vendredi 18 juillet 2008

Voyage à Rome (11/11)


Dimanche 18 juillet 2004.


Dernier réveil à Rome : Sébastien en tombe de son lit. Dernier petit-déjeuner aussi : ces dix jours sont passés comme une flèche dans la croupe d’un cow-boy. Un peu après dix heures on frappe avec nos valises à la porte de Carine, qui a des bagages très lourds à cause des babioles qu’elle a décidé de ramener. Nous rendons nos clés au réceptionniste et Carine a même droit au baisemain. Ah ! Ces ritals…


En route ! Nous traînons nos valises sur le trottoir jusqu’à la gare de Termini. En chemin, j’échange ma valise avec celle de Carine : la mienne est moins lourde, mais un peu plus chiante à diriger. Selon moi, je gagne un peu au change. D’ailleurs elle reprendra assez vite son sac… Arrivés à la gare, nous prenons des billets de train pour l’aéroport, et Carine vide un peu de son sac dans ma valise : un peu de linge, des chaussures, une assiette… On rejoint l’aéroport les pieds posés sur la valise de Sébastien. Un portable, dans le wagon, sonne l’intro de Light My Fire, qu’un large Anglais en short, bronzé, très colonial d’aspect, sifflote ensuite. Pour contrer l’attaque, nous entonnons les Enfants du Pirée dès qu’on l’entend siffler.


Nous avons tout notre temps à l’aéroport : il est tout juste midi et demi, l’embarquement n’est qu’à 14 h 15. Malgré cela, Carine s’impatiente dans la file d’attente pour l’enregistrement des bagages, alors que ça ne la fera pas arriver plus vite à Montenay et à son cher lit dans lequel elle va enfin pouvoir dormir !... Petite pause, assis par terre dans la gare. Sébastien est allé chercher une bouteille d’eau, Carine a ses biscuits à la noix de coco, ce ne sera pas de faim que nous mourrons. Nous passons sans encombre et sans enlever nos chaussures au détecteur de métaux, et nous rejoignons le terminal d’embarquement, la porte B1… avant de comprendre que c’est en B15 qu’il faut aller. Dans la file, une blonde un peu forte mais pas désagréable du tout s’explique avec l’hôtesse parce qu’il lui manque une partie de son coupon d’embarquement. Carine râle un peu, comme toujours quand elle est fatiguée. Une fois que nous sommes passés, le couloir d’embarquement nous mène à une navette, qui ne part que lorsqu’elle est remplie vers l’avion qui nous attend. Décidément, tous nos avions auront eu du retard. Pas beaucoup en ce qui concerne celui-ci, et il le rattrapera en vol. Je lis Rome sous la pluie, Sébastien la Guerre des Gaules et Carine un polar pour la jeunesse qui se passe à Rome. À partir des Alpes, on sent bien que la France est beaucoup plus nuageuse que l’Italie. Sous l’avion, il y a la plus grande île flottante de l’univers.


Vers dix-sept heures, nous sommes à Roissy. Les bagages arrivent sans se presser — un bagagiste noir regarde les passagers qui attendent, inquiets, leurs valises, et rigole : « Oulàh ! Souriez ou je vous donne pas vos bagages, moi, hein ! » Carine était effrayée de voir avec quelle violence les sacs sont manipulés (pourtant, nous l’avions prévenue), parce qu’elle a ramené beaucoup d’objets fragiles. Finalement, une fois rejoint le quai de la gare, elle fait une inspection rapide et constate qu’il n’y a pas eu de casse. Son frère lui téléphone, il lui propose d’aller la chercher à la gare de Laval afin d’éviter à Sébastien un détour par Montenay. Dans le train, une gamine d’à peine deux ans ne cesse de gesticuler et de crier dans les bras de son père d’abord, de sa mère ensuite, des deux enfin, aussi dépassés l’un que l’autre. Je pourrais être de très mauvaise humeur pour ça, mais le problème c’est qu’elle a de magnifiques yeux bleus et qu’elle m’offre, rien qu’à moi, des sourires qui me font fondre la banquise… Qu’est-ce qu’elles ont, ces gamines, à m’adorer, quand leurs mères ne me remarquent même pas ?...


Nous arrivons à Laval un peu avant neuf heures, David récupère sa sœur, Carine récupère ses effets personnels éparpillés dans tous nos sacs et, après quelques vannes rapides, Sébastien me dépose au Bourny. Je n’ai pas vu passer Rome.

jeudi 17 juillet 2008

Voyage à Rome (10/11)


Samedi 17 juillet 2004.


Et voici déjà notre dernière journée romaine. Le réveil est aussi difficile que celui de la veille, Carine à qui rien n’échappe et que rien n’écharpe (elle est en débardeur décolleté) remarque d’ailleurs que j’ai un œil rouge. Effectivement, mon œil droit est douloureux, ce qui est mauvais signe. Lorsque nous sommes allés frapper à sa porte pour le petit déjeuner, elle cherchait son marque-page qui s’est glissé, croit-elle, sous le meuble qui lui sert de tête de lit. Après avoir retourné sa chambre, nous n’avons rien trouvé. Ce ne sera jamais qu’un des mystères de plus de cette chambre 313 de l’hôtel Stella, via Castelfidardo, à Rome…


Avant de partir pour le centre de Rome, nous allons au supermarché parce que Sébastien et Carine veulent acheter de l’alcool. Carine reçoit le panier de plastique d’un consommateur dans la jambe : il y a un complot italien contre les gambettes de ma mie, ou quoi ? On cherche à l’immobiliser complètement ?... Sébastien prend une bouteille de Chianti d’une contenance raisonnable, Carine trois litres de Grappa et une énorme bouteille de Chianti. Se rend-elle compte qu’elle devra ramener ça en France dans ses bagages ?


C’est la dernière journée, nous sommes tous fatigués, donc nous ne prévoyons pas grand-chose à faire. Nous partons à pied en direction du palais de Victor-Emmanuel II, que Carine aimerait visiter, et que nous comptions bien voir de près aussi. Sébastien lui fait croire que nous allons à la villa Borghèse, alors que nous nous sommes résignés à l’idée de ne pas voir cette galerie, dont la visite ne peut se faire que par réservation. Carine cherche des souvenirs, voire des jouets, pour les enfants que sa mère garde. Elle aura passé plus de temps à chercher des souvenirs qu’à découvrir la ville ! Ah ! Ces gens qui ont le sens de la famille et de l’amitié… Elle ne trouve rien d’intéressant ni à la Feltrinelli, au rayon français, ni dans les petites boutiques de souvenirs qui marquent les étapes de notre route. Nous arrivons piazza Venezia, devant le palais de Victor-Emmanuel II, la « machine à écrire » des Italiens, dont nous gravissons le clavier pour avoir une vue étendue sur Rome. Ça ne vaut pas le Janicule (qu’on voit, du reste, au loin), mais c’est assez beau, d’autant que le ciel pourrait difficilement être plus dégagé. Nous entrons pour visiter le musée militaire et celui du Risorgimento. Étalage d’uniformes, d’armes de poing, de sabres, de calots, de grenades à main… Sous une voûte ornée d’un Saint-Sébastien (il est partout, celui-là !), la tombe du Soldat inconnu. Au-dessus d’elle, une Crucifixion en mosaïque.


Le musée historique du Risorgimento retrace l’histoire de l’Italie, notamment sous les règnes de Victor-Emmanuel II et III. Beaucoup de bustes d’officiers et notamment de maréchaux, trognes patibulaires ou plutôt comiques, gros bustes prétentieux, bien vulgaires avec ces épaules démesurées, ces coiffures mal sculptées, grossières. À côté de ces bustes, on trouve aussi des photographies d’époque, des « unes » de journaux, des feuilles satiriques, des livres, des carnets, des lettres de combattants, etc. Tout cela fait très officiel, très « trésor de la Nation » — je précise que la visite était gratuite…


Nous redescendons tranquillement les marches du palais, il ne nous reste plus grand-chose à faire, si ce n’est trouver un magasin de jouets pour Carine. Nous rejoignons tranquillement la place de la Colonne, là où se trouve une galerie marchande, mais dans celle-ci, aucun magasin de jouets. Après un coup d’œil sur le guide de Rome, Carine en trouve mentionnés piazza Navona et place du Peuple. Comme la Navona est la plus proche, nous nous y rendons. La première boutique est fermée, ça commence bien, l’autre est ouverte mais, à travers la vitrine, les jouets présentés ont l’air plutôt luxueux. On dirait un magasin pour collectionneurs plus qu’un magasin de jouets. Un gigantesque chameau en peluche (taille réelle !) accueille les clients à l’entrée. Carine ne sait pas trop quoi chercher, d’autant qu’une barrière a été posée devant l’escalier qui mène à l’étage des peluches, sans doute pour dissuader les enfants d’y monter et éviter les accidents. Carine préfère ne pas demander s’il est possible de déplacer cette barrière. Nous trouvons tout de même des Ferrari miniatures, mais elles sont encore un peu trop grosses pour Carine qui a enfin compris que tous les souvenirs qu’elle a achetés jusqu’à présent, il lui faudra les caser dans ses bagages. Nous ressortons, faisons un pause à l’ombre piazza Navona, et finalement, Carine se décide. Elle achète les Ferrari : c’est nous qui les mettrons dans nos valises. Maintenant nous pourrions rentrer, mais Carine aimerait goûter au chocolat chaud italien, nous empruntons donc de petites rues sans but précis, à la recherche de la première terrasse où nous pourrons nous asseoir. Nous errons dans le dédale des rues et, via di Panico, nous remarquons que nous nous éloignons du centre. Nous reprenons donc le bon chemin et, alors que nous atteignons notre point de départ, la piazza Navona, Carine trouve ce qu’elle cherchait également depuis plusieurs jours : un artisan ambulant qui fabrique des bracelets romains, ces bracelets qui s’entortillent au-dessus du coude, près de l’épaule. Carine ayant de très petits bras, il doit resserrer les anneaux de son bracelets en s’aidant d’une pince : « Più piccolo ! più piccolo ! » Carine repart avec son bracelet, et place Farnèse nous nous attablons devant une terrasse. Devant le palais Farnèse, une Française déclare : « Il est beau, hein. Il a quand même de la gueule… » Que c’est laid, cet enthousiasme chauvin pour les lieux et les monuments représentant la France lorsqu’on les rencontre dans un pays étranger… Carine et moi essayons vainement d’avoir un chocolat chaud avec de la crème, très conseillé par le Routard qui devrait, à l’avenir, nous éviter ses conseils à la con. Le café où nous sommes n’en fait plus (c’est pourtant sur la carte). Je prends un jus d’orange (je n’aurais pas été fâché qu’ils y rajoutent des glaçons), Carine choisit du jus de citron, la serveuse revient lui dire qu’il n’y en a pas et lui apporte une glace au citron. Sébastien, lui, a pris une bière sans problème. Les choses semblent s’arranger ensuite, puisque lorsque la serveuse nous apporte les commandes avec l’addition, nous nous apercevons qu’elle a oublié de compter la glace de Carine. Mais ce n’est qu’une illusion, puisque lorsque nous payons, elle s’aperçoit de son erreur. Ces terrasses à touristes sont vraiment formidables.


Nous repartons en direction du premier arrêt de bus. Le 64 nous dépose à Termini. À proximité de l’entrée du métro, un gamin se fait tabasser par de plus grands que lui. Un clochard handicapé pisse devant tout le monde, dans son fauteuil roulant. Il est cinq heures et demie, nous donnons rendez-vous à Carine à sept heures. Nous étions censés aller frapper à sa porte, mais la flemme nous a dissuadé de le faire, et c’est elle qui frappe à la nôtre, alors que je suis encore dans mon journal intime. Je termine la phrase que je suis en train d’écrire (« Je prends un jus d’orange », etc.) et range mon cahier dans ma valise. Elle tend la main, me dit : « Fais voir ce que t’as écrit ? » En fermant ma valise, je dis juste : « Non. » Ce journal de bord est encore très brouillon, je me réserve le droit de le reprendre un peu pour le mettre sur Internet, et je n’ai pas envie que quelqu’un lise ce qui n’est encore qu’une étape intermédiaire.


