vendredi 27 juillet 2007

Un galop de retard




La vie et l'oeuvre d'Enguerrand Labûche (1902-1939)

Il y a les génies et il y a les autres. Les premiers n’ont bien souvent rien de plus que les seconds, si ce n’est une longueur d’avance. Enguerrand Labûche avait certainement l’âme d’un génie, mais son plus grand malheur fût, dans tout ce qu’il entreprenait, d’avoir un galop de retard. Né en 1902 (« Ce siècle avait deux ans… », etc., etc.) et élevé dans le respect de la famille, petit-fils d’un héros de 1870, il comprit très tôt qu’il était né pour de grandes choses. Son frère aîné, Amédée Labûche, meurt à Verdun en 1916. À seize ans, le jeune Enguerrand, ne cessant de rechercher la fierté dans les yeux de son père, devance l’appel pour se battre contre les Allemands. « Je mourrai en héros plutôt que de vivre comme un lâche ! », lance-t-il en quittant ses parents au matin du 11 novembre 1918… Un peu tard, évidemment. Il reviendra trois ans plus tard sous le toit maternel, sans avoir tué de boche, même accidentellement.

Passionné par les avant-gardes, il se lance dans la rédaction d’une immense œuvre dadaïste (plus de cinq mille pages), qu’il achève en juillet 1923. Il propose son manuscrit à Tristan Tzara qui lui rit au nez et lui annonce la mort du mouvement Dada. De rage, Enguerrand brûle son manuscrit. Pas démonté, il rédige un long pensum sur la littérature telle qu’il la conçoit mais, lorsqu’il propose à un éditeur parisien sa Doctrine du labûchisme, en 1924, c’est pour apprendre qu’André Breton vient de publier le Manifeste du Surréalisme, qui énonce à peu de choses près les mêmes objectifs artistiques. De rage, Enguerrand brûle les rideaux de son appartement en voulant mettre le feu à son manuscrit, et se brûle les doigts en voulant éteindre le début d’incendie.

Il songe alors que sa voie est peut-être le roman, et imagine un personnage, nommé L., qui est arrêté par la police à son réveil un beau matin, et mené devant les tribunaux pour un crime dont il ignore tout. Labûche vient à peine d’achever Le Jugement lorsqu’il apprend la publication posthume du roman de Kafka, Le Procès. Si même les morts s’y mettent, alors… De rage, Enguerrand jette son manuscrit dans la cheminée et se prend une escarbille dans l’œil.

Commence alors une période de sécheresse et de doute. La littérature semblant ne plus vouloir de lui, il se tourne vers le cinématographe. Il souhaite réaliser un grand film sur Jeanne d’Arc. Mais il apprend en 1927 qu’un Danois du nom de Dreyer en prépare un aussi. De rage, il va se jeter sur une voie de chemin de fer… mais le dernier train de la journée vient de passer.

On n’entend plus parler de lui pendant quelques années. C’est d’autant plus facile qu’à l’époque, on n’a encore jamais entendu parler de lui. Durant toutes ces années de silence, il préparait un grand roman autobiographique, intitulé Séjour au fin fond de l’obscurité. Il s’apprête à le publier en 1932, mais Céline le devance en publiant Voyage au bout de la nuit.

Enguerrand Labûche aurait réellement pu être un précurseur, s’il ne s’était pas trouvé face à des précurseurs plus rapides que lui… Passons rapidement sur la suite : il achève en 1936 la rédaction d’un nouveau roman, Lettres d’un abbé de province… et Bernanos publie Journal d’un curé de campagne ! En 1938, il compte enfin apparaître au grand jour en publiant La Migraine… et il se fait devancer par un petit prof globuleux qui remporte un franc succès avec sa Nausée !

Mais Labûche n’a pas dit son dernier mot, il sent le vent tourner… Un vent qui cette fois sera peut-être pour lui porteur de grands espoirs… Le 1er septembre 1939, la France ordonne la mobilisation générale. Ce que Labûche n’a pas pu faire en 1918, il compte bien le faire maintenant. Ce retour à la case départ lui semble plein de signification : son véritable destin, c’était sans doute la guerre, pas la littérature… Il commence le jour même la rédaction d’un Journal intime qu’il compte poursuivre jusqu’à sa mort, conscient qu’il s’agira sans doute de son chef d’œuvre. Il connaîtra peut-être une gloire posthume, mais il connaîtra la gloire, il le sent. C’est avec ce cahier sous la vareuse qu’il part combattre l’Allemagne nazie. Il y inscrit : « Pour la première fois de ma vie, je suis conscient d’être en plein dans l’Histoire. Plus jamais en retard ! Désormais l’avenir m’appartient. À moi de devancer les autres ! » Il se tue en tombant du train le lendemain, 2 septembre 1939.


Labûche et la presse de l’époque



D’abord nous avons cru que l’auteur du Jugement était Tchèque ; ensuite nous avons cru qu’il était mort. Quelle ne fût pas notre surprise, donc, d’entendre dire que se trouvait près de Paris, et bien vivant, un Français dénommé Labûche, qui se prétendait l’auteur de ce roman incroyable dépeignant l’enfer d’un homme tiré du sommeil par la police pour répondre d’un crime dont il ne sait rien et qu’il n’a pas commis ! L’affaire était étonnante, nous prîmes sur-le-champ le premier train pour Fontenay où le drôle était censé vivre. De petits yeux mobiles de fugitif paniqué, un costume anthracite repassé par une mère abusive, l’homme avait les oreilles rougissantes du gamin timide qui sort d’une correction sévère ou se prépare à la prochaine. Il nous fallût user de toute notre délicatesse pour que l’énergumène nous laisse entrer et daigne nous proposer un café fait de la veille. Cet Enguerrand Labûche était, semble-t-il, un insomniaque à l’esprit enfiévré qui n’eût pas manqué d’intéresser certain médecin viennois… Je pris bien garde qu’il ne ferme pas sournoisement la porte à clé derrière moi, songeant qu’il me faudrait peut-être fuir en catastrophe s’il prenait l’envie à cet agité de me bondir à la gorge. (…)

Extrait d’un article de Paul Noyé dans L’Insubmersible, avril 1925.


Louis-Ferdinand Céline n’avait pas voulu m’ouvrir la porte de son cabinet de médecine. Ayant entendu parler d’un auteur inconnu qui avait publié un Séjour au fin fond de l’obscurité, je m’étais dit que c’était toujours mieux que rien. Faute de grives, on mange des merles, dit le vieil adage. L’homme qui m’ouvrit la porte n’était ni vraiment maigre, ni très gros. Assez costaud, comme M. Cendrars, mais avec quelque chose de fluet, comme M. Roussel. Il portait une moustache qui évoquait un peu Léon Bloy, et le même monocle que Tristan Tzara. Il avait le cheveu revêche, comme M. Artaud, mais avec le front haut comme M. Gide. Entouré de femmes, comme MM. de Goncourt, mais aussi de jeunes hommes, comme feu M. Proust. Sa tenue vestimentaire était aussi excentrique que celle de M. Léautaud, mais avec l’élégance de M. Bourget. En définitive, Enguerrand Labûche m’apparût comme quelque chose de plus qu’un écrivain : un échantillon d’écrivains. Nous nous installâmes à sa table de travail et je commençais l’interview :
— Monsieur Labûche, que pensez-vous du roman de ce M. Céline ? (…)


Extrait d’une interview avec Maurice Maurice, Le Cafard enchanté, 1932.



Une lettre inédite à son éditeur


Ceci est la dernière lettre envoyée par Labûche à son éditeur, Léandre Marcellin. D'après le cachet de l'enveloppe elle daterait du 27 août 1939.


Très cher éditeur et, si j’ose encore l’écrire, très cher ami,

Je reviens d’un court séjour en Bretagne où j’ai pu me ressourcer à satiété. J’ai beaucoup lu, beaucoup réfléchi, à la fois sur ma vie d’homme de lettres, et ma vie d’homme au quotidien – mais est-il vraiment possible de dissocier les deux ? Et j’en suis arrivé à ce constat : ce combat que j’ai mené contre moi-même, contre mes angoisses, contre cette folie qui ronge peu à peu mon cerveau, et qui avilit mon corps, cette bataille sans cadavre qu’est mon existence, cette guerre livrée à moi-même par mes soins dont je ne connais, hélas, pas la date d’amnistie… oui, ce long cheminement incertain vers la fin – mon unique préoccupation est de toucher enfin du doigt cet infini que seuls les mots me font approcher – ne mériterait-il pas que je m’y attarde, que j’y plaque mes mots comme le marteau du forgeron sur une barre de fer réticente ?

Vous vous dîtes certainement, mon cher ami, quelle idée saugrenue ce bon vieil Enguerrant a-il encore à me faire partager ? Je rougis, d’un rouge de joie, de bonheur, et peut-être d’un rouge de timidité aussi – un reste de mon enfance enfouie sous ma carcasse d’adulte bedonnant - de vous importuner à la veille de ce nouveau conflit. J’ai choisi de commencer aujourd’hui, et ce jusqu’au restant de mes jours, mon carnet de bord, mon journal de route et d’y décrire, sans fausse pudeur et sans complaisance, ma vie au quotidien. Car c’est pendant les heures les plus obscures de notre histoire d’Homme que la lumière d’une âme éclaire l’avenir. Vous comprenez que ces phrases vous révèlent un nouvel Enguerrand Labûche, plus sérieux, plus réfléchi, si loin de l’Enguerrand Labûche que vous avez connu il y a à peine dix ans. C’est que la proximité de l’âge de la raison m’incite au calme, à la réflexion et je le dis en toute simplicité, à l’engagement. Mes valises sont prêtes, cher Léandre, elles sont prêtes et je n’ai jamais été aussi serein, loin du tumulte politique, loin des idéologies partisanes, loin des inimitiés de ces gens de lettres qui ne comprendront jamais ce qui anime un artiste comme moi.

Je vous enverrai régulièrement quelques pages de mon journal. Vous tiendrez là un document unique, j’en suis sûr. Tenez-moi informé de vos réflexions sur l’utilité de publier un tel livre en ces temps troubles dont l’issue me paraît plus qu’incertaine – mon « pessimisme frondeur », comme vous dîtes, n’est que de la lucidité à toute épreuve, et embrassez pour moi votre charmante compagne ainsi que vos deux garnements.

Je pense bien à vous,
Enguerrand Labûche.
Ecrit avec la collaboration de DJ Zukry et publié dans le Journal de la Culture n°12, janvier-février 2005.

lundi 16 juillet 2007

La machine à essorer les tripes


Il y a des écrivains qu’on ne peut évoquer sans automatiquement voir défiler une armée de lieux communs. Ainsi, quand on prononce le nom de Charles Bukowski, tout un chacun peut, sans crainte d’être contredit, aligner les poncifs sur la presse underground américaine, l’alcool, les courses de chevaux, les femmes, la maladie, la folie ordinaire. En grattant un peu, on peut même aller jusqu’au rôle interprété par Mickey Rourke dans le Barfly de Barbet Schroeder (1987). En France, on se souvient encore d’une émission catastrophique d’Apostrophes diffusée le 22 septembre 1978, et durant laquelle Bukowski, qui se serait vu offrir deux bouteilles de vin blanc à son arrivée dans les studios d’Antenne 2, s’était joliment cuité tout au long du show télévisé, sous les sarcasmes d’un Bernard Pivot au meilleur de son mépris : « Finalement, il ne tient pas tellement la bouteille, cet écrivain américain ! »

Oui, Bukowski, c’est tout ça. Six romans, des tonnes de poèmes et de nouvelles sont là pour le montrer. Comme la plupart des enfants battus, comme la plupart des adolescents complexés – par une acné purulente dont il gardera les cicatrices à vie – « Hank » a dû apprendre à survivre seul, comme un animal délaissé par la meute, et pour continuer à s’estimer un peu, il ne lui restait plus qu’à devenir, non pas laid, mais le plus laid ; non pas méprisable, mais le plus méprisable[1]. D’où son attirance, très jeune, pour les clochards, les fous, les putes, toute la faune des bars, seuls exemplaires de l’humanité parmi lesquels il se sentait chez lui – seul environnement où il n’avait rien à prouver, où il pouvait tranquillement boire sa bière sans s’attirer la moindre remarque. La rue, la folie, la violence et la mort appartiennent à Bukowski comme Bukowski leur appartient.

