jeudi 28 avril 2016

Retour au Royaume des Sept Couronnes (partie 2)

Je crois qu'on a été coupés.


« Regardez-moi ! Stannis est un tueur. Les Lannister sont des tueurs. Votre père était un tueur. Votre frère est un tueur. Un jour, vos fils seront des tueurs. Le monde est façonné par les tueurs. Vous feriez mieux de vous habituer à les regarder. »
Sandor Clegane, à Sansa Stark.

Il y a toujours un problème, avec les séries à succès : assez vite, on les soupçonne d’occuper une place qu’elles ne méritent pas. Game of Thrones, la série de HBO, rencontre depuis sa création en 2011 un succès phénoménal qui ne s’est jamais démenti. C’est louche. Même certains fans de la première heure commencent à faire la fine bouche depuis la cinquième saison. Ils étaient « accros », mais ils commencent à montrer des signes de fatigue. Et puis la mort de Jon Snow à la fin de la saison cinq, c’est le pompon… Alors que la sixième saison approche, il est temps de rappeler un principe simple, définitif, indiscutable :
GAME OF THRONES EST LA MEILLEURE SÉRIE DU MONDE. Point barre.

Valar morghulis : de la mort et de son utilité

            « Une série racoleuse, qui se complait dans le sexe et la violence », diront certains. Ceux-là n’ont sans doute pas lu le Perlesvaus, roman arthurien du XIIIe siècle, dans lequel des demoiselles se promènent avec des têtes coupées de chevaliers, tandis que tortures et mutilations s’égrènent à un rythme ininterrompu tout au long de l’histoire… Alors, certes, rien ne nous est épargné dans la série de David Benioff et D.B. Weiss : décapitations, éventrations, démembrements en tous genres, personnages écorchés vifs, brûlés vifs… La caméra ne se détourne pas pudiquement lorsque le sang gicle ou que les intestins se répandent. Complaisance ? Perversité des scénaristes qui cherchent à satisfaire la perversité des spectateurs ?
            Non. La violence n’est jamais gratuite dans Game of Thrones, et le spectateur jamais du côté du tortionnaire. Lorsque dès le premier épisode de la première saison, Eddard Stark, seigneur de Winterfell et gardien du Nord, doit condamner à mort un déserteur de la Garde de Nuit, il enseigne à ses enfants que la sentence doit être exécutée par celui qui l’a proclamée. C’est ainsi qu’on fait dans le Nord : il faut avoir pleinement conscience de ce que cela signifie, de trancher la tête d’un homme.

Ramsay Snow entame sa carrière d'humoriste.

Chez George R. R. Martin, le sang coule à flots, certes, mais chaque crime pèse, et lorsque Ned Stark est à son tour décapité par le bourreau Ilyn Payne sur les ordres du roi Joffrey Baratheon, le spectateur est horrifié par la scène. La catharsis fonctionne aussi efficacement que dans un drame shakespearien : les camps du Bien et du Mal sont parfaitement définis, même lorsque la frontière entre les deux se fait plus floue. Jamais le spectateur ne va acclamer Joffrey pour sa cruauté, et s’il se met à haïr Theon Greyjoy lorsque celui-ci envahit Winterfell dans le but de faire la fierté de son père (c’est raté), il ne peut supporter de le voir torturé par ce sadique de Ramsay Snow. Eh oui, surprise : le spectateur n’est pas si bête. Quand Daenerys Targaryen, la mère des dragons, un personnage identifié depuis le début comme appartenant au camp du Bien (guillemets avec les genoux), refuse la grâce à un ancien esclave de Meereen et lui fait trancher la tête, on comprend qu’elle est dans l’erreur, qu’elle vient de faire un pas vers le côté obscur de la Force (comment ça, je me trompe de saga ?). La perversité des personnages ne fait pas du spectateur un pervers. Vous me copierez cent fois cette phrase.
            C’est vrai, à Westeros, ça meurt à tour de bras. Et surtout, personne ne semble à l’abri. Valar morghulis : « tous les hommes doivent mourir. » Cela devient une sorte de concours, avant chaque nouvelle saison : « Qui va y passer cette fois ? » Quand on voit la famille Stark se faire décimer petit à petit, on se dit que c’est le monde à l’envers, cette histoire où ce sont les héros qui cassent leur pipe ! Il vaut mieux éviter de s’attacher aux personnages si l’on ne veut pas souffrir (moi qui vous parle, je ne sais pas ce que je ferai si on me dézingue Arya Stark…).

