jeudi 10 juillet 2008

Voyage à Rome (3/11)


Samedi 10 juillet 2004.


J’ai beaucoup mieux dormi cette nuit, Sébastien aussi me semble-t-il, et la fraîcheur du matin était fort appréciable. Carine n’a toujours pas mieux dormi : c’est peut-être le fait de ne pas coucher dans son lit habituel qui la gêne (je suis un peu comme ça aussi, mais en général ça passe avec la première nuit), ou la lumière du matin qui la réveille, puisqu’elle n’a ni volet ni rideaux opaques… Après le petit déjeuner goûté en silence dans la salle du deuxième étage, nous allons prendre le métro à la station Termini. Il nous faut un certain temps pour comprendre où se trouve la voie qui convient, pourtant il n’y a que deux lignes de métro à Rome (à chaque fois qu’un projet de galerie souterraine est proposé, de nouveaux vestiges sont découverts…). Ici, il faut vraiment deviner la carlingue du métro sous les tags. Nous sortons du lombric de métal à la station Spagna et prenons la direction de la villa Borghèse. Dès la sortie du métro, nous longeons un centre équestre qui appartient au parc de la villa. Une mongolfière se hisse lentement derrière des arbres, retenue au sol par un câble. Nous entrons dans le parc, Carine porte aux pieds des tongs noires, plutôt que les baskets qu’elle avait hier, ce qui nous amuse un peu : elle semble croire que nous ne marcherons pas beaucoup aujourd’hui... Nous visitons le parc sans aucune méthode, découvrons par hasard le vrai-faux temple d’Esculape au milieu d’un lac sur lequel se prélassent des couples en canot. Carine se repose déjà sur le premier banc, se remet de la crème solaire — « Il faut en remettre toutes les deux heures ! » —, change les pansements de ses orteils (quel plaisir trouvent les femmes à se meurtrir les pieds dans des chaussures qui ne leur conviennent pas ? Mystère…), tandis que Sébastien et moi n’avons d’yeux que pour une nana sur son canot dont le maillot largement décolleté laisse passer un sein accueillant. Nous adorons cette ville.


Nous continuons notre chemin cerné de quelques bustes et de quelques statues en pied illustres. Goethe domine, massif, l’œil au loin. Nous longeons l’imposante galerie d’art moderne, Carine propose d’aller visiter le musée étrusque de la villa Giulia, près de l’Académie de Roumanie et de celle de Belgique. Nous laissons nos sacs dans de petits casiers qui ferment à clé, et cherchons un moment l’entrée du musée. Nous voilà donc devant de nombreux vases plus ou moins bien conservés. Certains le sont parfaitement. Carine croit même reconnaître une amphore qui a servi pour illustrer la couverture de l’un de nos livres de latin au lycée. Tout en observant bien ce que nous avons sous les yeux, nous jouons les dissipés, façon collégiens : il y a très peu de monde à visiter le musée en même temps que nous. Carine trouve ainsi un « gode » d’albâtre : ce genre d’humour, c’est son côté mec. Des sarcophages, des poteries, des bijoux, des inscriptions, encore des poteries, du bronze, toujours des poteries, des armes… L’ennui, avec les musées, c’est que chaque salle mériterait un attention soutenue et que nous n’avons pas toute la vie, que nous fatiguons vite à piétiner dans ces allées climatisées. Et puis il faut dire que des pots, nous en avons déjà vu un bon nombre hier dans les thermes de Dioclétien !... Ils avaient un goût pour les récipients assez fascinant, ces Étrusques…


En sortant du musée, plutôt que de retourner en direction de la villa Borghèse, nous suivons Sébastien qui veut entrer dans un parc tout proche pour nous y reposer un peu. Toutes les entrées que nous voyons sont marquées de l’enseigne « Propriété privée », et nous nous sommes déjà tellement éloignés de la villa Borghèse que ce n’est même plus la peine de faire demi-tour, d’autant que Carine marque des signes de fatigue de plus en plus visibles (elle se tait). Nous descendons la via Flaminia et retournons malgré tout nous asseoir sur un banc ombrageux du parc de la villa Borghèse pour calmer les pieds de Carine et nous désaltérer, et je suis pris d’une quinte de toux en plein fou rire, ou d’un fou rire au beau milieu d’une quinte de toux qui n’en finit pas… Carine aimerait trouver un marchand de glace « à la sauvette », l’expression nous a plongé dans l’hilarité, nous imaginions Carine courir en tongs derrière son marchand de glace sous le manteau, celui-ci faisant tout pour la semer… D’où, rire aux larmes, toux monumentale qui me laisse hagard, les yeux inondés une fois que je l’ai vaincue, etc.


