lundi 16 novembre 2015

Journal


Dimanche 15 novembre 2015.

            Ça y est, toutes les victimes ont été identifiées, la France vit une espèce de gueule de bois ininterrompue depuis vendredi soir. Il semble tout de même que le mot d’ordre soit : « Même pas peur ! » Les terroristes ont visé des lieux culturels et des quartiers populaires, ce sont des terrasses de cafés et de restaurants qui ont été arrosées à la kalachnikov, et la réponse la plus spontanée à ces attentats semble être, sur le mode du slogan Je suis Charlie qui a été lancé dès le 7 janvier : Je suis en terrasse. Pierre a posté sur son mur, sous la sentence : « Nos soirées ne sont pas négociables ! » une photo d’Anne B., dont on ne voit que les jambes (sublimes et bottées), dans une très courte robe noire, un verre de rouge à la main. Puisque les djihadistes nous ont pris pour cible dans ces moments de joie, de convivialité, de fête, de musique, nous n’avons à leur opposer que cette résistance là : continuer à s’installer en terrasse, à faire la fête, à s’amuser entre amis. Je trouve une formule à la con, comme toujours : « Dans apéro, il y a “héros” ! » C’est dérisoire, c’est absurde, bien sûr, c’est exactement le genre de comportement dont un Philippe Muray se moquerait – et pourtant, à ce moment, c’est ce qui semble le comportement le plus juste. L’apéro comme acte de bravoure, il fallait y penser ! Parce que nous avons grandi dans un pays libre, que nous n’avons pas connu la peur, le couvre-feu, le risque d’essuyer une rafale de mitraillette à chaque fois qu’on traverse la rue, et que nous ne voulons pas renoncer à cette liberté, à cette insouciance là. Prétendre que l’on continuera à s’installer à la terrasse des cafés, à se rassembler, c’est refuser la peur. Refus puéril, naïf, bien sûr : la peur est bien présente, palpable, et la foule rassemblée place de la République à Paris a vécu un grand mouvement de panique quand des crétins se sont amusés avec des pétards – la peur est là, donc, mais nous n’en voulons pas.


vendredi 13 novembre 2015

Une splendide désolation

           

Je suis démodé.
            À l’heure où ceux qui s’intéressent un peu à l’espace ont les yeux tournés vers Mars où l’on a découvert des traces d’eau à l’état liquide, Mars que le robot Curiosity arpente tranquillement et qui pourrait bien être la prochaine destination des astronautes, Mars où Matt Damon a déjà réussi à faire pousser des patates en les attendant ; à l’heure où ceux qui s’intéressent vraiment beaucoup à l’espace suivent les pérégrinations de la sonde New Horizons autour de Pluton ou placent tous leurs espoirs d’un monde meilleur dans l’exoplanète Kepler-452b ; à l’heure où les astrophysiciens s’arrachent les cheveux (ou ce qui se rapproche le plus du concept de cheveu chez les astrophysiciens) sur des questions d’énergie noire, de boson de Higgs et de matière noire ; à l’heure où je suis sur le point de me prendre les pieds dans le tapis de cette phrase si je ne la conclus pas rapidement, j’ai décidé de relire Bivouac sur la Lune (Of a Fire on the Moon) de Norman Mailer, grand reportage consacré à la mission Apollo 11 et au petit pas de Neil Armstrong sur notre bon vieux satellite. Oui, je suis démodé. Il n’y a qu’à voir comment je m’habille.
            C’était donc en 1969 et cet été-là, l’été de la Lune, Norman Mailer couvrait l’événement avec une multitude d’autres journalistes, piégé avec eux par l’actu brûlante, entre la salle de commandes de Houston et les télévisions du monde entier, rediffusant en boucle les images floues, fantomatiques, du premier pas de l’homme sur un sol extraterrestre.
            « That’s one small step for a man ; one giant leap for mankind. »
            Une phrase qui vaut bien le début de ce roman de je ne sais plus qui : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre »… Parce qu’il y a de la mystique dans ce livre qui fait des machines des êtres surnaturels, des Dieux adaptés à notre époque technologique. Et il y a de la science-fiction dans cet essai consacré à un événement réel, à une expérience humaine qui, filmée, archivée, analysée, demeure d’une certaine manière inconcevable, impossible à assimiler…
            Buzz Aldrin lui-même, devant le spectacle de l’astre lunaire qu’il s’apprêtait à fouler du pied, n’en revenait pas : « Un ciel noir de minuit et pourtant sur le sol lunaire, “on pourrait presque retrousser ses manches de chemise et se faire bronzer, devait dire Aldrin. Je me rappelle avoir pensé : ‘Bon sang, si je ne savais pas où j’étais, je pourrais croire que quelqu’un a créé ce paysage quelque part dans l’Ouest pour nous faire effectuer encore une simulation.’” » Une incrédulité qui fera recette : peut-être que tout a été filmé par Stanley Kubrick dans le désert du Nevada…

