mercredi 15 juillet 2015

Exégèse de La Chenille

Interprétation œcuménique d’une œuvre exaltant
l’Amour inconditionnel de notre Seigneur Jésus-Christ

ou

Exégèse de La Chenille




Mes frères, mes sœurs,

            Nous sommes réunis en cette assemblée pour rendre hommage à Stanislas Ferron. Stanislas Ferron, un homme de foi, un homme de convictions, qui a toujours su s’investir sans compter pour notre paroisse. Stanislas Ferron, un homme de culture aussi.
            Bien sûr, nous sommes là pour fêter le quarantième anniversaire et demi de notre frère Stanislas. Mais j’aimerais, si vous le permettez, insister sur la place de la religion dans son sacré cœur. D’aucuns parmi vous diront qu’elle n’est pas si visible que ça, tout de même – d’autres iront jusqu’à ricaner doucement en se disant que pfff, hin hin, portnawak la religion l’autre, et puis quoi encore.
            Et pourtant, oui, la religion.
            Car la religion est entrée dans le cœur de Stanislas, oui, forant son poitrail d’un vilebrequin d’amour, par la grâce d’une chanson. Une simple chanson, d’apparence profane, et qui pourtant lui a ouvert en grand les Portes du Ciel, et lui a tendu le Tabouret de bar de la Jérusalem céleste, à portée de main de la Tireuse de nectar et d’ambroisie.
            Cette chanson, vous l’avez tous compris, c’est « La Chenille ».
            Vous riez ! « La Chenille », une chanson religieuse ? Portnawak, pfff, et puis quoi encore.
            Pourtant, quelle plus belle invitation au partage, à la paix, à l’amour inconditionnel ? J’aimerais revenir avec vous sur les paroles de ce poème sacré, faire l’exégèse de ce catéchisme queuleuliste[1].
            Les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Basile, qui se sont rebaptisés « la Bande à Basile » parce que c’était plus vendeur, font admirablement passer leur message œcuménique – il suffit d’être attentif aux paroles…

            Pose les deux pieds en canard
            C’est la chenille qui se prépare
            En voitur’ les voyageurs
            La chenille part toujours à l’heure

            Oui, la foi est un voyage, la foi est un abandon. Elle est une ouverture, comme ces deux pieds ouverts « en canard », prêts à recevoir l’offrande de la route qui s’étend devant eux. Le croyant est un voyageur, et cette chanson n’est rien d’autre qu’une invitation à la communion, la communion qui unira le croyant avec ses frères, tous ensembles, « en voitur’ les voyageurs ». L’homme de foi est partie d’un tout, non pas maillon d’une « chaîne », abominable image des fers, de l’emprisonnement – mais segment d’une chenille. Et qu’est-ce qu’une chenille, sinon une larve destinée à devenir papillon ? Nous ne sommes rien, au départ de ce voyage. Nous sommes larve, nous rampons misérablement sur cette terre – mais nous nous révèlerons papillon au bout du chemin, quand nous illuminera la Lumière du Christ. Je n’invente rien, tout est dit dans la chanson. Tenez, vous savez comment s’appellent les petits orifices qui permettent à la chenille de respirer ? Des « stigmates ». Intéressant, non ? Je continue.

            Accroch’ tes mains à ma taille
            Pour pas que la chenille déraille
            Tout ira bien et si tu veux
            Prie la chenille et le Bon Dieu

            Dois-je vous faire un dessin ? On retrouve l’idée de communion, d’union des âmes en un seul corps, celui de la chenille : « accroch’ tes mains à ma taille ». « Pour pas que la chenille déraille » ? Qu’est-ce que saint Basile veut nous dire par là ? Bien sûr, c’est l’idée du péché. Nous sommes pécheurs. Nous sommes faillibles. Mais c’est en acceptant l’autre, en s’abandonnant à l’Amour de Dieu, que nous sommes forts. Alors, oui, « tout ira bien ». Il suffit de « prier le Bon Dieu ». Mais aussi « la chenille », car accepter Dieu, c’est accepter tous les hommes, c’est s’accepter soi-même. On passe aux couplets.