Nous potassons nos guides respectifs pour savoir où manger du côté de la piazza Navona, et finalement, après avoir de nouveau vainement cherché le marque-page de Carine, nous reprenons le bus pour le Corso. Le bus est bondé, quatre types entrent, dont trois parlent fort en rigolant, avec l’air déjà bien intéressant des gens imbibés. Des « rigolos de kermesse », comme dirait Carine. Le quatrième est juste à côté de moi et je ne quitte pas ses mains des yeux, au cas où il lui prendrait l’envie de me faire les fouilles. D’ailleurs, il préfère s’enfoncer plus loin dans le corps des voyageurs que de rester près de moi. Il faut jouer des coudes pour sortir du bus, mais on y parvient sans encombre (Carine a même encore ses jambes) et on rejoint le Campo dei Fiori, noir de monde. Toutes les terrasses sont bondées, à certaines même une queue est en train de se former. Nous nous engouffrons dans de petites rues et de fil en aiguille nous nous décidons pour la Taverna del Campo, un petit restau très animé et d’allure un peu conviviale, avec une serveuse à la Marielle Goitschel qui slalome entre les clients avec brio et sans ciller. Carine hésite entre un calzone jambon, champignons, mozzarella et un (des ?) crostini jambon, mozzarella, en grande partie parce qu’elle ne sait pas ce qu’est ni un calzone, ni un (des ?) crostini. Je me décide aussi sans en savoir plus qu’elle pour un (des ?) crostini jambon, mozzarella, Carine choisit le calzone et Sébastien la suit un peu distraitement, puisqu’il n’aime pas le jambon. Il a été trop vite, n’a pas vraiment retenu quels ingrédients se trouvaient dans son plat, et voilà… Le (les ?) crostini est constitué de pain grillé recouvert, donc, de fromage et de jambon fumé. Le calzone est un plat enrobé dans de la pâte à pizza. C’est plutôt comique de voir Sébastien se battre pour ne manger que la pâte en évitant soigneusement la bouillie composée par les champignons et le jambon, d’autant que Carine, assez vite comblée par ce plat qui a l’air assez consistant et même plutôt gras, finit par l’imiter… Moi, je me régale avec mon (mes ?) crostini : pour une fois que ce n’est pas moi ou Carine qui choisissons mal nos plats ! Au dessert, Sébastien prend sa revanche en commandant un délicieux tiramisu tandis que Carine et moi, pas échaudés par notre tentative de l’après-midi, demandons un cioccolatto con panna, ce que nous pensons être le chocolat chaud italien… et nous voyons surgir de simples brownies surmontés d’un peu de Chantilly qui a un goût très rance. Décidément, nous ne saurons pas quel goût a le vrai chocolat chaud italien… Un couple de Français se lève de table après leur repas et nous entendons l’homme dire en quittant la terrasse : « Bon, c’est un peu gros cul comme endroit, mais c’est sympa… » Par « gros cul », il voulait sans doute dire « populaire », enfin c’est ce que j’ai compris… D’ailleurs, la véritable insulte, c’est toujours « sympa ». À la table proche de la nôtre, trois personnes ont commandé le même dessert que nous et semblent déguster la crème comme du petit lait, ce qui a tendance à agacer Carine.


Nous payons l’addition et repartons en direction du Campo dei Fiori, de nouveau, pour retrouver le palais de Victor-Emmanuel II, illuminé, la colonne de Trajan, illuminée, le forum illuminé… et le Colisée bizarrement sombre, au grand dam de Carine. Elle a attrapé nos bras, à Sébastien et à moi, et nous l’aidons à avancer en chantant un medley de tous les airs qui nous ont trotté dans la tête depuis notre arrivée à Rome, à commencer par les Enfants du Pirée (Speedy Gonzales remix), Volare ou la chanson de Boulette par Katerine (ça, c’est mon petit apport personnel), et Carine se lance même dans la Digue du cul. Toujours bien penser à avoir une amie grivoise pour animer ses soirées… Nous faisons le tour du Colisée, Carine veut aller aux toilettes mais celles qui sont publiques ferment la nuit, et pour celles du métro, il faut passer par les portillons automatiques et donc prendre un ticket. Nous n’avons plus aucune monnaie et nous ne pouvons pas en faire dans le coin, donc il faut rentrer à l’hôtel à pied. Nous ressortons un peu par hasard du métro, alors que nous cherchions toujours les toilettes, et nous rentrons en trouvant, un peu par hasard, une ligne pratiquement droite qui mène à Termini et nous fait repasser devant Sainte-Marie Majeure. Plus personne ne chante, surtout pas Carine, tiraillée entre la fatigue et son envie pressante. Nous arrivons à l’hôtel où elle peut enfin soulager sa vessie et où nous avons une ultime nuit à passer.

mercredi 16 juillet 2008

Voyage à Rome (9/11)


Vendredi 16 juillet 2004.

Avec mon sacré journal, on ne peut pas dire que j’aie beaucoup dormi. Les nuits romaines sont courtes. Carine, à qui rien n’échappe, remarque d’ailleurs tout de suite que j’ai les yeux fatigués. Elle aussi a mal dormi, mais visiblement elle ne dormira correctement qu’une fois de retour à Montenay… Nous prenons le petit déjeuner à l’hôtel puis partons en direction de l’église Sainte-Marie Majeure. Avant de quitter l’hôtel, Carine, qui s’était mise en short, doit remonter se changer car les deux basiliques que nous allons voir aujourd’hui ne peuvent être visitées que vêtu décemment. Elle me confie son short que je mets dans mon sac et nous nous mettons en route, dans le tap, tap, tap de ses tongs. Nous découvrons Sainte-Marie Majeure par l’arrière. Son campanile est le plus haut de Rome. Nous la contournons pour y entrer : magnifique plafond à caissons, un magnifique Couronnement de la Vierge dans l’abside. Dans la nef de droite est censée se trouver la pierre tombale du Bernin, mais nous ne la voyons pas. Les coupoles des nefs donnent une extraordinaire impression de profondeur. C’est l’une des plus importantes basiliques de Rome avec Saint-Pierre, Saint-Jean de Latran et Saint-Paul Hors-les-murs. C’est encore un morceau de Vatican en plein cœur de Rome. Sa première pierre a été posée le 5 août 352, la Vierge ayant fait tomber de la neige à cet endroit pour faire comprendre au pape Libère Ier qu’elle voulait une église.

Sortis de Sainte-Marie Majeure, nous prenons la route de Saint-Jean de Latran. Celle-ci, nous l’abordons de côté. Nous y pénétrons par la nef de droite. Le baldaquin de l’autel est très impressionnant. Ce n’est évidemment rien à côté de celui de la basilique Saint-Pierre, mais c’est déjà une belle chose. Il renferme les crânes de saint Pierre et de saint Paul. Dans cette église, le pape est évêque de Rome. Dans le transept, immenses statues de marbre des douze apôtres. L’or de l’une des chapelles étincelle sous la lumière du soleil. Nous y restons un bon moment, puis nous quittons la basilique. Une petite pause sur les marches du monument, Carine se remet de la crème solaire, la bouteille d’eau circule ainsi que les barres aux fruits de Sébastien. Nous devons trouver un bus qui nous mène à la via Appia, mais nous n’avons plus de tickets. Je désigne les toilettes publiques à Carine qui va s’y changer (je me retrouve avec son pantalon dans mon sac), et nous entrons dans un bureau de tabac pour acheter des tickets. Ceci fait, nous montons dans le 218 qui nous dépose sous un soleil impitoyable au carrefour de la via Ardeatina et de la via delle sette Chiese (des sept églises), que nous empruntons pour aller voir la basilique Saint-Sébastien et surtout ses catacombes. C’est là que saint Sébastien fût martyrisé et c’est là qu’il fût enterré. Dès notre entrée, la dame du guichet nous propose une visite en anglais dans un quart d’heure. Apprenant que nous sommes Français, elle nous annonce que la visite en français vient justement de commencer. Nous rejoignons donc le groupe qui s’engouffre dans les catacombes. Je suis un peu déçu : pas d’os à se mettre sous la dent. Toutes les tombes sont vides. L’endroit n’est même pas glacé, nous nous enfonçons trop peu profond pour atteindre la fraîcheur. Il faisait bien plus froid dans la Maison dorée… L’endroit était tout d’abord voué à l’adoration des reliques de saint Pierre et saint Paul, avant d’honorer le martyre de saint Sébastien. Carine s’amuse de la petite taille du sarcophage (vide) du Saint, puisqu’elle se moque souvent de la taille de Sébastien. Ah ! Ces deux-là !… Incapables de rester tranquilles, de vrais gamins ! Après nous avoir fait remonter à la surface, la guide nous laisse dans la basilique où ceux d’entre nous qui ont des zooms dignes de ce nom et des flashes efficaces (c’est-à-dire Sébastien) peuvent prendre des photos. Il prend le gisant de son Patron, placé juste au-dessus de la crypte d’où nous venons, et Carine ne parvient pas, malgré son flash, à photographier la voûte trop élevée.

Nous ne ferons pas la via Appia : Carine n’a pas envie de trop marcher. Nous pensions en faire une petite partie et rebrousser chemin, mais il aurait fallu que cela soit une promenade, or avec ce soleil qui nous assomme et la fatigue accumulée, ce serait un calvaire. Nous décidons donc de reprendre le 218 pour nous ramener sur la piazza San Giovanni, devant Saint-Jean de Latran. Carine et moi allons nous renseigner dans la petite boutique de souvenirs près de l’arrêt de bus pour se procurer des tickets. J’ai à peine le temps de poser, en anglais, ma question : « Excuse me, do you… », que la vendeuse me répond : « No ! » Elle m’apprend que pour obtenir des tickets de bus, je dois me renseigner à la boutique des catacombes de San Callisto, juste en face. J’ai trouvé un peu cavalière sa manière de me montrer qu’on l’emmerdait à longueur de journée à lui poser la même question, mais nous allons chercher nos billets et le 218 arrive immédiatement. Il y a très peu de monde, nous pouvons nous asseoir tranquillement, reposer un peu nos carcasses. Quo vadis ? On va se faire crucifier ailleurs…

Piazza San Giovanni, je remplis ma bouteille d’eau à la fontaine la plus proche et nous nous lançons en direction des thermes de Caracalla. Nous payons cinq euros le droit d’entrer dans ce jardin rempli de murailles gigantesques de pierres roses, vestiges impressionnants que nous visitons très vite, puisque beaucoup de barrières sont dressées pour empêcher le visiteur de visiter. Quelques mosaïques, ça et là, et le soleil entrant à flot dans l’apodyterium. Contre les thermes, une scène a été montée pour une représentation de Nabucco. Nous sommes un peu écœurés d’avoir payé pour regarder de vieilles pierres, certes immenses, mais qui ne nous enseignent pas grand-chose. Nous rejoignons le Circus Maximus, que nous longeons un peu avant de reprendre le métro. Sébastien prend un billet, mais en voulant en prendre pour moi et pour Carine qui n’a plus de monnaie, je m’aperçois que le distributeur ne fonctionne plus. Il a avalé ma pièce de deux euros, il a fait mine d’imprimer les billets… et rien. Donc nous resquillons une fois de plus (mais j’ai payé tout de même, j’ai donc ma conscience pour moi). Une floppée de jeunes filles anglophones court vêtues pénètrent dans notre voiture et nous nous retrouvons serrés comme des sardines marseillaises. Tout ce petit monde sort en trombe à Termini, c’est comme une bouteille de champagne qu’on a agitée en signe de victoire, et nous rentrons à l’hôtel. Il est à peine 19 heures, nous donnons rendez-vous à Carine à 20 h 30, ce qui me laisse le temps de commencer à rédiger mon journal : ce sera toujours ça de moins à faire ce soir. Sébastien, lui, s’endort : ce sera toujours ça de moins à faire cette nuit ?

C’est peut-être la dernière fois que nous mangeons au Rossi. Le serveur francophone, en nous voyant arriver, se met tout de suite à nous parler français, nous installe une table en terrasse — dans le passage, pour bien gêner les gens, j’adore ça — et avant même que nous ayons commandé, nous dit : « Une eau naturelle et trois jus d’orange ! » Nous sommes des habitués qui s’en vont bientôt. Je prends un plat de rigatoni alla Papalina (petits pois, jambon, fromage et une sauce à base d’œuf), Sébastien une pizza au thon, Carine des bruschettes al salmone (pain grillé au saumon) et du jambon. En dessert, nous prenons de la glace et pour finir… comme à Istanbul nous avions goûté le raki, nous voulons, à Rome, goûter la grappa. Trois piètres buveurs comme nous, c’est un peu idiot… L’odeur est très forte. Allez, on se lance pour la première gorgée, qui brûle tout sur son passage — infect, ce truc : autant boire un insecticide ! Mais bon, il faut mettre fin au supplice, et on en vient à bout en trois ou quatre gorgées. Hilares devant nos têtes écoeurées, on paye l’addition. Sébastien, grand prince, veut laisser 60 € alors que le repas n’en a pas coûté 57, mais le serveur nous appelle alors qu’on s’en va : il n’y avait que 50 € dans la coupelle qu’on lui a tendue. On croit faire plaisir, et voilà…

mardi 15 juillet 2008

Voyage à Rome (8/11)


Jeudi 15 juillet 2004.