Qu’il y ait eu des sceptiques en 69 peut se comprendre, mais que les théoriciens du complot, aujourd’hui encore, mettent en doute le fait que des hommes soient allés sur la Lune, est fascinant. Non seulement ils y sont allés, mais ils y sont retournés six fois entre 1969 et 1972 ! Au vu du nombre de missions spatiales effectuées depuis les années 60, sachant qu’à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes naviguent en permanence l’ISS et son équipage, il serait tout de même très étonnant qu’en 2015, on n’ait toujours pas réussi à poser les pieds sur cette foutue Lune !… Mais que des gens continuent à en douter ne fait que confirmer l’aspect irréaliste de l’expérience. Devant ces images mille fois revues de Neil Armstrong et Buzz Aldrin marchant avec légèreté sur le sol lunaire, plantant le drapeau américain maintenu par une tige de fer pour donner une impression de flottement, on a encore l’impression d’assister à un rêve. Au fond, ces images n’ont guère plus de réalité pour nous que les planches de l’album de Hergé On a marché sur la Lune, ou que le Voyage dans la Lune de Méliès ! L’expérience réelle de l’exploration lunaire par les astronautes de la NASA n’a rien enlevé au potentiel fictionnel de la Lune : une autre théorie du complot prétend que si l’homme a bien marché sur la Lune, il n’était pas seul, et qu’on y a retrouvé des infrastructures prouvant l’existence des aliens ! La photo floue est l’arme de prédilection du « complotiste » : plus on l’ausculte, moins on y voit, et moins on y voit, plus on peut bâtir de théories imaginaires… On peut déjà parier que lorsque, dans quinze ou vingt ans, des astronautes fouleront le sol de Mars, les images qu’ils nous enverront n’enlèveront rien à la magie des Chroniques martiennes de Bradbury ou du Cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs…

