jeudi 29 août 2013

Les faits divers


− Vous voyez comme c’est intéressant, les faits divers.
−  Surtout quand ils ont lieu l’été.
Raymond Queneau, Pierrot mon ami.

            Pour qui veut sonder l’âme humaine jusqu’à ses recoins les plus obscurs, toucher du doigt la bassesse de l’homme, regarder son ignominie en face, rien de tel que la lecture des faits divers. De nombreux écrivains se sont ainsi transformés en spéléologues de l’horreur, s’emparant d’un crime crapuleux relaté par les journaux, d’une disparition mystérieuse ou d’une sordide histoire d’escroquerie, pour bâtir un roman où le réel et la fiction s’entremêlent, et tenter de répondre à des questions aussi diverses que :
            − Qu’est-ce qu’un être humain ?
            − Qu’est-ce qu’un monstre ?
            − Comment un être humain peut-il devenir un monstre ? Quel glissement de terrain, quelle erreur de parcours expliquent un tel basculement ?
            − Comment survit-on à l’horreur ? Comment se reconstruit-on après ça ?
            − Comment un type insignifiant peut-il, du jour au lendemain, devenir un criminel sans pitié ? Etc.
            Bref, la monstruosité morale fascine. C’est un terrain passionnant, parce qu’à tout moment, de drôles d’impressions peuvent naître : ce type qui a torturé sa famille pendant des années, tué des enfants, éventré des promeneuses… en quoi est-il différent de moi ? À quel moment a-t-il bifurqué pour passer du stade de l’individu banal, timide et poli, au prédateur sanguinaire ? C’est un déséquilibré, certes, mais est-ce que je suis sûr d’être bien équilibre moi-même ?
            Le fait divers est un miroir déformant. Plus ou moins déformant.
            Un jeune homme désœuvré saigne une vieille dame chez elle et s’enfuit par l’escalier, terrorisé par son propre geste. Dans le canard local, ça ferait dix lignes. Quand Dostoïevski s’en empare, il vous sort Crime et châtiment.
            Quand une famille se fait assassiner par deux vauriens dans le Kansas, Truman Capote écrit De sang-froid et se passionne pour l’affaire à tel point qu’il en devient presque le moteur, que l’œuvre en train de naître empiète déjà sur les lieux du crime.
            Un meurtrier refuse de croupir dans le couloir de la mort et se bat pour que son exécution ait lieu le plus tôt possible : Norman Mailer retrace tout le parcours de Gary Gilmore avec une précision non de journaliste, mais d’écrivain, et publie Le Chant du bourreau.
            Jean-Claude Romand, après avoir menti pendant dix-huit ans à sa famille, s’inventant une carrière de médecin alors qu’il passait ses journées au volant de sa voiture, à attendre le soir pour rentrer chez lui, assassine sa femme, ses enfants et ses parents pour mettre un terme à cette vie d’imposture. Emmanuel Carrère, qui s’empare de cette histoire dans L’Adversaire, écrit : « Le détail des malversations financières de Romand, la façon dont au fil des ans s’était mise en place sa double vie, le rôle qu’y avait tenu tel ou tel, tout cela, que j’apprendrais en temps utile, ne m’apprendrait pas ce que je voulais vraiment savoir : ce qui se passait dans sa tête durant ces journées qu’il était supposé passer au bureau ; qu’il ne passait pas, comme on l’a d’abord cru, à trafiquer des armes ou des secrets industriels ; qu’il passait, croyait-on maintenant, à marcher dans les bois. »
            Au fond, l’écrivain qui se passionne pour un fait divers au point d’en faire un livre cherche à répondre à ses propres questions, plus ou moins formulées dans son esprit. Connais-toi toi-même… en apprenant à connaître les autres. En traquant le monstre en l’homme, découvre celui qui vit en toi.
            Aujourd’hui, Laurent Obertone se met dans la peau d’Anders Breivik, Philippe Jaenada raconte la vie tumultueuse du braqueur Bruno Sulak… La rubrique des faits divers est, par bonheur, inépuisable.
            Au tout début du XXe siècle, dans Le Figaro et au Matin, un certain Félix Fénéon rédige des faits divers bizarrement tournés. Ces Nouvelles en trois lignes où le style et l’ordre des mots semblent primer sur le contenu, sont de véritables œuvres d’art :