Confessions d’un homme assez fou pour vivre avec des bêtes

Pour autant, il n’a jamais été clochard. Pauvre et vagabondant d’hôtels miteux en hôtels miteux, à la recherche d’un emploi quelconque qui lui permettrait de tenir encore quelques jours, avant de se faire virer ou de partir, oui. Mais la rue, les bars et plus tard les champs de courses lui serviront surtout de modèles, car ce sont ces endroits qui attirent le malheur dont l’Art se nourrit. « À chaque fois que j’essaie de me tenir à distance du champ de courses, je me ronge les sangs, je broie du noir et, quand la nuit tombe, c’est un homme éteint, apathique, qui branche son ordinateur. En sorte que pour vaincre cette angoisse de la page blanche, je m’oblige à aller là-bas observer l’Humanité, car il n’est pas de meilleur catalyseur que le travail d’après motif. Là-bas, le pire survient inéluctablement, l’horreur s’y donne sans relâche en spectacle. Oui, là-bas, je m’accepte tel que je suis, je ne flippe plus, à chacun son université, pas vrai ? Moi, je suis étudiant en science infernale. »[2]

Peut-être que ce qui a tenu Henry C. Bukowski Jr. en vie assez longtemps pour devenir Charles Bukowski, malgré les coups de ceinture, malgré l’absence d’amour, malgré l’alcool, étaient une simple machine à écrire, la sensation d’avoir quelque chose à dire et l’espoir qu’un jour une de ses nouvelles finirait par être acceptée. Il a vingt-quatre ans, en 1944, lorsque la revue Story, dirigée par Whit Burnett, publie Aftermath of a Lengthy Rejection Slip[3]. Il lui faudra attendre plus de dix ans avant que le miracle se reproduise, mais dès ce premier texte, Bukowski impose sa marque : d’une anecdote vécue, il tire un récit amer, sordide et drôle. Car la majeure partie de ses textes seront des souvenirs plus ou moins fidèles, des « confessions d’un homme assez fou pour vivre avec des bêtes »[4].

Depuis son enfance catastrophique dans la belle maison du 2122 Longwood Avenue, Los Angeles, racontée dans Souvenirs d’un pas grand-chose, jusqu’à ses dernières années à San Pedro, avec sa femme Linda Lee et leurs neuf chats, durant lesquelles il fit sa seule et unique expérience de journal intime – Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau –, il y a bien peu de moments de sa vie qui n’aient été exploités dans ses livres. Et lorsqu’il s’abandonne à la fiction dans une nouvelle, plus rarement dans un roman (Pulp, son ultime roman, est le seul qui soit réellement fictif), les personnages sont bien trop cabossés, bien trop au bout du rouleau, pour ne pas figurer, dans l’imaginaire du lecteur, de parfaits alter ego de l’auteur. « Manny Hyman était dans le show-business depuis l’âge de seize ans. Quarante ans de galère et même pas de quoi s’offrir une cuvette pour gerber dedans. »[5] « Le plus grand désir de Robert – quand il se mettait à cogiter sur ce chapitre – était d’entrer subrepticement au musée de Cire, une nuit, pour faire l’amour avec les femmes en cire. »[6] « Et voilà pourquoi je m’étais retrouvé au petit matin dans mon bureau, comme je l’ai indiqué au début de ce chapitre. Lessivé. Au trente-sixième dessous. Elles étaient pourtant des millions dans cette ville, mais aucune d’entre elles ne semblait vouloir franchir ma porte. Pourquoi, direz-vous ? Tout simplement parce que je suis un perdant. Un privé qui ne mène jamais à bien une enquête. »[7]

Perdants, alcooliques et pervers de toute sorte sont donc les héros récurrents des œuvres de Bukowski. Rien d’étonnant à ce que son succès soit avant tout populaire. Rien d’étonnant, non plus, au mépris qu’il inspire aux littérateurs de son temps ! Quand les poètes de son entourage, y compris les plus underground, posent à l’artiste engagé, s’indignent et s’interrogent sur le sens de la vie, l’amour et Dieu dans tout ça, Hank, lui, se retrousse les manches et plonge les deux mains dans la merde. Des coups de fouet assénés pour rien, parce qu’il avait laissé dépasser un brin d’herbe en tondant la pelouse, de la laideur et de l’isolement de son adolescence, naîtra Souvenirs d’un pas grand-chose (Ham on Rye, 1982). De ses errances sur les routes américaines, de piaules sordides en bars louches et de femmes cinglées en boulots minables, il fera Factotum (1975). Ses quinze ans de travail abrutissant à la Poste fourniront la trame du Postier (Post Office, 1970). Les femmes qui se précipiteront dans son lit, attirées par sa notoriété dans les années 70, peupleront Women (1978). L’expérience du cinéma et la rédaction du scénario de Barfly lui inspireront Hollywood (1989). Et dans le calme des dernières années de sa vie, quand il aura épuisé les expériences, que le cancer l’aura rendu plus sage et qu’il n’aura plus qu’à attendre la fin, il écrira Pulp (1994[8]), son dernier roman, dont l’héroïne n’est autre que la Grande Faucheuse elle-même.


Bukowski a payé chacun de ses mots, et il les a payés de sa sueur, de son sang, de sa raison parfois. Forcément, les coteries littéraires et les lectures de poèmes aux quatre coins des Etats-Unis, dans le confort des avions de ligne et des motels, ne peuvent guère lui inspirer que du mépris mêlé de dégoût. Il aura quitté, grâce à son éditeur John Martin, l’esclavage de la Poste pour tomber dans celui des mondanités. Rien de pire, pour un poète, que de devoir supporter les autres poètes. Il faut lire, à ce sujet, la nouvelle intitulée Voilà ce qui a tué Dylan Thomas, recueillie dans Au Sud de nulle part.

La machine à essorer les tripes

Le style de Bukowski, maintenant. Il est fidèle à l’homme : posé. Sans fioritures. Pas d’épate, pas de tape-à-l’œil. Il lui suffit bien d’avoir vécu ce qu’il raconte, Buk ne va pas en plus en faire des tonnes. Cette simplicité, parfois, désarçonne le traducteur, toujours prêt à faire du zèle. Ainsi, pour ce bout de poème, cité dans Le Capitaine est parti déjeuner… : « Jack with the hair hanging, Jack demanding money, Jack of the big gut, Jack of the loud, loud voice, Jack of the trade, Jack who prances before the ladies, Jack who thinks he´s a genius, Jack who pukes, Jack who badmounts the lucky, Jack getting older and older, Jack still demanding money…» Gérard Guégan n’a pu s’empêcher d’ajouter des rimes et des conjonctions de coordination où il n’y en avait pas, gonflant abusivement le texte : « Jack qui ne coupe pas ses tifs, mais qui n’oublie pas de tendre la griffe, Jack qui ne fait pas dans la nuance, et qui ne manque pas de grandiloquence, Jack qui constamment traficote, mais qui n’en cavale pas moins après les jeunottes, Jack qui se pense un génie, mais qui sur lui se vomit, Jack qui a l’éternelle cerise, mais qui conchie la divine surprise, Jack qui prend de la bouteille, et qui ne cesse de mendier son oseille… »


L’art de Bukowski consiste à présenter les choses de manière brute, sans ajouter de commentaire. Ne prenant pas son lecteur pour un imbécile, il le juge capable de comprendre par lui-même si la scène qu’il lit est censée lui inspirer du dégoût, de l’horreur, de l’indignation ou tout autre sentiment. « C’est alors que le premier coup de cuir m’arriva dessus. Ça fit un grand bruit plat, un bruit presque aussi horrible que la douleur que je ressentis. Le cuir s’abattit une deuxième fois. À agiter son cuir, mon père ressemblait à une machine à frapper. J’eus l’impression d’être enfermé dans un tombeau. Le cuir s’abattit encore une fois : je me dis que c’était sûrement le dernier coup. Mais non. Il retomba encore et encore. Mon père, je ne le haïssais pas. Il y avait seulement qu’il était incroyable, que moi, j’avais tout simplement envie de m’éloigner de lui. Je n’arrivais pas à pleurer. J’étais bien trop mal pour pleurer, bien trop paumé. Le cuir atterrit encore une fois. Et puis mon père s’arrêta. Je me redressai et attendis. Je l’entendis raccrocher le cuir. “La prochaine fois, dit-il, des poils, j’veux plus en trouver un seul.” Je l’entendis sortir de la salle de bain. Il avait refermé la porte de la salle de bain. Les murs de la salle de bain étaient beaux, la baignoire était belle, le lavabo était beau, et aussi le rideau de la douche. Même le siège des W.-C. Mon père n’était plus là. »[9]

Les écrivains qui s’attachent à la forme trahissent la littérature en sacrifiant ce qui en fait l’essence même : la vérité et l’émotion. Ce que Bukowski a résumé dans le plus bref de ses poèmes, Art :

« comme
l’esprit
s’évanouit
la forme
apparaît. »
[10]

Encore une créature qui se rend malade d’amour

Ce qu’on ne pardonne pas aux écrivains, c’est de montrer l’homme tel qu’il est. On ne pardonnera pas à Bukowski d’avoir fait de l’homme une usine à merde, à foutre et à vomi. La légende veut que Bukowski, pas plus que Céline, l’une de ses plus grandes influences, n’aimait les hommes. Tout juste lui accorde-t-on un certain goût pour les animaux – et pour le cul des femmes. Il est temps d’affirmer qu’un écrivain qui fouille l’humanité jusqu’au plus profond de ses intestins, ne peut qu’aimer celle-ci. Quitte à ne l’observer que de loin, en évitant tout contact prolongé avec les individus dont elle se compose. Il n’empêche que la curiosité est là, et avec elle une immense compassion. Pour s’en assurer, il suffit de lire avec quelle tendresse il évoque Cass, l’héroïne de La plus jolie fille de la ville, le premier des Contes de la folie ordinaire. Et pour mettre fin au cliché sur l’écrivain obsédé sexuel, misogyne et dédaigneux, de relire les magnifiques poèmes de L’Amour est un chien de l’enfer, ou de se replonger dans Women, dans la simple beauté des histoires de Women où les femmes ne sont pas simplement des culs et des cons, mais des jambes, des chevelures et tout le reste, et mettent à la torture Henry Chinaski, le double de Bukowski, par leur folie qu’il craint autant qu’il la recherche, par leurs trahisons, par ses trahisons, par l’inéluctabilité des choses. « Les Femmes : j’aimais les couleurs de leurs vêtements ; leur démarche ; la cruauté de certains visages ; de temps en temps, la beauté presque parfaite d’un autre visage, totalement et superbement féminin. Elles possédaient un avantage sur nous : elles planifiaient beaucoup mieux leur vie, elles étaient mieux organisées. Pendant que les hommes regardaient les matches de football ou buvaient une bière ou jouaient au bowling, elles, les femmes, pensaient à nous, se concentraient, étudiaient le problème, décidaient – de nous accepter, de nous rejeter, de nous échanger, de nous tuer ou, plus simplement, de nous quitter. En fin de compte, cela avait peu d’importance ; quel que soit leur choix, nous finissions dans la solitude et la folie. »[11]


Charles Bukowski, donc. Le clodo d’Apostrophes, le pilier de bar ; Bukowski et ses bières, Bukowski et sa gueule de papier mâché, Bukowski et sa merde – l’histoire littéraire ne retient jamais que ce qui l’arrange pour faire entrer ses auteurs dans les cases qui conviennent. Charles Bukowski est l’un des écrivains américains les plus importants de la deuxième moitié du XXème siècle, point. Sa violence, sa noirceur ne font que répondre à la réalité d’un monde de plus en plus brutal, que l’écrivain dissèque de l’intérieur, sans pleurnicheries mais sans illusions. Sans issue de secours. À son éditeur, John Martin, il écrit en août 1986 : « Ne pas avoir entièrement gâché une vie me semble être un accomplissement digne de mérite, même si c’est seulement pour moi-même. »[12]


Voilà Hank : un type qui ne se berce pas de vains espoirs, qui goûte juste le fait d’être en vie et qui sait que ça ne durera pas.


