Il était une fois, dans un pays très éloigné, un petit enfant qui s’appelait Gédéon. Il était rose comme une tranche de jambon, et aussi maigre. Sa drôle de tête joufflue sur son grand corps dégingandé était la risée de ses camarades d’école. Heureusement, il n’allait plus à l’école, ses parents n’ayant plus les moyens de lui payer des souliers. C’était une famille très pauvre, et comme le père buvait beaucoup, Gédéon devait se sacrifier et ne mangeait donc qu’un jour sur deux. La misère et la malnutrition lui donnaient des gaz, ce qui ajoutait au ridicule de l’ensemble. Gédéon était de ces gentils monstres qui font rire.
Le père et la mère de Gédéon aimaient beaucoup leur fils unique, sa grosse tête ridicule qui semblait vissée sur son corps malingre comme une bille de bilboquet sur son manche les faisait rire aux éclats quand, le vin aidant, ils se faisaient égrillards. Et son absence totale de muscles leur donnait l’impression de taper dans un ballot de linge sale lorsque l’envie leur prenait de s’amuser un peu.
L’hiver de ses huit ans, Gédéon sortit du placard où ses parents le rangeaient pour la nuit : ce soir-là, c’était Noël. Cette époque de l’année était toujours pour Gédéon la promesse des joies auxquelles il n’avait pas accès le reste de l’année. Par tradition, le 24 décembre, ses parents ne le frappaient pas. Et pour ses huit ans, son bonheur à l’approche de cette soirée était multiplié par mille, ses parents lui ayant promis qu’ils réaliseraient, pour cette nuit seulement, tous les vœux de leur fils unique.
Nous sommes dans un conte, et dans les contes une promesse est une promesse.
Ce soir-là, donc, Gédéon, sa tête de lune blottie dans ses épaules, les oreilles rouges mais un discret sourire lui remontant un coin de lèvre, rejoignit sa mère qui lisait dans la cuisine un petit livre écrit gros, La Vie sexuelle de Marc-Olivier F., tandis que le rôti poursuivait sa cuisson, imperturbable.
« Ça y est, m’man. J’ai choisi mes vœux.
— La ferme ! Euh, je veux dire… c’est très bien, mon chéri. »
Souriante, sa mère releva la tête… et un cri se perdit dans sa gorge, incapable de trouver la sortie, comme un poulet décapité. C’était bien la tête de son fils qu’elle avait sous les yeux… mais ce n’était plus son corps ! Ou plutôt, son corps devait bien se trouver quelque part, sous cet énorme amas de chair, dégoulinant d’un sang écarlate encore chaud, des lambeaux de peau se confondant avec viscères et intestins, dans un patchwork d’organes informes, méconnaissables…
Dans le bébég-gaiement et la confusion des sssyllabes, elle p-parvint tout de momie à articuculer quelque chose qui ressembleblait à : « Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? »
« C’est mon premier vœu… J’ai toujours été maigre avec une grosse tête, et papa a toujours été gros… Alors pour qu’enfin ma tête soit en harmonie avec le reste de mon corps, j’ai dépiauté papa.
— Tu as fait quoi ?
— Ben oui ! Je lui ai découpé le corps, quoi ! Pour m’en recouvrir, c’est logique… Pour l’instant ce n’est pas encore tout à fait ça, ça part un petit peu en lambeaux, mais avec quelques travaux de couture, ça devrait s’arranger… Mais j’ai encore un vœu, et ça te concerne. »
La mère était un peu ennuyée, mais elle avait fait une promesse à son fils.
« Maman… J’ai rien demandé à personne, moi. J’ai pas demandé à venir au monde… Maman, laisse-moi retourner dans ton ventre… »
La mère, surprise, partit d’un grand éclat de rire et lança à son fils inique :
« Mais ce n’est pas possible, voyons ! Tu es trop grand maintenant, tu ne parviendras jamais à retourner dans mon ventre…
Alors le fils, tranquillement empoigna la hache qu’il cachait dans son dos.
« On peut toujours essayer… »
Paru dans Bigorno n° 6, décembre 2002.
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