Le réveil sonne à 6 h 30, je vais comme un zombie me réveiller sous l’eau froide. On frappe à la porte de Carine une heure plus tard. Elle n’est pas tout à fait prête, et Sébastien marque son impatience d’une façon assez visible. Carine ne le prend pas au sérieux et se prépare tranquillement. C’est que nous avons une journée assez chargée qui nous attend. Pas le temps de prendre le petit déjeuner, d’ailleurs le restaurant de l’hôtel n’est pas encore ouvert. Nous nous engouffrons encore ensommeillés et muets dans le métro de la station Termini et émergeons à quelques mètres de la place Saint-Pierre. Tout de suite, nous rejoignons la file d’attente déjà assez longue qui déploie ses anneaux sur le trottoir, au pied du bunker qui renferme les musées du Vatican. À peine arrivés, nous sommes déjà suivis par des dizaines de personnes. Groupes d’étrangers, Japonais, étudiants, nonnes… Le musée ouvre à 8 h 45, et la file alors avance très vite. Au pas de course, même. Nous passons à la billetterie — 12 euros l’entrée —, faisons glisser nos sacs sur le tapis roulant en passant nous-mêmes au détecteur de métaux, et c’est la ruée vers les escaliers. Les galeries traversées à vive allure, celle des Candélabres, celle des Tapisseries, celle des Cartes, mériteraient toutes une attention émerveillée (plafonds somptueux, tapisseries tissées sur des cartons de Raphaël, cartes topographiques splendides) ; mais tout le monde est collé à tout le monde, et veut avancer, avancer jusqu’à la chapelle Sixtine — parce que beaucoup ne sont venus là que pour elle. Passage en trombe dans la salle Sobieski, puis descente par des escaliers encombrés vers, enfin, la sweet Sixtine…


Une chapelle, ça ? C’est un hall de gare !... Tous les visiteurs amassés dans un bloc compact font un brouhaha incessant, malgré les « chut ! » lancés par certains gardes. Pourquoi chut ? Parce qu’à l’origine, il s’agissait d’un lieu de culte ? Allons, la Sixtine n’a plus rien de religieux : c’est un musée, un point c’est tout. Je croyais qu’on entrerait dans une chapelle qui se trouvait à l’extérieur de l’édifice, qu’on en verrait la façade, or il n’en est rien. On se retrouve tout de suite dedans au pied d’un escalier, agressé par le bruit et la cohue autant que par les couleurs criardes dégoulinant des murs et des plafonds récemment restaurés. Déception, c’est le mot. Le Jugement dernier de Michel-Ange, oscillant entre bleu turquoise et rose-bonbon, m’apparaît avant tout comme une vaste étude de l’anatomie humaine, comme un exercice appliqué, soigné certes, mais trop mignon pour être beau. Dans d’autres circonstances, je l’aurais sans doute perçu différemment, mais ce déferlement de muscles exagérés, de corps humains en pagaille, passée la première impression assez forte, me laisse dubitatif. Ce qui me gêne, surtout, ce sont les lignes noires très prononcées qui encerclent les personnages : ce style bande dessinée avant la lettre m’écoeure un peu. Bien sûr, il y a des parties magnifiques dans cette œuvre : la barque de Charon, saint Barthélémy, sa peau à la main, certains damnés… mais ce bleu abominable est-il vraiment sorti de la palette de Michel-Ange, ou est-il dû aux travaux de restauration ? Les fresques du Pérugin sur Moïse ne sont pas franchement ce qu’il a fait de mieux. En général, je n’aime pas trop les fresques, cette manière de raconter en un seul tableau des événements qui se sont produits sur plusieurs jours ou plusieurs années… Il faudrait, pour apprécier vraiment la Sixtine, être en petit comité et prendre le temps d’apprécier chaque détail. Ce temps, nous ne l’avons pas. À lever les yeux vers la voûte de longues minutes nous ne pouvons que tenter d’extraire quelques détails de ce fouillis de formes et de couleurs : la Création du Soleil et de la Lune, la Création de l’Homme, évidemment, le Péché originel, le Déluge… Le désir de Michel-Ange était-il d’assommer son spectateur ? De l’air, de l’air !...


Nous quittons cette foire aux bestiaux avec soulagement, il n’y a personne d’autre que nous trois dans la chapelle de Pie V, et peu de monde dans le couloir de la galerie d’Urbain VIII. Nous respirons. Salle des papyrus, musée égyptien où se trouve une fascinante femme momifiée… La bibliothèque, malheureusement, est tout juste visible : des cordons empêchent le visiteur de s’en approcher. Lors d’une première escale dans un carrefour où se mêlent articles de souvenirs, livres d’art et bureau de poste, nous achetons des timbres pour nos cartes postales. Nous recherchons la Pinacothèque, que nous finissons par trouver. Nous prenons cette fois-ci notre temps pour admirer ces Botticelli, ces Caravage (la magnifique Déposition de croix), ces Poussin, ces Véronèse, ces Titien… et la salle aux tapisseries, avec le triptyque de Raphaël : la Madone de Foligno, le Couronnement de la Vierge et son champ du cygne : la Transfiguration !


Nous avons raté le musée Pio Clementino et l’escalier de Bramante, mais pas une salle des animaux assez étonnante. Après une pause dans une cour que nous n’avons même pas le courage — ou pas la présence d’esprit — de visiter vraiment, nous repartons en direction des chambres de Raphaël. Nous entrons dans la salle de Constantin, aux fresques décevantes. D’ailleurs, Raphaël n’en est pas l’auteur, c’est en grande partie Giulio Romano qui a exécuté les fresques murales, et Tommaso Siciliano a brossé le Triomphe du Christianisme sur le Paganisme sur la voûte. Éblouissement dans la chambre d’Héliodore : sa Libération de saint Pierre, à la lumière si géniale, qui joue avec la lumière naturelle de la fenêtre située dessous, est une merveille. Héliodore chassé du temple et Léon le Grand à la rencontre d’Attila, la Messe de Bolsène : trois chefs d’œuvre. La salle de la Signature, avec l’École d’Athènes, est un nouvel émerveillement. Contrairement à Michel-Ange (je parle du Michel-Ange de la chapelle Sixtine), Raphaël ne fait pas d’effets de manches. La pureté de ses cadrages, l’extrême diversité de ses modèles, la vie au sens propre, la vie biographique qu’on peut deviner derrière les traits de ses personnages, l’intensité de sa palette quand Michel-Ange travaille par grands aplats de couleur, tout cela, c’est l’empreinte du génie. Nous finissons par la chambre de l’Incendie de Borgo, à laquelle Sanzio ne travailla qu’en partie. Le tableau éponyme est entièrement de sa main.


Pour finir, Sébastien voulait voir les appartements de Borgia, mais il s’est mis à douter de son désir en apprenant qu’il s’agissait d’une galerie d’art contemporain. Nous nous sommes finalement lancés, et la galerie vaut surtout pour ses plafonds. Il y a là un très oubliable Bacon, une étude pour ses Papes, deux Dali — dont une Crucifixion — pas mauvais, une poignée de décevants Buffet (quel besoin avait-il de préciser en énorme sur ses toiles le sujet de celles-ci, alors que n’importe qui peut deviner qu’il s’agissait d’une Pietà, par exemple, ou d’un portait du Christ en croix ?)…


Nous quittons enfin le musée, où nous avons passé plus de deux heures, et nous asseyons à l’ombre, à côté d’un groupe de jeunes français avec lesquels je n’ai aucune envie d’entrer en contact. Carine se remet de la crème solaire, moi je somnole un peu, déjà…


Avant de quitter le Vatican, nous devons trouver des enveloppes pour nos cartes postales et Carine veut acheter des souvenirs pour ses proches. Je l’accompagne dans les magasins tandis que Sébastien va à la Poste chercher les enveloppes… et qu’il en profite pour acheter un livre sur Michel-Ange et Raphaël qui nous avait bien alléchés tous les deux. Finalement, je l’achète aussi, Sébastien m’ayant avancé de l’argent parce que je n’avais plus suffisamment de liquide. Entre-temps, après avoir réussi à force de lutte à coller nos putains d’enveloppes, nous avons aussi posté nos cartes, qui ne parviendront à leur destinataire qu’après notre retour, mais bon… Nous empruntons la via della Consolazione pour quitter le Vatican et retrouver Rome, où nous longeons le Tibre aussi vert que les feuilles des arbres. Sébastien marche vite devant nous et je sens bien que Carine est fatiguée : elle suit derrière et ne dit pas un mot. C’est que nous avons du chemin à parcourir jusqu’à la basilique Santa Maria in Cosmedin, où se trouve la célèbre Bocca della Verità, la Bouche de la Vérité où les touristes viennent plonger la main pour savoir s’ils seront mordus, ce qui prouveraient qu’ils sont des menteurs. Nous y arrivons en même temps qu’un car de touristes japonais qui font la queue pour se faire prendre en photo la main dans le sac. Nous entrons dans la basilique, du XIIe siècle, nous asseyant sur un banc comme nous le faisons habituellement pour admirer plus à notre aise, et j’ai bien du mal à garder les yeux ouverts. La courte nuit et le soleil coriace m’ont assommé.


Sébastien a des messages à envoyer sur Internet, Carine des souvenirs à acheter encore, nous voulons prendre le bus pour Barberini. Après avoir attendu de longues minutes sous un soleil de plomb le bus qui convenait, nous décidons de monter dans le 44, qui nous dépose piazza Venezia. De là, nous recherchons toujours un bus pour Barberini… que nous finissons enfin par trouver sur le Corso. Nous n’avions encore jamais composté nos tickets de bus, les véhicules de Rome étant pourvus de deux machines pour deux sortes de billets différents. La machine qu’il nous fallait étant toujours trop loin et les voyageurs trop nombreux, c’était inutile d’insister. C’est donc aujourd’hui la première fois que je poinçonne mon ticket ainsi que ceux de mes compagnons d’épopée. L’émotion de la première fois !


Via Barberini, Sébastien va donc à la boutique Easy Internet, et j’accompagne Carine, qui a les épaules sciées par les lanières de son sac à dos, dans un magasin de souvenirs. Elle trouve vite ce qu’elle cherche, je l’aide à porter ses sacs et nous rejoignons Sébastien, qui ne nous attendait pas si tôt, essayant de nous plonger, Carine dans un Fred Vargas, moi dans Rome sous la pluie, de Burgess, pour ne pas lire ce qu’écrit Sébastien. Ça marche tellement bien que je commence à m’endormir sur mon livre. Pour finir, comme il reste une dizaine de minutes sur le compte de Sébastien, Carine veut lire mon journal, enfin en lire une partie : le début du mois de juillet 2003.


Le métro nous ramène à Termini, Carine nous conduit dans l’immense magasin d’un marchand de vin où elle souhaite trouver de la Grappa à ramener à son frère. Il y a trop de choix, elle renonce.


Nous sommes tous très fatigués quand nous nous retrouvons pour aller au restaurant. Pour ne pas avoir à choisir, nous optons pour le Rossi, ce restau de la via Palestro où nous avons déjà mangé deux fois et où l’un des serveurs parle français. Je prends des spaghetti au saumon, Carine une pizza aux crevettes, Sébastien une aux fruits de mer. Nous sommes très poisson, ce soir. On n’est pourtant pas vendredi… Pour finir, Sébastien et moi commandons de l’ananas et Carine prend un Cappuccino. En sortant de notre hôtel, nous sommes tombés sur les musiciens d’hier qui jouaient encore Les Enfants du Pirée à Mach 5. Comme ils nous l’ont joué une deuxième fois à la terrasse du Rossi, nous avions cet air-là dans la tête toute la soirée. Nous nous sommes encore bien amusés, la fatigue aidant à trouver drôle n’importe quelle connerie.

lundi 14 juillet 2008

Voyage à Rome (7/11)


Mercredi 14 juillet 2004.


Nous avons décidé que cette journée serait vouée au repos. C’est donc à 10 h 30 que Sébastien et moi nous levons, et une heure plus tard que nous frappons à la porte de Carine. Comme il n’est plus temps de déjeuner à l’hôtel, nous faisons quelques achats au supermarché d’à côté, où Carine trouve le moyen, en ouvrant une boîte par curiosité, de répandre du cacao sur le sol. Notre mesquinerie masculine nous force, Sébastien et moi, à lui rappeler continuellement cet épisode qui ne l’honore pas. Nous retournons à l’hôtel, où nous nous faisons notre propre petit déjeuner. Lorsque la femme de chambre vient frapper à la porte pour nettoyer la nôtre, je lui explique que pour l’instant, ce n’est pas possible. Bien jolie, cette camériste : brune, la peau mate, un petit sourire gêné… Gentille soubrette tout à fait troussable. Finalement, elle reviendra me confier des serviettes propres et reprendre les sales.