Arya Stark, dans une belle imitation de Jon Snow.

Le plus étrange, c’est qu’en éliminant certains des principaux protagonistes, George R. R. Martin ne craint pas d’éliminer en même temps des éléments narratifs potentiels importants. Le meilleur exemple concerne Jon Snow, le bâtard. La mort de Jon Snow, d’une certaine façon, rappelle une fois de plus au lecteur étourdi qu’ici, tout le monde peut mourir. Comme le disait Nietzsche : « Si Jon Snow est mort, alors tout est permis. » On peut – on doit – trembler pour Daenerys, pour Tyrion, pour Arya (non, s’il vous plaît…). Personne n’est à l’abri. Mais avec Jon Snow, il y a un problème : il meurt avant qu’on sache d’où il vient. Lorsqu’il quitte Ned Stark avant de rejoindre le Mur, celui-ci lui dit qu’à leur prochaine rencontre, il lui parlera de sa mère. Ned meurt, le mystère reste entier... et maintenant que Jon Snow est mort à son tour, nous n’avons pas eu de réponse sur sa filiation et l’intérêt même de cette question semble avoir disparu avec lui. Or, il y a une règle implicite de la fiction qui veut que toute question finisse par trouver sa réponse. Ou alors, il faudrait considérer que Martin est le genre d’auteur qui, plutôt que de résoudre une intrigue, préfère encore supprimer tous les personnages qui sont liés à cette intrigue. Mais il s’agirait là d’un travail d’écrivaillon, d’une imposture, et Martin n’est pas un imposteur. Non, cette saga a un sens, elle se dirige vers un dénouement, quel qu’il soit, et l’auteur sait très bien où il nous emmène. Faites-moi confiance.
Alors, pourquoi créer un personnage de bâtard, et faire autant de mystère sur ses origines, si celles-ci n’ont pas un rôle déterminant à jouer dans la suite de l’histoire ?  Il est évident que la mère de Jon Snow n’est pas une simple fille de rencontre que Ned aurait engrossée après une bataille – sans quoi il aurait dit son nom une bonne fois pour toutes, vu le peu d’intérêt de la question. Il est évident, d’ailleurs (à condition d’être un petit peu attentif) que Ned Stark n’est pas le père de Jon. Seulement, encore une fois, si ce dernier est mort, que nous chaut ? Un cadavre n’a pas pour habitude de revendiquer un héritage… Simple réflexion personnelle qui m’amène à penser que Jon Snow fera son come back, d’une manière ou d’une autre. Après tout, Renaud a bien ressorti un album !
            En effet, si l’on meurt beaucoup dans Game of Thrones, on y ressuscite aussi pas mal. Si Béric Dondarrion et Gregor Clegane, la Montagne, ont pu être ramenés du royaume des morts (et je n’évoque là que les ressuscités de la série télé), pourquoi pas Jon Snow ? Maintenant que la série s’achemine vers la fin et qu’à peu près tout le monde est mort, la question que se pose le fan à l’orée d’une nouvelle saison n’est plus « qui va mourir ? », mais « qui va revenir ? » Parce que bon, valar morghulis d’accord, mais valar dohaerys d’abord : « tous les hommes doivent servir. »

Tombe la neige, impassible manège...

