jeudi 26 mars 2015

Le dernier mot

Maintenant, foutez-moi la paix.
Paul Léautaud.

            Il ne faut pas rater sa sortie.
            Bien sûr, les humbles n’ont pas ce souci là. Les petites gens peuvent s’en aller pépères, comme bon leur semble, d’un cancer bien placé ou d’une fluxion de poitrine. Personne n’attend d’eux qu’ils prononcent une phrase qui restera dans l’histoire, le truc définitif qui imposera le respect sur plusieurs générations… Mais quand on est un peu connu, ça fait partie de la tradition : on ne peut pas sortir de table sans un mot, un dernier os lancé aux historiens, qu’ils aient quelque chose à ronger pour un bout de temps. C’est une question de politesse.
            Seulement voilà : dans les ultimes instants de sa vie, on n’a pas forcément la tête à faire des phrases. On peut espérer des écrivains qu’ils relèvent un peu le niveau puisque, après tout, les phrases, c’est leur métier. Mais mettez-vous à leur place : c’est un moment crucial, il ne faut pas se louper – ça intimide un peu, c’est normal…
            Du reste, les dernières phrases célèbres ne sont pas toujours véridiques. Certains témoins, jugeant peut-être que le mort, dans ses derniers instants, a un peu manqué d’imagination, tricotent pour lui un mot de la fin sur mesure qui rejoindra le grand dictionnaire des citations. Il n’est pas du tout sûr, par exemple, que César ait prononcé les mots « Toi aussi, mon fils », à l’intention de Brutus venu lui porter le dernier coup de poignard au Sénat romain, en 44 avant J.-C. Il faut dire qu’après avoir été transpercé d’une vingtaine de coups de lame, on n’a peut-être pas le cœur à bavarder.
            Les dernières phrases, en général, sont sujettes à caution, surtout quand elles ressemblent un peu trop à l’idée qu’on se fait de leur auteur… C’est tellement tentant d’imaginer que Balzac, sur son lit de mort, ait fait appel à un personnage de sa Comédie humaine : « Appelez Bianchon ! Seul Bianchon peut me sauver ! » Ou qu’Oscar Wilde, recevant la note du médecin, ait expiré en remarquant : « Je meurs vraiment au-dessus de mes moyens ! »
Il y a aussi le commentaire purement pratique, qui aurait pu passer totalement inaperçu, et qui se dote d’un poids considérable du seul fait que c’est Machin qui l’a prononcé. Exemple : Goethe qui lance : « Lumière ! Plus de lumière ! » Il y en a qui veulent y voir le cri désespéré d’un homme toujours avide de plus de connaissance… alors que bon, il se plaignait sans doute simplement de l’obscurité de sa chambre…
Vous aurez remarqué qu’en général, les grands hommes, au moment de leur dernière phrase, évitent avec soin tout ce qui pourrait paraître trivial, tout ce qui ferait un peu tache dans notre dictionnaire. Il n’y en a pas beaucoup, par exemple, pour demander le bassin, ou pour se plaindre de leurs escarres… Il paraît tout de même que Baudelaire, dans ses derniers instants, ayant totalement perdu la tête, ne disait plus rien d’autre que : « Crénom ! » Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, ça me le rend encore plus sympathique, de savoir que lui, au moins, n’essayait plus de faire des phrases…
