lundi 19 novembre 2007

Crucifist


Nous venions de terminer le tournage de la dernière scène, celle où toute l’équipe des acteurs et des actrices est réunie, c’est une coutume dans les films de David Lèche : l’orgie finale, la fontaine de foutre... C’est sa façon de montrer que désormais, tout ira bien ; sa grande théorie sur le bonheur universel exposée là, en quelques minutes de corps huilés et torrides, imbriqués les uns dans les autres. Nous ne formons plus qu’un seul corps, une seule jouissance, un seul rut magistral, ouais mec, c’est ça le bonheur. Se sentir soi dans les autres. Et ce jour-là, Marc a vraiment tout donné, toute son énergie vitale, toute cette puissance concentrée, presque violente: des coups de boutoirs les dents serrés, le regard rageux... C’est le lendemain que j’ai appris par David qu’il s’était suicidé en s’émasculant avec une lame de rasoir.


Pour beaucoup, il était bien plus qu’un simple acteur porno. C’est en le voyant dans des films que j’ai eu envie de me lancer dans ce métier. Il était respecté, craint. Il n’abusait pas de cette supériorité naturelle qu’il avait sur son entourage, malgré les légendes qui circulent autour de lui. Il était exigent, ça c’est évident. Il ne supportait pas la médiocrité. Il détestait la vulgarité. Il s’arrangeait toujours pour que dans le scénario il ait l’occasion d’exercer son talent de comédien. Il ne se contentait pas de tringler les filles à la va-vite. “ Un cerveau au bout de la queue ” : c’est ce que les gens disaient de lui. Extrêmement cultivé, raffiné, élégant, d’une intelligence et d’une sensibilité très rares dans le métier. Un gentleman. Le Jean-Pierre Léaud de la branlette espagnole, le De Niro du broute-minou. Le Luchini anal, en moins bavard, en plus anal. Dans tous les films qu’il a tourné il y a des références littéraires. Je ne sais pas si vous avez vu “ Nietzche : le partouzeur de Sils Maria ” ? Il est tout bonnement incroyable dans ce film avec sa moustache folle, son accent allemand, son air exalté et fou. Il était vraiment à l’aise dans ce rôle. Malgré le succès de ce film il a refusé de tourner la suite : “ Ainsi jouissait Sarah Zoustra ”. Il ne voulait pas s’enfermer dans un rôle, dans une typologie particulière ; sa palette de personnalités était infinie.


C’est la liberté qu’il chérissait par dessus tout. Et c’est parce qu’il était libre qu’il croyait en Dieu. Pour lui, la foi était le dernier terreau de la liberté : on peut encore choisir son Dieu, ou choisir de ne pas en avoir. Marc était un mystique, bien sûr. Ce n’est pas pour rien que sa position préférée était à genoux. Une scène de baise était une longue prière. Il se donnait corps et âme à sa partenaire. “ Buvez, ceci est mon sperme ”. Cette réplique était de lui. Il participait souvent à l’écriture des dialogues dans ses films. Il refusait le port du préservatif. Il voulait être au plus près de la chair. Au cœur même de la chair : au nom du Père et de l’orifice. Il offrait son sexe tumescent aux lèvres de ses partenaires comme le Christ avait offert son corps : par la fellation, elles revivaient l’Eucharistie. Il ne parlait pas de pornographie mais de communion. Il dégageait un réel magnétisme, les gens qui l’ont approché pourront vous le dire. On se sentait petit à côté de lui, cette impression se renforçait à la vue de sa queue : "le Dandy aux 25 centimètres". J’ai tourné pour la première fois avec lui en 2001. Je débutais dans le métier : c’est d’ailleurs lui qui m’a baptisé (pour ainsi dire). Il m’a réellement transcendé. Il rendait les autres bons. Le tournage terminé, il rentrait chez lui, seul. Il disait toujours : "Pas de sexe avant le mariage !". Il était chaste. Un jour, j’en suis presque convaincu, il sera canonisé.

Ecrit et publié par Raphaël Juldé et DJ Zukry le 28/12/2004 sur le blog Palindrome

mercredi 7 novembre 2007

L'aisselle


Lorsque tu apparais en l’ombre d’un bras nu,
C’est tout un monde qui se découvre à nos yeux.
Nos narines frissonnent, nos cheveux font sous eux :
Nous sommes à genoux, désarmés, éperdus.

C’est la folie qui monte en ton fumet velu,
Toison anarchique — Ô ! Buisson digne des dieux !
Serpents malodorants, écheveau délicieux,
Rousses, blondes, brunes — Rasées !... Frisson ténu.

Ô, déversoir d’odeurs ! Ô, la noble auréole !
Je suis prêt à mourir, le nez dans ta corolle.
Pics frais taillés — Taillis sombre de la pucelle !

Que le suc féminin y coule en maint lacis,
Larme clownesque et blanche, éclat d’or, pâle pluie,
M’enivrant de ton poil, je crie ton nom : aisselle !

