L’homme qui
écrit un livre, c’est Robinson dans son île : il faut qu’il fasse tout
lui-même.
Léon-Paul Fargue
Il
y en aura toujours un pour vous poser la question : « Sur une île
déserte, quel livre emporterez-vous ? » La réponse du petit malin qui
ne veut pas se mouiller : un guide de survie en milieu hostile, ou alors
carrément Robinson Crusoé. Très
mauvaise idée, ça, Robinson Crusoé :
quand il fait naufrage sur son île, le héros de Daniel Defoe commence par aller
chercher sur l’épave de son navire tout ce qui pourra lui servir à établir un
camp de base. Si vous vouliez y apprendre comment se débrouiller à partir de rien, à partir de ce que la nature vous
donne, c’est loupé. Il aurait mieux valu vous taper avant de partir en voyage
l’intégrale de la série Man VS Wild,
vous auriez eu l’air un peu plus dégourdi…
Quant
à moi, je ne me suis pas constitué une bibliothèque d’un millier d’ouvrages
pour y renoncer au profit d’un seul à emmener avec moi sur une île déserte. De
toute façon, je n’aime pas les îles. Moi, perdu sur un caillou entouré d’eau
sans une seule librairie, sans une seule jolie fille à mater, ce n’est pas un
livre qu’il faut que j’emporte – c’est une corde.
Et
puis d’abord, les îles désertes, ça n’existe plus. Si vous pensez réellement
être seul sur votre île, c’est que vous ne l’avez pas explorée à fond : en
cherchant bien, vous auriez fini par le trouver, le grand hôtel avec piscine et
vue sur la plage infestée de touristes. Si vous êtes tombé sur un bout de terre
totalement vide d’êtres humains, c’est que vous n’avez vraiment pas de bol…
L’île
déserte, c’est un truc d’écrivain. (Et paf ! Vous avez vu comme je retombe
toujours sur mes pattes hebdomadaires ? La semaine prochaine, je vous
expliquerai aussi que la glace à vanille ou, je sais pas, la veste en velours
côtelé marron, c’est un truc d’écrivain…)
L’île
déserte, donc, c’est un truc d’écrivain. Déserte pour les uns, ou mystérieuse
pour les autres. Parfois pas suffisamment déserte, d’ailleurs. Il suffit qu’on
y ait placé un docteur Moreau adepte de la vivisection et des expériences en
tous genres sur les animaux pour que déjà, vous regrettiez la solitude…
Imaginez
un peu ça : l’île, c’est une page blanche. Tout est à inventer. Étant
donné une île, que se passe-t-il dessus ? Le B.A.-ba du scénario, avec ça
vous faites King Kong, Les Chasses du
Comte Zaroff, Lost… Sur son île, Stevenson a ajouté un trésor, et tout un
contingent de pirates avides. Jules Verne y a planté des hélices, ou encore les
enfants du Capitaine Grant…
Au
fond, le principe est d’une simplicité enfantine : un bout de terre perdu
quelque part dans l’océan. Le héros y débarque par hasard. Par quelle sorte de
hasard ? Est-il seul ou fait-il partie d’un groupe ? Et cette
île, est-elle habitée ou non ? Vous voyez, c’est l’idéal : on dirait
un sujet pour atelier d’écriture ! Vous pouvez aussi vous amuser à
transposer ça dans l’espace : s’il y a encore un endroit peu exploré,
c’est bien celui-là ! Méfiez-vous quand même : peu exploré dans la
réalité, peut-être – mais la fiction, par contre, a déjà constitué un atlas
détaillé, faune et flore comprises, depuis Bételgeuse jusqu’aux confins de
l’hyperespace. C’est une chose d’aller y semer vos astronautes de papier,
encore faut-il qu’ils y trouvent du nouveau…
C’est
assez curieux que ce concept d’île déserte fonctionne encore aussi bien
aujourd’hui. Il est fini, le temps des grands explorateurs. Toutes les terres à
découvrir ont été découvertes, de nos jours, peu ou prou. Et pourtant, c’est
toujours un élément de fiction qui « marche ». On s’y fait prendre.
Mince alors, Machin vient de se réveiller sur une île perdue au milieu de nulle
part. Et comme par hasard, elle a l’air particulièrement hostile. Maintenant,
il faut survivre. Parce que finalement, ce qui intéresse le plus les lecteurs, en
ces temps d’apocalypse, c’est cette idée de survie. L’île, on s’en fout un peu.
Toutes les roches se ressemblent, toutes les forêts dissimulent les mêmes
dangers – ce qui compte, c’est manger, boire, se protéger des bêtes sauvages et
s’abriter. Ça s’accorde parfaitement avec nos fantasmes de fin du monde :
quand la grande catastrophe arrivera, il faudra bien apprendre à tout
réinventer pour survivre. Étant donnée une île infestée de zombies, que se
passe-t-il dessus ?
Si en plus il
n’y a pas de réseau, on est mal barré… Parce que c’est pas en emportant un
livre que vous vous en sortirez !
1 commentaire:
Est-ce qu'on peut emporter ses complexes sur une île déserte ?
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