            « Le feu, 126, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête, l’un une poutre, l’autre un pompier. »
            « Mariés depuis trois mois, les Audouy, de Nantes, se sont suicidés au laudanum, à l’arsenic et au revolver. »
            « Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable. »


            C’est beau, les faits divers : en quelques mots, tout est dit. En six cents pages, tout est gravé dans le marbre.

jeudi 22 août 2013

La rentrée littéraire

Beaucoup de livres « pas mal » en cette rentrée. Il y a les chefs-d’œuvre et les grosses merdes, mais on néglige les livres « pas mal ».
Frédéric Beigbeder, L’Égoïste romantique.

            Les écrivains sont de grands enfants. Tous les ans à la même date, on les voit revenir gentiment coiffés, cartable au dos et chapelet de bagues sur les dents, avec leur tout nouveau cahier de devoir de vacances dûment rempli : cent cinquante à trois cents pages reliées entre elles sous une couverture souple et publiées chez le meilleur épicier du coin.
            Avec un peu de chance, leur bronzage n’aura pas encore totalement disparu quand ils se présenteront sur les plateaux des émissions littéraires de septembre. Il faudra qu’ils pensent à choisir une tenue qui fasse ressortir leur hâle. Peut-être une barbe de trois jours pour faire décontracté ? (N.B. : ce dernier point est à proscrire si l’on est une femme écrivain)
            Bien sûr, nous retrouverons comme tous les ans notre gentille élève consciencieuse, Amélie Nothomb – qui n’a toujours pas compris qu’on ne portait pas de chapeau en classe. Ça fait plaisir de savoir qu’il y a des choses immuables : les gens ont besoin de repères.
            Les premières sanctions tomberont rapidement, inutile d’attendre la fin du premier trimestre : on saura très vite ceux qui ont bien fait leur travail (on entendra parler d’eux), et ceux qui n’ont pas su convaincre les professeurs (leur nom sera vite effacé du tableau). Les professeurs, entendez bien : les « critiques » littéraires. Des gens à qui l’on envoie quelques livres à lire et à noter, et qui jugeront ensuite que la « rentrée littéraire » concerne exclusivement ce petit paquet de livres. Notre pauvre Jean-Baptiste Patafion, avec son Cri de la biscotte et sa timidité naturelle, sera vite écrasé par les poids lourds habituels, les abonnés à la remise des prix de fin d’année – ce bulletin scolaire de l’homme de lettres…
            Il y aura quelques redoublants : les romans de la rentrée 2012 qui sortiront en poche un an plus tard, afin de permettre aux lecteurs qui étaient passés à côté l’année précédente de les ignorer une fois de plus.
            Le gauchiste chevelu qui sommeille en chacun de nous peut allègrement brandir son sourire méprisant devant cette foire annuelle des granzécrivains, qui va voir sortir plusieurs centaines de romans (cinq cent cinquante-cinq cette année, paraît-il) dont la majeure partie seront complètement oubliés, tandis qu’on nous rebattra les oreilles du dernier Yann Moix, du dernier d’Ormesson, du dernier Éric-Emmanuel Schmidt ou de la dernière Nancy Huston. Ce même hérault de l’indignation s’offusquera de ce cirque uniquement voué pour les éditeurs à promouvoir leurs poulains et à se faire un max de fric durant cette période de matraquage intensif en vue des fêtes de fin d’année où le client en mal d’idée-cadeau finira bien par choisir le dernier Goncourt ou le dernier Renaudot, ou le Prix des lectrices de Elle, parce que ça devrait bien faire plaisir à la belle-mère, vu qu’elle aime bien bouquiner.
            Faire du fric, c’est mal. L’argent, voilà l’ennemi.
            L’apolitique déplumé qui veille en nous, étouffant calmement le gauchiste chevelu, hausse les épaules d’un air blasé. Une histoire de fric ? On s’en fout un peu, non ? On fera le tri parmi les bacs des librairies, comme chaque année, on attrapera un Jaenada bien mûr, on se laissera peut-être tenter par une tranche de Richard Ford, et pour le reste, on relira quelques vieux classiques… De toute façon, les nouveautés, c’est toujours la même chose.


