[A la manière des célèbres "portraits" du journal Libération, le magazine Zapoï a décidé de proposer à ses lecteurs des portraits définitifs d'artistes méconnus ou incompris. Aujourd'hui, pointons notre focale sur Henri Gendron, admirable sculpteur que nos amis d'Orléans connaissent peut-être, mais ce sont bien les seuls...]
Il
ne paye pas de mine avec sa taille modeste, son sourire timide et son pantalon
de velours côtelé abîmé par les ans. L’air du grand-père qu’on a tous connu,
qui joue aux boules le dimanche, qui fait « chabrot » dans les repas
de famille et qui se contente, pour toute lecture, de la page
« obsèques » du journal local…
Pourtant,
regardez-le plus attentivement. Oubliez les mains calleuses et les larges
épaules du travailleur manuel, ou plutôt, considérez-les en y ajoutant la
flamme étincelante qui anime ce beau regard bleu azur : vous y verrez
l’âme d’un poète.
Né
en 1925, Henri Gendron a fêté le mois dernier ses quatre-vingt-sept ans, en
compagnie de ses cinq enfants, de ses douze petits-enfants et de ses trois
arrière-petits-enfants. Grand-père, il l’est donc, et plusieurs fois.
Travailleur manuel, il l’a été aussi, de l’âge de quatorze ans jusqu’à sa
retraite, en 1985. « Riton », comme l’appellent tous ses amis, était
conducteur de chantier des Ponts et Chaussées – ce qu’on appelait encore, lorsqu’il
a commencé en 1939, un « cantonnier ». Un vrai travail de forçat, et
qui laisse peu de loisirs. Pourtant, c’est sur les routes et les sentiers du
Loiret, son pays natal, que le jeune homme, trop tôt retiré des bancs de
l’école, sans doute, s’est éveillé à l’art et à la poésie. La route, n’est-ce
pas l’endroit idéal pour voyager, même mentalement ? Il commença par
remplir des cahiers d’écolier, de sa belle écriture appliquée, de poèmes certes
maladroits, mais où pointait déjà une volonté d’exprimer des « choses
du dedans », comme il le dit dans un sourire. Malheureusement, ces
cahiers ont disparu pendant la guerre, quand notre « Riton » a dû
quitter le domicile familial pour partir travailler en Allemagne, pour le compte
du S.T.O.
Est-ce
la condition, encore plus rude, du travail dans les camps allemands ? Le
fait est qu’à son retour à Orléans, où il épouse en 1946 Colette Moulin, Henri
Gendron n’écrit plus. Chaque soir, il rentre de son travail les poches pleines
de gravier, au grand dam de sa femme. Et le peu de temps libre que lui laisse
son travail, il le passe à coller minutieusement ces petits cailloux les uns
aux autres. C’est ainsi qu’il représente en miniature la cathédrale
Sainte-Croix d’Orléans, puis une Jeanne d’Arc à cheval, pour son seul plaisir.
Mais il fabrique aussi des jouets pour ses enfants : un palais de conte de
fées à la petite Marie-Pierre, et au petit Pierre – que de pierres dans cette
famille ! – un château-fort pour ses petits soldats.
Timide
et peu sûr de lui, Henri Gendron garde d’abord ses petites créations pour lui.
De son point de vue, d’ailleurs, il ne s’agit que d’un passe-temps !
D’autres aiment les puzzles, ou les maquettes de bateau… Ce n’est qu’au début
des années cinquante que ses œuvres, qui s’accumulent petit à petit dans le
grenier de sa maison de Marigny-les-Usages, commencent à interpeler les élus de
la région. Il est temps de mettre en avant cet artiste local si discret !
