« Snober
ou moquer un média aussi puissant que la télévision, aussi présent et aussi
répandu, relève d’un caprice de l’esprit ou de sa démission. »
Bernard Pivot.
Jadis,
l’écrivain était un être mystérieux qui éveillait de nombreux fantasmes mêlés
de crainte. On avait bien quelques photographies ou, pour les auteurs
classiques, ce qu’il fallait de portraits à l’huile et de bustes – mais encore
fallait-il imaginer à sa table de travail cet individu louche qui,
régulièrement, publiait des ouvrages volumineux remplis d’intrigues ou de
conceptions philosophiques obscures. Lorsque l’écrivain s’exprimait, il le
faisait dans de longs articles, ou au cours d’entretiens développés en
profondeur, durant lesquels il avait tout loisir d’exposer ses idées sans
crainte d’être interrompu.
C’était
plutôt flippant.
La
radiodiffusion française s’était déjà occupée de rendre les écrivains
accessibles au public. À travers les ondes, celui-ci pouvait entendre durant de
longs entretiens-feuilletons les voix de Paul Claudel, de Cendrars, de
Léautaud, leur timbre particulier, leur débit, leurs hésitations… L’écrivain
était devenu une voix, il lui manquait un corps.
Heureusement,
en 1892, Dieu, en la personne de Karl Ferdinand Braun, inventa le tube cathodique.
Une cinquantaine d’années plus tard, la télévision, après de multiples
tentatives, arriva dans les foyers. Et le 27 mars 1953, Pierre Desgraupes et
Pierre Dumayet, en Prométhée(s) de la technologie moderne, inventèrent la
première émission de télévision littéraire française : Lectures pour tous.
Vous
aurez déjà noté, vous que la littérature angoisse, à quel point ce terme de
« lectures », mis au pluriel, est rassurant. Surtout si ces lectures
sont « pour tous » : les lectures pour tous, ça évoque ces
petits romans de gare ou de plage, vite avalés, qui « ne vous font pas mal
aux pieds quand ils vous tombent des mains » (Céline).
Et
pourtant, l’émission Lectures pour tous
avait un ton que les émissions littéraires d’aujourd’hui ont perdu. L’intervieweur
respectait visiblement l’homme de lettres, ses questions étaient empreintes
d’érudition, et l’invité pouvait y répondre longuement, sans crainte d’être
interrompu. Aragon, Céline, Mauriac, Barthes, Queneau, Sagan… Que de beau
monde, et qui venait à notre rencontre, dans notre salon – si proche, mais
toujours aussi mystérieux, comme d’un autre monde…
Aujourd’hui,
rassurez-vous, l’écrivain a été ramené à sa condition de simple mortel, ni plus
ni moins respectable que n’importe qui. La télévision est un service public, et
le public veut voir des gens comme lui. Qu’Emmanuel Carrère soit invité sur le
même plateau que Nabilla ou M Pokora, qu’il attende son tour pour parler et
qu’il le fasse rapidement, parce que Jonathan Lambert attend dans les coulisses
pour faire un sketch. Avant, les philosophes faisaient peur. Aujourd’hui, ils
ont une bonne bouille bien sympathique : un philosophe, c’est Michel
Onfray ou Bernard-Henri Lévy (il est cool, il veut bien qu’on l’appelle
B.-H.L.) et donc, par ricochet, un peu aussi Arielle Dombasle.
Bien
sûr, on peut considérer que tout cela est parfaitement normal, qu’un écrivain
n’a pas à être placé sur un piédestal, qu’il est venu vendre un « produit
culturel » au même titre qu’un chanteur de variété, un comédien ou une candidate
de télé réalité (qui, admirable exemple de métonymie humaine, est elle-même le
produit culturel qu’elle vend), et qu’en ce sens, il doit être logé à la même
enseigne. Mais on peut aussi regretter ce temps béni où l’auteur, invité dans
une émission de télévision, avait le sentiment que ses hôtes lui étaient
entièrement dévoués, qu’il était là pour s’exprimer librement, que ce moment
lui appartenait en totalité. Désormais, il n’est qu’un invité parmi d’autres,
et la véritable vedette de l’émission est son animateur. On n’allume pas la
télé pour voir s’exprimer Renaud Camus ou Pascal Quignard : on l’allume
parce que c’est l’heure de Ruquier, d’Ardisson ou de F.-O.G.