            Si tu crois qu’j’t’ai pas vue
            Faire la p’tite ingénue
            Avec Pierrot dans le tunnel
            Allez sois pas jalouse
            C’est un copain, c’est tout
            Tu sais qu’nous deux c’est pas pareil

            Exercice difficile que l’exégèse de ce passage. Que faut-il comprendre ? Il est question de jalousie, de soupçon, d’un acte honteux et adultère commis dans un tunnel… Mais il est question de confiance, surtout : « Allez sois pas jaloux (…) Tu sais qu’nous deux c’est pas pareil » Pourquoi c’est pas pareil ? Parce que l’amour nous protège. L’amour de Dieu, bien sûr, pas celui du facteur. On continue.

            Eh ! Vous deux les pip’lettes
            Lâchez-nous les baskets
            Avec vos histoires de nanas
            On va être en retard
            Voici le chef de gare
            Qui nous fait sign’ pour le départ

            Évocation de deux « nanas ». Rien de plus biblique que cela, évidemment ! Il y a deux modèles de femmes dans la Bible : la Pécheresse et la Vierge. Eve et Marie. Ou Marie-Madeleine et Marie, pour le Nouveau Testament. Les voilà réunies toutes les deux dans cette chenille, impossible de savoir qui est qui. Peu importe : bientôt la Pécheresse sera une Sainte, elle aussi. À noter que nous sommes désormais dans un train, dans l’attente du signal du chef de gare – un détail déjà suggéré auparavant par le « tunnel », et plus loin par le terme « wagon ». Alors, chenille ou train ? L’explication est difficile, peut-être faut-il y voir une erreur du traducteur. L’araméen, c’est quand même un peu du chinois.
            Vous êtes prêts pour le Grand Flash, l’Illumination divine ? Vous êtes prêts à en prendre plein les mirettes, de la Jérusalem céleste ? Accrochez-vous, c’est parti :

            Regarde l’éléphant bleu
            Qui dans’ sur l’arc-en-ciel
            Sous les bravos des hirondelles

            Ah ! Ça c’est de l’hallucination mystique ! Bernadette Soubirous peut aller se rhabiller ! On n’a pas vu la Vierge, mais il s’en est fallu de peu ! À croire qu’elle était indisposée…

            Viens là le troubadour
            Je vais lire dans ta main
            Tes joies, tes chagrins, tes amours

            Je vois bien les mécréants parmi vous, qui hausseront les épaules et ne verront là dedans qu’une bête chanson de carnaval. Oui, l’éléphant bleu, l’arc-en-ciel, ça doit être un char, le troubadour, la diseuse de bonne aventure, le Pierrot, ce sont des déguisements… Bien sûr, que c’est le carnaval ! Mais qu’est-ce que le carnaval, sinon la fin du Carême, ce moment où, après avoir fait maigre durant quarante jours, on peut enfin se desserrer la ceinture et s’en, pardonnez-moi l’expression, foutre jusque là ?
            Dernier couplet :

            Eh ! Vous les amoureux
            Remuez-vous un peu
            C’est pas l’moment de roucouler
            À la prochaine station
            Restez dans le wagon
            Et n’essayez pas d’en profiter !

            « La prochaine station »… Le Calvaire du Christ a duré quatorze stations. Ce voyage est moins long : c’est une ligne directe vers le Ciel, terminus Paradis, pension complète, tous frais payés. Non, les amoureux, le « moment de roucouler » n’est pas encore venu : il ne faut pas descendre avant l’arrêt complet du véhicule. Mais l’heure de la Délivrance approche, et là, vous ne serez pas les seuls à en profiter. Alléluia !
            Voilà à quel voyage nous invite notre frère Stanislas sitôt qu’après avoir pratiqué l’Eucharistie (et même plutôt deux fois qu’une qu’il en boira du sang du Christ, on va quand même pas rester sur une patte), sitôt qu’après avoir bien picolé, donc, il entonne ce cantique. Il a cette force là, Stanislas : celle de nous permettre de communier religieusement, les pieds en canard et les mains sur la taille, lombric humain rempli de doutes, d’inhibitions et d’incertitudes. Il nous rassure, il nous pousse vers le haut, il fait de nous des papillons, dans la Paix du Christ.
            Amen.


Discours prononcé à l'occasion des 40 ans 1/2 de Stanislas Ferron, 11 juillet 2015.



[1] Queuleuliste : adjectif formé sur la locution à la queue leu leu, bien sûr