Publié dans La Presse littéraire n°2, janvier 2006.


[1] « C’EST MA MERDE QUI PUE LE PLUS FORT APRÈS CELLE DES CHIENS », voilà un aphorisme téméraire que l’on trouve, signé Charles Bukowski, sur les murs de la maison du vieux Sanchez, dans la nouvelle intitulée Dix branlettes, in Nouveaux contes de la folie ordinaire, Grasset, 1982. Traduction de Léon Mercadet.
[2] Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau, traduction de Gérard Guégan, illustrations de Robert Crumb, Grasset, 1999.
[3] Séquelles d’une longue lettre de refus.
[4] Titre d’une nouvelle recueillie dans Au sud de nulle part, traduction de Brice Matthieussent, Grasset, 1982.
[5] There’s no business, in Apporte-moi de l’amour, Mille et une nuits, 1999. Traduction de Jean-Luc Fromental.
[6] L’Amour pour $ 17,50, in Au Sud de nulle part, op. cit.
[7] Pulp, Grasset, 1995. Traduction de Gérard Guégan.
[8] Les dates données entre parenthèses sont celles de la première édition américaine.
[9] Souvenirs d’un pas grand-chose, Grasset, 1985. Traduction de Robert Pépin.
[10] In Jouer du piano ivre comme d’un instrument à percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu, Grasset, 1992. Traduction de Michel Lederer.
[11] Women, Grasset, 1981. Traduction de Brice Matthieussent.
[12] Correspondance 1958-1994, Grasset, 2005. Traduction de Marc Hortemel.

vendredi 13 juillet 2007

Le déserteur professionnel

Je ne fais pas partie de ces gens qui s'interrogent sur le sens de la vie.
On ne leur a donc jamais appris qu'une blague perdait tout son effet à être expliquée ?

Maintenant que les vacances scolaires sont arrivées et que les professeurs de mathématiques peuvent aller s’alcooliser sans honte dans tous les débits de boisson qui jalonnent leur parcours zigzaguant pour oublier leurs mauvaises notes, et que les surveillants d’internat peuvent sans honte passer des nuits blanches à se masturber sur les dernières vidéos de Naughty America en espérant parvenir à se faire fondre la bite (adieu les soucis), pendant que les lycéens, eux, s’échinent sur un job d’été idiot pour pouvoir s’acheter l’intégrale de Prison Break en DVD ou, à défaut, se payer le permis (heureusement qu’il y en a qui bossent) – maintenant que les vacances sont arrivées, j’aurai beaucoup plus de temps pour m’entretenir avec vous ici même.


Mais j’ai beau dire que ma passion c’est l’écriture (sans aller jusqu’à me prétendre sérieusement écrivain, n’ayant encore rien publié), j’ai beau laisser entendre qu’en dehors de mon roman en gésine (L’Arlésienne, titre provisoire) et mes divers travaux en chantier (une grande exposition consacrée à Stanislas Ferron (1900-1968), inventeur, poète et artiste lavallois trop méconnu ; un livre consacré à l’histoire de la scène rock du Palindrome de 1960 à 2000…), qu’en dehors de toutes ces activités rien n’a d’importance, surtout pas cet emploi idiot de surveillant de lycée, j’ai beau prétendre tout ça, je n’en continue pas moins à écrire des phrases trop longues et à m’astiquer le flageolet devant des kilomètres de clitoris virtuels. Et imberbes, pour la plupart d’entre eux, ce qui est contraire à ma religion.

Certains portent plainte contre Dieu pour les avoir arnaqués. Pas de chance, je n’y crois pas. Il faudra que je cherche ailleurs les raisons profondes de ma paresse de vivre. À mon avis, ça vient du bide. Je dois manquer d’estomac, d’où mon anorexie sexuelle. Tout glisse sur moi, et je n’attrape jamais rien. Les bras trop maigres. Je n’ai même pas tenté une seule fois de me suicider. J’ai du respect pour les suicidés, mais je me méfie de ceux qui en sont à leur quatrième ou cinquième tentative : ils appellent au secours, c’est tout. Si par malheur ils y passaient, ce serait qu’ils ont raté leur T.S., ces maladroits. Si je devais en finir, je n’irais pas par quatre chemins : je n’ai pas envie d’appeler au secours. Trop peur de me réveiller dans une chambre d’hôpital pour m’apercevoir que la seule personne à qui cet appel était destiné ne se trouve pas à mon chevet ?

J’ai réglé la question du suicide le jour où je me suis aperçu que je n’en avais pas besoin, puisque je n’étais pas suffisamment en vie pour éprouver le désir de mourir. Je me suicide au quotidien, en restant enroulé sous mes couvertures jusqu’au milieu de l’après-midi, inatteignable. À l’armée, j’aurais été grandiose dans les opérations de camouflage… Mais l’armée, non merci. Je suis un déserteur professionnel.

On arrive à trente ans, et on se retourne pour s’apercevoir avec effroi qu’on n’a rien fait. À mourir de rire, non ? Surtout quand on pense à tout ce qu’on a fait pour parvenir à ne rien avoir fait, tous ces gestes désordonnés, tous ces projets, et combien il nous a fallu agiter les bras comme un type qui se noie, les yeux rivés sur la rive d’en face… Et chaque jour, on s’aperçoit qu’on n’a même pas essayé de l’atteindre. Demain, c’est promis, on tente quelque chose : peut-être qu’en se propulsant en avant plusieurs fois, on finira par parcourir de bonnes distances ? Demain, on tente le coup. En attendant, attendons. Et à trop attendre, on vieillit, et la rive est toujours aussi éloignée.

Alors le déserteur professionnel se gratte le front et finit par comprendre que cette rive, finalement, il ne tient pas tant que ça à la rejoindre. Bien sûr, il est un peu seul, et la nuit tombe, mais finalement, elle n’est pas si froide, cette eau, une fois qu’on est dedans. Et puis vous savez ce que c’est, les buts, quand on les a atteints : il faut encore les conserver, défendre sa position, il faut encore se battre. Bof. À quoi bon, puisqu’on sera bientôt mort ?

Tenez, l’amour, par exemple. Si je fonds devant une jolie femme aux jambes admirablement croisées sur le rotin d’une terrasse estivale (je parle d’un été futur, idéal, conceptuel – un été à terrasses), j’ai deux possibilités : la regarder sans rien faire et détailler pour moi seul tout ce qui chez elle m’émeut aux larmes, ou lui parler et risquer de tout détruire. Je pourrais balbutier, ou m’apercevoir à l’écouter parler qu’elle n’a rien de mystérieux, qu’elle est comme tout le monde. Surtout, après l’avoir saluée et peut-être un peu flattée en rougissant comme un collégien – hmm-hum, cette chaise est libre ? – j’aurais encore un bon bout de chemin à parcourir ! Je ne peux que respecter les amoureux qui bêtifient en se tenant la main : moi, j’ai un petit problème avec cette question de la séduction. Si je ne craignais qu’un refus de la créature qui m’anime, ce ne serait rien. L’ennui, c’est qu’elle pourrait très bien accepter qu’on se revoie. Alors, horreur et consternation : il me faudrait encore parler ? lui sourire ? la flatter de nouveau ? être présentable, ne pas mettre mes doigts dans mon nez, avoir de l’humour et des chaussures cirées ? Tout ça pour atterrir dans son lit – ou dans le mien, mais cette fois-ci sans camouflage, à découvert – et s’apercevoir que les choses sont bien plus simples quand on est seul avec sa main devant Internet !

L’ennui avec la vie, c’est que les étapes, elles, on ne peut pas les sauter.

Et la littérature, alors ? Mettons que je termine ce roman (Ah ! La bonne blague, titre provisoire). Il me faudrait encore démarcher les maisons d’éditions, me vendre, sourire, avoir de l’humour et des chaussures cirées – et s’il était accepté ? Vous imaginez l’angoisse ? L’inconnu me terrifie, je n’y peux rien. Alors je perds du temps. Ça, c’est mon truc. En attendant de me sentir prêt, j’attends. Et j’ai beau attendre, je ne suis jamais prêt. Alors j’attends.

Et tous les trains partent, et reviennent, et repartent, et je commence à m’y habituer, à ce quai de gare, je tutoie la machine à café, je compatis aux peines de cœur de la poinçonneuse automatique (le distributeur de monnaie l’a plaquée, salaud), je suis chez moi. Et je commence à m’y habituer, à cette eau glacée, alors que la nuit tombe. Je vais essayer de trouver une position confortable pour dormir…

Alors oui, je déserte, je m’efface, je m’absente. Je reste sur la touche et je vous regarde. Allez-y, prenez tous les trains du monde, je resterai sur le quai. Vous me retrouverez inchangé à votre retour, juste quelques rides en plus et quelques cheveux en moins. Vous me raconterez votre voyage, j’espère.

lundi 9 juillet 2007

Voyage à Istanbul (15/15)

Dimanche 20 juillet 2003.

Et la course recommence… Putain de dernière journée !...

Tout a pourtant commencé comme une journée banale : le petit déjeuner, le dernier d’Istanbul, après une petite nuit dans ce brouhaha qui nous est devenu coutumier – une engueulade dans la rue vers trois heures du matin… Aussi étrange que cela puisse paraître, nous n’avons pas eu de mal à fermer nos valises et, notre avion ne partant qu’à 14 h 50, nous avons même pu profiter d’une dernière balade sur la Corne d’Or, sur le pont de Galata infesté de pêcheurs à la ligne, Sébastien voulant acheter des simit avant de partir. Le bruit infernal des klaxons, la cohue du quai, les cris des marchands, le défilé ininterrompu des voitures ; je ne pensais pas que ce genre de détails pouvait me plaire. C’est le poumon de la ville qui me manquera.

Une bouteille de visne suyu achetée au supermarché en face de l’hôtel, nous récupérons nos bagages et montons dans un taksi en maraude – pas besoin d’attendre le taxi, ici : impossible de faire un pas sans en croiser dix.

Et la course recommence… Oh, tout en douceur d’abord, façon promenade à bicyclette : nous arrivons tôt à l’aéroport, nous nous installons sur un siège. Sébastien lit Constantinople en 1890, moi Le Chameau sauvage. Je vais assez vite voir le tableau des départs et le guichet d’enregistrement de nos bagages est déjà annoncé. Tout se goupille à merveille, nous nous débarrassons de nos valises et la fille du guichet est charmante. Nous attendons encore un peu puis nous traversons la douane et partons légers vers la porte d’embarquement… où nous attendons encore, assis par terre, ce qui est logique lorsqu’on est en avance. De nouveaux portillons détecteurs de métaux à franchir (le sac à dos de Sébastien est fouillé minutieusement), et l’embarquement est presque immédiat.

Sébastien somnole dans l’avion et je lis Jaenada. En quelques battements d’ailes nous sommes au-dessus de la Grèce. Le commandant de bord nous désigne, en italien puis en anglais, Corfou et Thessalonique.

A Rome, nous courons pour trouver la salle d’embarquement, persuadés qu’il est 17 h 30 et que nous n’avons qu’une demi-heure avant le départ. En passant sous une horloge nous comprenons notre erreur : j’ai simplement oublié de remettre ma montre à l’heure locale : il n’est que 16 h 30. Du coup, nous patientons encore longtemps, assis à côté d’un gros Noir et de sa moitié, une grosse blonde qui renifle et renâcle et tousse gras ses glaires, avec laquelle il joue à montre-moi-la-photo-de-ta-carte-d’identité-qu’on-rigole. L’avion partira finalement avec vingt minutes de retard. Sébastien lit Le Figaro, moi Le Chameau sauvage. Un café au-dessus des Alpes, nous sommes à 20 heures à Paris.