jeudi 15 août 2013

La femme écrivain

« Cette sœur de Shakespeare mourut jeune… Hélas, elle n’écrivit jamais le moindre mot. Elle est enterrée là où les omnibus s’arrêtent aujourd’hui, en face de l’Elephant and Castle. Or, j’ai la conviction que cette poétesse, qui n’a jamais écrit un mot et qui fut enterrée à ce carrefour, vit encore. Elle vit en vous et en moi, et en nombre d’autres femmes qui ne sont pas présentes ici ce soir, car elles sont en train de laver la vaisselle et de coucher leurs enfants. »
Virginia Woolf, Une chambre à soi.


À Cécile B.

Jadis, les écrivains vivaient heureux, entre hommes, à parler de choses sérieuses qui concernent les hommes, comme la guerre, le pouvoir, l’ambition, mais aussi la vieillesse, la vie, ce genre de choses. Surtout, ils parlaient d’amour. De l’amour pour la belle inaccessible – à laquelle on finissait par accéder quand même grâce à nombre de prouesses et de victoires guerrières. De l’amour pour la mignonne qui fera moins la fière quand son visage sera flétri par les ans. De l’amour pour la pauvresse que, dans notre grandeur d’âme, nous avons recueillie, et que nous protégeons, essentiellement parce qu’elle a un beau cul. Et à la fin du conte, la pauvresse en question se révèle être une princesse, distraitement abandonnée par ses géniteurs et adoptée par les prolos du coin. Du coup, on est plutôt bien tombé.
            Et puis un jour, les femmes ont appris à lire et à écrire. Et, voyez-vous ça, certaines en ont conclu qu’elles avaient autant de choses à dire que les hommes. Certaines ont voulu montrer qu’elles avaient un cerveau, alors qu’il aurait été bien plus délicat, bien plus pudique (en un mot : bien plus féminin), de s’en tenir à leur rôle de belle ingénue, douce, compréhensive et superficielle. Ah ! Orgueil !...
            Les hommes ont longtemps essayé de dénigrer tout ça. Il leur fallait un qualificatif dépréciatif de circonstance. L’expression « littérature de bonne femme » tombait à pic. Parler d’une « femme d’esprit », ça faisait déjà bien rigoler dans les salons – alors imaginez « femme de lettres » !
            Mais voilà : considérées avec objectivité, les œuvres écrites par ces femmes-là étaient d’aussi bonne facture que celles des hommes, et la pensée de leurs auteurs aussi pertinente. (Non, je ne mets pas de e à « auteurs », mais vous le rajoutez si vous voulez…) Elles savaient parler de choses sérieuses qui ne concernaient pas que les femmes, comme l’amour, le pouvoir, le désir, l’ambition, mais aussi la vie, la mort et la guerre. Comme des écrivains normaux, en fait. C’était ennuyeux, ça : si les femmes se mettaient à écrire, un jour, elles risquaient d’obtenir le droit de vote, de devenir soldats ou même footballeuses, allez savoir…
            La preuve : c’est exactement ce qui s’est passé.
            La femme écrivain a une grande pr… pr ?... précurseuse ? prédécesseuse ? Râââhh !... Vous voyez comme c’est pénible, avec les gonzesses, on ne sait jamais accorder les noms correctement !
            La première femme écrivain française connue (on va plutôt tourner la phrase comme ça) est Marie de France (1160-1210), qui a adapté en anglo-normand des légendes bretonnes, ses Lais, composés d’octosyllabes à rimes plates.
            On ne peut pas vraiment dire que Marie de France a lancé une mode.
            Jusqu’au milieu du XXe siècle, on attend d’une femme qu’elle ne dévoile ses qualités artistiques que dans un joli canevas ou quelques charmantes broderies – bref, dans des « ouvrages de dames ». La femme écrivain est un accident. D’ailleurs, bien souvent, elle essaie de cacher son sexe sous un nom d’homme : George Sand, George Eliot, Ellis Bell, etc.
            On s’est moqué des « femmes savantes » jusque chez Molière. Une femme honnête en sait toujours bien assez : tenir son ménage, respecter son mari et enseigner les bonnes manières à ses enfants. À ses filles, apprendre surtout à tenir son ménage, à respecter son mari, et ainsi de suite. Savoir rester à sa place, tout est là. Une femme qui commence à lire, à raisonner, n’est plus vraiment à sa place. « Il faudrait souhaiter encore de faire un bon usage de votre science, car sans cela elle pourrait servir à vous rendre plus sotte, plus orgueilleuse et plus méchante », écrit Mme Leprince de Beaumont au XVIIIe siècle dans un manuel à l’usage des enfants.
            Sotte Madame de La Fayette ! Orgueilleuse Madame de Sévigné ! Méchante Olympe de Gouges !
            Et regardez le résultat : désormais, les femmes sont écrivains, docteurs, politiciennes… et l’éducation est laissée de côté, les jeunes ne connaissent plus le respect, tout va de travers ! Et les hommes, docilement, apprennent à changer les couches et à faire chauffer le biberon.
            − Ève ! Repose cette pomme immédiatement !