Il faut dire aussi qu’il y a plusieurs difficultés à affronter pour faire une belle phrase de fin. Déjà, cette phrase, il faut la trouver, mais en plus, il faut savoir la prononcer au bon moment ! Imaginez, vous vous sentez partir, vous regroupez vos dernières forces et sortez cette phrase que vous aviez préparée, que vous vouliez pleine d’humour, de détachement, à votre image : « Il faudra vraiment penser à refaire la tapisserie », ou « Tiens ? C’est quoi cette lumière au bout du tunnel ? »… et vous attendez… vous attendez… et la mort ne vient pas ! Alors quoi ? Vous êtes condamné à vous taire jusqu’à ce qu’elle se décide ? Ou vous allez devoir trouver autre chose ? Vous n’allez quand même pas répéter la même phrase une deuxième fois, vous auriez l’air de quoi ?
Un conseil : efforcez-vous de finir votre phrase. Évitez les propos du genre : « Dites à ma femme que je… arrrrrrghhh !!! » Il n’y a rien de plus frustrant pour ceux qui se tiennent à votre chevet, crayon en main, prêts à noter vos ultimes paroles pour la postérité. Il faut se mettre à leur place aussi.
Moi, cette question me préoccupe. Je ne tiens pas à mourir n’importe comment, comme un débutant ! Je suis sûr qu’au dernier moment, je vais hésiter entre plusieurs phrases, ou me demander si celle que j’ai choisie n’est pas une réminiscence de quelque chose, un truc que j’aurai lu quelque part… Je m’en voudrais vraiment, après avoir à peu près raté ma vie, de rater ma mort. « “Je vous enverrai une carte postale !” Euh… non, attendez, c’est nul… Plutôt : “Vous croyez que j’ai besoin de mon passeport ?” Non, non, euh… “Ah ! Je crois que ça va mieux ! ” Ouais, bof… Oh et puis merde. » De toute façon, avec le bol que j’ai, je vais crever tout seul.
Enfin, bref. Il y a tout juste deux ans, j’ai ouvert cette Bibliothèque de Jupiter avec un texte intitulé « La première phrase ». Il est donc tout à fait logique de la refermer sur « Le dernier mot ». Quatre-vingt chroniques en tout, je pense qu’il est temps de s’arrêter là. D’ailleurs, après avoir écrit mon texte sur les éditeurs la semaine dernière, je me suis aperçu qu’il faisait doublon avec celui que j’avais écrit en 2013 sur l’autoédition, et que j’avais complètement oublié. Si je commence à tourner en rond, il vaut mieux que j’arrête tout. Je n’arrête pas d’écrire, bien sûr (ne criez pas victoire trop tôt !), mais cette Bibliothèque, en tout cas, je la trouve suffisamment bien remplie, maintenant. Là, évidemment, il faudrait que je m’en aille sur un dernier mot bien chiadé, après tout ce que j’ai raconté…
L’avantage d’un écrivain, c’est que s’il sèche sur son lit de mort, avec un peu de chance, il a pu laisser une dernière phrase idéale dans son tout dernier livre. C’est le cas d’Henri Calet, qui achève son ultime manuscrit, Peau d’ours, par ces mots célèbres : « Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. » Il paraît que Tristan Corbière, mourant de la tuberculose à l’hôpital Dubois, aurait écrit à ses parents : « Je suis à Dubois dont on fait les cercueils... » Là encore, c’est peut-être une légende.
Quant à moi, je préfère réserver mes derniers mots pour une autre fois.


