« Trouver n’est rien, c’est le plan
qui est difficile. »
Dostoïevski.
On
vous l’a dit et répété pendant les cours de français (mais vous n’écoutiez
pas) : faites un plan !
Avec un bon plan, vous pouvez vous dire que vous avez déjà fait les trois
quarts de votre roman. Vous n’avez plus qu’à rédiger. Évidemment, en français,
il s’agissait de plans de dissertation. Trois parties, une idée par paragraphe,
trois paragraphes par partie. Vous vous souvenez ? Une fois que vous aviez
ça, avec en plus quelques exemples et citations pour illustrer vos idées, il ne
vous restait plus qu’à rédiger. On vous disait ça : « vous n’avez
plus qu’à rédiger », comme si rédiger, c’était trois fois rien. C’est
pourtant à ce moment qu’intervient le style, qu’il faut peser chacun de ses
mots, et ce n’est pas si facile que ça. Les professeurs de français devaient
penser que de toute façon, à notre âge, on ne se préoccupait pas encore du
style, bien contents déjà d’avoir suffisamment de matière pour remplir nos
trois parties…
Ce
qui fonctionne (ou pas) pour une dissertation d’une copie double et demie, doit
pareillement fonctionner (ou pas) pour un roman de trois cent cinquante pages. C’est
possible, mais ce n’est pas sûr : dans le plan d’un roman, l’écrivain peut
s’enliser, se perdre, et dépenser toute l’énergie qu’il aurait dû conserver
pour sa rédaction. « Jamais je n’ai
écrit une histoire dont je connaissais le déroulement », prétend
Aragon. Bon, il ne faut peut-être pas le croire sur parole : si les
écrivains disaient la vérité, ça se saurait (la littérature serait interdite).
Mais le fait est qu’il n’y a pas vraiment de règle : l’écrivain apprend en
écrivant, plus ou moins, bien que les ateliers d’écriture se multiplient et que
les universités américaines aient déjà intégré depuis longtemps l’idée que
l’art d’écrire s’apprend, au même titre que le dessin ou la musique.
Certains
auteurs se lancent peut-être dans la rédaction sans avoir établi le moindre
plan, comme ça, bille en tête. Mais beaucoup de ceux qui le prétendent ont
surtout à cœur de persuader lecteurs et critiques que leur roman a jailli tout
d’un bloc, pof, pur joyau ciselé à même le minerai. « J’ai jeté deux trois
cailloux en l’air sans trop y penser, ça a donné la cathédrale de Reims. Coup
de bol, quoi. » Ben voyons…
Étrange
ce besoin qu’ont encore de nombreux auteurs français de nous faire croire que
l’écriture ne s’apprend pas, et s’enseigne encore moins – qu’on est un écrivain
de toute éternité ou pas du tout. La répugnance qu’ils éprouvent à reconnaître
qu’ils dressent un plan préalable avant de se lancer dans un roman est du même
tonneau.
Bien
sûr, il est possible de se contenter d’une vague idée de départ, de rédiger
d’une traite et d’aboutir à un bon roman. Mais il est tout de même plus
fréquent, peu après avoir démarré sans préparation, de s’apercevoir qu’il
serait bon de prendre quelques notes en chemin, d’étoffer un peu tel ou tel
trait de caractère du héros, puis de rédiger carrément des fiches pour chacun
des personnages : particularités physiques, psychologiques, résumé
biographique, vêtements, etc. C’est un bon moyen d’éviter de présenter un
personnage comme un farouche anti-fumeur à la page 215 alors qu’on l’aura vu
s’allumer une clope à la page 32…
De
la même façon, on s’aperçoit vite qu’un roman à besoin d’une structure solide,
qui lui donnera toute sa cohérence. Et c’est avec un plan qu’on bâtit une
structure. Un plan qui peut être très détaillé, comme ceux de Flaubert ou de
Zola, ou se contenter de donner les grandes lignes du récit. Tout dépend de
votre capacité à improviser en retombant sur vos pieds au moment voulu. Et un
peu, aussi, de la masse d’informations dont vous aurez besoin pour rédiger l’histoire.
Pas
vraiment de règle, donc, sinon celle-ci : sitôt établi le plan, le faire
disparaître. Rien de plus laid qu’un roman dont la construction est visible à
l’œil nu, où les péripéties semblent toutes arriver à point nommé, où coups de
théâtre et retournements de situation paraissent calculés d’avance. Évidemment
qu’ils le sont, calculés d’avance. Mais le lecteur ne doit pas s’en rendre
compte.
C’était bien
la peine de se donner tout ce mal, hein ?
2 commentaires:
J'avais préparé un super commentaire sur un post-it.
Si quelqu'un le trouve, je veux bien qu'il recopie ce qui est écrit dessus, SVP.
...au même titre que le dessin ou la musique.
On apprend à jouer d'un instrument, oui. Est-ce que ça nous apprend "la musique"...
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