mercredi 9 juillet 2008

Voyage à Rome (2/11)

Vendredi 9 juillet 2004.

Nous frappons à la porte de Carine vers 9 h 30 et nous descendons à la salle de restaurant du deuxième étage. Le moment du petit déjeuner ne sera visiblement pas aussi privilégié qu’à Istanbul : biscottes, pain de seigle, croissants à la pâte d’amande, jus de pamplemousse… Carine essaie de faire parler Sébastien qui est muet le matin, et cet acharnement ne fait que le rendre moins loquace encore, si c’est possible. Il n’y a qu’une fois en route pour les thermes de Dioclétien tout proches, qu’il cause un peu. J’ai passé une mauvaise nuit à voir défiler des lignes et des lignes de mots invisibles, sans pouvoir dormir, comme encore dans la fièvre de l’écriture de mon journal. Je n’ai pu dormir un peu qu’au matin, non sans me réveiller souvent. Mes jambes ne sont pas vraiment reposées non plus, ce qui fait que l’entrain, tout d’abord, n’y est pas, malgré le vent frais qui balaie un peu la lourdeur de l’air. Je suis comme d’habitude tout de suite en nage, pourtant la chaleur n’est pas si terrible… Nous entrons donc dans les thermes de Dioclétien, demandons au guichet à visiter le cloître de Michel-Ange. Nous pénétrons tout d’abord dans des salles heureusement climatisées pour admirer les épigraphes, les plus anciens vestiges qui témoignent de l’apparition de l’écriture latine. Poteries, pendentifs, stèles se suivent sur plusieurs étages. Carine, déformation professionnelle, lit les descriptifs pour nous et commente ce que nous voyons, ou tente de traduire certaines inscriptions. Nous avons du mal à rester sérieux devant les bustes et les statues amputés de bras ou de jambes, voire acéphales. Moi j’ai très vite le gosier sec comme une semelle longtemps mâchée. Nous redescendons vers le cloître et nous en faisons le tour. Quatre allées partent en diagonale vers le centre de la cour pour se rejoindre autour d’une petite fontaine (nous nous abreuvons à un robinet) et chaque allée est ornée de deux immenses têtes d’animaux : des chevaux, un éléphant, un rhinocéros, une chèvre, des bœufs…


Nous quittons les thermes sans en avoir vraiment fait le tour, nous y reviendrons sans doute, et nous poursuivons notre route. Nous aurions pu passer à côté d’elle sans nous y intéresser, alors que nous prenions des clichés de la fontaine de la place de la république… et finalement nous entrons dans l’église Santa Maria degli Angeli à la façade étonnante de sobriété concave. Et nous faisons sans doute là la plus belle découverte de la journée, en pénétrant dans cette église construite par Michel-Ange et saturée de peintures gigantesques apportées de la basilique Saint-Pierre. L’orgue y est immense, une méridienne coupe l’église en diagonale. Sébastien recherche le Saint-Sébastien du Dominiquin qui se trouve devant l’autel, malheureusement hors de portée à cause de frustrantes barrières. Dans la sacristie, des panneaux retracent l’historique de l’église.