           
Bâtards, infirmes et choses brisées

             Des bâtards, il y en a un paquet dans le Royaume des Sept Couronnes. Chaque région nomme les siens différemment. Au nord, ils reçoivent le nom de Snow, à Hautjardin, ils sont baptisés Flowers, dans le Val, Stone, à Dorne, Sand, etc. Tyrion Lannister, lorsqu’il offre à Bran une selle adaptée à son handicap, exprime un sentiment de bienveillance envers « les bâtards, les infirmes et les choses brisées ». Il a une bonne raison pour cela : son statut de nain l’a habitué à subir rejet et mépris. « Tous les nains sont des bâtards aux yeux de leur père », dit-il à Jon Snow.
            D’ailleurs, regardez-les bien, tous les personnages de Game of Thrones… Vous en voyez beaucoup qui ne soient pas estropiés, bâtards ou plus ou moins rejetés pour une raison ou pour une autre ? De Varys l’eunuque à Sandor Clegane, le « Limier », et sa face brûlée ; de Hodor (Hodor !) à Theon Greyjoy qui finit en kit ; de Jon à Ramsay Snow, ou du bâtard des Stark au bâtard de Bolton ; de Samwell Tarly, l’obèse protecteur du Mur qui avoue sa lâcheté (et se montrera d’un courage exemplaire en temps voulu) à Mestre Aemon l’aveugle ; d’Arya Stark à Brienne de Tarth, les filles qui préfèrent l’escrime au tricot – et qui pourraient bien s’entendre avec Cersei Lannister sur ce sujet, d’ailleurs… Oui, la nature est taquine, le destin est farceur, et chacun traîne son pied-bot en essayant de rester digne. Certains s’en sortent mieux que d’autres : les enfants de Cersei aussi sont des bâtards, et des bâtards nés d’un inceste (cumul des outrages !), mais tout va bien tant que le Royaume fait semblant d’ignorer ce détail. Notre bon roi Joffrey aura même le bonheur de mourir sans avoir rien compris à son ascendance.

Sandor Clegane, un visage intéressant.

            Mais alors, quoi ? Y a-t-il des personnages « normaux » dans Game of Thrones ? Eh bien, pas tant que ça, si on y réfléchit bien. À part peut-être Sansa Stark, fille aînée de Ned, et qui tient à la perfection son rôle de fille aînée d’une grande maison. Autant dire que cette « normalité » ne joue pas en sa faveur, d’ailleurs. Même Ned est un puîné ! Tywin Lannister, avec sa rigidité et son sens de l’honneur, ferait un beau candidat à la normalité, mais il a quand même écopé de deux jumeaux incestueux et d’un nabot qui, en naissant, l’a rendu veuf ! Pas de quoi pavoiser…
            Et Daenerys, alors ? La belle Daenerys du Typhon, l’Imbrûlée, reine de Meereen, des Andals, des Rhoynars et des Premiers Hommes, Khaleesi de la Grande Mer d’Herbe, Briseuse des fers et Mère des Dragons (mais vous pouvez l’appeler Dany, c’est plus simple) ? Bâtarde, elle aussi ? Certainement pas. Infirme, alors ? Non plus. Mais chose brisée, en revanche… On sait que Daenerys est née durant une tempête d’une extrême violence (d’où la mention « du Typhon » ou « Typhon-Née », Stormborn en V.O.) et que sa mère est morte en la mettant au monde. On sait que depuis sa naissance, elle n’a connu que l’exil – et l’exil à côté d’un frère particulièrement crétin ! Elle est la descendante d’Aerys II Targaryen, et avec son armée dothraki et ses dragons, elle est censée reprendre le Trône de Fer à l’Usurpateur Baratheon. Seulement ça, c’était le rêve de son frère Viserys, le roi-gueux, qui finit avec une belle couronne d’or bien méritée. Daenerys, elle, la déracinée, n’a jamais connu Westeros. Plus elle voyage à travers les vastes plaines d’Essos, moins elle semble prête à traverser le Détroit pour se réapproprier le siège de son père. Au fond, sa place est ici, à Meereen, avec son peuple – ce peuple qu’elle a libéré des chaînes, comme elle l’a fait à Astapor et à Yunkaï, et qui la considère comme une mère (mhysa). Mais l’exercice du pouvoir n’étant pas chose aisée et ses dragons, en grandissant, lui posant quelques problèmes, son règne à Meereen est compromis, ce qui pourrait bien, finalement, l’inciter à revenir vers le Trône de Fer, voire à unifier les deux continents… Les dieux et George R.R. Martin seuls le savent !