jeudi 19 mars 2015

Les éditeurs


Un éditeur qui entre dans son bureau préfère y trouver un cambrioleur qu’un poète.
Jean Cocteau

            Il y a chez la plupart des écrivains de vieilles habitudes marxistes, ou anarchistes, qui les font renâcler devant toute forme d’autorité. Ni dieu ni maître, et surtout pas de patron ! C’est aussi l’une des raisons qui peuvent pousser un homme (ou une femme) à vivre de sa plume : ne plus avoir à pointer chaque jour au bureau pour subir les reproches et les ordres d’un chef.
            Normal, dans ces conditions, que beaucoup d’écrivains éprouvent une certaine animosité à l’égard de leur éditeur. Après tout, c’est lui le patron – c’est lui l’ennemi. On connaît les lettres rageuses que Céline envoyait à Gaston Gallimard, ou à Jean Paulhan, à l’époque directeur de la NRF… Il en fallait, du sang-froid, pour supporter ses insultes et ses éternels radotages : « Ah, si vous pouviez vous torcher avec mes “contrats” ! dans un joli mouvement de mépris !... me libérer de votre sale bouge !... Mais vous n’en ferez rien !... Votre sclérose est fixée à l’article : Contrats. (…) Bien amicalement à vous et à votre abrutie clique de cancres prétentieux ! » Les grands auteurs peuvent se payer le luxe d’être d’une ingratitude absolue : l’avenir verra même dans leurs emportements les moins justifiés une forme de génie… Et si en plus ils règlent leurs comptes directement dans leurs romans, alors là, il n’y a même plus de questions à se poser : c’est de la littérature ! « Je reviens à mon actualité, pas flambante ! à encore d’autres jours difficiles… surtout à cause de Brottin ! Brottin le maniaque gâcheur ! le philatéliste souillon ! Brottin plein de “Goncourt” plein sa cave !... plein de romans nuls, comme s’il les chiait !... vlaf ! vloof !... si vous le trouvez plus pénard l’œil encore plus merlan que coutume c’est qu’il est en train de réfléchir, cogiter, chier, son dix mille et treizième auteur, le Roi de l’Édition ça s’appelle ! »
            L’auteur aime bien rappeler qu’il vit dans la misère alors que son cochon d’éditeur passe ses vacances sur son yacht privé, sous un soleil privé, à nourrir ses orques privés. La réalité, c’est que si l’auteur perçoit une très petite partie des droits de son livre, l’éditeur n’est pas celui qui se met le magot dans les poches, puisque les parts sont redistribuées entre l’imprimeur, le diffuseur, le libraire… L’auteur qui se croit exploité par son éditeur est, au fond, un optimiste : il est exploité par beaucoup plus de monde que ça.
            L’histoire de l’édition en France est très récente : jusqu’aux années 1830, l’édition d’un ouvrage était assurée soit par les imprimeurs, soit par les libraires. La nécessité de développer le métier d’éditeur s’est révélée par l’augmentation considérable du nombre des lecteurs, mais aussi du nombre des auteurs, au moment même où l’imprimerie s’industrialisait et devait se spécialiser dans différents métiers : presse, affichage, etc. Les premières maisons d’édition sont donc majoritairement créées par des libraires, comme Ernest Flammarion ou Louis Hachette, ou par des imprimeurs.
            Voilà donc à peine deux siècles que l’édition est née, et déjà, la mode est à l’auto-publication. Avant elle, il y avait la publication « à compte d’auteur ». Ça concernait surtout les écrivains qui estimaient qu’ils ne se faisaient pas suffisamment avoir par les éditeurs, et qui trouvaient encore plus fun de publier leur livre à leurs propres frais, pour avoir ensuite la joie de voir leurs cartons d’invendus encombrer leur propre salon pendant des années. Chacun son truc. D’autres apprentis écrivains, qui ont peut-être un peu moins la vocation de martyr (on ne peut pas tout avoir), et qui étaient un peu plus débrouillards aussi, se sont donc lancés dans l’autoédition. Le développement d’Internet a considérablement favorisé ce phénomène, et aujourd’hui, on voit même des auteurs depuis longtemps implantés dans le milieu littéraire, opter pour l’autoédition après avoir rompu avec leur ancien éditeur. L’autoédition, plutôt décriée à ses débuts (puisque parmi ceux qui y avaient recours, il pouvait se trouver un bon nombre d’écrivains médiocres que les éditeurs avaient refusés pour de légitimes raisons), est en train de devenir un système alternatif de mieux en mieux organisé.
Tremblez, éditeurs ! Car vos murs d’encre et de papier sont en train d’être absorbés par… euh… le buvard des écrivains libérés !
Et là, franchement, si les éditeurs ne tremblent pas un peu, je ne sais pas ce qu’il leur faut.


jeudi 12 mars 2015

La police


L’imprimerie est à l’écriture ce que l’écriture avait été aux hiéroglyphes: elle a fait faire un second pas à la pensée.
Rivarol