vendredi 2 novembre 2007

L'ancien type drôle de la télé

Il avait connu un certain succès dans les années 2000. A l’époque il n’était pas rare que des groupies l’arrêtent dans la rue pour une photographie, un autographe, une dédicace. Une pipe aussi, parfois, mais ça c’étaient celles qui voulaient lui montrer qu’elles avaient de l’humour, et puis elles pouffaient en cachant leurs appareils dentaires d’une main à peine pubère. Il se prêtait volontiers à cet exercice, souriant en faisant les gros yeux, ou un clin d’œil, selon l’humeur du jour, pour montrer qu’il avait bien compris l’allusion. Déjà, lorsque ses fans lui adressaient la parole, il pressentait qu’un jour, tout cela s’arrêterait, qu’il redeviendrait Monsieur Quidam, que s’il le fallait, il n’hésiterait pas à faire ce que la profession appelle élégamment des « ménages », histoire d’arrondir les fins de mois. D’ailleurs, les « ménages », il était fait pour ça. En ce début de siècle, il n’était pas rare que des animateurs l’invitent sur leur plateau TV où était apprécié son humour subversif. On le surnommait « le trublion enthousiaste », « le dynamiteur de direct », ou plus simplement « le fouteur de merde ». Il était imprévisible : tous les animateurs prévoyaient en l’invitant qu’il accumulerait poilades et bouffonneries. Il était tellement grotesque, mais aussi tellement humain, qu’il en devenait déchirant. Batailles de Chantilly et concours du plus gros mangeur de choucroute au poivron rouge n’avaient plus de secret pour lui. Ceux qui ne parvenaient toujours pas à mettre un nom sur son visage reconnaissaient parfaitement ses fesses. Son trou du cul l’avait rendu fameux. Anus Gloria. Puisque notre société se contentait de facéties de bas-étage, il lui donnait du gag vulgaire, de la provoc simiesque, et se faisait payer en monnaie de singe. Certains, plus jaloux, l’appelaient « Macaque Youn ». Des antisémites, pensait-il tout bas. En leur montrant son cul.



En 2008, il tomba amoureux d’une chanteuse de variétés. Elle avait remporté la Star Ac’ 10. C’était l’année où Kamel Ouali était mort d’une crise cardiaque durant la répétition générale de sa dernière comédie musicale, « Macbeth contre Godzilla ». Invité à une soirée VIP par Arthur Jugnot, l’ancien type drôle de la télé s’était bourré le nez de cocaïne. Il ne tournait plus qu’à cela depuis 3 ans, depuis l’échec cuisant de son dernier one-man show : « Et mon cul, c’est du poulet ! ». Son dernier album, sous le nom des Déglingués, n’était même pas classé dans les 50 premières ventes. Le vent avait tourné. Quant au film qu’il avait produit : « La Bible », joué par des comédiens amateurs analphabètes et complètement idiots, sur un scénario des Robins des Bois, avec Alain Chabat à la réalisation, n’en parlons pas (d’ailleurs même la presse ne se donna pas la peine d’en parler). Il se rendit donc à cette sauterie sans aucune illusion, mais avec un string rose sous son pantalon de tergal, quand même, au cas où. Tout au plus espérait-il rencontrer Magloire, ou un ancien collègue de M6 (même un stagiaire, même le type qui nettoyait le plateau du Morning Live, l’handicapé qui bavait là, c’était comment son nom, déjà ? Philippe ou Jeannot, un truc comme ça, de toute façon tout le monde l’appelait « Machin »), on parlerait du bon vieux temps pendant que Magloire se badigeonnerait l’anus de Champagne bon marché (c’était une soirée organisée par le fils de Gérard Jugnot, il ne fallait pas être trop exigeant sur la qualité) en zozotant les derniers potins de la jet-set : le troisième divorce de Lorie et sa liaison avec Steeve Estatoff, l’overdose de Nolwenn Leroy, la reformation des Jackson five…

Mathilda vomissait dans les toilettes, ou plutôt à côté des toilettes. La seule chose qu’elle n’avait pas loupé dans sa vie, c’était la finale de la Star Ac’. Même son avortement avait été un échec. Elle s’aspergea le visage d’eau tiède, et regagna la piste de danse. Autour d’elle dansaient quatre types exagérément musclés. L’ancien type drôle de la télé ne se donnait même plus la peine d’aller jusqu’aux chiottes pour vomir. L’époque était au trash. Il était de son époque. Gad Elmaleh vint le saluer, mais ne le regarda pas droit dans les yeux. Jamel le lorgnait d’un air goguenard en plaisantant avec ses frères. Fumier de manchot. Il avait vraiment touché le fond, maintenant c’était sûr. Il repéra Mathilda alors qu’il urinait dans un verre de Vodka. Il n' y a pas si longtemps, il se serait élancé vers elle, bite-éprouvette à la main, mégaphone dans l'autre et se serait mis à brailler tout son amour pour ce joli cul. " Regarde chérie, tu me fais bander, tu me fais bander !", preuve à l'appui. C'est d'ailleurs comme ça qu'il l'avait séduite. Une goy avait fait remarquer sa mère, avant qu'elle ne se fasse sauter le caisson dans un bar-tabac, le jour de la sortie du numéro de Voici exhibant le couple et le mioche en page-couverture (c'en était foutu du baby-sitting). L'époque était au trash. Mais le temps de la (sa) déconne était révolu, ça faisait un bail que ses âneries ne faisaient plus marrer grand-monde. Il n'avait vraiment rien à foutre là. Juste ranger sa bite, balancer son verre à la gueule de Mathilda, récupérer le reste de coke qu'elle avait sur elle, avant que les quatre gorilles ne s'enfilent tout — la cocaïne et la guenon — et se barrer. Avant de la ranger, il jeta un œil à sa bite mollasse en la soupesant : ce n’était pas ce soir qu’elle allait lui faire de l’usage. En se retournant brusquement, il se heurta à Eve Angeli, tomba violemment avec elle en l’écrasant de tout son poids et vomit dans son décolleté. Avant de s’endormir sur le silicone de la chanteuse pour vaches, il songea amèrement que dix ans auparavant, il aurait fait un sketch formidable à partir de cette anecdote.
Ecrit et publié le 23 novembre 2004 sur le blog Palindrome, par DJ Zukry, Nerf Salissantor et Raphaël Juldé