D’ailleurs,
aujourd’hui, il n’est plus question de littérature, ni même de
« lectures » : on parle des « livres ». Et les
« livres », ça désigne aussi bien la nouvelle traduction de l’Énéide que le dernier livre de recettes
de Cyril Lignac. Et comme Virgile n’a pas pu venir…
Depuis
les émissions de débats de type Apostrophes,
dont les rejetons actuels s’appellent Ce
soir ou jamais ou Ça balance à Paris,
jusqu’aux émissions généralistes comme celles de Laurent Ruquier ou de
Guillaume « qu’est-ce-qu’il-devient-au-fait » Durand, l’apparition
télévisée est devenue un sport de combat et le plateau de télévision un ring.
On nous donne la parole une fois pour présenter notre « actu »,
ensuite ce sera à nous de la prendre. Il faut s’imposer. L’écrivain né avec la
télé saura sans doute se débrouiller. Pour son aîné, qui se faisait peut-être à
ses débuts une autre idée de la vie littéraire, ce sera plus difficile. Un
débit un peu trop lent, un parler un peu trop académique, et vous avez perdu.
Vous avez perdu quoi ? Le peuple. Pour lui, vous êtes un ringard. Ce qui,
à l’époque dorée de Lectures pour tous
inspirait au téléspectateur respect et admiration, aujourd’hui ne soulève plus
que le ricanement. Y peut pas causer comme tout l’monde, celui-là ?
Alors,
certains ont choisi le retrait. Ne plus participer. Se tenir à l’écart des
joutes cathodiques, en espérant que plus on se fera rare, plus on attirera un
public de choix, un public de curieux qui n’attendent pas que Télérama leur indique ce qu’il faut lire
ou penser. On songe à Salinger, à Thomas Pynchon, à Michel Houellebecq ou
encore à Mylène Farmer… Non, là c’était pour vérifier que vous ne vous étiez
pas endormis devant la télé.
Mais
disparaître du petit écran, c’est aussi le plus sûr moyen de disparaître des
librairies, ces épiceries de la culture… Notre pauvre Jean-Baptiste Patafion
aimerait bien échapper à cette corvée de venir expliquer son livre à l’antenne.
D’autant plus que les caméras l’intimident et qu’il a une certaine tendance à
bafouiller dès qu’on le titille un peu. Son livre s’explique de lui-même, au
lecteur de comprendre… Mais il est comme tout le monde, il a un éditeur, et ce
n’est pas en se cachant qu’il va le vendre, son bouquin. N’est pas Pynchon qui
veut. Alors Patafion, armé de son seul courage, va s’engager dans la fosse aux
lions, en priant pour que Claire Keim ou Franck Ribéry ne lui fassent pas
perdre ses faibles moyens en l’interrompant par des remarques auxquelles il ne
pourra opposer aucun argument… Tonnerre d’applaudissements : en
piste !
1 commentaire:
Oui cher Louisse Vuitton ! Au fond la chirurgie esthétique qui améliore la plastique de Nabilla et la chirurgie esthétique pratiquée par les écrivains sur les mots de tous les jours ont la même origine : le désir de se montrer beau !
Personnellement je n'emmène mes livres à la plage que dans un sac Louis Vuitton entre le tube de crème solaire écran total et mes lunettes noires !
Et je ne lis que du Juldé c'est meilleur pour mon hâle ...
Enregistrer un commentaire