L’après-midi, nous prenons la direction de la librairie Feltrinelli, près de la place de la République, qui propose un rayon de livres plus ou moins neufs, en français. J’hésite à acheter les Chroniques italiennes de Stendhal et finalement, me réserve pour une autre occasion. J’achète un plan de Rome — je pense que désormais, lorsque je visiterai une ville étrangère, j’en achèterai le plan sur place, plus par désir de garder un souvenir que pour des raisons pratiques. Nous achetons, Sébastien et moi, quelques cartes postales, Carine un marque-page représentant le Colisée, puis nous allons tranquillement en direction du Panthéon. En chemin, Carine trouve une douzaine ( !) de cartes postales qu’elle doit envoyer, puis on poursuit notre route jusqu’à la place Saint-Louis-des-Français, tout près de la piazza Navona, où se trouve une librairie française, rien de moins que la Procure. Dans l’entrée se trouve un rayon de livres français sur Rome, romans et chroniques, ouvrages d’histoire ou d’art, etc. Je comptais acheter une monographie sur Raphaël, mais les couleurs des reproductions étaient vraiment trop vives, j’y ai renoncé. Je me suis contenté d’acheter les Promenades à Rome de Stendhal et les Vies des douze Césars de Suétone. Nous sommes restés là un bon moment, d’autant qu’il y avait du jazz pour musique de fond, puis nous sommes ressortis chacun avec un bon nombre de livres. Carine et Sébastien ont acheté le Voyage en Italie de Chateaubriand, qui m’intéressait aussi. Malheureusement, il n’en restait que deux exemplaires. Lorsque nous ressortons, le ciel s’est couvert. Nous ne craignons pas vraiment la pluie, mais son apparition nous ennuierait tout de même un peu. Nous rejoignons la via Barberini en faisant quelques escales devant les magasins de vêtements ou de souvenirs où Carine entre sans rien acheter, si ce n’est une petite poterie pour la mère de son ami. Nous montons la rue des Quatre-fontaines que nous commençons à bien connaître, surtout Carine qui s’y est massacré le pied contre un pavé vendredi. Puis, via Barberini, entrons une petite heure dans un cybercafé où Sébastien, s’apercevant qu’il n’a pas l’adresse e-mail de son frère Arnaud, doit la demander à son autre frère Thomas. Carine cherche sur Internet les adresses de certaines de ses connaissances qui lui ont demandé une carte postale, mais n’y parvient pas. Je leur fais lire, pour finir cette heure sur Internet, les dernières entrées de mon journal : Sébastien n’avait pas lu celle du 7 juillet, veille de notre départ, et Carine, ne lisant pas mon journal, s’amuse de mon résumé de la soirée du 6 au restaurant chinois. Nous rentrons tranquillement, toujours à pied, jusqu’à l’hôtel. Un quart d’heure plus tard, nous nous retrouvons pour décider d’un lieu où manger. Après un petit tour dans le quartier, nous décidons de nous attabler à la terrasse du restaurant le plus proche de notre hôtel, où deux accordéonistes et un contrebassiste se lancent dans une interprétation extraordinairement rapide des Enfants du Pirée. C’est la mode, en Italie : toutes les terrasses des restaurants voient passer, comme les rames de métro à Paris, des musiciens qui viennent jouer quelques airs (souvent Comme d’habitude…), très vite pour ne pas être virés par les patrons, ou ce sont des vendeurs de montres, de roses, etc. Je prends un plat de ravioli aux épinards (une éternité que je n’ai pas mangé d’épinards), Sébastien aussi, Carine mange des spaghetti all’amatriciana. Puis nous optons tous les trois pour un tiramisu en dessert, suivi pour Sébastien et moi d’un Cappuccino, pour Carine d’un thé. De retour à l’hôtel, nous avons tous des cartes postales à écrire (Carine en a douze !), et moi j’ai mon journal qui m’attend… Une carte pour mes parents, une autre pour mon frère et Aurélie, une enfin pour Adrianne à qui je tricote un petit sonnet, et je retourne à mon cahier.

dimanche 13 juillet 2008

Voyage à Rome (6/11)


Mardi 13 juillet 2004.

Les météorologues italiens m’ont l’air plutôt alarmistes : ils annonçaient samedi pluie et orage pour le lendemain, or la journée de dimanche a été très belle. Ils pronostiquaient le soir de cette même journée un très beau ciel ensoleillé pour lundi, et la journée d’hier était grise et fraîche… enfin, leurs prophéties quant à la chute brutale des températures et le retour aux « normales saisonnières » pour jeudi seulement ont tourné court, puisque le soleil est revenu en force aujourd’hui. Carine, qui avait prévu gilet et bermuda, râle un peu : comment ses jambes vont-elles pouvoir bronzer maintenant ? Elle fera donc, tout le long de notre marche, des pauses fréquentes pour remonter son pantalon sur ses genoux.

Après avoir fait un peu de monnaie au supermarché du coin en achetant des gâteaux à la noix de coco, nous nous engouffrons dans le métro et descendons à Flaminio, pas très loin de la villa Borghèse. Nous faisons croire à Carine — à qui nous ne cessons de reprocher d’avoir préféré le musée étrusque samedi dernier à la galerie Borghèse — que nous voulons y retourner. Nous aimerions d’ailleurs le faire si nous en avons le temps, avant la fin du séjour, mais pour aujourd’hui c’est raté : nous avons décidé de consacrer cette journée au Trastevere. Mais nous ne voulons pas quitter Rome sans avoir vu le mausolée d’Auguste, à quelques mètres de la piazza del Popolo. Entouré de monuments fascistes massifs, le mausolée, malgré sa taille, donne une impression de gâteau écroulé, sans doute parce qu’il se trouve en-dessous du niveau de la chaussée. De face pourtant, l’entrée est gigantesque. Nous partons en direction des rives du Tibre, Carine met à la marche un peu beaucoup de mauvaise volonté, mais elle a visiblement mal aux jambes de nos errances quotidiennes. Nous faisons une première halte devant le palais de Justice, monumentale façade blanche ornée de statues et d’un quadrige à son sommet. J’ai prévu ma casquette qui est la bienvenue, puisque j’ai déjà le crâne rouge comme un cul de babouin. J’ai attrapé quelques coups de soleil mais je ne les sens pas.

De nouveau en route, nous repassons devant le château Saint-Ange pour rejoindre le Janicule. À Istanbul, autre « ville aux sept collines », celles-ci étaient beaucoup plus drues ! Les romaines font pâle figure à côté, avec leurs pentes douces comme miel… Et pourtant, une fois au sommet du Janicule, avec la statue équestre de Garibaldi dans le dos, il faut reconnaître que le panorama est beau. On revoit tout ce qu’on a déjà vu de plus près, le château Saint-Ange, la basilique Saint-Pierre — il suffit de traverser la place pour la voir toute proche —, l’église de la Trinité-des-Monts en restauration, le Panthéon, le Colisée, le Palatin, la mongolfière de la villa Borghèse… Ce serait une remarquable façon de finir un voyage, mais nous n’en sommes pas encore là. Après une pause assez longue à l’ombre, Carine s’appliquant de nouveau de la crème solaire, et nos trois bouches mastiquant les gâteaux achetés le matin même afin de libérer un peu le sac de Sébastien, nous sommes repartis. Nous suivons la sinueuse voie Garibaldi, que nous ne sommes pas loin de perdre par moments, parce que nous souhaitons voir l’église Santa Maria in Trastevere. Nous rencontrons sur notre route l’imposante et rose ambassade d’Espagne, quelques monuments fascistes, un escalier raide qui descend vers une église qui n’ouvrira pas avant une demi-heure. Carine le signale à Sébastien qui s’apprêtait à descendre, parce qu’elle n’a visiblement aucune envie de remonter les marches ensuite. Nous poursuivons donc notre route et, au travers de ruelles pauvres et animées, vides de touristes et bourrées de Vespa, nous atteignons la basilique Santa Maria in Trastevere sur une petite place tranquille. Un harmonium joue en sourdine dans cette vaste église au plafond à caissons dorés du Dominiquin. La beauté du lieu est saisissante : le fond doré des mosaïques de l’abside donne un aspect byzantin au lieu. Alors que nous sommes assis sur un banc à observer bouches bées les détails de cette abside, le prêtre (je suppose), qui se fait guide, nous aborde en anglais et, voyant que nous parlons français, se lance dans des explications en français, rappelant la naissance de cette église, construite par saint Calixte. Il s’agit de la première église catholique de Rome. Il insiste sur les six panneaux brossés par Pietro Cavallini et résumant la vie de la Vierge : Naissance, Annonciation, Nativité, Épiphanie, Présentation au temple et Dormition. Il nous désigne aussi le pavement très élaboré de l’église, celui d’origine et le pavement restauré. Nous continuons dans la grande chapelle à gauche de l’autel, où il nous montre les emplacements des huit statues volées par les troupes de Napoléon (« Tout ici va par huit, nombre magique, l’infini… »), les pattes de lion des bancs dessinés par Michel-Ange dans un style très sobre, pattes de lion censées éloigner le malheur, nous explique avec gestes à l’appui et en prenant pour exemple le guide de Sébastien et sa main, ainsi que le plan de Rome que tient Carine, l’utilisation de trois sortes de bois très précieux pour y peindre le tableau du fond. Sur chaque côté, se faisant face, se trouvent deux épisodes du concile de Trente. Une allégorie de la Justice écrase sous ses tablettes le Mal aux cheveux en serpents, dont le ventre grouille d’insectes et de bêtes maléfiques. Notre guide nous raconte alors que son livre d’histoire à l’école portait sur la couverture ce détail du tableau. Il a l’air ravi de s’exprimer en français, ne trouve pas toujours le mot correspondant à ce qu’il veut dire en italien ou n’est pas sûr qu’il s’agisse du bon, et répète plusieurs mots similaires pour que nous comprenions bien. « Pesante… pesante…Come dice ?... Lourd ?... Lourd… Jé vais lé rajouter à mon vocaboulaire… » Il nous raconte l’histoire des tombeaux d’Innocent II et de Calixte III, nous montre sous le gisant d’Innocent II la scène de la mort de la Vierge, où celle-ci est représentée — pour la première et peut-être la dernière fois — vieille et enlaidie par la souffrance. Il nous amène à la chapelle baroque de Gherardi, où se trouve un magnifique trompe-l’œil à la manière de Borromini : un jeu extrêmement précis sur la perspective incite à penser que le tableau représenté est immense et loin du spectateur, alors qu’il est petit et très proche. Même en le sachant, il est quasiment impossible de se figurer que nous sommes devant un trompe-l’œil. Comme il voit que nous continuons la visite de la basilique, il revient vers nous et à chaque fois c’est comme s’il nous montrait, à nous et à nous seulement les secrets de cette église qui prend de plus en plus d’importance à nos yeux à mesure que nous la découvrons vraiment. Il nous montre la firma, la signature, come dice ? du Dominiquin, discrète dans un espace vide du plafond : un ange, « perque il était très bel, avé lé visage comme oun ange… » En quittant enfin la basilique, jetant un dernier regard aux fragments lapidaires du mur de l’entrée, je songe que nous venons peut-être de vivre notre plus belle découverte de ce voyage.

Nous nous mettons en route pour l’église Santa Cecilia in Trastevere, mais nous rebroussons chemin bientôt, parce qu’elle est plutôt loin. Nous avons bien fait, d’ailleurs, puisque mon guide m’apprendra ensuite qu’on ne peut la visiter qu’entre 11 heures et 12 h 30 (mais peut-on faire confiance au Routard ?). Une station prolongée sur un banc de la place Mastai, où des flics intiment l’ordre à un vagabond, visiblement, de tenir son chien en laisse, parce que sa présence à la porte d’une boutique en effraye les éventuels clients. Repartis de plus belle, nous traversons le ponte Cestio pour entrer sur la petite île de Tibère, admirant au passage le Tibre glissant sous nous et la seule arche qui reste de l’antique ponte Rotto. Carine ne suit plus que contrainte et forcée, crochetant le bras de Sébastien. Nous passons devant l’hôpital Fatebenefratelli et pénétrons dans l’église San Bartolomeo au moment même où son gardien allait en fermer les grilles. Nous n’avons donc que peu de temps pour voir cette église du Xe siècle qui ne craint pas les mélanges de styles et d’époques.