Norman Mailer est pleinement conscient de la démesure de l’événement, qui dépasse d’avance tout ce que les images télévisées pourront en montrer, de même que le visionnage en boucle des Boeing s’encastrant dans les tours du World Trade Center finit par déréaliser le réel. Quand la réalité dépasse la fiction, la fiction peine à s’en emparer. Trop formidable, la réalité déçoit. « C’était l’événement de sa vie, et pourtant ç’avait été un événement morne. Le langage dans lequel on allait désormais chanter cet extraordinaire bond promettait d’être aussi plat que la musique d’une harpe sans cordes. Le siècle avait ôté les mots à toutes les mélodies. »
Cette semaine qui allait voir l’homme, aidé de la machine, voler le feu divin et se propulser hors de l’attraction terrestre, faire du ciel son domaine, avait quelque chose d’apocalyptique – une gigantesque hérésie. « Car l’idée que l’homme partait pour accomplir le désir de Dieu était ou bien le cœur même de la vision ou bien un anathème envers cet authentique ange du ciel dont les feux dans leur ascension allaient violer le sanctuaire. Un vaisseau de flammes était en route pour la Lune. »
            Alors, puisque les images sont impuissantes à saisir l’événement dans son ampleur, puisque la réalité déborde le cadre, Norman Mailer décortique cette semaine de juillet de long en large, à deux reprises, dressant d’abord la psychologie des astronautes, puis celle des machines ; décrivant le lancement de Saturn V et l’alunissage du point de vue des journalistes, puis de celui des trois membres d’équipage de la fusée.
            « Personne ne pouvait être préparé à ça. Les flammes se déversaient en cataractes contre la pointe du bouclier protecteur, puis ruisselaient sur le sol pavé par les deux caniveaux opposés creusés dans le béton, deux rivières souterraines de flammes qui débouchaient à l’air libre de chaque côté à une trentaine de mètres plus loin, puis coulaient encore sur une trentaine de mètres. Deux formidables torches, comme les ailes d’un oiseau de feu jaune, couvraient tout un champ de l’épanouissement jaune vif des flammes, et au milieu de tout cela, blanc comme un fantôme, blanc comme le blanc du Moby Dick de Melville, blanc comme l’autel de la Madone dans la moitié des églises du monde, ce svelte vaisseau à trois étages, angélique et mystérieux, s’élevait sans un bruit au-dessus de son incarnation de flammes et commençait à s’élever lentement dans le ciel, aussi lentement que pourrait nager le Léviathan de Melville, aussi lentement qu’on pourrait nager en rêve quand on veut remonter à la surface. »
            Ces images vues et revues de Neil Armstrong descendant l’échelle du LM, flou et presque translucide, comme un fœtus vu en échographie, ces photos de Buzz Aldrin saluant le drapeau américain ou faisant face à l’objectif d’Armstrong, en viennent à nous faire oublier que tout, ce 20 juillet 1969, était nouveau, était pour-la-première-fois. Comment savoir si le LM, le module lunaire, conçu exprès pour cette fonction, allait réussir à se poser sur le satellite et s’il allait pouvoir repartir ? Comment savoir ce qui allait attendre les trois hommes perdus en orbite autour de la Lune ? Les longues hésitations, les mouvements flottants et malhabiles des astronautes, comme un bambin qui effectue ses premiers pas et se rattrape in extremis aux barreaux de son parc, ont quelque chose de risible, et Mailer décrit les éclats de rire des journalistes assistant à ce spectacle devant la télé. N’empêche que tout était nouveau, même l’ancien – même le fait de remarquer que poser le pied dans la poussière imprime sur le sol une empreinte de botte. « Il aurait peut-être été plus extraordinaire d’apprendre qu’aucune empreinte ne se marquait dans la fine poussière de la Lune, ou bien que cette poussière était phosphorescente, mais c’était quand même un émerveillement de constater que la poussière de la Lune réagissait comme la poussière sur la Terre. Voilà au moins une question à laquelle on avait trouvé une réponse. » Malgré tout, c’était un spectacle qui portait en lui-même son épuisement, son insatisfaction : l’extraordinaire transformé en émission de télé. Et les bondissantes allées et venues des astronautes, leurs expérimentations, leur écoute religieuse du discours de Nixon – « C’est certainement le coup de téléphone le plus historique que l’on ait jamais donné » avait dit le président. « Ricanement dans l’assistance. Le coup de téléphone le plus coûteux que l’on ait jamais donné ! » – tout cela finit par ringardiser le sublime. « Tout compte fait, c’était un public du XXe siècle, et pour qui tout se démodait rapidement. Au bout d’une heure et demie de marche sur la Lune, ils commencèrent à s’ennuyer : certains même filaient discrètement. Dans toute la salle on sentait le désir unanime des journalistes d’aller se réconforter en prenant un verre. L’ennui s’épaississait. L’humeur maintenant était celle qui peut régner lors du dernier quart d’heure d’un match de football dont on attendait beaucoup et dont le résultat s’est révélé décevant. »
            Reste l’expérience intime des trois hommes les plus seuls du moment (prix spécial de la Solitude décerné à Michael Collins, le seul des trois qui n’aura pas l’occasion de marcher sur la Lune) que Norman Mailer s’emploie alors à ausculter avec minutie. Leur voyage est relaté quasiment heure par heure, au rythme des échanges entre l’équipage d’Apollo et la base de Houston, des échanges incompréhensibles pour le commun des mortels mais aussi des plaisanteries, des répétitions de données techniques ou de pures banalités.
Surtout, Norman Mailer excelle une fois de plus dans la description des machines. Ses pages consacrées au LM, ce véhicule purement fonctionnel, conçu sans le moindre souci d’esthétique, sont parmi les plus belles du livre. « C’était aussi la première fois dans l’histoire qu’on avait conçu un véhicule habité qui ne fonctionnerait jamais dans l’atmosphère. Le LM était la machine transportant le pionnier dans les profondeurs du vide de l’espace : il était conçu pour ne travailler que dans le vide, il se serait effondré aussitôt s’il avait été obligé de voyager sans protection dans l’atmosphère ; bien mieux, on l’avait apporté de la Terre comme un embryon dans la matrice du SLA, on l’avait relié seulement plus tard au module de commande puis injecté en trajectoire lunaire comme un bébé au sein. » Plus loin, ce bébé prend « l’air d’un chat dément, d’une araignée qui aurait pris du LSD ou d’une nouvelle espèce de tourteau ». Puis c’est un scarabée, un vieux canasson malade : « Comme la chaleur du Soleil allait le cuire durant l’alunissage et d’autres périodes où le contrôle thermique passif serait impossible, le LM était protégé par des isolants, noir, orange, argent, aluminium, jaune, rouge et or, qui le faisaient étinceler comme un scarabée, dans la lumière, étinceler comme une vieille haridelle dans un carnaval de mendiants. »
Lorsque, s’étant décroché du module de commande resté en orbite, le LM se pose sur la Lune, Buzz Aldrin, qui a apporté un kit de communion, prend le pain, le vin et le calice, et consacre l’événement. « “J’aurais voulu observer comment le vin coulait dans cet environnement, mais le moment n’était vraiment pas approprié. La façon dont il coulait dans le calice n’avait pas d’importance ; ce qui importait c’était que le vin fût dans le calice.” – Et aussi on peut le supposer de ne pas renverser ce saint sang du Seigneur. »
Neil Armstrong d’abord, puis Buzz Aldrin, s’extraient du LM avec difficulté, encombrés de leurs combinaisons, « le corps de l’homme de l’espace s’en allant dans le monde lunaire comme un piano droit à qui des déménageurs font négocier un tournant de l’escalier », et sont alors partagés entre l’émotion de l’instant et le rappel dépassionné de la raison de leur présence ici. Si Armstrong ne perd pas de vue sa mission et se lance rapidement dans la collecte des échantillons à rapporter sur Terre, Buzz est plus lyrique :
« Quand il atteignit le sol, Aldrin fit un grand bond pour remonter l’échelle, comme pour goûter les plaisirs d’une pesanteur d’un sixième. “Merveilleux, c’est merveilleux !” s’exclama-t-il. Armstrong : “Extraordinaire, hein ? Quelle vue splendide !”
Aldrin : “Une splendide désolation.” [Magnificent desolation] »
Buzz Aldrin a plus tard confié, dans un film consacré à la mission Apollo 11, que si Armstrong a été le premier à marcher sur la Lune, il a été, lui, le premier à y pisser, dans le réservoir de sa combinaison, alors qu’il faisait une pause sur l’échelle du LM. Il y a toujours un moment où la poésie se prend une rafale de chevrotine…