Les écrivains se la jouent souvent jeunes rebelles (même quand ils sont vieux, comme si le fait d’être « contre » faisait office de cure de jouvence), anticonformistes, chevelus, « on ne me fera pas taire », c’est la faute à Voltaire, vous voyez le genre.
La vérité, c’est que les écrivains aiment la police. Ils travaillent même tous les jours avec elle.
Leur police, les écrivains, ils la préfèrent de caractère.
Le premier flic devant lequel les écrivains se sont agenouillés – à moins qu’ils ne se soient placés face au mur, les jambes écartées, prêts pour la fouille, je ne connais pas trop les coutumes – s’appelait Johannes Gutenberg. C’est lui, c’est ce mec-là, avec sa barbe à deux battants, qui, en inventant la typographie, a transformé les écrivains en artisans de la police. Il ne faut pas lui en vouloir, à ce petit imprimeur allemand du XVe siècle : il n’a fait que son travail, comme les administrateurs du régime de Vichy pendant l’Occupation... D’ailleurs, les Chinois utilisaient déjà des caractères mobiles en terre cuite qu’ils frottaient sur le papier pour les fixer. En Europe, avant Gutenberg, on utilisait du bois pour graver des pages entières. Lui décida tout simplement de fabriquer des caractères mobiles fondus avec un alliage de plomb, de fer, d’étain et d’antimoine.
Je suis navré, mais cet article étant entièrement basé sur un calembour pourri à propos de la police, je ne peux pas me permettre de vous en infliger un autre avec « antimoine ». J’ai déjà suffisamment honte.
Gutenberg s’adjoint les services du banquier Fust pour financer son projet et décide, pour être sûr que les tirages du premier livre imprimé couvriront les sommes engagées, de commencer par le best-seller de l’époque : la Bible. La Vulgate est imprimée à cent quatre-vingts exemplaires de six cent quarante et un feuillets, chacun d’entre eux présentant un texte en deux colonnes de quarante-deux lignes en caractères gothiques de type Textura. Ceci dit si vous voulez briller en société en sortant votre science. Hélas pour lui, Gutenberg connaîtra la misère de l’écrivain « à compte d’auteur » : la plupart de ses Bibles lui resteront sur les bras un bout de temps. Il aurait mieux fait d’inventer Facebook.
Je ne sais même pas pourquoi c’est ce terme de « police » qui s’est imposé pour désigner la forme, le style de ces caractères. En cherchant un peu sur Internet, je pourrais peut-être le découvrir, remarquez... En tout cas, il a fallu l’arrivée de l’imprimerie pour que les lettres sur la page se tiennent aussi droites, impeccablement alignées, comme pour une parade du 14 Juillet, sans la moindre tête brûlée pour rompre les rangs. On dit que le texte est « justifié ». Les écrivains ont toujours besoin de se justifier. Une telle rigueur dans la pose, un tel ordre dans la casse – pas étonnant que ça nous vienne d’Allemagne, si on y réfléchit bien...
Comme toutes les inventions révolutionnaires, il y a une part d’injustice : ce n’est que dans les toutes dernières années de sa vie que Gutenberg est anobli et qu’il peut enfin bénéficier d’une rente, mais il mourra dans l’indifférence générale, et en ignorant bien sûr le succès que connaîtra l’imprimerie après lui. À vous dégoûter d’inventer quoi que ce soit...
Tout aurait pu être uniformisé, mais non : chacun a voulu créer ses propres glyphes, sa propre police, donc, et c’est ainsi que des Claude Garamont, des Stanley Morison, des John Baskerville ou des Hermann Zapf se sont amusés à fignoler leurs propres caractères typographiques. Et maintenant, à cause de leurs excentricités, on se retrouve souvent forcés de se taper sur Internet des articles entiers en Comic Sans MS, en Calibri ou en Verdana... Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je suis totalement allergique aux caractères sans empattement, vous savez, les lettres qu’on dit « à bâton » ou « sans sérif »... Je ne sais pas d’où ça vient, je vous jure que j’essaie de me soigner, mais quand je vois des textes écrits avec ce genre de police, je n’ai même pas envie de savoir si le type a réellement quelque chose à m’apprendre ou pas. Bizarrement, à l’écran, ça passe. C’est à l'impression que soudain, ça m’a l’air d’un travail d’amateur. Alors que bon, dès qu’il y a des empattements, je me sens mieux. Je ne suis vraiment pas difficile à contenter.


jeudi 5 mars 2015

Les gothiques


Je ne sais pas si tous les garçons ont la même attirance que moi pour l’horreur ; je sais seulement que j’aimais le cimetière, que j’aimais déchiffrer les épitaphes sur les tombes, épier les travaux du fossoyeur, prêter l’oreille aux racontars et aux vieilles superstitions du village à propos de reliques…
J. Sheridan Le Fanu, La Maison près du cimetière.