C’est là, de retour en France, alors que jusque là tout s’était déroulé sinon comme prévu, du moins dans les temps (l’avion Rome-Paris a rattrapé son retard), c’est là que tout part en quenouille.

Notre train, le dernier pour Laval, part à 22 h 05. Nous mettons une bonne vingtaine de minutes à récupérer nos bagages, puis nous devons rejoindre la gare pour y prendre le RER, le train partant de Montparnasse et non de Roissy. Le temps que Sébastien achète les tickets tandis que je garde les valises, il est neuf heures quand nous grimpons dans le RER.

Une heure seulement pour rejoindre la gare… Nous commençons à nous inquiéter. Moi surtout, de savoir qu’il faudra courir après le train en traînant nos valises, alors que la dernière fois que nous nous sommes trouvés dans cette situation j’ai dû mettre une bonne heure avant de reprendre mon souffle… Nous voyons la quinzaine de stations qui séparent Roissy de Denfert passer lentement, trop lentement devant nos yeux. Course folle, arrivés à destination, pour prendre le métro direction Montparnasse… et là je suis coincé dans le portillon, ma valise crochetée par une barre, je perds un temps précieux à me libérer, Sébastien, qui courait devant, fait demi-tour pour m’attendre, nous sautons dans le métro, à 58 nous sommes sur le quai de la station Montparnasse-Bienvenüe et nous galopons, traînant nos saloperies de valises, nous passons un premier tapis roulant, je commence à perdre de la vitesse, Sébastien est loin devant, au deuxième tapis roulant je le perds de vue, je ne sais pas par quel couloir il est passé, ce n’est pourtant pas la première fois que je me trouve dans cette gare mais là j’hésite, prends un couloir au hasard, renonce, reviens sur mes pas, comprends que j’étais sur le bon chemin et repars… Sébastien est loin devant, je ne le vois plus… Peut-être est-il déjà sur le quai… Il courait sans se retourner, il n’a sûrement pas vu qu’il m’avait semé… Je m’essouffle… De toute façon, maintenant, c’est trop tard… Je le cherche encore devant les portes automatiques de ce que je crois être les « Grandes lignes »… Je m’aperçois que je suis seulement devant le Transilien… Il faut encore monter…

Et là je perds les pédales. Il y a des jours comme ça où l’on agit impulsivement, sans s’en rendre compte, pour comprendre ensuite qu’on a tout fait de façon illogique.

J’ai dû vraiment avoir la sensation que j’avais perdu de vue Sébastien depuis une éternité. A aucun moment je n’ai pensé qu’il pouvait être sur le quai, en train de me chercher. Ou j’ai dû croire que, ne me voyant pas, il allait redescendre assez vite. J’ai donc attendu à l’étage du Transilien qu’il réapparaisse, descendant d’un escalator, éreinté et furieux d’avoir raté le train. Tout ce qui monte doit finir par redescendre, ça a dû me paraître plus logique que le contraire. J’ai bien vu plusieurs personnes qui descendaient, mais pas Sébastien.

Peut-être que notre précipitation m’a fait perdre la notion du temps, peut-être que j’ai eu un instant de panique comme lorsque, gamin, on croit s’être perdu sitôt que notre mère a disparu de notre champ de vision, et qu’on la cherche partout où elle ne peut pas être, incapable de reconnaître un lieu pourtant familier… Mon côté Bambi, quoi… Je ne sais pas. Toujours est-il que ne le voyant pas descendre, et pensant sûrement que pas mal de temps s’était écoulé, je me suis dit que soit il ne s’était pas aperçu que je ne le suivais pas et avait bondi dans le train au moment même où celui-ci fermait ses portes, l’empêchant de redescendre ; soit il était déjà redescendu du quai des « Grandes lignes » et m’attendait peut-être plus bas, sans doute devant les guichets du métro pour Châtillon, sachant que je n’avais que de l’argent turc sur moi et donc pas la possibilité d’acheter un ticket.

Toujours pas de Sébastien devant les guichets, bien sûr. Cette fois, je suis persuadé qu’il est dans le train pour Laval, tout surpris d’y être seul. Je demande un ticket à deux jeunes gens et là, impulsif toujours, je passe le portillon. Ce qui est idiot, puisque Sébastien n’aurait jamais l’idée de me chercher du côté du métro, persuadé qu’il est que je n’ai pas pu me payer le ticket. Mais je crois de moins en moins qu’il soit encore à la gare. Je continue à traîner ma valise jusqu’au quai de la ligne 13. Je me suis trompé de côté, ce métro-là va vers Gennevilliers, il faut que j’aille en face.

J’y vais donc, le métro arrive, j’entre : direction Châtillon. Nous nous étions dit que si nous rations le train, nous pourrions toujours dormir chez Arnaud. Sans doute que durant ma course cette optique est devenue une obsession, une évidence – et je me suis dit que si Sébastien avait, comme moi, raté le train (ce qui me paraissait de moins en moins probable), de toute façon nous nous retrouverions chez Arnaud. Et soudain, je songe à un détail, un de ces nombreux détails que j’avais occultés (comme par exemple le fait que, n’ayant que de l’argent turc sur moi, pas de chéquier et encore moins de carte bancaire, je ne pourrais pas plus prendre le train demain qu’aujourd’hui), un détail donc : la porte de la cour où loge Arnaud s’ouvre avec un code que j’ignore !... S’il est couché, il ne pourra peut-être pas m’entendre… Et s’il n’est pas chez lui ?... Je n’ose y penser, je me vois déjà passer une nuit à la belle étoile à Châtillon et incapable ni de prendre le train, ni de téléphoner demain. Je me sens poissard comme le héros du Chameau sauvage, oui, complètement jaenadaïsé. Arrivé à Châtillon et traînant ma valise sur le gravier pour franchir le kilomètre qui me sépare de la rue de Fontenay, je repense à une réflexion que je me suis souvent faite dans les cas « limites » : j’ai généralement plutôt de la chance. Maladroit tant qu’on veut, distrait au-delà de toute norme, mais poissard, justement, non. Généralement, quand je suis à moins une de rater le train, je m’engouffre dedans au dernier moment et tout se passe bien. Le hasard (qui n’existe pas) est en général plutôt de mon côté. Alors qu’est-ce qui a fait que tout déconne ce soir ? Que s’est-il passé pour que je me retrouve à traîner une valise à onze heures du soir dans une petite ville de la banlieue sud de Paris ? Et quand je vais me retrouver comme un con assis sur ma valise devant une porte close, sans savoir de quoi demain sera fait, regardant défiler les secondes sur le cadran digital de ma montre en attendant le lever du jour comme on attend le Messie, est-ce que, oui ou non, je pourrai me déclarer poissard ?

Mais j’arrive enfin, un poivrot zigzague devant moi, je pousse la porte et, ô miracle ! elle s’ouvre ! Je sonne chez Arnaud, deux fois : il vient m’ouvrir.

« Salut… Sébastien est là ?... »

Non, bien sûr, et Arnaud croit même que je lui fais une farce : il s’attend à voir surgir son frère derrière moi. Je lui explique ce qui vient de nous arriver devant un verre d’eau et laisse un message sur le répondeur de ma mère. Nous déplions le canapé-lit, je défais ma valise et constate, comble de la journée, que mon gel douche – ou mon shampooing -, s’est répandu dans ma trousse de toilette pendant le voyage, et de là dans ma valise. Bon, peu de dégâts, visiblement. Quelques minutes plus tard, Sébastien appelle Arnaud : « J’ai perdu Raphaël ! » Il est toujours à la gare, en train de me chercher, évidemment, comme font les gens normaux qui s’inquiètent pour vous. D’après Arnaud, il est furax. Il arrive trois quarts d’heure après. Pour lui aussi, les ennuis se sont succédés : en voulant téléphoner, il s’est aperçu qu’il n’avait plus de carte de crédit. Il a vidé son sac, hors de lui, jusqu’à ce qu’un agent de la RATP qui avait retrouvé sa carte n’intervienne. Puis, dans le métro, il a voulu se rafraîchir avec une bonne rasade de visne… Le métro a freiné, la chemise de Sébastien a été imbibée de jus de cerise et il a dû se changer dans le wagon. Carine va vraiment regretter de ne pas nous avoir accompagnés.

Enfin, nous sommes là, nous nous sommes renseignés par téléphone : il y a un train pour Laval à 8 h 05 demain. Nous achevons cette putain de journée en parlant d’Istanbul parce que quand même, merde ! Nous sommes de retour.

dimanche 8 juillet 2007

Voyage à Istanbul (14/15)

Samedi 19 juillet 2003.

Ca y est, notre dernière journée stambouliote est là : nous partons demain. La première partie de la matinée est consacrée à de nouvelles recherches, décisives cette fois, autour des bijouteries des environs de Sultanahmet. Nous finissons par nous décider pour un pendentif serti d’or blanc et parsemé d’aigues-marines. Le bijoutier encaisse notre argent et nous offre un thé pour conclure le marché. Nous retournons à l’hôtel déposer le bijou, puis nous redescendons.

Il y a encore un coin d’Istanbul que nous ne connaissons pas, un petit coin en bas à gauche sur la carte : Yedikule. Un tramway nous en rapproche en quelques coups de rames. Nous descendons en direction de la Marmara et, debout sur la digue, nous suivons à distance les murailles byzantines jusqu’à la première porte de la ville, large ouverte aux voitures et aux camions. Nous traversons la rue et continuons à suivre les remparts jusqu’à Yedikule, le Château aux sept tours, enceinte fortifiée qui abritait les défenseurs de Constantinople. Nous n’y entrons pas, l’extérieur nous suffit : belle ruine qui garde encore sa dignité, serpent rose à sept têtes couché devant la ville… Ce que nous voulons voir, c’est la Porte Dorée, qui servait à l’entrée des empereurs victorieux dans la ville. Nous ne savons pas trop à quoi elle ressemble ni où la chercher, mais en suivant le Guide nous tombons dessus après quelques valses-hésitations : perdue au milieu d’un tas de broussailles sèches, pathétique avec ses deux colonnes aux chapiteaux corinthiens, un peu écrasée par sa propre splendeur passée, comme une vieille femme qui fut trop belle et veut se laisser crever discrètement, toute seule, elle se tient là toute conne, dans l’herbe folle qui la grignote, fermée de bronze, l’interstice entre les deux battants de la porte permettant à peine de jeter un œil sur ce qui reste de l’Arc de triomphe aux trois arcades, désormais murées. Voilà.

Nous entrons de nouveau dans le quartier de Yedikule, achetons une bouteille d’eau au passage et poursuivons notre route, sans trop savoir où nous allons, à la recherche improbable d’un bus qui nous mènerait à Eyüp.

C’est ainsi que, sans l’avoir voulu, nous nous retrouvons à Findikzade, là où nous avait laissés le tramway. Au moins nous savons où nous sommes. D’une passerelle sur laquelle nous traversons le boulevard, nous voyons en bas passer les bus. Aucun ne semble aller en direction d’Eyüp. Eminönü, Topkapi, Taksim, Beyazit… En dernier recours je propose à Sébastien de prendre un taksi et nous voilà, pour une somme modique, devant la mosquée d’Eyüp. Nous tentons de prendre quelques photos de personnages typiques de la ville (des femmes voilées de noir pour Sébastien, un attroupement de pigeons pour ma part) et montons en direction du café Pierre Loti par le cimetière. L’ascension se fait très rapide : nous étions venus par le plus long chemin la semaine dernière.