Il y avait eu les grands explorateurs du XVe siècle ; il y avait eu les premiers colons qui s’installèrent dans les treize États fondateurs de l’Amérique ; il y avait eu la Conquête de l’Ouest – et la Terre finit par ne plus avoir de véritables secrets pour ses habitants. Les nouveaux continents inexplorés se trouvaient dans l’espace. Les fusées remplacèrent les caravelles, et les astres au-dessus de nos têtes devinrent autant de territoires à conquérir. Évidemment, il fallait que le premier drapeau à flotter sur un sol extraterrestre fût américain : c’est aussi un peu John Wayne qui a marché sur la Lune le 20 juillet 1969 ! Comme Christophe Colomb s’attendait à rencontrer des hommes de douze coudées combattant contre des griffons quand il entreprit son premier voyage vers les Indes, s’inspirant de l’Imago Mundi de Pierre D’Ailly, on a voulu peupler l’espace d’êtres extraordinaires, proches de nous mais plus intelligents, souvent plus dangereux… En tout cas, on ne manquerait pas d’espace pour nos futures expéditions. Dans ses Chroniques martiennes, Ray Bradbury fait des Martiens de nouveaux Indiens d’Amérique, que des cow-boys modernes avides de nouvelles terres viennent exterminer sans le moindre scrupule. On peut en conclure que les Martiens ont bien fait de ne pas exister, et la Lune d’être parfaitement inhabitable. Ce qui ne l’empêche pas, finalement, d’être devenue, durant quelques années, un boulevard sur lequel douze paires de bottes ont marché…

lundi 2 novembre 2015

Vers le fantastique, 8

- Atelier n° 8 : par le trou de la serrure.
Le défi, pour cette proposition, va être d’organiser une suite de lanceurs d’écriture alors même qu’on n’a pas visibilité globale sur une possible histoire, qu’on n’a pas de plan ni de scénario. (…) Dans cette obscurité de l’intuition on va aller planter autant de minuscules fils qu’il sera possible. Et c’est l’empreinte cumulée de tous ces liens partiels qui vous autorisera à vous saisir du corps invisible de l’histoire par définition impensable. (…)