Daenerys & fils.

            Bâtards, infirmes et choses brisées sont légion au Mur, dans la Garde de Nuit, réceptacle de tous ceux dont le Royaume ne veut plus : voleurs, violeurs, félons, puînés, tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont la honte de la famille. Mais au sud du Mur, ils ne sont pas moins nombreux : beaucoup se cachent avec plus ou moins de talent – et certains parviennent même à cacher leur bâtardise à la tête du Royaume, le cul vissé sur le Trône.
            Heureusement qu’il y a la mort pour mettre un peu d’ordre dans tout ça ! Martin s’amuse beaucoup à réserver à ses personnages les morts les moins réjouissantes possible (si tant est qu’une mort puisse l’être). Ned Stark, l’honnêteté faite homme, est décapité après s’être trahi lui-même en s’arrachant une « confession » dans laquelle il nomme Joffrey Baratheon seul roi légitime. Le juste meurt dans l’indignité. Catelyn et Robb Stark sont assassinés de façon atroce, coincés dans un traquenard. Joffrey s’écroule dans des étouffements et des convulsions grotesques (à ce propos : qui a jamais filmé de manière aussi réaliste les effets d’une mort par empoisonnement ?). Tywin Lannister crève transpercé de carreaux d’arbalète sur ses chiottes… Étrangement (tiens donc ?), c’est encore le bâtard Jon Snow, devenu lord commandeur de la Garde de Nuit, qui s’en sort presque le mieux, avec cette mort à la César : piégé, certes, lui aussi, comme son demi-frère Robb – mais comment ne pas voir une forme d’hommage dans chacun de ces coups de couteau assénés « pour la Garde » ?


(A suivre)


dimanche 24 avril 2016

Des buveurs, 13.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

samedi 23 avril 2016

Retour au Royaume des Sept Couronnes (partie 1)

Goûtez aux charmes de Port-Réal...



"À la vue du joueur se renfrognent les dieux."
Rodrik Cassel, maître d'armes de Winterfell.

            Avant toute chose, et puisque le spoil semble être devenu le crime des crimes, impardonnable et imprescriptible, je préfère prévenir : cet article parle de Game of Thrones, et va évoquer des événements survenus dans les cinq premières saisons de la série, ainsi que dans les cinq tomes parus de la saga de George R. R. Martin, A Song of Ice and Fire, dont cette série est l’adaptation. Si vous n’êtes pas à jour, ne lisez pas, ou ne venez pas vous plaindre après.

Si vous avez raté le début…

            Comme beaucoup de gens, j’ai découvert l’univers de Game of Thrones à travers la série télé. Comme certains, ce programme m’a tellement captivé que je suis allé sans attendre me procurer les livres de George R. R. Martin pour prolonger l’enchantement. Et ce que l’on soupçonne au visionnage du feuilleton de HBO se confirme à la lecture de l’immense saga A Song of Ice and Fire : non seulement la série ne fait que survoler l’univers créé par Martin, mais les cinq tomes déjà parus sont eux-mêmes bâtis sur un arrière-plan historique et géographique si dense qu’il semble que le lecteur le plus attentif ne peut l’embrasser dans sa totalité. Je renvoie les curieux à l’excellent site de La Garde de Nuit, véritable encyclopédie des Sept Couronnes.
            L’auteur nous transporte donc dans un monde imaginaire, constitué de deux continents, Westeros à l’ouest, Essos à l’est (bon, en fait il y en a trois, mais sur le troisième, Sothoryos, on ne sait pas encore grand-chose à l’heure où je vous parle). Westeros est composé du royaume des Sept Couronnes au sud du Mur, et d’un territoire méconnu, peuplé de sauvageons, au nord. Essos est un territoire plus complexe, plus vaste, assez peu connu – à l’exception des neuf Cités libres – et globalement méprisé des habitants de Westeros. Chaque région, chaque peuple de Westeros et d’Essos possède ses propres dieux, ses propres légendes, son histoire, son climat, ses mœurs…
            Lorsque notre histoire commence, Westeros est au terme d’un été qui a duré dix ans et qui annonce un hiver d’autant plus long. Winter is coming, la devise de la maison des Stark de Winterfell, devient le leitmotiv de la série, et cet hiver longtemps annoncé, qu’on attend mais qui n’arrive jamais, se fait plus menaçant encore à mesure que l’automne s’éternise. À la fin de la cinquième saison de la série, l’hiver interminable est devenu une certitude.