Cette fois toutes les tables sont occupées, il y a des gens qui attendent au soleil, d’autres à l’ombre, devant la Corne d’Or. Nous faisons quelques achats, des cartes postales de Loti en gentilhomme turc égrenant son chapelet ou déguisé en bédouin, moi Les Désenchantées et Sébastien Constantinople en 1890. Nous retournons sur la terrasse et attendons un certain temps qu’une table se libère. Lorsqu’enfin c’est le cas, nous nous y installons. Pour la vue sur la Corne d’Or, on repassera (on n’aura pas le temps) : les arbres nous la cachent. Tant pis. Deuxième thé de la journée et nous redescendons par où nous sommes venus, quittant une fois pour toutes ce petit café à flanc de cimetière.

Le bus nous ramène à Eminönü et nous slalomons entre les corps humains, les chaussures, les ceinturons, les tissus : ce n’est plus un marché, c’est une forêt vierge. Je ne peux résister à mon nabisme profond et m’achète un chapelet, un tesbik, près de l’hippodrome. Nous nous faisons photographier devant Sainte-Sophie et nous nous prélassons dans l’herbe de l’hippodrome, devant une famille entière en train de grignoter des graines de tournesol. On se paye deux verres de jus de citron et Sébastien achète du café turc avant de rentrer à l’hôtel.

Dernière soirée au Doy-Doy, je reprends un Bagdat Kebap. Derniers coups d’œil à la vue sur le Bosphore, à la vue sur Sultanahmet, à la vue sur le chantier quelques mètres sous la terrasse, les ouvriers soudant sans cesse (c’est fou le nombre de gens en train de souder que nous aurons vus à Istanbul ! Je ne sais plus si j’ai noté ça…), trimballant des poutres, l’un d’eux escaladant la sienne, de poutre, pour prendre le plateau de thé que lui tend le serveur du Doy-Doy… Cette faune-là nous manquera. Cet endroit nous manquera, nous y avions nos habitudes. Un riz au lait et le troisième thé de la journée, le dernier dans ce restau… Nous avions l’habitude d’entendre les muezzins psalmodier à contre-temps, celui de la Mosquée Bleue commençant plus tôt que celui de la Petite Sainte-Sophie ; la petite musiquette du restau, toujours la même, mélangée aux refrains langoureux du chanteur quelques mètres plus loin, à la terrasse d’un autre café…

samedi 7 juillet 2007

Voyage à Istanbul (13/15)


Vendredi 18 juillet 2003.


Habituel petit déjeuner à l’hôtel, vers dix heures. Derrière nous s’installent deux brunes, anglaises peut-être, dont l’une a un assez joli minois et une assez jolie poitrine, et l’autre pas de culotte sous son pantalon de pyjama rouge. Elle nous montre la raie de ses fesses alors qu’elle est assise. Thank you, miss.

D’Istanbul, nous n’avons plus grand-chose à découvrir. Il y a tout ce qu’on n’a pas vu bien sûr, et qu’on ne verra pas. Mais il s’agit surtout maintenant de retourner sur les lieux que nous avons aimés, que nous aurions aimé connaître mieux. Petite promenade tranquille à l’ombre du parc de Gülhane, près de l’église Sainte-Irène. De là nous allons sur la Pointe du Sérail, devant la statue d’Atatürk qui fixe on ne sait trop quel point de l’horizon. Nous observons un peu le trafic des bateaux sur l’embouchure de la Corne d’Or, sous un ciel un peu terne, puis nous longeons les remparts en direction de la Petite Sainte-Sophie. Une petite erreur d’orientation et nous nous retrouvons, surpris, devant la terrasse du Doy-Doy. Nous bifurquons et nous sommes poursuivis par un gérant d’hôtel qui veut nous proposer une chambre. Je lui dis en anglais que nous avons déjà un hôtel, il veut savoir son nom et « how much ? » Sébastien rigole et conclut : « We leave tomorrow… » L’autre n’insiste pas mais continue de nous suivre, comme s’il voulait prouver que s’il était sorti de son hôtel ce n’était pas pour se précipiter sur nous, qu’il avait vraiment quelque chose à faire dehors…


Arrivés devant la Petite Sainte-Sophie, je manque m’étaler de tout mon long en trébuchant sur un pavé ou une bulle de fer fixée dans le sol pour stopper les voitures. Je ne sais pas comment j’ai fini par retrouver l’équilibre, mais je sais que l’espace d’un instant je me suis retrouvé parallèle au sol et que les deux parallèles, pour faire mentir la règle, n’ont pas été très loin de se rejoindre. Il aurait sans doute fallu filmer la scène et la repasser au ralenti pour percer à jour le mystère des lois de la gravité…


Deux ouvriers malins qui travaillaient à l’intérieur de la mosquée en plein ravaudage (comme sa grande sœur) nous demandent à tous les deux un million de livres turques pour monter sur la galerie et regarder l’intérieur. A contrecoeur, nous nous exécutons – allez discuter avec des Turcs… - et pouvons donc voir les monogrammes de Justinien et de l’impératrice Théodora, la frise en grec qui s’étend le long des murs de la galerie, et les dégradations surtout, dues à l’humidité et à la fragilité du terrain. La moitié de la mosquée est envahie par des échafaudages, comme l’autre Sainte-Sophie.


Nous continuons notre route jusqu’au Grand Bazar, dans lequel nous nous enfonçons à la recherche de souvenirs. J’ai déjà quelques idées de cadeaux, notamment pour ma mère et pour Maëva, mais c’est surtout Carine qui nous pose problème, à Sébastien et à moi. L’atmosphère est très vite irrespirable dans le Grand Bazar : nous ressortons sur le parvis de la Mosquée Neuve et traversons le pont de Galata, non sans avoir acheté un verre de jus de cerise à un porteur en costume traditionnel, avec son harnachement de quincaillerie dans le dos… Le Tünel nous porte sur Istiklal Caddesi et nous continuons notre quête en plein air, sous le soleil. Je trouve assez vite un livre sur Istanbul pour ma mère ainsi qu’une petite enluminure, et nous cherchons ce qui pourrait plaire à Carine. Un bijou ou une peluche, c’est ce qu’elle nous a dit, et nous penchons plutôt pour le premier choix. Pour mon frère et pour les Vannier j’achète une boîte de loukoums dans la même pâtisserie que celle où nous les avions pris la dernière fois puis, dans un magasin de jouets, j’achète une poupée qui fait la danse du ventre pour Maëva. Elle n’est pas très belle, cette poupée, mais comme Maëva adore la danse du ventre…


Nous nous posons dans le Coco-Gramofon, je commande un jus d’orange pressé et Sébastien une bière. Il tente de photographier le chat du patron qui se lèche sans s’occuper du reste et finit par s’endormir. Nous terminons par un café turc et retournons sur Eminönü. Dans le souterrain qui passe sous le tablier du pont, je sens qu’on ouvre la fermeture d’une pochette de mon sac. Je me retourne : deux jeunes morveux prennent un air innocent… Désolé, les gars, ce n’est pas là que je planque le magot ! Nous traversons de nouveau le Grand Bazar et lorgnons sur les devantures des bijouteries. Toujours rien. Ca devient énervant, ça fait plusieurs heures qu’on cherche en vain. Un type, hilare, se touche le menton en fixant ma barbe : « Hey ! Religious man ! » On retourne à l’hôtel, on essaie de résoudre le « problème Carine », de nous mettre en mesure de trouver ce qu’on cherche demain matin au plus tard.


Retour au Doy-Doy, bondé ce soir. Je prends un Iskender, il met une bonne demi-heure à arriver. A côté de nous s’assoient un homme et trois femmes qui s’expriment en anglais. La plus proche de moi est une blonde trop bronzée à la peau recouverte de taches de rousseur. Minijupe et décolleté, seins d’un calibre intéressant, mais bof… Elle commence à faire un scandale aux serveurs parce que sa commande est longue à arriver. Nous commandons des kadayif en dessert, pâtisserie extrêmement sucrée et pleine de sirop, assez proche du baklava. Toutes les pâtisseries sucrées ont l’air d’être assez proches, d’ailleurs…


Nous assistons encore à un feu d’artifice au loin, sans l’entendre. Sébastien est pris de fou rire à cause d’un serveur qui ne cesse de courir de table en table et que nous rebaptisons Marielle Goitschel. Nous goûtons au thé à la pomme : ce n’est décidemment pas du thé. Petit pourboire à l’un des serveurs en sortant et nous rentrons à l’hôtel où je me précipite aux chiottes pour me vider les intestins.

vendredi 6 juillet 2007

Voyage à Istanbul (12/15)


Jeudi 17 juillet 2003.


Que penser d’une journée qui commence par un affront tel qu’un rab de pastèque longtemps attendu, qui arrive alors que nous avons fini notre petit déjeuner et que nous remontons dans notre chambre ?

C’est une bonne journée, contre toute attente : il faut profiter de nos derniers jours à Istanbul. Le vapür nous attend, aujourd’hui, pour une heure de traversée, du Bosphore à la Marmara, jusqu’aux Iles des Princes. Le ciel est couvert, brumeux, les rives de Constantinople sont assez vagues, au loin, et le bateau file droit devant lui, attirant quelques mouettes curieuses qui battent des ailes à rebrousse-vent. Nous laissons la rive asiatique s’éloigner, le vapür fait quelques escales dans les îles avant de nous déposer au terminus : Büyük Ada.


Voilà une île-colline, dressée dans la mer, où l’on ne voyage qu’à pied, à vélo ou en calèche. C’est le fin du fin, la calèche : tous les touristes s’y précipitent, pour faire le tour de l’île. Nous, éternels frappadingues, nous le faisons à pied, en suivant l’odeur du crottin. Longtemps nous croisons les calèches, puis nous les semons à un embranchement, alors que les chevaux et les passagers s’abreuvent. Nous suivons des chemins de pinède avec l’impression parfois d’être seuls au monde, la Marmara nous apparaissant entre les arbres. Seuls, de loin en loin, une calèche ou un camion. Nous aurons vu une voiture et deux camions en tout. Que c’est reposant ! Nous mettons à peu près trois heures, sans nous presser, à faire le tour de l’île, sous le soleil, sans ombre, sur une route qui monte sans cesse, quoiqu’en pente assez douce. Sur le chemin du retour, nous comprenons que pour atteindre le sommet et voir d’un peu plus près le monastère Saint-Georges, il nous aurait fallu prendre un autre chemin après l’embranchement évoqué. Tant pis, puisque le but était avant tout de bien marcher, de risquer l’insolation ou, pour Sébastien, l’amputation des deux pieds (très tendance à Istanbul).


Une fois ce petit tour achevé, nous retournons à l’embarcadère pour rejoindre une autre île : Heybeli Ada. Le vapür met du temps à se remplir et part avec une bonne demi-heure de retard sur l’horaire. Pour quinze minutes de trajet, c’est un peu cavalier. Et en parlant de cavalier, les calèches sont encore légion sur cette île, mais plus question pour nous d’en faire le tour : nous espérons ne pas rentrer trop tard sur Eminönü. Nous voulons juste faire une petite promenade, mais nous sommes refoulés quelques mètres plus loin alors que nous avons sans le vouloir dépassé une barrière. Il faudrait payer pour aller plus loin : non merci. Nous revenons sur nos pas, tournons sans conviction dans une ou deux rues : il n’y a rien à voir sur cette île truffée de plages payantes en béton, véritable piège à touristes. Alors nous nous installons à une terrasse de café, choisie parce que le garçon n’est pas venu faire le rabatteur (c’est juste qu’il n’a pas eu le temps de le faire, bien sûr, mais c’était notre plaisir d’aller nous y asseoir sous les yeux des garçons de café voisins qui, eux, s’étaient précipités à notre rencontre…). Sébastien boit deux jus de cerise, moi un jus de pêche et un ayran. Et nous allons attendre le vapür du retour. Et nous attendons très longtemps, sur le quai d’embarquement, en plein soleil. Je remarque qu’une fille assise contre un mur a l’air d’avoir du mal à respirer. C’est d’abord son décolleté que j’ai remarqué, puis qu’elle avait du mal à respirer. Elle a quelques crises de larmes, je la sens proche du malaise. Quand, au bout d’une bonne heure de cette attente, notre ferry apparaît, la fille, debout devant Sébastien, se décide enfin à tomber dans les pommes. Sébastien la maintient debout, une femme lui donne à boire et lui verse de l’eau sur la tête. La fille est confiée à l’homme qui s’occupe de l’embarquement.