Et si vous numérotiez ? Ça facilitera amplement. Attention : non pas 1, 2, 3, 4 etc., là ça paralyserait. Mais, votre histoire ou votre livre ou votre film ou votre rêve fantastique, par exemple le numéroter de 1 à 100. Puis, chaque mini-fragment que vous écrirez, le situer dans cette numérotation. Peut-être allez-vous écrire le 47 puis le 64 puis le 18 ou le 5 et le 20 ou le 95. C’est très important pour ce qu’on tente, probablement c’est même décisif. C’est ce qui va autoriser que chaque fragment soit autonome, et n’ait pas besoin de bord avant ni de bord arrière.

Par le trou de la serrure

16. – Après tout, si les murs ont des oreilles, pourquoi n’auraient-ils pas aussi des bouches ? 3. – Dans la lumière des phares on finissait par se demander si ce n’étaient pas les essuie-glaces eux-mêmes qui provoquaient la pluie, si leur balai incessant n’était pas ce qui projetait ces trombes d’eau devant la voiture. L’averse, en tout cas, semblait avoir une motivation propre. C’était comme si le mouvement régulier de ces baguettes, minuscules au milieu de la tempête, avait le don d’irriter celle-ci, de décupler sa fureur, comme le vol d’une mouche pourrait rendre fou un individu déjà peu enclin à la patience. 19. – Tout, ici, hurlait. 87. – « Ça fait un moment que t’es parti, on espérait quand même que tu reviendrais pas les mains vides », lança le plus costaud des deux, avec un regard mauvais. 53. – Cette fois, il était vraiment sûr de ne pas être seul ici. Et ça ne le rassurait pas du tout. A priori, la présence qu’il ressentait quelque part autour de lui n’était pas là pour faire un Scrabble. 22. – Tout hurlait. 14. – C’était comme si les murs, les couloirs, les plaques du faux-plafond, les portes des chambres, la poussière, le papier peint, les quelques appareils qu’ont trouvait abandonnés ici ou là, potence médicale, table roulante, fauteuil défoncé, pot de fleurs sans fleurs, scène en carton d’un théâtre de marionnettes, bout de guirlande encore scotché sur un mur, comme si tout cela n’en pouvait plus du silence qui régnait ici, même à l’époque où il y avait encore de la vie, ce silence d’hôpital, ce silence qui enveloppait le bâtiment, chacune de ses ailes, ce silence que tout l’asile semblait suer comme un corps dévoré par la fièvre. 35. – Il souleva le plateau métallique et découvrit, gravé au couteau dans le bois de la table, en majuscule resserrées, minutieuses : JE SERAI DE RETOUR À 17 h 15. DIS-MOI BONNE CHANCE. BÉA. Instinctivement, il regarda sa montre et constata qu’il était 17 h 14. Il en ressentit une légère inquiétude. Bien sûr, ce message avait été écrit il y a longtemps, mais c’est comme s’il s’attendait à voir surgir cette Béa. Qui était-elle ? Et d’où revenait-elle à 17 h 15 ? Pourquoi fallait-il lui souhaiter bonne chance ? Et à qui s’adressait ce message gravé en secret sur un coin de table ? Il n’avait aucune envie de se préoccuper de ça. C’était de l’histoire ancienne. Il fallait que ce soit de l’histoire ancienne. Alors pourquoi, bon Dieu, pourquoi s’en préoccupait-il ? 36. – Il était 17 h 15. 27. – Tout hurlait. 7. – Le type de l’hôtel lui avait dit que personne ne l’accompagnerait à l’ancien asile. 93. – « Vous croyez quand même pas que j’vais vous faire cadeau des réparations, si ? »