samedi 10 août 2013

Le retour de la plus petite apocalypse du monde



Journal d'oisiveté
Juillet 2013
 
Lundi 1er juillet.

            Je rédige mes deux dernières bios ce matin et les envoie en début d’après-midi. Pour que le changement ne soit pas trop brusque après ce week-end parisien, le soleil a décidé de s’afficher même à Laval, et je déambule entre les jambes des femmes comme un bienheureux.

            Puisque c’est la période du Tour de France, j’ai décidé de retrouver Stevenson et son Voyage avec un âne dans les Cévennes.

            Ce soir, je vais voir Man of Steel. L’évangile selon Clark Kent. Un Christ parfait, ce Superman : envoyé par son père pour sauver l’humanité ; la première fois qu’on le voit apparaître dans le film, il est barbu ; il est âgé de trente-trois ans ; et pour enfoncer l’hostie, il s’envole avec les bras en croix en quittant son père !...  Le film est plaisant, mais ce qui m’a frappé en le regardant, c’est qu’on ne croit pas une seconde à la menace qui pèse sur la Terre. Deux heures d’explosions non-stop, d’immeubles qui s’effondrent dans de grands fracas de verre et d’acier – tout ça pour s’apercevoir qu’au fond, ce n’est que ça : du verre et de l’acier. Jamais on ne voit de victimes, je veux dire de vraies victimes ensanglantées – seulement des rescapés aux vêtements noirs de poussière. C’est une apocalypse qui ne concerne que les BTP, et je pense que c’est le principal problème du film. On est dans du grand spectacle, personne ne dira le contraire, mais ça reste de la baston de saloon inoffensive. Au lieu de s’écrouler sur des tables dans de grands éclats de verres et de bouteilles, Superman et ses ennemis, encaissant un coup, traversent une demi-douzaine de buildings dans les mêmes grands éclats de verre. Mais ces buildings sont vides : pas de cris de panique, pas de corps étendus sur l’asphalte, pas de mains sortant des gravats… On en vient à se demander quel réel danger, au fond, court l’humanité. Pourtant, ce n’est pas faute de nous en mettre plein la vue – mais c’est la mort qui nous est cachée. Et quand un personnage est tué (le père), il trouve le moyen de revenir en hologrammes pour aider son fils !



Mardi 2 juillet.

