jeudi 9 mai 2013

Les émissions littéraires



« Snober ou moquer un média aussi puissant que la télévision, aussi présent et aussi répandu, relève d’un caprice de l’esprit ou de sa démission. »
Bernard Pivot.

            Jadis, l’écrivain était un être mystérieux qui éveillait de nombreux fantasmes mêlés de crainte. On avait bien quelques photographies ou, pour les auteurs classiques, ce qu’il fallait de portraits à l’huile et de bustes – mais encore fallait-il imaginer à sa table de travail cet individu louche qui, régulièrement, publiait des ouvrages volumineux remplis d’intrigues ou de conceptions philosophiques obscures. Lorsque l’écrivain s’exprimait, il le faisait dans de longs articles, ou au cours d’entretiens développés en profondeur, durant lesquels il avait tout loisir d’exposer ses idées sans crainte d’être interrompu.
            C’était plutôt flippant.
            La radiodiffusion française s’était déjà occupée de rendre les écrivains accessibles au public. À travers les ondes, celui-ci pouvait entendre durant de longs entretiens-feuilletons les voix de Paul Claudel, de Cendrars, de Léautaud, leur timbre particulier, leur débit, leurs hésitations… L’écrivain était devenu une voix, il lui manquait un corps.
Heureusement, en 1892, Dieu, en la personne de Karl Ferdinand Braun, inventa le tube cathodique. Une cinquantaine d’années plus tard, la télévision, après de multiples tentatives, arriva dans les foyers. Et le 27 mars 1953, Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, en Prométhée(s) de la technologie moderne, inventèrent la première émission de télévision littéraire française : Lectures pour tous.
            Vous aurez déjà noté, vous que la littérature angoisse, à quel point ce terme de « lectures », mis au pluriel, est rassurant. Surtout si ces lectures sont « pour tous » : les lectures pour tous, ça évoque ces petits romans de gare ou de plage, vite avalés, qui « ne vous font pas mal aux pieds quand ils vous tombent des mains » (Céline).
            Et pourtant, l’émission Lectures pour tous avait un ton que les émissions littéraires d’aujourd’hui ont perdu. L’intervieweur respectait visiblement l’homme de lettres, ses questions étaient empreintes d’érudition, et l’invité pouvait y répondre longuement, sans crainte d’être interrompu. Aragon, Céline, Mauriac, Barthes, Queneau, Sagan… Que de beau monde, et qui venait à notre rencontre, dans notre salon – si proche, mais toujours aussi mystérieux, comme d’un autre monde…
            Aujourd’hui, rassurez-vous, l’écrivain a été ramené à sa condition de simple mortel, ni plus ni moins respectable que n’importe qui. La télévision est un service public, et le public veut voir des gens comme lui. Qu’Emmanuel Carrère soit invité sur le même plateau que Nabilla ou M Pokora, qu’il attende son tour pour parler et qu’il le fasse rapidement, parce que Jonathan Lambert attend dans les coulisses pour faire un sketch. Avant, les philosophes faisaient peur. Aujourd’hui, ils ont une bonne bouille bien sympathique : un philosophe, c’est Michel Onfray ou Bernard-Henri Lévy (il est cool, il veut bien qu’on l’appelle B.-H.L.) et donc, par ricochet, un peu aussi Arielle Dombasle.
            Bien sûr, on peut considérer que tout cela est parfaitement normal, qu’un écrivain n’a pas à être placé sur un piédestal, qu’il est venu vendre un « produit culturel » au même titre qu’un chanteur de variété, un comédien ou une candidate de télé réalité (qui, admirable exemple de métonymie humaine, est elle-même le produit culturel qu’elle vend), et qu’en ce sens, il doit être logé à la même enseigne. Mais on peut aussi regretter ce temps béni où l’auteur, invité dans une émission de télévision, avait le sentiment que ses hôtes lui étaient entièrement dévoués, qu’il était là pour s’exprimer librement, que ce moment lui appartenait en totalité. Désormais, il n’est qu’un invité parmi d’autres, et la véritable vedette de l’émission est son animateur. On n’allume pas la télé pour voir s’exprimer Renaud Camus ou Pascal Quignard : on l’allume parce que c’est l’heure de Ruquier, d’Ardisson ou de F.-O.G.
            D’ailleurs, aujourd’hui, il n’est plus question de littérature, ni même de « lectures » : on parle des « livres ». Et les « livres », ça désigne aussi bien la nouvelle traduction de l’Énéide que le dernier livre de recettes de Cyril Lignac. Et comme Virgile n’a pas pu venir…
            Depuis les émissions de débats de type Apostrophes, dont les rejetons actuels s’appellent Ce soir ou jamais ou Ça balance à Paris, jusqu’aux émissions généralistes comme celles de Laurent Ruquier ou de Guillaume « qu’est-ce-qu’il-devient-au-fait » Durand, l’apparition télévisée est devenue un sport de combat et le plateau de télévision un ring. On nous donne la parole une fois pour présenter notre « actu », ensuite ce sera à nous de la prendre. Il faut s’imposer. L’écrivain né avec la télé saura sans doute se débrouiller. Pour son aîné, qui se faisait peut-être à ses débuts une autre idée de la vie littéraire, ce sera plus difficile. Un débit un peu trop lent, un parler un peu trop académique, et vous avez perdu. Vous avez perdu quoi ? Le peuple. Pour lui, vous êtes un ringard. Ce qui, à l’époque dorée de Lectures pour tous inspirait au téléspectateur respect et admiration, aujourd’hui ne soulève plus que le ricanement. Y peut pas causer comme tout l’monde, celui-là ?
            Alors, certains ont choisi le retrait. Ne plus participer. Se tenir à l’écart des joutes cathodiques, en espérant que plus on se fera rare, plus on attirera un public de choix, un public de curieux qui n’attendent pas que Télérama leur indique ce qu’il faut lire ou penser. On songe à Salinger, à Thomas Pynchon, à Michel Houellebecq ou encore à Mylène Farmer… Non, là c’était pour vérifier que vous ne vous étiez pas endormis devant la télé.
            Mais disparaître du petit écran, c’est aussi le plus sûr moyen de disparaître des librairies, ces épiceries de la culture… Notre pauvre Jean-Baptiste Patafion aimerait bien échapper à cette corvée de venir expliquer son livre à l’antenne. D’autant plus que les caméras l’intimident et qu’il a une certaine tendance à bafouiller dès qu’on le titille un peu. Son livre s’explique de lui-même, au lecteur de comprendre… Mais il est comme tout le monde, il a un éditeur, et ce n’est pas en se cachant qu’il va le vendre, son bouquin. N’est pas Pynchon qui veut. Alors Patafion, armé de son seul courage, va s’engager dans la fosse aux lions, en priant pour que Claire Keim ou Franck Ribéry ne lui fassent pas perdre ses faibles moyens en l’interrompant par des remarques auxquelles il ne pourra opposer aucun argument… Tonnerre d’applaudissements : en piste !

1 commentaire:

Pierre Driout dit Gatsby le mirifique a dit…

Oui cher Louisse Vuitton ! Au fond la chirurgie esthétique qui améliore la plastique de Nabilla et la chirurgie esthétique pratiquée par les écrivains sur les mots de tous les jours ont la même origine : le désir de se montrer beau !
Personnellement je n'emmène mes livres à la plage que dans un sac Louis Vuitton entre le tube de crème solaire écran total et mes lunettes noires !
Et je ne lis que du Juldé c'est meilleur pour mon hâle ...