Nous finissons par reprendre la route, sans être remontés vers la villa Borghèse. Sur la place du Peuple, nous entrons dans l’église Santa Maria del Popolo, assez obscure, où Sébastien et moi trouvons encore maintes occasions de rire, en contemplant une coupole au milieu de laquelle un Dieu menaçant semble lancer des projectiles aux simples mortels que nous sommes, un Christ en croix la bouche béante (c’est la première fois que je vois le Crucifié ouvrant la bouche) et un autre, que nous voyons d’abord de dos, et dont la croix a disparu. Il semble danser bizarrement, les bras en l’air, la tête baissée en avant — nous avons le sentiment religieux très gai, aujourd’hui. Elle est magnifique, pourtant, cette église, avec ses somptueux Caravage. Je crois me souvenir que Renaud Camus l’aime particulièrement… Je ne peux pas le vérifier, n’ayant pas emmené le Journal romain, un peu encombrant.


Nous montons vers le Pincio et Carine nous suit docilement en songeant surtout à la glace qui l’attend là haut… et là haut, c’est une vue magnifique sur le Vatican qui l’attendait, pas moins. La glace patientera encore parce que Carine ne veut pas de celles que proposent les marchands ambulants (« à la sauvette ») aux touristes. Nous longeons le sinistre mur gris de la villa Médicis, blockhaus des plus hideux, et redescendons vers l’église de la Trinité-des-Monts, dissimulée derrière des échafaudages, invisible. Ces échafaudages sont recouverts d’un immense rideau sur lequel a été peinte une reproduction grandeur nature de l’église, reproduction elle-même recouverte par une affreuse publicité sur fond bleu. Nous descendons les escaliers noirs de monde. Des calèches sont attelées sur la place d’Espagne et attendent le touriste. Elles ne semblent pas beaucoup l’attirer, le touriste, pourtant l’endroit en est rempli. Nous nous engouffrons dans la via Colonna, bondée : c’est ici que se trouvent rassemblées toutes les boutiques chics. Nous encourageons Carine à se faire plaisir sans s’occuper de nous (nous trouverions bien une librairie où patienter), d’autant qu’il y a des soldes, mais elle ne veut pas nous imposer ça… Tant pis pour elle. Nous traînons dans une galerie marchande où se trouve une librairie, la Feltrinelli. Nous ne parvenons pas à trouver de livres en français. Devant la piazza Colonna, Carine se souvient que c’est là que se trouve la boutique officielle de l’AS Roma. Elle veut offrir un maillot à son ami, passionné de foot. J’ignorais qu’elle avait un jules : c’est ça aussi, les « voyages-découvertes ». Le problème, c’est qu’elle ne trouve pas un seul maillot qui lui plaise, parce qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle cherche non plus (elle voudrait le « vrai » maillot, mais la texture ne lui plaît pas, finalement elle préférerait un tee-shirt, bref : les filles ne comprendront jamais rien au foot). On repart donc bredouille, et dès lors elle ne pense plus qu’à sa glace. Nous repassons devant la fontaine de Trévi, elle cherche le même glacier qu’elle cherchait déjà hier parce que le guide de Sébastien en vantait les produits, mais une fois dans la boutique, ça ne l’emballe pas. Nous ressortons donc, en trouvons une autre qui lui convient mieux, elle paye sa glace, prend un ticket et attend dans la file qu’on la serve. Elle déguste donc son cornet chocolat, pêche, coco surmonté de Chantilly et nous nous asseyons sur un bout de trottoir, devant une petite fontaine publique où s’agglutinent de jeunes filles turbulentes.


Sa glace une fois consommée, Sébastien demande à Carine de prendre les commandes, et c’est elle alors qui se débrouille pour nous faire rentrer à l’hôtel — en empruntant la via Nazionale alors que celle du Vingt-Septembre nous aurait fait gagner du temps, mais peu importe. Une bonne douche plus tard, nous nous retrouvons tous dans notre chambre 508, devant la télé et ses conneries. Carine veut réfléchir à ce que nous ferons demain, mais Sébastien, qui a faim, trouve le temps un peu long. Finalement, nous descendons à la pizzeria qui se trouve à quelques mètres de l’hôtel. Sébastien et moi commandons une pizza à la mozzarella et au saumon et Carine une aux champignons. Nous nous régalons, Carine cale un peu, et comme toujours c’est Sébastien qui doit finir sa part. Ça m’arrange, du reste, parce que je ne raffole pas des champignons. Elle commande un Cappuccino, nous un sorbet citron délicieux. Carine râle parce que le serveur a donné une rose à certaines clientes et pas à elle, elle lui lance des regards du plus noir ébène. De retour à l’hôtel, nous consultons encore la carte et le guide pour décider du trajet de demain. Nous décidons de nous lever tôt pour partir au Vatican (un dimanche, ça s’impose), il est une heure et demie du matin, Sébastien est couché depuis un moment et je dois encore prendre ma douche.

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