De retour sur la rive droite du Trastevere, nous tombons sur le colossal théâtre de Marcellus et le forum Olitorio. Nous entrons dans l’église San Nicola in Carcere, du XIIe siècle. Nous n’y restons pas longtemps, je crois que nous sommes tous fatigués. Et puis il ya dans cette église un Chemin de croix extrêmement laid, peint par un artiste contemporain, avec dominantes de rouge et de noir, ce qui gâche l’ensemble du lieu.

À petits pas, Carine étant de plus en plus pendue à cette espèce de rampe ambulante qu’est devenu Sébastien, nous nous retrouvons aux environs de la place Farnèse, où le Routard prétend que tous les 13 juillet, des festivités s’organisent pour la fête nationale française. Tout d’abord, nous entrons dans un magasin AS Roma Store, où Carine achète enfin un maillot à son copain. Puis nous revenons nous asseoir devant le palais Farnèse, près des carabiniers qui montent la garde. Sur la place, des gamins maigres jouent au ballon, une femme lance à son chien une bouteille d’eau pour qu’il la rapporte, un homme demande son amie en mariage, un genou à terre. Les serveurs des restaurants autour de la place, ainsi que quelques badauds, applaudissent au « oui » de la femme. Des gens rentrent dans l’ambassade de France où se prépare un banquet, mais sur la place rien n’annonce une quelconque soirée. Sébastien comprend que les carabiniers expliquent à un couple de Français que la fête se passe à l’intérieur du palais. Effectivement, il y a bien un banquet, mais il fallait réserver pour y participer… Sébastien et moi ne sommes pas trop déçus, puisque nous n’apprécions pas particulièrement ce genre de réjouissances, mais Carine trouve que l’ambassadeur aurait pu faire un effort pour de petits Français comme nous. Nous rentrons donc par le 64 bondé à notre hôtel pour une douche qui s’imposait, et nous redescendons manger au même endroit qu’avant-hier, où nous nous régalons, moi avec des spaghetti alla carbonara, une crème au caramel et un Cappuccino, mes compagnons d’épopée avec des spaghetti aux clam’s pour Sébastien, une pizza au jambon cru pour Carine. Celle-ci regrette juste que son « copain », le serveur francophone de la dernière fois, ne soit pas de service. Parce qu’elle lance un « Ach, so ! » impromptu alors qu’un autre garçon installe la nappe sur notre table, celui-ci la prend tout d’abord pour une Allemande, ce qui nous amuse beaucoup. Nous rigolons d’ailleurs sans arrêt : c’est la fatigue qui se fait sentir. Carine a vraiment très mal à la jambe droite, aussi, avant de rentrer dans notre chambre, nous l’accompagnons dans la sienne où Sébastien lui prodigue massages et étirements qui la ravigotent un peu. C’est qu’il faut qu’elle tienne jusqu’à dimanche !

samedi 12 juillet 2008

Voyage à Rome (5/11)


Lundi 12 juillet 2004.


Couché à trois heures moins vingt, je ne suis pas très frais lorsque le réveil sonne à 8 h 30. Je laisse donc Sébastien faire sa toilette et grappille ainsi quelques minutes supplémentaires de somnolence. Nous frappons à la porte de la chambre 313 à 9 h 30 et partons déjeuner. Carine veut absolument voir le Colisée aujourd’hui, et comme nous sommes à Rome depuis quatre jours et que nous ne l’avons toujours pas vu, nous avons accepté fort volontiers. Le métro nous dépose aux pieds du Colosse ébréché. La file d’attente est déjà tellement longue que nous prenons la décision de visiter le forum romain et le Palatin d’abord. Le ciel de Rome fait un peu grise mine et la température a baissé, Carine ne tarde pas à se plaindre du froid. Je trouve au contraire que l’air est très clément et que c’est une chance, j’ai juste un peu peur que ça tourne à la pluie, mais il faut reconnaître aussi que le soleil nous a épargné depuis notre arrivée : à part vendredi où le manque d’habitude de ces 30° de plomb a joué contre moi, les journées ne sont pas si brûlantes, et la fraîcheur et l’ombre sont toujours proches. Un peu trop aujourd’hui, peut-être…


Le forum est déjà une sorte de village dans la ville, il y a de quoi se sentir bien petit devant ces ruines gigantesques, la basilique Emilienne, l’arc de Septime Sévère, le temple de Saturne, la basilique de Maxence et de Constantin… Nous cheminons dans les allées du forum, parmi les touristes. Tous ces gens qui se faufilent, posent le temps d’une photo, ces gamins qui courent, sont un peu les nouveaux habitants, aussi nombreux qu’anonymes, qui peuplent désormais ce lieu l’espace d’une heure ou deux… Devant la basilique de Maxence et Constantin, des archéologues, casque jaune sur la tête, font des fouilles dans un trou. Archéologue, c’est le métier que j’aurais rêvé de faire lorsque j’étais très jeune, au moment où je voulais aussi devenir auteur de B.D. et grand reporter (à l’époque j’adorais Tintin, j’ai bien changé maintenant). Mais archéologue, c’est avant tout un travail manuel : ça ressemble fort à un ouvrier, un archéologue…


Nous entrons ensuite dans le Palatin, ce qui nous permet d’acheter un billet qui vaut aussi pour le Colisée et qui nous évitera de faire la queue quand nous voudrons le visiter. Sur la Colline des Frères ennemis, c’est un autre village encore, d’autres ruines. Le centre de Rome n’est au bout du compte qu’une vaste ruine. Mais quelle ruine ! Le stade de Domitien est un sublime ovale beaucoup plus long que large, surplombé par la maison des Augustes. Dans l’antiquarium nous voyons encore une belle série de statues, de bas-reliefs, de bustes… Le drapé de la robe d’Héra Borghèse est admirable de précision, de légèreté. Carine a peu mangé ce matin, et elle dort mal en ce moment, ce qui fait qu’elle a des étourdissements. On se pose sur un banc devant le stade de Domitien, un moment, mais elle a toujours un peu froid. Ça ne prouve rien, d’ailleurs, parce qu’en dessous de 28° elle a la chair de poule et les mains glacées.


On quitte le Palatin. De ses hauteurs, Sébastien a vu une belle bâtisse sur la via Labicana, nous faisons un détour pour voir de quoi il s’agit : c’est une église, qu’il est malheureusement impossible de visiter aujourd’hui. Carine tient à ce qu’on aille au Colisée maintenant, mais en montant une rue un peu au hasard nous trouvons, outre un charmant presbytère, une porte assez immense que nous pensons d’abord appartenir à une propriété privée et qui s’avère n’ouvrir sur rien de moins qu’un parc public. Nous proposons une petite halte à Carine, mais elle veut son Colisée. Très bien, direction le Colisée. Évidemment, c’est immense. Évidemment, c’est impressionnant… Mais que dire de plus d’un monument que tout le monde connaît sans même l’avoir vu ? Il y a malgré tout quelque chose d’un peu ridicule là-dedans. Dans ce genre de circonstance, je pense toujours à ce poème de Corbière, « Vésuves & Cie », dans lequel il énumère, devant le volcan, toutes les reproductions qu’il en a déjà vu, et qui s’achève ainsi : « Le Vrai vésuve est toi, puisqu’on m’a fait cent francs ! / … Mais les autres petits étaient plus ressemblants. » Nous gravissons les marches jusqu’au deuxième étage : évidemment, c’est beau. Une exposition grotesque est installée derrière des parois noires éclairées d’un bleu pour boîte de nuit. À l’intérieur, des écrans au ventre arrondi, très inconfortables à regarder, montrent des images un peu incompréhensibles et sans continuité : maquettes du Colisée, de son emplacement à l’époque impériale, etc. Quelques statues sont exposées là également : sans doute la caution « art et histoire » de l’entreprise. De jeunes cons (pléonasme) s’amusent à faire sonner l’alarme des statues en approchant leurs mains et courent dans le couloir sombre. Carine souffre beaucoup des courants d’air.


Prochaine étape : la Maison dorée. Nous consultons d’abord longuement le plan, pourtant elle est vraiment à quelques pas. Lorsque nous nous présentons au guichet, un jeune homme nous explique en français que la prochaine visite n’aura lieu qu’à 17 heures, or il est 16 h 30. Il nous donne nos tickets et nous cherchons les thermes de Trajan. Nous ne savons pas vraiment où ils se trouvent, nous finissons par en voir un bout d’ailleurs un peu par hasard, en passant, et ça ne nous emballe pas tant que ça. Nous nous asseyons sur un banc en attendant notre heure, qui vient enfin. Pourquoi faut-il donc qu’une découverte qui pourrait, qui devrait être passionnante, soit toujours polluée par les touristes qui nous entourent ? Dans notre groupe, un Français en short et sandalettes, lunettes de soleil façon Alpes d’Huez sur les yeux, écoute son « audioguide » (un appareil qui peut ressembler à un gros téléphone portable ou à un baladeur et qui donne des informations en plusieurs langues, que l’on trouve beaucoup dans les musées de Rome) ; l’homme écoute donc son « audioguide » et donne à haute et trop intelligible voix à sa femme et à ses enfants le compte-rendu de ce que l’enregistrement lui a appris. J’avais presque envie de lui donner un euro à la fin de la visite pour le remercier au nom de tout le groupe. Le vrai guide, quant à lui, ne donne aucune explication : il se contente d’ouvrir la marche, de faire une station prolongée dans les salles les plus intéressantes et de faire repartir la troupe. Ce n’est donc qu’après la visite, en revenant sur nos pas, que nous profitons de la beauté du site, des fresques dont il ne reste presque rien, de tout ce que le temps a imprimé dans les pierres de la cité de Néron…


Ressortis de là, et après une pause aux toilettes et sur un banc, nous repartons en direction du forum de Trajan. Il est 18 heures, les forums des Empereurs sont fermés mais celui de Trajan, qui n’est pas ouvert au public, est visible à travers des grilles. Il ne reste plus qu’à monter sur le Capitole pour avoir vu une bonne partie de ce qu’il y avait à voir dans le coin. L’immense palais de la piazza Venezia sera pour un autre jour. Déception au Capitole : sur la place principale des ouvriers installent une scène pour un spectacle. Ça ne nous empêche pas d’admirer les trois bâtiments (dont l’hôtel de ville) qui encerclent le lieu d’une seule masse, ni la statue équestre de Marc-Aurèle. Parce que sur un buste du même Marc-Aurèle, Sébastien ce matin à l’antiquarium cherchait s’il portait une « marque à l’oreille », il regarde maintenant attentivement cette partie anatomique des représentations de l’empereur, par goût pour l’humour de répétition. Pour cette statue, nous sommes trop loin. Nous redescendons par les escaliers de Michel-Ange et reprenons le métro à la station Colosseo.


Après une bonne douche, nous attendons Carine en zappant sur la télé de l’hôtel. Entre deux chaînes de voyance en direct, une autre de gym tonique, une chaîne de marchands de tapis et d’autres merdes saturées de logos, de menus déroulants, de numéros de téléphone ne réservant qu’une minuscule lucarne à l’image elle-même, nous apprenons que la température a considérablement baissé en Italie : il neige dans le nord ( !) et beaucoup de villes subissent des averses impressionnantes. La situation ne devrait pas s’améliorer avant jeudi…


Nous sortons manger à quelques pas de l’hôtel, à l’Al 39, via Palestro. Carine commande des spaghetti alla carbonara, Sébastien une pizza aux aubergines et moi des buscatini all’amatriciana, plat que je ne connaissais pas : il s’agit de pâtes longues beaucoup plus épaisses que des spaghetti. Les assiettes qu’on nous ramène sont copieuses, certes, mais je les trouve pour ma part beaucoup trop salées (d’autant que mon plat contient déjà du bacon), et Carine n’aime pas du tout ses spaghetti. Je trouve d’ailleurs que les Italiens salent beaucoup trop en général. Sébastien ne raffole pas des aubergines, mais il est finalement le seul à finir son assiette. Deux femmes obèses qui mangent à côté de nous un pantagruélique plat de charcuterie sont offusquées de la remarque de Carine qui déclare au serveur qu’elle n’a pas aimé son plat. Visiblement, ce restaurant est un peu leur cantine… Je viens en aide à ma compagne d’épopée lorsque le patron entre en jeu, en disant juste : « Too much salt », ce qui choque d’autant plus les ogresses d’à côté. Finalement, Carine se verra offrir un sorbet au citron. Je suis pris de fou rire lorsque, au passage d’une femme un peu forte vêtue de cuir noir et bardée de chaînes, Sébastien s’exclame : « V’là le bourreau de Béthune ! » Nous sommes bien vite de retour à l’hôtel et Sébastien nous offre ses Grany, des barres aux céréales et aux fruits des bois qu’il nous vantait depuis des jours. Nous cherchons ce que nous ferons demain en rigolant beaucoup, puis Carine va se coucher.

vendredi 11 juillet 2008

Voyage à Rome (4/11)


Dimanche 11 juillet 2004.