Carine veut voir le palais Barberini, nous passons devant la fontaine de l’Aqua Felice, surveillée par quatre énormes lions, chiens de garde du colossal Moïse. Et nous cherchons le palais sans trop savoir ce que nous cherchons vraiment. Carine commence à montrer des signes de fatigue, elle s’est fait mal au pied dans la rue des Quatre Fontaines, contre un pavé, et moi je suis de nouveau déshydraté. Nous finissons par trouver ce satané palais Barberini, transformé en galerie de peinture, et fermé. Nous poursuivons notre route jusqu’au parc du Quirinal, où nous nous approprions un banc à l’ombre. Sébastien, encore vaillant, se met à la recherche d’une bouteille d’eau. Il revient une bonne demi-heure après, avec deux bouteilles d’une eau légèrement gazeuse (leggermente frizzante). Nous restons là un moment, Carine a mal aux jambes, et nous repartons en direction du palais Quirinal. Arrivés à destination, sur une place ornée d’une fontaine et d’immenses statues, nous pouvons voir au loin le Vatican. Nous empruntons de petites rues piétonnes, passons même devant le musée national de la pâte alimentaire et cherchons la fontaine de Trévi. Un attroupement de gens nous convainc que nous sommes sur la bonne voie, et apparaît alors cette fontaine immense, qui ressemble plutôt à un bassin, noire de monde agglutiné à la fraîcheur de l’eau. Carine veut manger une glace, s’asseoir surtout, nous cherchons donc une terrasse à l’ombre où déguster un iceberg : ce n’est pas ce qui manque dans le coin. Seb et moi prenons une coupe au kiwi et Carine une à la fraise. Puis nous retournons tranquillement vers l’hôtel, sans avoir jeté de pièce dans la fontaine de Trévi. Nous poussons jusqu’à la Porta Pia toute proche, encore un bel ouvrage de Michel-Ange, et constatons que le très laid bâtiment qui fait l’angle n’est autre que l’ambassade d’Angleterre, ainsi que nous l’indique l’Honni soit qui mal y pense qui orne le fronton. Petite pause à l’hôtel, où nous nous rafraîchissons. Carine vient frapper à la porte alors que Sébastien et moi réfléchissons à un endroit où manger ce soir et au programme des réjouissances pour les prochains jours. Elle s’amuse à lui tracer une croix rouge sur le genou avec un stylo quatre couleurs, il se venge aussitôt (d’autant que c’est son stylo) en lui dessinant une fleur sur la jambe. Ce genre d’enfantillages, je n’y participe pas : le simple fait de lever le bras me fait couler la sueur.


C’est à l’Hosteria de Bruno que nous allons manger, via Vestre, le petit restaurant d’un amateur de crèches. Deux photos le montrent devant le pape, lui présentant une crèche de sa composition. La salle de restaurant est très agréable, les murs sont saturés de dessins de ruines romaines ou de portraits, très place du Tertre, ainsi que d’objets et d’outils de toute sorte. La serveuse a de faux airs de Sheila. À moins que ce ne soit Sheila qui ait des faux airs de serveuse. Les choix proposés sont malheureusement un peu restreints, et ce qui achève de nous convaincre que nous ne ferons pas de ce lieu notre restau préféré, c’est l’arrivée d’un groupe de seize jeunes filles scouts. Carine remarque parmi ces « jeannettes » que certaines font très pétasses. Je lui fais observer qu’une fois de plus, elle a laissé parler son « côté fille » : cette façon de décréter que telle ou telle gamine est une pétasse sans la connaître, c’est tout de même particulièrement féminin. Carine m’objecte que lorsque le groupe est entré, Sébastien et moi avons traité toutes ces filles de morveuses. Nous lui répondons que la différence, c’est que nous, nous avons raison : ces filles ont entre quinze et dix-sept ans, mettons, certaines ont encore des appareils dentaires en métal dans la bouche : à cet âge-là, tout être humain est un morveux. Qod erat demonstrandum. Les expressions favorites de Carine sont, pour dire qu’elle est heureuse : « C’est de la boulette ! » ; pour marquer son refus catégorique à une quelconque proposition : « T’as vu la Vierge ? » ; ou enfin, dès que Sébastien ou moi sortons une connerie : « Ça va pas mieux, toi ! » Carine est l’exemple même de la prof de collège qui, au lieu d’enseigner la meilleure façon de parler à ses élèves, apprend d’eux leurs propres tics de langage. Je ne sais plus vraiment comment cela s’est passé, parce que je ne suivais pas leur conversation, mais Sébastien et elle ont décidé que le « jeu des compliments » prenait fin à partir de ce soir. Ils ne m’ont même pas consulté, moi, l’inventeur du concept. C’est dans les meilleurs amis que l’on trouve les meilleurs traîtres. Sébastien et moi choisissons pour dessert de la pastèque, mets que pour ma part je n’ai plus goûté depuis Istanbul. Nous bavardons encore un peu avec Carine dans sa chambre. Sébastien menace de lui révéler le nom du coupable du Mystère de la chambre jaune, de Gaston Leroux, qu’elle est en train de lire, et j’ouvre la mystérieuse porte située au-dessus de son lit et dont on ignore la raison d’être…. Il s’agit d’une sorte de débarras. Nous laissons ma mie face au mystère de la chambre jaune et à celui de la porte suspendue de sa chambre, et nous remontons à notre étage.

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