Le bon roi Robert


            Nous sommes en l’an 298 après la fondation de Port-Réal (King’s Landing en version originale) par Aegon le Conquérant. Robert Baratheon est le roi des Sept Couronnes, l’occupant du Trône de Fer dont il a chassé les Targaryen, exterminés avec l’aide des Lannister de Castral Roc. Il a épousé Cersei Lannister, qui lui a donné trois enfants : Joffrey, Myrcella et Tommen. Au début de l’histoire, nous apprenons la mort de la Main du Roi, Jon Arryn. Le roi Robert part à Winterfell avec la famille royale pour demander à son vieil ami Eddard Stark, dit Ned, gouverneur du Nord, de devenir sa Main en remplacement de Jon Arryn. Bientôt, une lettre de la veuve de Jon Arryn, Lysa, envoyée à sa sœur Catelyn, épouse de Ned Stark, lui apprend que l’ancienne Main aurait été empoisonnée par les Lannister. Ned, devenu le bras droit de Robert, s’installe à Port-Réal avec ses filles Arya et Sansa, et cherche à comprendre le secret compromettant que Jon Arryn aurait pu découvrir sur les Lannister. Il finit par découvrir qu’aucun des enfants du couple royal n’est de Robert, mais qu’il s’agit de bâtards nés des amours incestueuses de Cersei et de son frère jumeau Jaime – le régicide qui a tué Aegon II Targaryen, le Roi Fou.
            Pendant ce temps, dans les Cités libres d’Essos, Daenerys Targaryen, née peu de temps après la fuite des derniers Targaryen, et son frère Viserys, vivent leur exil en gardant l’espoir de chasser du Trône de Fer l’usurpateur qui l’occupe, pour s’en emparer à nouveau. Afin de se constituer une armée, Viserys marie sa sœur, âgée de treize ans, au Khal Drogo, seigneur de guerre dothraki. En cadeau de mariage, Daenerys, reçoit trois œufs de dragons, apparemment pétrifiés.
            Alors que Ned Stark se dirige vers Port-Réal avec la famille royale, son fils bâtard Jon Snow, dont les origines véritables sont floues, part rejoindre la Garde de Nuit, chargée de surveiller le Mur dressé entre Westeros et les territoires du nord, peuplés par les sauvageons et possiblement hantés par des créatures légendaires.
            Voilà les trois arcs narratifs que nous suivons au début de l’histoire : celui de la famille Stark à Port-Réal, au sein de la cour royale ; celui de Daenerys Targaryen de l’autre côté du Détroit ; celui de Jon Snow à la Garde de Nuit. D’autres viendront s’y ajouter plus tard, à mesure que les personnages se révéleront et que les événements les obligeront à se séparer : Bran Stark, l’un des enfants de Ned, paralysé depuis que Jaime Lannister l’a poussé dans le vide du haut de l’une des tours de Winterfell ; le nain Tyrion Lannister, frère de Jaime et Cersei ; Stannis Baratheon, qui revendique le Trône de Fer à la mort de son frère Robert, etc. Je sais que ça fait beaucoup de noms à retenir d’un coup, mais on finit par s’y habituer, je vous jure. (Même si maintenant que j’y pense, je connais des fans de la série qui ouvrent des yeux en billes de loto en entendant des noms tels que Gendry, Renly, Brienne de Tarth, Tywin, Davos, Barristan Selmy ou Shoren. Au bout d’un moment, ils s’en sortent par des périphrases : « Ah oui ! Le-mec-qui-se-fait-tuer-sur-ses-chiottes ! La-gamine-qui-crame-à-la-fin-de-la-saison-5 !... » L’essentiel, c’est qu’on se comprenne.)