Le réveil sonne à 7 h 20, plus d’une heure avant notre levé habituel : c’est que l’on veut aller au Vatican et qu’on se prépare à une journée chargée. Comme tous les matins, Sébastien est muet, et comme tous les matins, Carine veut absolument le faire parler (et si possible pour ne rien dire), ce qui ne fait que le museler encore plus. On part donc vers 9 h 30, direction le métro. Carine est en tee-shirt et bermuda parce que la visite de Saint-Pierre de Rome ne peut se faire en débardeur ni en short. Le métro nous dépose à la station Ottaviano, le Vatican est devant nous, tout droit. Nous sommes en quelques pas place Saint-Pierre. Le Guide du routard, dont nous nous servons bien peu cette fois tant l’édition de Rome est déplorable, annonce que le pape bénit la foule tous les dimanches à midi, de la fenêtre de sa bibliothèque. On espère donc un peu l’apercevoir, on n’est pas loin de créer le Wojtyla fan-club. J’ai même proposé à Carine d’écrire en grand sur une banderole : « Karol, j’attends un enfant de toi ». Elle ne l’a pas fait. En attendant la bénédiction papale, nous allons visiter le château Saint-Ange, construit sur le mausolée d’Hadrien. La légende veut que l’archange saint Michel soit apparu au sommet de la forteresse et ait indiqué la fin de l’épidémie de peste en remettant son épée dans son fourreau. Dans l’entrée, une maquette représente le mausolée tel qu’il était au IIe siècle. Une rampe hélicoïdale mène aux salles supérieures du château. La salle d’Apollon est décorée de fresques de la Renaissance. Nous voyons les geôles, les monumentales arbalètes, arquebuses et canons qui assuraient la défense du château. Nous voyons aussi dans un renfoncement à l’angle d’un escalier la salle de bain de Clément VII. La grande salle Pauline est décorée de magnifiques peintures Renaissance. À droite de l’entrée, un homme en trompe-l’œil semble observer les badauds derrière une porte. Il s’agirait d’une caricature de Raphaël di Montelupo. Au fond à droite, une porte mène vers la chambre papale, décorée de tableaux religieux et meublée d’un lit double… La bibliothèque est ornée de fresques aquatiques. Nous grimpons les dernières marches qui nous séparent du panorama superbe sur le Tibre et la basilique saint-Pierre. La statue gigantesque de l’Archange rengaine sa rapière au-dessus de nos têtes. Quelques salles encore montrent des uniformes de gardes du XIXe siècle.


Nous quittons le château, passons un moment à l’ombre du parc. Quand Sébastien et moi profitons d’une fraîcheur bienvenue, Carine a froid et s’installe au soleil. Peu importe. Nous sommes largement en avance pour notre bénédiction, mais nous retournons vers la basilique. En chemin, nous voyons une église, Santa Maria in Traspontina, dans laquelle nous entrons. Nous n’y restons pas longtemps, d’ailleurs, parce que l’heure tourne malgré tout. Nous sommes ponctuels sur la place Saint-Pierre, mais alors que nous attendons un petit geste de lui, une émission diffusée sur de grandes toiles nous montre Jean-Paul II en direct du val d’Aoste, où il est parti en bénir de plus chanceux. Du coup, nous nous rangeons dans la file d’attente pour la visite de la basilique. Un passage au détecteur de métaux et nous voilà dans le Saint des saints. Finalement, ce n’est pas si difficile. Ah ! Que j’aime le monumental !... Ces portes immenses aux gravures à thème : la Mort, le Bien, le Mal… La Pietà de Michel-Ange nous foudroie dès l’entrée. La foule n’est d’ailleurs pas trop compacte, il faut dire qu’il y a de la place où s’ébattre, et nous pouvons admirer tout notre soûl le chef-d’œuvre. Carine va poser sa main au pied de l’immense crucifix près duquel tous les dévots font un vœu. L’angoissant, c’est de ne pas pouvoir tout voir. Il y a tellement de choses… L’immensité du baldaquin créé par le Bernin écrase la statue plutôt piteuse de saint Pierre, dont les pieds dégoulinent d’avoir été touchés par toutes les mains des croyants et des touristes… C’est assez rare tout de même, une œuvre d’art qui ne cesse de prendre de la valeur au fur et à mesure qu’elle se désagrège ! Parce que son délabrement prouve la dévotion des fidèles, la statue de saint Pierre est vouée à s’abîmer sans cesse. Nous faisons le tour de la basilique, observant toutes les statues glorifiant les pontifes qui se sont succédés depuis Pierre. À tous les voir là, Pie XI et Benoît XV, Innocent II et Jean XXIII, je suis presque rassuré de savoir que la tradition perdure, que nous avons aussi notre Jean-Paul II qui rejoindra la troupe à son tour, qui aura à son tour son petit sarcophage… Nous pénétrons dans les grottes vaticanes qui conservent les tombeaux de onze papes, de la reine Christine de Suède, d’empereurs, et surtout une vue sur le tombeau de saint Pierre, autour de laquelle se pressent tous les touristes.


En sortant de la basilique, nous nous installons sous le porche et prenons un peu d’air frais — et Carine a froid. Nous redescendons vers la place Saint-Pierre, des gamins se font prendre en photo à côté des gardes suisses, Carine entre dans les boutiques de souvenirs, cherchant quelque chose pour sa grand-mère, mais elle ressort avec un livre sur Rome pour elle, que d’ailleurs je m’achète aussi. Elle voudrait maintenant aller voir le Panthéon. Ce que femme veut… Nous empruntons le corso Vittorio-Emmanuele II, et notre route vers le Panthéon va petit à petit se voir traversée d’églises dans lesquelles nous entrerons avec émotion. Tout d’abord, Santa Maria sopra Minerva, à quelques mètres du Panthéon, devant laquelle un éléphant sculpté par le Bernin supporte un obélisque. L’église a été fondée au VIIIe siècle et reconstruite par les dominicains au XIIIe. C’est la seule église romaine bâtie dans un style gothique. Nous y restons un moment, nous asseyant sur un banc pour profiter de la fraîcheur du lieu. Sébastien observe le martyre de saint Sébastien représenté dans cette église : c’est en quelque sorte sa lubie… J’ai la mienne, puisque dans le Panthéon je me pâme devant le tombeau de Raphaël. Sébastien ordonne à Carine de nous lire les indications du guide sur le Panthéon, elle s’exécute sans rechigner, elle est de bonne composition. Elle lit avec application, en professeur de français. C’est à ce moment-là qu’elle trouve une indication sur Santa Maria sopra Minerva que nous n’avions pas relevée parce qu’ils n’avaient pas réussi à dénicher l’église sur ce guide-là (et que bien sûr le Routard « omet » ce détail) : Fra Angelico repose dans l’église. Du coup, Sébastien et moi y retournons, Carine nous attend sur la piazza della rotonda, au soleil. Effectivement, nous découvrons le tombeau de Fra Angelico.


Carine nous propose de nous rendre sur la piazza Navona. Nous la suivons sur cette immense place touristique, aux trois fontaines, polluée par les mimes, les mauvais portraitistes et les tatoueurs au henné. Mais la place est belle et vaste, il n’y a pas à dire. Nous sommes un peu intrigués par un grand bâtiment à la façade en rénovation, et nous nous rendons compte qu’il s’agit d’une église : Sant’ Agnese in Agone. Nous entrons, évidemment. C’est à l’emplacement même de cette église que sainte Agnès a été martyrisée. Condamnée à mort pour s’être refusée au fils d’un magistrat, elle a été exposée nue dans le stade de Domitien mais ses cheveux se mirent à pousser par miracle pour cacher sa nudité. Dioclétien la fit décapiter parce que les flammes du bûcher ne pouvaient l’atteindre. Alors que nous sommes sur un banc — il y a des fidèles qui se recueillent —, je fais signe à Sébastien : je viens de remarquer à ma gauche l’énorme statue de saint Sébastien transpercé de flèches dorées. Et je ne quitte pas l’église sans être allé voir, dans la sacristie, le reliquaire contenant la tête (incroyablement petite) de la martyre. Quand ma mère va savoir que j’ai vu le crâne de sa patronne !


Nous nous rendons ensuite sur le Campo dei Fiori, toujours suivant Carine, où fût brûlé vif Giordano Bruno, dont il reste la statue à l’endroit même du bûcher. Mais avant de l’atteindre, nous souhaitons entrer dans l’église Sant’ Andrea della Valle, que nous avons vue alors que nous cherchions le Panthéon et qui était fermée. Nous y entrons donc cette fois-ci, et je montre de nouveau à Sébastien sur le plan détaillé de l’entrée l’emplacement d’un tableau représentant le martyre de son Patron. La voûte, en trompe-l’œil, est d’une clarté extraordinaire : on la jurerait peinte de la veille ! Les papes Piccolomini, Pie II et Pie III sont enterrés dans cette église. Leurs tombeaux, plus exactement, ont été creusés dans la paroi, près de l’autel. Il se trouve également ici le tombeau de saint Joseph Tomasi.


Après le Campo dei Fiori, nous poursuivons notre route jusqu’au palais Farnèse, l’ambassade de France, où nous nous reposons de cette journée éprouvante à l’ombre. Pour retourner à notre hôtel, Carine propose de prendre le bus. Comme nous sommes tous fatigués, que nous avons tous mal aux jambes, la suggestion est votée à l’unanimité. Reste à trouver un distributeur de billets, ce qui se fait assez rapidement, sur le Corso. Reste à attendre aussi le 64, qui nous ramène à Termini.


Après une pause bienvenue dans nos chambres respectives, nous nous retrouvons pour le repas du soir. Nous choisissons de ne pas manger trop loin de l’hôtel et trouvons une pizzeria dont le serveur, à notre grande surprise, parle français. Du coup, Carine voit en lui un ami et est prête à faire de l’endroit sa cantine. Je commande une pizza quatre fromages, un verre de pamplemousse et pour dessert une crème brûlée recouverte de groseilles. Carine a pour la première fois fini entièrement son plat, puisqu’elle a fait l’erreur de commander un plat de viande en oubliant de préciser quels légumes elle voulait y ajouter… On rigole beaucoup mais je sais déjà que je vais moins rire quand je vais devoir m’attaquer à la rédaction de mon journal intime…

jeudi 10 juillet 2008

Voyage à Rome (3/11)


Samedi 10 juillet 2004.


J’ai beaucoup mieux dormi cette nuit, Sébastien aussi me semble-t-il, et la fraîcheur du matin était fort appréciable. Carine n’a toujours pas mieux dormi : c’est peut-être le fait de ne pas coucher dans son lit habituel qui la gêne (je suis un peu comme ça aussi, mais en général ça passe avec la première nuit), ou la lumière du matin qui la réveille, puisqu’elle n’a ni volet ni rideaux opaques… Après le petit déjeuner goûté en silence dans la salle du deuxième étage, nous allons prendre le métro à la station Termini. Il nous faut un certain temps pour comprendre où se trouve la voie qui convient, pourtant il n’y a que deux lignes de métro à Rome (à chaque fois qu’un projet de galerie souterraine est proposé, de nouveaux vestiges sont découverts…). Ici, il faut vraiment deviner la carlingue du métro sous les tags. Nous sortons du lombric de métal à la station Spagna et prenons la direction de la villa Borghèse. Dès la sortie du métro, nous longeons un centre équestre qui appartient au parc de la villa. Une mongolfière se hisse lentement derrière des arbres, retenue au sol par un câble. Nous entrons dans le parc, Carine porte aux pieds des tongs noires, plutôt que les baskets qu’elle avait hier, ce qui nous amuse un peu : elle semble croire que nous ne marcherons pas beaucoup aujourd’hui... Nous visitons le parc sans aucune méthode, découvrons par hasard le vrai-faux temple d’Esculape au milieu d’un lac sur lequel se prélassent des couples en canot. Carine se repose déjà sur le premier banc, se remet de la crème solaire — « Il faut en remettre toutes les deux heures ! » —, change les pansements de ses orteils (quel plaisir trouvent les femmes à se meurtrir les pieds dans des chaussures qui ne leur conviennent pas ? Mystère…), tandis que Sébastien et moi n’avons d’yeux que pour une nana sur son canot dont le maillot largement décolleté laisse passer un sein accueillant. Nous adorons cette ville.