Comme il y a foule dans le vapür nous nous installons à l’intérieur et non dehors, sur le ponton, comme on le fait généralement. Le soleil brûlant du soir me fatigue. Il n’y a pas d’air là-dedans. Sébastien a la cote avec les filles aujourd’hui : une fillette vient jouer à se lancer dans ses jambes, une autre l’interpelle… Moi, j’attire les obèses et les personnes âgées, qui viennent s’asseoir avec moi. Les vendeurs de simit croisent les vendeurs de glaces, qui croisent ceux de boissons fraîches, qui croisent ceux de cigarettes, qui croisent un violoniste bigleux qui ne sort aucun son de son instrument… Il y a même un vendeur de ventilateurs de poche qui fait son baratin (et ça marche), puis un vendeur d’éventails qui fait le sien avec la voix de Toshiro Mifune (et ça ne marche pas). Il y a aussi un type qui vend un petit miroir de poche… Tout ça dans un espace très étroit !


En arrivant à proximité de la rive européenne, nous sortons prendre l’air sur le pont et regarder le soleil rouge commencer à se coucher au-dessus de la Mosquée bleue, puis sur les hauteurs d’Eyüp alors que nous accostons. Un deuxième vapür vient s’arrimer au nôtre, nos regardons la manœuvre avant de descendre.


Nous prenons le tramway jusqu’à Sultanahmet, par indulgence pour nos pieds, et nous retournons manger au Doy-Doy. En chemin, Sébastien se fait accoster par une fille qui a quelque chose à vendre et lui dit : « Unchain my heart ! It means I love you ! » Décidément !...


Par négligence, je commande au Doy-Doy le même plat que la dernière fois (karasik pide), mais tant pis, puisque c’est bon. En dessert, nous goûtons au baklava, pâtisserie fourrée et très sucrée. Enfin, nous commandons un thé au kiwi, liquide vert fluo, plein de colorants. Ce n’est pas mauvais, mais en quoi est-ce du thé ?


Il nous manquera, ce petit restau dont la terrasse donne d’un côté sur le Bosphore, de l’autre sur la Mosquée Bleue…

jeudi 5 juillet 2007

Voyage à Istanbul (11/15)



Mercredi 16 juillet 2003.


Le réveil sonne à 4 heures du matin : nous voulons voir le soleil se lever depuis le pont de Galata. Istanbul à quatre heures du matin, aperçu : le camion des éboueurs qui ramassent des sacs poubelle éventrés qui semblaient faire partie du paysage ; trois chiens errants ; un taksi noctambule en maraude qui, en nous voyant, klaxonne pour se signaler ; un gosse d’une douzaine d’années qui dort sur la passerelle qui mène à Eminönü en surplombant le trafic routier inexistant à cette heure ; quelques pêcheurs, déjà, sur le pont. Le jour commence à poindre derrière la rive asiatique, mais ce n’est qu’à six heures moins vingt, alors que nous désespérions de le voir paraître, pensant que le ciel était trop couvert, de toute façon, pour qu’on en profite, que derrière le pont du Bosphore apparaît enfin le cercle rouge que nous attendions. Nous faisons quelques photos et lorsque le soleil est enfin complètement levé, c’est nous qui rentrons à l’hôtel nous recoucher trois heures.


Un peu plus tard, nous revoici à Eminönü, un bon petit déjeuner dans le ventre et quelques heures de sommeil en plus dans les jambes. Cette fois, nous prenons le vapür pour Üsküdar. Un trait rapide sur le Bosphore, nous passons devant le palais de Dolmabahçe et atteignons très vite notre cible.


L’Asie, enfin !... Ses taxis jaunes, ses débarcadères, ses marchands de poisson. Dix minutes pour passer d’un continent à l’autre !... D’un Istanbul l’autre !... La mosquée de Mirimah, construite par Sinan pour la fille de Soliman le Magnifique, se trouve juste en face du débarcadère. Nous commençons à nous déchausser, comme d’habitude, mais un vieil homme en train d’égrener son chapelet nous fait un signe. Je comprends qu’il nous dit de ne pas entrer, mais Sébastien me dit : « Mais non, il te bénit ! » Je ne vois pas pourquoi on me bénirait parce que je me déchausse avant de pénétrer dans une mosquée, mais admettons. Nous soulevons la bâche verte qui masque l’entrée et constatons que la porte est fermée. Voilà ce qu’il essayait de nous dire, tout bêtement.


Plus loin nous trouvons la Nouvelle Mosquée, celle de la Sultane-mère, bâtie par Ahmet III en 1710. Nous y entrons, des fidèles sont en train de prier. Nous jetons un œil avant de repartir. Nous avons un peu plus de mal, bizarrement, à dénicher la mosquée de Semsi Paça, pourtant sur les bords du Bosphore. Elle est fermée et semble un peu délabrée, d’après l’aperçu que nous en avons à travers les fenêtres.


Nous continuons, car il faut continuer. Longeant la rive, nous octroyant quelques pauses au bord de l’eau, pour regarder passer les supertankers et se baigner quelque inconscient entre deux rochers, nous marchons en direction du palais de Beylerbeyi. Nous regardons passer les yali le long de notre chemin, certains très luxueux, d’autres en ruines. Pour dépasser le pont du Bosphore, nous devons traverser le tunnel routier, et nous nous retrouvons de l’autre côté du palais. Ce n’est qu’en empruntant un petit sentier à flanc de colline que nous pouvons atteindre l’entrée. Fouille de nos sacs, détecteurs de métaux, Sébastien est prié de déposer nos appareils photos à la consigne. Tout cela, nous commençons à en avoir l’habitude. La femme-flic qui s’occupait de la fouille s’improvise guide (en anglais) alors que je regarde des photos de Dolmabahçe accrochées au mur en attendant Sébastien. Nous suivons un long couloir de pierre décoré de photos de façades stambouliotes et débouchons dans les jardins du palais. Une guide nous informe qu’il faut patienter une vingtaine de minutes avant la visite en anglais. Nous passons donc le portail qui mène directement sur le Bosphore, et nous nous asseyons, regardant de nouveau passer les supertankers sous le pont suspendu du Bosphore.


Avant de profiter de la visite, l’heure venue, nous devons encore revêtir nos chaussures de sacs plastiques. Le guide parle un très bon anglais, ce n’en est que plus agréable. Joli petit palais d’été du sultan Abdülaziz. Beaucoup de peintures de bateaux, le péché mignon du pacha. Le palais est rafraîchissant par son air de simplicité (simplicité de sultan quand même !), cristal de Bohème mais faux marbre, plaqué or, etc. Ce qui repose aussi, c’est la diversité des styles : ottoman bien sûr, mais meubles de Paris, porcelaines de Limoges, vases du Japon… Et de chaque fenêtre, voir rouler le Bosphore…


La visite finie (Sébastien regrette que nous n’ayons pas eu la guide qui s’occupait du groupe suivant – moi aussi, je préfère les femmes aux hommes), nous prenons un jus de pêche (en bouteille) au café situé dans l’enceinte du palais. Le patron nous laisse tranquille, occupé qu’il est à discuter sous une sorte de kiosque ombragé.


J’ai envie de voir le cimetière immense de Karacaahmet, et pour le rejoindre nous décidons de monter plus haut sur la colline et de redescendre le moment venu. Nous passons encore dans des rues qui n’ont pas dû voir passer un touriste depuis au moins vingt ans, et gagnons la nationale Nuh Kuyusu, jetant un œil au cimetière arménien. Pour ne pas suivre bêtement la nationale qui longe le cimetière que nous voulons voir, nous entrons de nouveau dans les petites rues, faisons quelques détours sans trop nous éloigner, et remontons vers la nationale au moment où commence le cimetière.


Cimetière immense, en effet, qui se poursuit le long de nombreuses rues, et dont nous ne voyons que quelques allées. Nous le suivons donc encore longtemps, voyant apparaître les tombes entre les barrières de pierre qui l’entourent, et nous redescendons en direction du quartier de Harem, où se trouvent un embarcadère et une gare routière. Nous nous prélassons au bord du Bosphore, toujours, la Tour de Léandre sur notre droite, et nous évoquons les voyages à faire plus tard : des villes italiennes sans doute, et l’Islande qui attire Sébastien autant que moi. Les Pays de l’Est aussi, des villes russes…


Après être resté une demi-heure ainsi, Sébastien reposant ses pieds laminés par les ampoules, moi une cheville douloureuse, nous reprenons notre route en direction d’Üsküdar. Retour au point de départ, pour manger. Nous entrons au Kanaat Lokantasi, grand restaurant qui fait luxueux, mais où les plats déjà préparés sont servis deux minutes à peine après avoir été commandés. C’est très bon, il n’y a rien à dire. En dessert, Sébastien prend une pâtisserie dont il ne comprenait pas le nom en anglais dans le menu, moi une simple crème à la vanille.


Retour au vapür, retour à Eminönü, sur le Bosphore rempli de bateaux, de supertankers, de navettes, d’autres vapürs. Pour accoster, nous devons passer d’un bateau à l’autre avant de se retrouver à quai.


Avant de retourner en France, nous tenions à goûter au raki. Nous nous installons donc à la terrasse du café près de notre hôtel, le serveur ôte de la table le narghilé qui y trônait et apporte nos verres. C’est une sorte d’anisette à 45°, à couper avec de l’eau, comme le pastis. Pour nous qui ne buvons jamais, ça chauffe. D’ailleurs nous finissons notre verre un peu vite, songeant que plus tôt nous serons débarrassés de cette horreur, mieux nous nous porterons. Nous sommes un peu joyeux en rentrant à l’hôtel, mais c’est surtout la tête qui me tourne : j’ai l’impression d’avoir de la salade de fruits à la place du cerveau. Pas facile de tenir un journal dans ces conditions…

mercredi 4 juillet 2007

Voyage à Istanbul (10/15)

Mardi 15 juillet 2003.

La belle journée que voilà ! Par comparaison avec celle de la veille, elle ne peut qu’être magnifique ! C’est la première fois que nous allons prendre le bateau, le vapür, sur le Bosphore. Sébastien a retrouvé ses deux oreilles, c’est bon signe. Nous partons vers l’embarcadère d’Eminönü, frais et confiants, dédaignant les opportunistes qui veulent nous vendre des jetons pour la traversée au-dessus du prix réel, les vendeurs de simit, ceux de jus de fruits, les marchands de glace en costume folklorique, etc. Mais voilà, arrivés au guichet pour l’embarquement en direction de Besiktas, nous apprenons que le prochain vapür n’est qu’à… 18 h 30 ! On cherche donc vraiment à nous contrarier…

Qu’à cela ne tienne, nous changeons nos plans : nous pensions débarquer à Besiktas, visiter le palais de Dolmabahçe puis remonter vers Galata pour enfin profiter de la librairie de l’Institut français… Nous ferons le contraire.