Ned Stark a fait une mauvaise pioche.

           
Le jeu des trônes

Donc, voilà notre Eddard Stark tenu d’accompagner le roi Robert à Port-Réal, capitale politique de Westeros, avec ses deux filles – une corvée dont il se passerait bien. Aucune envie de quitter le rude climat du nord pour s’installer dans ce « nid de vipères ». Ned Stark est un personnage dont la loyauté ne fait aucun doute, dès le début, un personnage que les mensonges et l’espionnage répugnent. Ned Stark n’aime pas le jeu. Il est le héros honnête par excellence, qui cherche à faire ce qui est juste, et que la malhonnêteté des autres rend mal à l’aise.
Fils cadet de la famille Stark, Ned n’était pas censé devenir gouverneur du nord, encore moins Main du roi. C’est à la mort de son frère aîné Brandon Stark, bien plus aguerri aux manœuvres politiques, qu’il est appelé, par les lois de la succession, à diriger Winterfell et les régions du nord. Peut-être pour ça que les arcanes de la politique lui échappent : Ned ne comprend pas, ne veut pas comprendre qu’on ne lui laisse pas le choix. Refuser le jeu, c’est se condamner à mort. « Au jeu des trônes, il faut vaincre ou mourir », lui dit Cersei Lannister. L’un ou l’autre, mais de toute façon, on est sur l’échiquier. Impossible de déclarer forfait. Si l’on refuse d’avancer ses pions, si l’on refuse la tricherie et le bluff, on perd. Et perdre, c’est mourir. Une loi que Ned Stark ignorera jusqu’au bout, pour son malheur. « Jon Arryn et Ned Stark étaient des hommes bien. Des hommes d’honneur, dira plus tard l’eunuque Varys, maître-espion du royaume, à Tyrion Lannister. Mais ils dédaignaient le jeu et ses participants. »

Deux joueurs de renommée internationale.

Un défaut que n’a pas Tyrion, autre personnage positif (guillemets avec les doigts) de l’histoire. En tant que Lannister, il est censé faire partie des méchants (guillemets avec les sourcils), mais son statut de nain et le fait que sa mère soit morte en le mettant au monde (particularité qu’il partage avec Daenerys) lui donnent une place à part dans la famille. Mal-aimé sauf de son frère Jaime, lui se montre particulièrement habile au jeu, surtout quand il s’agit de faire enrager Cersei. C’est que Tyrion ne joue pas pour les Lannister, mais pour lui-même.
Avant le carnage, avant l’exécution capitale de Ned Stark et le chaos qui s’ensuit, le premier événement qui révèle la nature du jeu et sa cruauté a lieu sur la route royale qui sépare Winterfell de Port-Réal. Le prince Joffrey, à qui est promise Sansa Stark, fille aînée de Ned, surprend sa cadette Arya et un garçon-boucher s’exerçant à l’escrime avec des épées de bois. Joffrey s’interpose avec sa propre épée pour terroriser les deux enfants et se retrouve blessé et humilié par Arya et la louve de cette dernière, Nymeria. Un simulacre de procès a lieu dans un château voisin. Si beaucoup s’amusent de la déconfiture du jeune prince humilié par une fillette de neuf ans armée d’un bâton de bois (dans le livre, Renly Baratheon doit quitter la salle avant d’exploser de rire), la sentence est nettement moins drôle. La version d’Arya est démentie par Joffrey qui l’accuse de l’avoir attaqué, la louve de Sansa, la gracieuse et docile Lady, est sacrifiée à la place de Nymeria, introuvable, et le garçon-boucher est tué. C’est à travers cet événement que le lecteur (ou le spectateur) entrevoit la nature de cette saga : ici, il ne suffit pas d’être juste, ni de dire la vérité. Face à la reine Cersei protégeant farouchement son bambin blessé et à un roi Robert plus ennuyé que véritablement concerné par le débat, les Stark n’ont pas la moindre chance.