« Le
jour où on m’a proposé d’exposer mes petits machins dans le hall de l’hôtel de
ville, j’ai cru à une blague ! », confesse « Riton »,
l’œil rieur. Ce n’en est pas une, mais les « petits machins »
exposés, pourtant déjà impressionnants, ne rencontrent pas encore la gloire. À
partir de ce jour, Henri Gendron gagne une réputation, certes : celle de
la « curiosité » locale. « Il nous faisait marrer, à ramasser
ses cailloux le long des chemins, nous dit François P., l’un de ses
collègues. C’était comme le Petit Poucet, sauf que lui, il ramassait le
gravier au lieu de le semer. On l’appelait le Grand Poucet, avec les
copains ! »
La
province est parfois bien cruelle avec ses enfants. Le « Grand
Poucet » a continué à ramasser ses cailloux, inlassablement, et pas
seulement le long des routes du Loiret. Ses œuvres témoignent aussi de ses
différents voyages. Quand d’autres passent leurs congés payés à se baigner dans
l’Atlantique ou en Méditerranée, lui poursuit son jeu de construction, et les
« petits machins » se multiplient. Le viaduc de Morlaix (1954), le
Mont Saint-Michel (1959), la Tour Saint-Jacques ou encore Notre-Dame (1967),
les remparts de Carcassonne (1969) ne sont que quelques-unes des pièces qui
viennent s’ajouter au monde imaginaire d’Henri Gendron. Car c’est bien cela,
qu’on a sous les yeux, quand on contemple son œuvre : une sorte de cité
miniature, imaginaire, composée d’éléments disparates piochés dans des villes
au hasard. C’est la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon qui côtoie le château de
Chambord, le pont du Gard qui jouxte la Mosquée bleue d’Istanbul (parce qu’à
partir des années 80, notre « Riton » a mis à profit sa retraite pour
visiter d’autres contrées)… Ce poète du caillou, doux rêveur qui ne voyait dans
ses créations qu’une façon de « s’amuser les doigts », selon
ses propres termes, a longtemps dû se satisfaire de la condescendance polie de
ses concitoyens. C’était un original, rien de plus. Lui-même, d’ailleurs, avec
la modestie qui le caractérise, n’aurait jamais pensé que ses œuvres étaient
dignes d’intérêt.
Il
aura fallu toute la sagacité de Jean-Pierre Pernaud, et son regard aiguisé de
professionnel, pour extraire enfin cet artiste méconnu de l’obscurité. Qui
mieux que l’aimable présentateur du 13 heures de TF1, cet ami des humbles et
des « vrais gens », aurait pu redonner à l’œuvre de « Riton »,
le « Grand Poucet », toute la lumière qu’elle méritait ? En
effet, depuis son passage au journal télévisé au mois de mars dernier, la ville
d’Orléans, qui avait oublié qu’elle cachait en son sein un homme si précieux, a
organisé une nouvelle exposition des œuvres d’Henri Gendron, qui va devenir, à
n’en pas douter, une véritable gloire locale. Qu’en pense l’intéressé ? « Ma
foi, s’il y a des gens pour acheter mes petits machins, ça débarrassera le
grenier… »
EN 8 DATES:
EN 8 DATES:
1925
Naissance à Marigny-les-Usages (Loiret).
1939
Apprenti cantonnier à Orléans (Loiret).
1943
Réquisitionné par le S.T.O. en Allemagne.
1945
De retour en France, reprend son emploi aux Ponts et Chaussées.
1946
Épouse Colette Moulin. Premières œuvres en gravier.
1953
Première exposition à Orléans.
2012
Enfin la reconnaissance tant méritée : passage au 13 heures de
TF1, deuxième exposition à Orléans.
Zapoï n°2, juin 2012.
3 commentaires:
Texte émouvant. La modestie du personnage culmine dans sa dernière phrase et me fait penser que moi aussi j'ai tout plein d’œuvres d'art diverses dans mon garage que je ferais bien de porter à la déchetterie.
C'est vrai que cela nous change de Batman, l'homme chauve-souris qui défouraille sur tout ce qui bouge dans les cinémas ... dans les cinémas !
Mon petit Juldé moi qui te connaît comme le fond de ma poche, je dirais qu'il n'y a pas que Columbine dans la vie ! J'ai toujours eu un faible pour le sanglant Fantômas de Souvestre et Allain ...
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