Nous continuons notre chemin cerné de quelques bustes et de quelques statues en pied illustres. Goethe domine, massif, l’œil au loin. Nous longeons l’imposante galerie d’art moderne, Carine propose d’aller visiter le musée étrusque de la villa Giulia, près de l’Académie de Roumanie et de celle de Belgique. Nous laissons nos sacs dans de petits casiers qui ferment à clé, et cherchons un moment l’entrée du musée. Nous voilà donc devant de nombreux vases plus ou moins bien conservés. Certains le sont parfaitement. Carine croit même reconnaître une amphore qui a servi pour illustrer la couverture de l’un de nos livres de latin au lycée. Tout en observant bien ce que nous avons sous les yeux, nous jouons les dissipés, façon collégiens : il y a très peu de monde à visiter le musée en même temps que nous. Carine trouve ainsi un « gode » d’albâtre : ce genre d’humour, c’est son côté mec. Des sarcophages, des poteries, des bijoux, des inscriptions, encore des poteries, du bronze, toujours des poteries, des armes… L’ennui, avec les musées, c’est que chaque salle mériterait un attention soutenue et que nous n’avons pas toute la vie, que nous fatiguons vite à piétiner dans ces allées climatisées. Et puis il faut dire que des pots, nous en avons déjà vu un bon nombre hier dans les thermes de Dioclétien !... Ils avaient un goût pour les récipients assez fascinant, ces Étrusques…


En sortant du musée, plutôt que de retourner en direction de la villa Borghèse, nous suivons Sébastien qui veut entrer dans un parc tout proche pour nous y reposer un peu. Toutes les entrées que nous voyons sont marquées de l’enseigne « Propriété privée », et nous nous sommes déjà tellement éloignés de la villa Borghèse que ce n’est même plus la peine de faire demi-tour, d’autant que Carine marque des signes de fatigue de plus en plus visibles (elle se tait). Nous descendons la via Flaminia et retournons malgré tout nous asseoir sur un banc ombrageux du parc de la villa Borghèse pour calmer les pieds de Carine et nous désaltérer, et je suis pris d’une quinte de toux en plein fou rire, ou d’un fou rire au beau milieu d’une quinte de toux qui n’en finit pas… Carine aimerait trouver un marchand de glace « à la sauvette », l’expression nous a plongé dans l’hilarité, nous imaginions Carine courir en tongs derrière son marchand de glace sous le manteau, celui-ci faisant tout pour la semer… D’où, rire aux larmes, toux monumentale qui me laisse hagard, les yeux inondés une fois que je l’ai vaincue, etc.


Nous finissons par reprendre la route, sans être remontés vers la villa Borghèse. Sur la place du Peuple, nous entrons dans l’église Santa Maria del Popolo, assez obscure, où Sébastien et moi trouvons encore maintes occasions de rire, en contemplant une coupole au milieu de laquelle un Dieu menaçant semble lancer des projectiles aux simples mortels que nous sommes, un Christ en croix la bouche béante (c’est la première fois que je vois le Crucifié ouvrant la bouche) et un autre, que nous voyons d’abord de dos, et dont la croix a disparu. Il semble danser bizarrement, les bras en l’air, la tête baissée en avant — nous avons le sentiment religieux très gai, aujourd’hui. Elle est magnifique, pourtant, cette église, avec ses somptueux Caravage. Je crois me souvenir que Renaud Camus l’aime particulièrement… Je ne peux pas le vérifier, n’ayant pas emmené le Journal romain, un peu encombrant.


Nous montons vers le Pincio et Carine nous suit docilement en songeant surtout à la glace qui l’attend là haut… et là haut, c’est une vue magnifique sur le Vatican qui l’attendait, pas moins. La glace patientera encore parce que Carine ne veut pas de celles que proposent les marchands ambulants (« à la sauvette ») aux touristes. Nous longeons le sinistre mur gris de la villa Médicis, blockhaus des plus hideux, et redescendons vers l’église de la Trinité-des-Monts, dissimulée derrière des échafaudages, invisible. Ces échafaudages sont recouverts d’un immense rideau sur lequel a été peinte une reproduction grandeur nature de l’église, reproduction elle-même recouverte par une affreuse publicité sur fond bleu. Nous descendons les escaliers noirs de monde. Des calèches sont attelées sur la place d’Espagne et attendent le touriste. Elles ne semblent pas beaucoup l’attirer, le touriste, pourtant l’endroit en est rempli. Nous nous engouffrons dans la via Colonna, bondée : c’est ici que se trouvent rassemblées toutes les boutiques chics. Nous encourageons Carine à se faire plaisir sans s’occuper de nous (nous trouverions bien une librairie où patienter), d’autant qu’il y a des soldes, mais elle ne veut pas nous imposer ça… Tant pis pour elle. Nous traînons dans une galerie marchande où se trouve une librairie, la Feltrinelli. Nous ne parvenons pas à trouver de livres en français. Devant la piazza Colonna, Carine se souvient que c’est là que se trouve la boutique officielle de l’AS Roma. Elle veut offrir un maillot à son ami, passionné de foot. J’ignorais qu’elle avait un jules : c’est ça aussi, les « voyages-découvertes ». Le problème, c’est qu’elle ne trouve pas un seul maillot qui lui plaise, parce qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle cherche non plus (elle voudrait le « vrai » maillot, mais la texture ne lui plaît pas, finalement elle préférerait un tee-shirt, bref : les filles ne comprendront jamais rien au foot). On repart donc bredouille, et dès lors elle ne pense plus qu’à sa glace. Nous repassons devant la fontaine de Trévi, elle cherche le même glacier qu’elle cherchait déjà hier parce que le guide de Sébastien en vantait les produits, mais une fois dans la boutique, ça ne l’emballe pas. Nous ressortons donc, en trouvons une autre qui lui convient mieux, elle paye sa glace, prend un ticket et attend dans la file qu’on la serve. Elle déguste donc son cornet chocolat, pêche, coco surmonté de Chantilly et nous nous asseyons sur un bout de trottoir, devant une petite fontaine publique où s’agglutinent de jeunes filles turbulentes.


Sa glace une fois consommée, Sébastien demande à Carine de prendre les commandes, et c’est elle alors qui se débrouille pour nous faire rentrer à l’hôtel — en empruntant la via Nazionale alors que celle du Vingt-Septembre nous aurait fait gagner du temps, mais peu importe. Une bonne douche plus tard, nous nous retrouvons tous dans notre chambre 508, devant la télé et ses conneries. Carine veut réfléchir à ce que nous ferons demain, mais Sébastien, qui a faim, trouve le temps un peu long. Finalement, nous descendons à la pizzeria qui se trouve à quelques mètres de l’hôtel. Sébastien et moi commandons une pizza à la mozzarella et au saumon et Carine une aux champignons. Nous nous régalons, Carine cale un peu, et comme toujours c’est Sébastien qui doit finir sa part. Ça m’arrange, du reste, parce que je ne raffole pas des champignons. Elle commande un Cappuccino, nous un sorbet citron délicieux. Carine râle parce que le serveur a donné une rose à certaines clientes et pas à elle, elle lui lance des regards du plus noir ébène. De retour à l’hôtel, nous consultons encore la carte et le guide pour décider du trajet de demain. Nous décidons de nous lever tôt pour partir au Vatican (un dimanche, ça s’impose), il est une heure et demie du matin, Sébastien est couché depuis un moment et je dois encore prendre ma douche.

mercredi 9 juillet 2008

Voyage à Rome (2/11)

Vendredi 9 juillet 2004.

Nous frappons à la porte de Carine vers 9 h 30 et nous descendons à la salle de restaurant du deuxième étage. Le moment du petit déjeuner ne sera visiblement pas aussi privilégié qu’à Istanbul : biscottes, pain de seigle, croissants à la pâte d’amande, jus de pamplemousse… Carine essaie de faire parler Sébastien qui est muet le matin, et cet acharnement ne fait que le rendre moins loquace encore, si c’est possible. Il n’y a qu’une fois en route pour les thermes de Dioclétien tout proches, qu’il cause un peu. J’ai passé une mauvaise nuit à voir défiler des lignes et des lignes de mots invisibles, sans pouvoir dormir, comme encore dans la fièvre de l’écriture de mon journal. Je n’ai pu dormir un peu qu’au matin, non sans me réveiller souvent. Mes jambes ne sont pas vraiment reposées non plus, ce qui fait que l’entrain, tout d’abord, n’y est pas, malgré le vent frais qui balaie un peu la lourdeur de l’air. Je suis comme d’habitude tout de suite en nage, pourtant la chaleur n’est pas si terrible… Nous entrons donc dans les thermes de Dioclétien, demandons au guichet à visiter le cloître de Michel-Ange. Nous pénétrons tout d’abord dans des salles heureusement climatisées pour admirer les épigraphes, les plus anciens vestiges qui témoignent de l’apparition de l’écriture latine. Poteries, pendentifs, stèles se suivent sur plusieurs étages. Carine, déformation professionnelle, lit les descriptifs pour nous et commente ce que nous voyons, ou tente de traduire certaines inscriptions. Nous avons du mal à rester sérieux devant les bustes et les statues amputés de bras ou de jambes, voire acéphales. Moi j’ai très vite le gosier sec comme une semelle longtemps mâchée. Nous redescendons vers le cloître et nous en faisons le tour. Quatre allées partent en diagonale vers le centre de la cour pour se rejoindre autour d’une petite fontaine (nous nous abreuvons à un robinet) et chaque allée est ornée de deux immenses têtes d’animaux : des chevaux, un éléphant, un rhinocéros, une chèvre, des bœufs…


Nous quittons les thermes sans en avoir vraiment fait le tour, nous y reviendrons sans doute, et nous poursuivons notre route. Nous aurions pu passer à côté d’elle sans nous y intéresser, alors que nous prenions des clichés de la fontaine de la place de la république… et finalement nous entrons dans l’église Santa Maria degli Angeli à la façade étonnante de sobriété concave. Et nous faisons sans doute là la plus belle découverte de la journée, en pénétrant dans cette église construite par Michel-Ange et saturée de peintures gigantesques apportées de la basilique Saint-Pierre. L’orgue y est immense, une méridienne coupe l’église en diagonale. Sébastien recherche le Saint-Sébastien du Dominiquin qui se trouve devant l’autel, malheureusement hors de portée à cause de frustrantes barrières. Dans la sacristie, des panneaux retracent l’historique de l’église.


Carine veut voir le palais Barberini, nous passons devant la fontaine de l’Aqua Felice, surveillée par quatre énormes lions, chiens de garde du colossal Moïse. Et nous cherchons le palais sans trop savoir ce que nous cherchons vraiment. Carine commence à montrer des signes de fatigue, elle s’est fait mal au pied dans la rue des Quatre Fontaines, contre un pavé, et moi je suis de nouveau déshydraté. Nous finissons par trouver ce satané palais Barberini, transformé en galerie de peinture, et fermé. Nous poursuivons notre route jusqu’au parc du Quirinal, où nous nous approprions un banc à l’ombre. Sébastien, encore vaillant, se met à la recherche d’une bouteille d’eau. Il revient une bonne demi-heure après, avec deux bouteilles d’une eau légèrement gazeuse (leggermente frizzante). Nous restons là un moment, Carine a mal aux jambes, et nous repartons en direction du palais Quirinal. Arrivés à destination, sur une place ornée d’une fontaine et d’immenses statues, nous pouvons voir au loin le Vatican. Nous empruntons de petites rues piétonnes, passons même devant le musée national de la pâte alimentaire et cherchons la fontaine de Trévi. Un attroupement de gens nous convainc que nous sommes sur la bonne voie, et apparaît alors cette fontaine immense, qui ressemble plutôt à un bassin, noire de monde agglutiné à la fraîcheur de l’eau. Carine veut manger une glace, s’asseoir surtout, nous cherchons donc une terrasse à l’ombre où déguster un iceberg : ce n’est pas ce qui manque dans le coin. Seb et moi prenons une coupe au kiwi et Carine une à la fraise. Puis nous retournons tranquillement vers l’hôtel, sans avoir jeté de pièce dans la fontaine de Trévi. Nous poussons jusqu’à la Porta Pia toute proche, encore un bel ouvrage de Michel-Ange, et constatons que le très laid bâtiment qui fait l’angle n’est autre que l’ambassade d’Angleterre, ainsi que nous l’indique l’Honni soit qui mal y pense qui orne le fronton. Petite pause à l’hôtel, où nous nous rafraîchissons. Carine vient frapper à la porte alors que Sébastien et moi réfléchissons à un endroit où manger ce soir et au programme des réjouissances pour les prochains jours. Elle s’amuse à lui tracer une croix rouge sur le genou avec un stylo quatre couleurs, il se venge aussitôt (d’autant que c’est son stylo) en lui dessinant une fleur sur la jambe. Ce genre d’enfantillages, je n’y participe pas : le simple fait de lever le bras me fait couler la sueur.