La Nuit debout, version Games of Thrones.

Dans Game of Thrones, ce n’est pas la loyauté qui triomphe : même les gentils (guillemets avec les oreilles) devront apprendre à se salir les mains s’ils veulent triompher. Même Sansa Stark, la délicate, la candide Sansa, finit par le comprendre. Un personnage intéressant, Sansa, sous ses dehors insipides : il s’agit du caractère le moins armé, en apparence, pour survivre dans cet univers hostile. Fille aînée des Stark, elle a grandi dans la certitude que son destin était d’épouser un grand seigneur, de régner sur un beau château et d’enfanter des chevaliers. À l’âge de treize ans, bingo !, elle est promise au beau prince Joffrey, héritier du Trône de Fer. Ce qu’elle connaît du monde, elle l’a appris dans les chansons qui parlent de grands chevaliers courageux, et son rêve est de ressembler à la belle reine Cersei. Quand Joffrey fait décapiter son propre père en parlant de clémence, l’oblige à contempler la tête de celui-ci plantée sur un pieu au milieu de celles de ses hommes, la fait battre et humilier par sa garde personnelle, Sansa découvre la vérité dans toute son atrocité – autant dire qu’on lui a fait ouvrir les yeux au pied-de-biche ! Et manque de bol : elle se retrouve toute seule à Port-Réal, piégée comme un rat au milieu de ses ennemis. Ned est mort, Arya est introuvable, ses frères sont au nord, Jon Snow est au nord du nord… Elle doit donc apprendre, elle aussi, à mentir, à se faire une carapace de sa bonne éducation – à survivre en faisant la révérence. Essayez, vous verrez que c’est pas facile.

Sansa Stark apprend les bonnes manières.


Il n’y a pas de place pour l’innocence au royaume des Sept Couronnes. C’est un jeu, certes, mais un jeu d’adultes. « Tue l’enfant ! » lance Mestre Aemon à Jon Snow : débarrasse-toi de la naïveté, fous le feu à ton innocence. Ce n’est que dans ces conditions qu’on peut espérer vaincre. Seuls survivent ceux qui luttent, ceux qui acceptent de tuer, ceux qui ne reculent pas devant le danger. Arya est animée par la vengeance, c’est ce qui la fait avancer : elle a sa petite liste de noms à rayer. Même le jeune Bran, qui par ses dons se situe en marge des complots et des batailles, n’échappe pas à la nécessité de se battre pour survivre et atteindre son but. Alors c’est ça, la morale de Game of Thrones ? La vie est un combat, les ennemis sont partout ? Ben oui. La petite maison dans la prairie, c’est sur l’autre chaîne.

Et bien sûr, c’est un jeu qui ne se joue pas n’importe comment. Personne n’est à l’abri de l’erreur stratégique. Lorsque Catelyn Stark capture Tyrion Lannister, le croyant coupable de l’attentat contre Bran, elle pense agir pour le bien de tous – mais elle provoque une suite d’événements qui vont aboutir à l’exécution de Ned et à la guerre. L’arrestation de Tyrion, c’est un peu l’attentat de Sarajevo version Westeros ! Et lorsque Joffrey, tout juste couronné, fait décapiter Ned, il ne pense qu’à satisfaire son sadisme et agit contre les intérêts des Lannister… Certains joueurs sont moins rusés que d’autres.

(À suivre...)

dimanche 17 avril 2016

Des buveurs, 12.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

dimanche 10 avril 2016

Des buveurs, 11.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

dimanche 3 avril 2016

Des buveurs, 10.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.