            Quand les Goths, ces barbares germains, se ruaient sur les armées romaines au temps des Grandes Invasions, ils ne pouvaient pas se douter que le nom de leur peuple allait rester dans les mémoires – encore moins pour qualifier des œuvres d’art. Les œuvres d’art, ils les réduisaient en miettes, eux : c’est ce que font habituellement les barbares.
            Pourtant, quand au XIIe siècle sont apparues en France les premières cathédrales dotées de voûtes sur croisée d’ogives et d’arcs-boutants pour soutenir l’édifice, l’art gothique est né. On dit encore à l'époque « art français », francigenum opus, mais ces techniques sont suffisamment éloignées de la tradition architecturale de l’époque pour paraître barbares, et ce sont les hommes de la Renaissance, êtres raffinés par excellence, qui colleront l’étiquette « gothique » à ces bâtiments. Triste paradoxe : pour une fois qu’on pouvait se vanter d’avoir donné naissance à un art purement français, voilà que Strasbourg et Cologne deviennent les écoles de ce style que nous avions créé – et l’Italie le qualifie d’art tudesque, puis gothique… et voilà comment on se fait repiétiner par les Germains avec dix siècles d’écart. Fumiers de boches !
            Le gothique connaîtra de nombreuses déclinaisons avant de désigner ces jeunes gens qui s’habillent en noir, se maquillent les lèvres et les ongles de noir, se dandinent sur du Marilyn Manson et trouvent que la vie ça craint. (Pardon, on me signale dans mon oreillette qu’on ne dit plus « ça craint » depuis 1995, au temps pour moi.)
            La littérature gothique, elle, fait son apparition au milieu du XVIIIe siècle en Angleterre, à une époque où l’on redécouvre l’architecture médiévale. Horace Walpole, écrivain et esthète, commence par se faire construire une immense demeure de style néogothique à Strawberry Hill, avant de publier, en 1764, Le Château d’Otrante, premier « roman gothique » qui ouvre la voie à une mode littéraire qui se poursuivra sur près d’un siècle.
            Mais alors, vous allez me dire : comment fait-on un roman gothique ? Quels sont les ingrédients ? Le temps de cuisson ? Et si je laisse mon roman gothique refroidir sur le bord de la fenêtre, est-ce que les enfants du voisin ne vont pas venir me le piquer ?
            D’abord, il faut que l’action se déroule dans des lieux sombres et emplis de mystère. Un château hanté, une crypte, un cimetière… Si ça tombe en ruines, c’est très bien : il faut laisser comme ça. N’allez surtout pas appeler une entreprise de maçonnerie, à moins que vous ne vouliez perdre des lecteurs ! Autre chose : l’exotisme. Le roman gothique se passe généralement à l’étranger. En Orient, en Italie, en Espagne… Quand Ann Radcliffe décrit les Pyrénées et la chaîne des Apennins dans Les Mystères d’Udolphe (1794), elle le fait sans y avoir jamais mis les pieds.
            Au niveau de l’intrigue, tout ce qui peut être lié au vampirisme, à la possession démoniaque, au passé enfoui qui refait surface, au sentiment de persécution, fonctionne parfaitement. La jolie héroïne effrayée, ça marchait déjà à cette époque là, ça marche toujours. On peut aussi insister sur les phénomènes climatiques : nuit d’orage, tempête en mer, ça fait toujours son petit effet.
            Évidemment, dit comme ça, le roman gothique, ça fait un peu piteux. Un peu comme un film d’horreur dans lequel on verrait arriver la menace longtemps à l’avance. Je vous rappelle quand même qu’on est au XVIIIe siècle, les gars, et que Wes Craven n’a même pas vu le jour ! Je vous parle d’une époque qui ne connaissait même pas Massacre à la tronçonneuse ! Et ils feraient moins les mariolles, les Wes Craven, les Tobe Hooper et les Dario Argento, si la littérature gothique n’avait pas débroussaillé le chemin devant eux !
            De vous à moi, le roman gothique, même pour un p’tit gars plein de bonne volonté comme moi, ça n’a pas toujours bien vieilli. Mais il reste tout de même, parmi la masse de livres que les petites excentricités de Walpole ont influencés, une quantité non négligeable de chefs-d’œuvre : Le Moine de Lewis, Frankenstein de Mary Shelley ou encore Carmilla de Sheridan Le Fanu, premier roman à mettre en scène une femme vampire (honneur aux dames !), plus de vingt ans avant Bram Stoker et son Dracula
            Mais alors par contre, non, aucun rapport avec Marilyn Manson. Désolé.