Nous empruntons donc une nouvelle fois le pont de Galata, prenons le Tünel et traversons Istiklal Caddesi sous les refrains, toujours les mêmes, de Tarkan, sortant des enceintes des marchands de disque. L’Institut français est ouvert, nous entrons. Ca, une librairie ? Ce n’est pas possible, ils nous ont montré le dépôt, c’est tout ! Quelques livres hors de prix sur l’histoire d’Istanbul, et quelques livres de poche. Des bandes dessinées et des livres pour enfants, surtout. Misère. Bon, nous avons le droit de visiter, c’est toujours ça, à condition de montrer son sac au gardien et de passer aux détecteurs de métaux. Visite éclair : quelques photographies, quelques tas de pierre considérés sans doute comme des sculptures (moi qui croyais que sculpter, c’était justement travailler la pierre…), et les cartes d’une ville canadienne, sans doute un jumelage. Que faire d’autre ? Un café nous tend les bras : rien moins que le Flore, ici même, au sous-sol de l’Institut français d’Istanbul. Un jus de fraise (en bouteille) plus tard, nous ressortons du bâtiment sans avoir beaucoup moins soif. Après être retournés dans la papeterie où nous avions acheté la carte de Carine pour, cette fois, m’acheter un plan d’Istanbul, nous redescendons vers la rive du Bosphore et marchons en direction de Dolmabahçe. C’est tout droit, il suffit de longer la rive. Une petite halte dans un parc près d’une mosquée, et nous allons voir le Bosphore d’un peu plus près, humer son haleine pas fraîche, observer le manège des bateaux et surtout, tout près de nous, à quelques coups de rames : l’Asie. Ca fait quelque chose, mais ça ne fait rien. Continuons.

Quelques mètres plus loin, nous arrivons à la mosquée de Dolmabahçe, face à la Tour de l’Horloge. Baroque en diable, tout ça, faux marbre et trompe-l’œil. La mosquée est assez vaste, elle fait face au Bosphore et ses minarets passent pour être les plus fin du monde – crayons Conté bien taillés érigés vers un ciel d’encre turquoise…

Enfin, le palais de Dolmabahçe, dans le même style pompeux, grossier, bonbon rose sur le Bosphore. Nous payons la visite du palais et du harem, et nous devons laisser nos appareils photo à l’entrée. Nous devons aussi recouvrir nos chaussures d’un sac plastique bleu très seyant, pour ne pas abîmer les planchers d’époque. Mais comme nous marchons sur des bandes de tapis qui délimitent bien le trajet à suivre…

Notre guide nous fait visiter les pièces d’une palais d’une allure assez sportive, d’autant que nous sommes nombreux et qu’il y a pas mal de pièces à voir. Entre les vases moches offerts par Guillaume II, les lustres et les poignées de porte en cristal de Baccarat, les ours polaires transformés en tapis, dégringolade d’or et de clinquant, d’une vulgarité très digne. Quand je pense que Loti y a été invité par Abdülhamit…

Après cette première visite, on nous informe que celle du harem ne pourra se faire que dans vingt minutes. Comme par hasard, pour patienter, il y a un petit café et, comme par hasard, les prix y sont plus chers qu’ailleurs. Nous prenons des bouteilles d’eau.

De nouveau, nous chaussons nos sacs plastique et entrons dans le harem, suivant un autre guide qui se sent obligé de nous expliquer longuement tout ce qu’on va voir (en se répétant plusieurs fois) et de nous le réexpliquer chaque fois que nous entrons dans une nouvelle pièce. Entre les chiottes, les hammams (celui du palais puis celui du harem), les appartements de la sultane-mère et la chambre où Atatürk est mort… Cavalcade de couloirs en couloirs pour voir des pièces toujours identiques : des lits à baldaquin et des poêles ornés de fioritures… Tout cela est très joli.
Sortis du palais, nous continuons notre chemin jusqu’à la mosquée d’Ortaköy, au bord de l’eau comme celle de Dolmabahçe, et construite par le même architecte. Des musulmans sont en train de prier quand nous entrons. Comme à notre habitude, nous nous asseyons sur la moquette pour contempler la mosquée sans gêner les fidèles. Autour d’elle, devant le Bosphore, s’étire une place jonchée de terrasses de café. Nous en choisissons une, buvons un jus de cerise (en bouteille). Ce qui est pénible, à Istanbul, c’est cette façon qu’ont les serveurs de débarrasser la table sitôt qu’ils voient que tu as fini. Voyant que je ne me servais pas de ma paille, l’un d’eux me l’a enlevée pour la jeter quelques mètres plus loin dans une poubelle. Plus tard, il est venu agiter ma bouteille pour constater qu’elle était vide et la jeter également.

Comme nous n’en sommes plus très loin, nous allons jusqu’au gigantesque pont du Bosphore en longeant des yali, ces maisons hors de prix qui s’étalent sur la rive, yali transformés en hôtels de luxe, en piscines, ou laissés à l’abandon. Nous passons aussi devant l’Université de Galatasaray. 64 mètres au-dessus du niveau de la mer, donc : le pont suspendu sur le Bosphore. Du beau boulot. Très laid, très bombardable, mais immense. J’aime assez le colossal, ce qui oblige à lever la tête.

Nous avons vu ce que nous voulions voir, il est temps de chercher un coin pour manger. Nous finissons par dénicher un petit bar-restaurant. L’une des serveuses, comme le constate Sébastien, est « avenante ». Malheureusement, ce sont des hommes qui nous servent. Sébastien se retrouve avec un plat auquel il ne s’attendait pas : épinards et yoghourt (il déteste le yoghourt) et moi, modestement, avec ce que j’ai commandé : des saucisses-frites. Pas de porc, évidemment, dans ces saucisses-là. Sébastien se tache avec son jus de cerise (en bouteille) : la poisse nous aurait-elle suivi jusqu’ici ?

Il semble bien, puisque de retour après ce frugal repas (pour une fois, nous avons pris un dessert), nous constatons que tous les guichets sont fermés pour repartir en bateau à Eminönü. Et à pied, bien sûr, c’est très loin. Nous partons tout de même, un peu dégoûtés et ne sachant pas trop à quelle heure nous rejoindrons notre hôtel. La nuit tombe déjà, nous surprend en chemin, quand je propose à Sébastien, aux environs de Dolmabahçe, de prendre un taxi pour Galata et de finir à pied ensuite. Nous trouvons mieux : le bus, tout simplement. Nous en attrapons un au vol, mais je ne trouve plus le ticket acheté jeudi et c’est un bus rouge. Je sue à grosses gouttes – ça m’est habituel – en fouillant mes poches, en vain. Je donne donc un billet au chauffeur qui me passe son porte-clefs. Je ne comprends pas ce qu’il me veut, mais un covoyageur prévenant s’empare du porte-clefs et insère un bouton qui se trouvait dessus dans le trou prévu à cet effet d’une machine enregistreuse, et voilà.

Nous sommes donc de retour à Eminönü, un peu fatigués, il faut le dire, de cette journée qui ne pouvait qu’être magnifique.

mardi 3 juillet 2007

Voyage à Istanbul (9/15)


Lundi 14 juillet 2003.


Il y a des journées qui dès l’aube s’efforcent de te prouver que tu n’aurais pas dû te lever. Empruntant une nouvelle fois le funiculaire pour Galata, nous aurions dû nous douter pourtant que nous allions au devant de graves désillusions : ce n’est pas une destination qui, jusque là, nous a particulièrement souri : le spectacle des derviches trop cher, l’Institut français refusant de nous faire entrer, etc. Mais, comme la mouche qui revient sans arrêt se cogner à la même vitre sans comprendre qu’elle ne peut pas la traverser (selon une image chère à Jaenada) nous voilà de retour sur Istiklal Caddesi. Nous parcourons l’avenue jusqu’à la place de Taksim où se regroupent les membres d’un défilé folklorique que nous avons suivis malgré nous, défilé regroupant des musiques et des danses venues de Grèce, de Russie, de Roumanie, etc. Très militaire, tout ça. Alors les voilà, place de Taksim, à faire rouler le tambour sous la double statue d’Atatürk (époque moustaches à l’est, époque sourcils à l’ouest). Nous cherchons l’Opéra. Aucun bâtiment autour de nous ne nous fait penser à un Opéra, alors nous poursuivons nos recherches plus loin, traversant un parc, revenant sur nos pas, partant dans une autre direction… avant d’admettre enfin que l’Opéra, dont le bâtiment comprend aussi le Centre culturel Atatürk, c’est cet immonde immeuble de verre marron, là, qui fait plutôt bureau de la Sécu. Nous essayons de voir si nous pouvons y entrer, à tout hasard, mais le cerbère de l’entrée nous fait signe de partir. De retour sur Istiklal, nous essayons d’entrer au Consulat de France, pour profiter de la librairie. Mais là encore, le vigile dans sa guérite nous met au parfum à l’anglaise : « Today, closed. Open tomorrow ! » Evidemment, nous sommes le 14 juillet ! Distraits que nous sommes…


Alors nous décidons d’aller voir de plus près l’Aya Triada, « l’une des plus grandes églises orthodoxes d’Istanbul, ouverte tous les jours », d’après le Routard. Nous la trouvons assez vite, puisque ses clochers sont visibles depuis la place de Taksim. Elle se cache derrière une grille, toute blanche et pleine de fenêtres : l’air d’un hôpital du XIXème siècle. Nous entrons dans le narthex, richement décoré, mais les portes de l’église sont fermées. On s’assoit sur les marches, on attend… et un type vient nous faire comprendre que c’est closed. On va en prendre l’habitude…


Nous nous mettons à chercher une église catholique arménienne, que nous ne trouvons pas, puis une mosquée rococo qui ne se montre pas plus. Nous devons être maudits, à faire des tours pour rien dans les rues de l’Istanbul moderne, pleine de bruits, de musique sortant des magasins, toujours les mêmes musiques, la même chanson… Tarkan, sans doute.


Au bout d’un moment, nous nous asseyons devant le consulat de Suède pour faire le point. Il est vite fait. Nous cherchons alors le consulat de Hollande, toujours sur la même avenue. Nous trouvons la grille, avec son blason « Je maintiendrai ». Nous prenons à gauche, une petite rue qui descend vertigineusement (il faudra remonter…), passons devant un temple calviniste, devant le lycée français Pierre-Loti et l’église capucine saint Louis-des-Français, devant le Palais de Venise, résidence de l’ambassadeur d’Italie. La rue ne descend plus, elle monte, c’est Cukurcuma Caddesi, rue dans laquelle doit se trouver le quartier des antiquaires. En fait d’antiquaires : deux ou trois strapontins de bois vermoulu, perdus tous seuls sur les pavés, un secrétaire et deux chaises. Au bas mot. En haut de la rue doit se trouver, toujours selon notre cher guide, la plus grande concentration de Français. Autant dire que de Français, à cet endroit, il y en avait deux : Sébastien et moi. Le Routard avait aussi annoncé la « jolie petite mosquée en bois », à droite sur votre écran. Pauvre mosquée vert pomme… Je déteste vraiment tout ce qui est « joli ». Sauf les filles, bien sûr.


Nous n’avons plus rien à faire ici, on ne va pas s’enfoncer non plus. Retour sur Istiklal, où nous cherchons une carte postale pour Carine et des enveloppes de la taille de nos cartes. Le magasin où nous sommes ne vend pas d’enveloppes, nous devons aller au bureau de poste… où une employée essaie de me faire comprendre par geste que je dois me renseigner ailleurs – avant de demander à un type de me guider jusqu’à la papeterie la plus proche. Nous avons donc nos enveloppes, nous poussons jusqu’au Pera Palas, devant lequel nous avons dû passer plusieurs fois sans savoir de quoi il s’agissait. Façade verte qui part en lambeaux, luxueux mastodonte fatigué. L’intérieur doit valoir le coup d’œil, pour tous ces culs sacrés qui ont posé leur pêche entre ces murs qui se craquellent… Zsa Zsa Gabor, Joséphine Baker, Marie Bell, Marinetti, Sarah Bernhardt, Agatha Christie, Atatürk, Mata-Hari, Marc-Edouard Nabe… Nous poursuivons notre chemin, retournons au Coco-Gramofon, commandons des jus de fruits et recopions nos cartes postales. J’ajoute un dessin à notre lettre à Carine. Enfin nous retournons à la Poste, cette fois pour y déposer notre courrier. Après que nous avons attendu un bon moment derrière un couple qui postait un tas de colis pour les Etats-Unis, la mégère qui nous avait vendu les timbres grogne que ceux-ci ne sont pas assez chers pour des cartes postales. C’est 700 000 et non 600 000, une carte postale. Pas la peine de s’énerver, on ajoute un peu de monnaie.