C’est à l’Hosteria de Bruno que nous allons manger, via Vestre, le petit restaurant d’un amateur de crèches. Deux photos le montrent devant le pape, lui présentant une crèche de sa composition. La salle de restaurant est très agréable, les murs sont saturés de dessins de ruines romaines ou de portraits, très place du Tertre, ainsi que d’objets et d’outils de toute sorte. La serveuse a de faux airs de Sheila. À moins que ce ne soit Sheila qui ait des faux airs de serveuse. Les choix proposés sont malheureusement un peu restreints, et ce qui achève de nous convaincre que nous ne ferons pas de ce lieu notre restau préféré, c’est l’arrivée d’un groupe de seize jeunes filles scouts. Carine remarque parmi ces « jeannettes » que certaines font très pétasses. Je lui fais observer qu’une fois de plus, elle a laissé parler son « côté fille » : cette façon de décréter que telle ou telle gamine est une pétasse sans la connaître, c’est tout de même particulièrement féminin. Carine m’objecte que lorsque le groupe est entré, Sébastien et moi avons traité toutes ces filles de morveuses. Nous lui répondons que la différence, c’est que nous, nous avons raison : ces filles ont entre quinze et dix-sept ans, mettons, certaines ont encore des appareils dentaires en métal dans la bouche : à cet âge-là, tout être humain est un morveux. Qod erat demonstrandum. Les expressions favorites de Carine sont, pour dire qu’elle est heureuse : « C’est de la boulette ! » ; pour marquer son refus catégorique à une quelconque proposition : « T’as vu la Vierge ? » ; ou enfin, dès que Sébastien ou moi sortons une connerie : « Ça va pas mieux, toi ! » Carine est l’exemple même de la prof de collège qui, au lieu d’enseigner la meilleure façon de parler à ses élèves, apprend d’eux leurs propres tics de langage. Je ne sais plus vraiment comment cela s’est passé, parce que je ne suivais pas leur conversation, mais Sébastien et elle ont décidé que le « jeu des compliments » prenait fin à partir de ce soir. Ils ne m’ont même pas consulté, moi, l’inventeur du concept. C’est dans les meilleurs amis que l’on trouve les meilleurs traîtres. Sébastien et moi choisissons pour dessert de la pastèque, mets que pour ma part je n’ai plus goûté depuis Istanbul. Nous bavardons encore un peu avec Carine dans sa chambre. Sébastien menace de lui révéler le nom du coupable du Mystère de la chambre jaune, de Gaston Leroux, qu’elle est en train de lire, et j’ouvre la mystérieuse porte située au-dessus de son lit et dont on ignore la raison d’être…. Il s’agit d’une sorte de débarras. Nous laissons ma mie face au mystère de la chambre jaune et à celui de la porte suspendue de sa chambre, et nous remontons à notre étage.

mardi 8 juillet 2008

Voyage à Rome (1/11)


Jeudi 8 juillet 2004.


Le départ se fait sous une pluie bien lavalloise. Carine est déjà à la gare lorsque j’arrive, amené par ma mère. Celle de Carine est là aussi, ainsi que les deux enfants qu’elle garde. Il faut croire que Carine s’était jurée d’être la première à la gare pour qu’on ne puisse prétendre l’avoir trop attendue… Sébastien arrive peu après, le périple peut commencer. De Laval au Mans, rien à signaler : c’est le matin, nous lançons quelques plaisanteries sans envergure. Le premier compliment que je fais à Carine — bien obligé, puisque je me suis moqué d’elle — est pour ses pieds. Celui-là ne pourra donc plus me resservir. Ce jeu des compliments brise les envolées de Sébastien, qui n’ose plus vraiment sortir de plaisanteries à l’égard de Carine, de peur du châtiment. Il s’en ouvre auprès de nous au buffet de la gare du Mans, mais nous sommes sans pitié : le jeu continue. Il s’arrêtera de lui-même, je pense, quand nous en aurons tous marre. Nous attendons une heure au buffet, Carine devant un muffin indigeste qu’elle se force à manger. Du Mans à Roissy, le train-train nous pousse mollement, l’apathie s’installe. Ces wagons Alsthom sont de très honorables somnifères. Lorsque son compagnon de voyage du moment a déserté la place à côté de la sienne, Sébastien s’allonge sur la banquette, en habitué des longs courriers. Je déclare : « Voilà un gars qui ne se contente pas des chemins de fer de Petite Ceinture : lui, c’est la Grande Boucle ! »


L’arrivée à Roissy se fait beaucoup plus simplement que la dernière fois : nous sommes en un clin d’œil à la porte F2, en passant devant le terminal E2, celui dont la passerelle s’est écroulée dernièrement sous le poids des voyageurs. Sébastien, le capitaine d’équipe, prend les billets et nous entrons dans la file d’attente pour l’enregistrement de nos bagages. Nous approchons lentement des guichets, quand hôtesses d’accueil, cerbères et cognes, mitraillette en bandoulière, nous font signe de reculer : un colis suspect vient d’être repéré et l’équipe de déminage doit le faire sauter. Nous sommes donc refoulés sur une centaine de mètres, un périmètre de sécurité est délimité, et tout le monde attend les démineurs avec anxiété : certains craignent que l’avion ne décolle sans eux (comme si un avion de ligne pouvait partir aux trois-quarts vide), d’autres voient les minutes passer et calculent déjà le retard que prendra le bousin. Sébastien et moi pouvons évaluer la patience de Carine, qui est extrêmement limitée, mais ce n’est pas une énorme surprise… Les démineurs finissent par se pointer, préparent leur petite cuisine consciencieusement tandis que les bidasses derrière un cordon rouge, pétoires en main, veillent à ce que personne ne franchisse le périmètre interdit ou ne prenne de photos de l’opération. Pan ! La valise explose, les ouvriers ramassent leurs outils, nous pouvons retrouver notre file d’attente, qui se recompose instantanément, plus brouillonne que précédemment, ce qui est dommage. Un voyage qui commence dans le désordre part sur de très mauvaises bases : ne risque-t-il pas d’aller en s’améliorant au fil des jours ?... Nos bagages partent de leur côté, nous du nôtre. Pour franchir les barrières électroniques, nous devons même enlever nos chaussures. Un voyage qui commence en chaussettes (ou pieds nus pour Carine), a malgré tout peut-être quelques chances de finir en slip…


L’avion décolle avec une heure de retard, je me suis retrouvé à une place isolée derrière Carine et Sébastien, comme un enfant puni, pour la bonne raison que l’avion est plein à craquer… ou aurait dû l’être, puisque le siège à côté de moi était libre et que j’ai pu ainsi, une fois dans les airs, me rapprocher un peu de mes compagnons d’épopée. Du coup, comme un enfant puni, je refuse mon plateau-repas. Une fois les nuages troués par l’appareil, le soleil devient agressif. Ma place est juste à côté des chiottes, je vois défiler hommes, femmes mûres, jeunes femmes (et parmi ces dernières, quelques jolis petits lots), qui se pressent pour poser leur pêche dans l’azur. Je pourrais m’ennuyer, mais je commence la lecture de L'Invité mystère de Grégoire Bouillier dont les phrases interminables et brodées d’incises m’enchantent. Mais trop de plaisir d’un coup n’est pas bon pour mon cœur : je dois doser et repose le livre. Je pourrais m’ennuyer, mais des écrans diffusent des émissions de caméra cachées. Je ne m’ennuie donc pas : j’ai envie d’avaler un flacon de nitroglycérine et de me foutre le feu, c’est tout. Le sol de Rome-Fiumicino vient heurter les roues de notre avion, nous tournons un moment sur la piste d’atterrissage, puis nous quittons l’habitacle sous la pluie d’arrivederci des hôtesses et du commandant de bord. On se masse comme des sardines sans huile dans une navette qui nous dépose devant l’entrée de l’aéroport. Carine s’accroche fermement à Sébastien à défaut de trouver une barre de sécurité que ses petits bras pourraient atteindre.


Reste à récupérer nos bagages. Nous restons un bon moment à regarder tourner des sacs inconnus qui nous deviennent assez vite familiers avant de comprendre que les nôtres tournent sur un autre carrousel. Carine, qui nous disait depuis un moment que nous devrions peut-être surveiller d’autres tapis roulants, jubile de « je-l’avais-bien-dit » et je jubile de mauvaise foi.


L’express Leonardo nous porte jusqu’à la gare de Termini : une demi-heure de train à travers la banlieue romaine aux décors hollywoodiens : des façades d’immeubles colossales et carrées, roses et jaunes, parfois saumon, clinquantes et cradingues — du carton-pâte qu’on s’attend à voir démonté et plié par quelques techniciens de plateaux ciné. À la gare, nous faisons résonner les roues de nos valises sur le bitume, Sébastien en tête, moi au milieu et Carine fermant la marche. Notre hôtel n’est pas loin, reste à le trouver. Je rencontre déjà quatre ou cinq femmes de ma vie dans les rues de Rome. Touristes ou autochtones ? Les rues grouillent de filles vêtues du strict minimum au-dessous duquel la décence n’est plus qu’un anachronisme. Minijupes à foison, nombrils aux aguets, tétons frétillants : je me pincerais bien, mais je dois traîner ma valise. Il faut dire qu’il fait plus de 30°, ici : on est loin du temps pourri du Palindrome… On finit par trouver l’hôtel, via Castelfidardo. Carine est au troisième étage, nous au cinquième. L’ascenseur antique, enfermé dans sa grille, ne peut supporter que trois personnes sans bagages, ou deux avec bagages. J’accompagne Carine dans l’ascenseur jusqu’à son étage, avec les valises, et Sébastien nous rejoint par les escaliers. Carine découvre sa chambre, la 313, très petite mais pourvue d’un ventilateur, et nous découvrons l’une de ses voisines, une blonde qui téléphone sur le palier, seulement couverte d’une serviette de bain. Comme s’il ne faisait pas déjà assez chaud ici, il faut que les filles s’y mettent ! Notre chambre, à Sébastien et moi, la 508, ne possède pas de ventilateur. Mais elle est plus grande, évidemment, et la fenêtre donne sur la rue, alors que celle de Carine donne sur une cour carrée qui laisse très peu passer la lumière. Ruée vers la douche. Cinq minutes plus tard, je suis de nouveau en nage. Carine vient frapper à notre porte, elle a relevé ses cheveux et porte un débardeur et un short que Sébastien qualifie d’« éponge », ce qui vexe un peu ma mie (et je pense qu’elle a quelques raisons de l’être). Mais comme une boutade chasse l’autre, elle ne reste jamais vexée bien longtemps… enfin, jamais longtemps pour la même raison, en tout cas.


Carine essaie de régler un problème de portable : elle ne peut pas appeler la France, et nous sortons dans la fraîcheur du soir, traînons dans le quartier, entre la gare de Termini et les thermes de Dioclétien, qui rappellent un peu Cluny à nous autres nostalgiques du boulevard Saint-Michel… Nous n’avons pas très faim mais une grande soif, nous nous installons à la terrasse du Gran’ Caffè. Carine parvient enfin à joindre la France, nous commandons tout de suite une bouteille d’eau, puis je prends des tagliatelles alla bolognese et mes compadres des pizzas. Les plats sont un peu trop salés et nous n’avons pas vraiment d’appétit, mais on fait avec ce qu’on a. Des accordéonistes viennent nous jouer, mal, la sérénade et nous demandent des sous, que nous ne leur donnons pas. Sébastien se retrouve durant cette soirée avec deux compliments à faire à Carine, et il s’en sort avec brio : « J’aime ton nez mutin et ton nombril furibond ! » Ce n’est pas très crédible, surtout en ce qui concerne le nombril, que Carine ne dévoile jamais, mais comme ça la fait rire, la dette est épongée. Nous restons près de deux heures dans le restau, le service est lent, nous parlons beaucoup petites culottes et strings, ce qui doit être le résultat de la fatigue du voyage et d'un certain penchant collectif pour la grivoiserie, et nous rentrons à l’hôtel. Là, nous regardons sur un plan de la ville ce qu’il serait intéressant de voir demain. Sébastien et Carine surtout évaluent les priorités, potassent le guide, etc. Lorsque Carine nous quitte, je m’attable devant mon journal, Sébastien fait sa douche et se couche. J’ai deux stylos à encre : le premier, qui m’a servi pendant des années, fuit comme un lâche et l’autre, que je viens d’acquérir, ne s’est pas encore « fait » à ma main. Du coup, fatigué d’appuyer comme un fou pour tracer des lettres à peine lisibles, j’utilise un bic, outil que je n’aime pas particulièrement.