout rassurés, d’un coup. Je l’aurais embrassée,
Noémie ! (Remarquez, je l’aurais embrassée même sans ça). On s’est mis au
boulot tout de suite, et en répétant nos cinq morceaux on avait l’impression
d’être le meilleur groupe du monde en train de préparer une tournée mondiale.
Je passais bien un quart d’heure à disposer mes fûts correctement, à évaluer la
distance entre mes bras et les cymbales, à frotter mes peaux comme si j’allais
en faire jaillir un génie. Complètement malade. Mais quand je voyais le temps
que mettait Adrien à s’accorder et à s’échauffer les doigts, je me trouvais plutôt
normal…
Tranzistor n°47, été 2012.
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