Il n’est que six heures du soir mais nous partons à la recherche d’un restaurant. Il y a des journées dans la vie qu’il vaut mieux éviter de prolonger inutilement. Après avoir encore un peu tourné, on entre au Musa Ustam, présenté comme une « référence » par notre cher, etc. Restaurant assez peu intéressant d’aspect et aux prix élevés. Comme nous ne sommes pas à l’heure d’affluence, les serveurs restent tous à regarder une telenovela quelconque, captivés par l’intrigue du machin. Comme des bouteilles d’eau nous sont apportées directement, sans que nous n’ayons rien demandé, et qu’il nous faudra les payer, nous renonçons à demander d’autres boissons. Il nous amènent aussi un léger hors-d’œuvre non réclamé et à payer. On commence à se sentir énervés par leurs manières, et par leur mépris du client (ils sont vraiment tous alignés, yeux écarquillés, devant leur daube cathodique). Nous mangeons nos kebabs, payons et quittons les lieux. Sébastien, depuis ce matin, est sourd d’une oreille et il y a plusieurs jours qu’il a suffisamment d’ampoules aux pieds pour illuminer tout Istanbul (qui en aurait besoin). Il boîte donc un peu, à l’unisson avec tous les éclopés que nous croisons : culs-de-jatte, unijambistes, manchots, borgnes, etc. A croire qu’il n’y a pas un seul pauvre intact en Turquie ! Et Sébastien de déclarer qu’une journée qui commence par une oreille bouchée, on a tout intérêt à l’expédier au plus vite. Je lui fais remarquer que la petite Mary Ingalls a dû penser peu ou prou la même chose le matin où elle s’est réveillée aveugle…


Oui, il y a vraiment des journées, même à Istanbul, où rester couché ou sortir de chez soi ne fait pas grande différence…

lundi 2 juillet 2007

Voyage à Istanbul (8/15)


Dimanche 13 juillet 2003.


Nous avons décidé de passer un dimanche calme. Visite de Sainte-Sophie le matin – l’intérieur du bunker. La nef est gigantesque, la coupole s’élève loin au-dessus de nos têtes, masquée en partie par les échafaudages de la restauration en cours. Sur la conque de l’abside, une Vierge à l’Enfant, superbe mosaïque byzantine à fond doré dont il ne reste qu’une partie, et sur la gauche l’Ange Gabriel. Tout est immense ici, et tout est doré. Ou l’était. Le temps a profondément abîmé tout ça, et les séismes successifs qui ont ravagé l’église se font sans doute encore sentir par endroits. J’avoue que comme tout le monde, je glisse mon pouce dans la colonne suante censée exaucer les vœux. Nous montons aux galeries par un large couloir pavé. Splendeur de la représentation du Jugement dernier : la Vierge à gauche, au centre le Christ, saint Jean-Baptiste à droite. Les croix latines du parapet de marbre ont toutes été grattées sous l’époque ottomane. Seul le bas demeure visible, formant autant de lances. Dans le narthex, des panneaux donnent une vague idée de la splendeur de l’endroit sous le règne de Constantin et à travers les âges. En sortant par le vestibule, nouvelle mosaïque sublime représentant une Vierge à l’Enfant à qui Constantin offre la ville de Constantinople, à droite, tandis que Justinien, à gauche, lui offre Sainte-Sophie.


Une fois sortis du bâtiment, nous retournons rue Divanyolu, cette fois avec le livre sur Loti dans les mains, pour retrouver la maison qu’il avait habitée en 1910 et sur laquelle une plaque fut apposée en 1920. Nous avons beau faire les cent pas dans cette rue assez brève, nous ne trouvons rien qui ressemble à la photo. Nous finissons par prendre un verre dans le (faux) café Loti, hôtel-restaurant minable aux allures de cafétéria. Un thé servi dans une tasse à café (mauvais goût du service), puis jus de pêche dans une boîte en fer (mauvais goût tout court), à l’européenne. Nous saurons à quoi nous en tenir.


Nous avons décidé de passer un dimanche calme. L’après-midi se passe à rédiger des cartes postales. Les brouillons plutôt, étant donné que les cartes achetées le matin sont trop grandes pour nos enveloppes. Jusqu’au soir nous rédigeons en duo une lettre pour Carine, qui aurait dû être du voyage (Carine, pas la lettre)…


Nous avons décidé de passer un dimanche calme. Nous partons à la recherche d’un hammam en suivant les conseils de notre guide (pas toujours très avisés). Tout d’abord nous trouvons le Old Turkish Bath, à la façade triste et fatiguée, aux murs en lézards. Il n’ouvre qu’à 20 heures, nous aurions un quart d’heure à patienter avec un Turc triste et fatigué, aux vêtements en lézards. Aussi gris que sa turne. Nous allons voir ailleurs. Et nos pas nous mènent tout naturellement devant le Cemberlitas Hamami, bain turc dont l’architecte fut notre cher Sinan. La fille de l’accueil est très mignonne, très blonde, très hôtesse de boîte de nuit. On lui donnerait 25 millions sans confession. C’est ce qu’on fait, d’ailleurs. Elle nous indique le coin des hommes, l’escalier qui mène au vestiaire. On croise quelques gras Turcs assis sur un banc, serviette autour de la taille, sous les plis du ventre. A l’étage un type nous indique notre cabine individuelle. Je me désape, laisse mes vêtements, entoure ma taille d’une serviette et descend rejoindre Sébastien dans la salle chaude. A demi allongés sur le marbre, nous perdons vite des litres de sueur. Liquides nous sommes, on en glisserait presque, sur la transpiration des autres. Ca pourrait créer des liens. Nous ne sommes qu’une seule sudation, énorme, une quinzaine de frères de sueur.


En attendant notre tour, nous regardons officier les masseurs. Petite intimidation pour le folklore : l’un d’eux enfile son gant de crin avec la gestuelle exagérée d’un chirurgien et plaf !, donne un grand coup de sa main libre sur sa sœur gantée, très lutteur en démonstration, ou rugbyman néo-zélandais entonnant le haka, comme le dira ensuite Sébastien. Le massage qui suit paraît plus doux, à proportion. Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les baquets d’eau vidés violemment sur le sujet : j’ai horreur de recevoir de l’eau dans les yeux, et déjà la sueur qui niagarate de mon front irrite ma paupière gauche. Visiblement, aucun de nos compagnons de misère ne veut partir au feu. Lorsqu’un masseur appelle son client, l’un d’eux, dans un grand geste chevaleresque du doigt, désigne son voisin pour qu’il aille se faire marteler le gras à sa place. Au bout d’une vingtaine de minutes à perdre les eaux, Sébastien et moi étions plutôt impatients de voir surgir nos bourreaux. On ne le dit pas assez, mais beaucoup de héros ne le deviennent que par lassitude. Ca tombe bien, le mien me fait signe avec un petit sourire pervers. Il me sert la main, comme un lutteur avant un combat, et tente une approche : « Where are you from ? England ? » Il m’allonge entre d’autres victimes plus ou moins consentantes. Entre-temps je me suis rendu compte que ma serviette était trempée et collée à mes petites fesses maigrelettes. Heureusement que je n’ai jamais eu beaucoup d’orgueil mâle…


Il ne me fait pas le coup de la baffe dans le gant de crin, il se contente de sourire et de me rapprocher du bord de la pierre en me faisant glisser sur l’eau du corps des autres. Et il attaque au gant, tranquillement d’abord, juste pour me nettoyer. Il va chercher le baquet d’eau, je ferme les yeux et splaf !, un bon litre d’eau tiède vient me fouetter comme un phoque sur la banquise. Il me fait asseoir, me nettoie les bras en me montrant d’un petit air rieur les dépôts de crasse que son gant arrive à enlever de mon corps, comme s’il voulait me culpabiliser, ce con-là. Et je m’allonge sur le ventre, la serviette n’est plus qu’une loque qui fait ceinture, il ne manquerait plus que tout le monde reluque ma petite bite… Je remarque qu’à l’autre bout du marbre, Sébastien aussi subit les derniers outrages. C’est bête, mais ça me rassure de savoir qu’on souffre entre amis. Après le nettoyage, j’attends le baquet d’eau en fermant les yeux, mais rien ne vient. Tiens ? Bizarre… Et voilà que mon masseur s’acharne sur mon dos, mes épaules, mes omoplates, qu’il descend jusqu’à mes mollets – et là j’avoue qu’un cri rauque sort de ma gorge, tout piteux, à peine un cri, une exclamation, rien. Quand on souffre, il n’y a rien à dire. Il me demande de me retourner, s’en prend à mon ventre, mon petit ventre rond tout neuf, acquis après des années de rachitisme ! Il le tourne dans tous les sens, lui fait prendre des aspects que je ne lui aurais jamais imaginé, l’aplatit, le pousse à droite, le tord à gauche, en lace une partie à droite et l’autre à gauche… Les jambes, de nouveau. Il passe sur mes tibias et appuie comme s’il voulait les broyer contre le marbre gluant. J’ouvre une bouche ronde sans pouvoir glapir, je dois avoir l’air d’un poisson rouge. L’autre mollet subit la même pression, mais qu’est-ce que je lui ai fait, à ce mec ? « Good ? » me demande-t-il en me lâchant les jambes. Et, effectivement, je me sens très bien une fois qu’il m’a lâché les jambes. Alors j’acquiesce. Il fait passer sur mon corps une sorte de filet rempli de mousse, enfin un peu de légèreté, de bulles… Il me fait lever, m’amène dans une petite encoignure, à côté de la source d’où il puisait son eau, et me fait asseoir. Ma serviette ne peut plus rien pour moi, et j’ai perdu toute dignité. Un shampooing d’abord, puis rinçage à grandes eaux, flaf !, sur la nuque. Le premier baquet était-il rempli d’eau brûlante ? Je l’ignore. Le deuxième, schiaff !, est nettement plus appréciable. « Good ? » me demande-t-il. « Good ! » réponds-je. Et splaf !, de l’eau glaciale pour achever les blessés !


Il me fait relever, me sert la main comme un lutteur après un combat, et m’amène vers Sébastien qui, dans son encoignure, n’en mène pas plus large que moi. Nous voilà donc nettoyés, récurés, essorés, rincés, propres. Ils nous indiquent une autre salle, nous poussons la porte et nous nous retrouvons dans le hall d’entrée où des employés nous entourent la taille d’une nouvelle serviette, sèche, et nous couvrent tête et dos avec d’autres serviettes, sèches. Ainsi accoutrés nous remontons vers nos cabines, et je manque de peu d’éclater de rire en apercevant ma tronche de chat mouillé dans le miroir qui fait face à la porte. Je dois être encore troublé puisqu’une fois rhabillé et prêt à partir, je file un pourliche de dix millions au type du room service qui me passe sur les mains une lotion au citron.


Nous avions pourtant décidé de passer un dimanche calme.


Plus calmes que nous, on trouverait difficilement, maintenant que nous voilà comme neufs. C’est ainsi que nous arrivons à l’Altin Kupa, petit restaurant proche de la Citerne-basilique, à la terrasse en pente raide. Très bonnes brochettes d’agneau, mais je laisse quelques légumes. Je ferais un très mauvais végétarien. Les prix sont assez élevés, mais encore raisonnables. Sébastien entend encore, sans le voir, un feu d’artifice derrière Sainte-Sophie dont on distingue les minarets. Décidément ! Hier, c’est sur la rive asiatique que nous en discernions un, sans l’entendre… Après notre repas, les serveurs nous apportent gratuitement un thé à la cerise. Etonnant, mais très bon. Nous sommes encore assez vaillants pour chercher des cartes postales de la dimension de nos enveloppes, sans succès. Tant pis, nous rentrons à l’hôtel, une bouteille d’eau à la main, et Sébastien essaie de découper au couteau les contours de quelques cartes postales. Ca marche pour certaines, pour d’autres le résultat est moins probant.