            Je rédige mon journal du week-end, ce qui me prend du temps, et comme les jours ne s’arrêtent pas de passer, le retard dans ce journal va s’accumuler… Il n’y a pas un bouton « pause » quelque part ?


Mercredi 3 juillet.

            Écriture de ma chronique sur le héros, thème choisi au dernier moment, et à défaut d’autre chose. D’ailleurs, c’est un peu de cette façon que je les choisis chaque semaine… Du coup, je me demande bien de quoi je causerai la prochaine fois !
             
            J’ai des envies de films sanglants, en ce moment, et je revois Scream ce soir.

Jeudi 4 juillet.

            Je suis plutôt occupé par l’écriture, en ce moment, et je n’étais vraiment pas sûr d’avoir envie de rejoindre Anthony et toute la bande aux Artistes pour un apéro – d’autant plus que le ciel avait été plutôt couvert dans l’après-midi. Mais voilà qu’à cinq heures, le soleil est revenu comme un invité de dernière minute, et je me suis dit que l’écriture pouvait attendre.

            Anthony est avec Gabriel, Fabien, Guillaume Payen, un certain Clément, une fille dont j’ignore le prénom, et qui tous travaillent à ERDF. Il y a également Jean-Michel avec ses enfants, et les autres nous rejoignent petit à petit : Stan, Line et Joséphine, Mickaël, Candice, Muriel, Yoan, Antoine… Comme il y a des enfants, il est question des enfants, mais aussi de Zapoï (dont quelques exemplaires sont posés sur les tables)… et du boulot, puisque Anthony, qui soupçonne Candice et l’amie de Gabriel de se raconter des anecdotes de travail, est entouré de ses collègues.

            Je ne reste pas très longtemps, afin de me remettre au travail sans y passer toute la soirée. Dit comme ça, on croirait presque que j’ai décidé d’adopter enfin une bonne discipline. En réalité, je m’octroie beaucoup de temps pour glander aussi…


Vendredi 5 juillet.

            Je pensais passer au lycée une dernière fois pour aller consulter les tableaux des résultats du bac et revoir les quelques collègues qui travaillent encore en ce moment – mais j’y ai renoncé, finalement. Je prendrai le journal demain pour voir les résultats.


Samedi 6 juillet.
           
            J’ai une commande d’articles sur des jeux vidéo et des thématiques cinéma à rendre en début de semaine prochaine, il est temps que je m’y mette.


Dimanche 7 juillet.

            Je vais voir World War Z, en m’attendant au pire. À vrai dire, ce n’est pas un mauvais film, il y a même des scènes assez impressionnantes – le réalisateur ne mérite pas l’éreintement auquel il a eu droit de la part des critiques. Alors, certes, les puristes du genre vont s’offusquer : « Les zombies ne courent pas ! » Il faudrait que tous les morts-vivants règlent leur pas sur celui de Bill Hinzman, le premier zombie à apparaître dans La Nuit des morts-vivants de Romero. C’est bien lui la référence en la matière, lui qui a donné une allure, un comportement aux morts-vivants : lents, boiteux, maladroits, plus sensibles au son qu’aux couleurs, etc. Mais il y a déjà un petit moment que les films comme 28 jours plus tard ont donné un nouveau rythme aux individus infectés par les virus étranges que concoctent les cinéastes – même si dans 28 jours plus tard, il n’est jamais question de zombies, mais d’enragés. Max Brooks, dans son roman World War Z, décrit bien des zombies lents, à la Romero. Mais au fond, ce n’est pas vraiment le problème.


Bill Hinzman dans La Nuit des morts-vivants


            Je m’attendais à ce que le film n’ait absolument rien à voir avec le livre de Max Brooks, qui est plutôt inadaptable au cinéma, mais là c’est quand même impressionnant. À part le titre, j’ai du mal à voir un rapport entre les deux… Sans compter Brad Pitt qui part d’un pays à l’autre pour trouver une solution à la peste zombie alors qu’il n’y a aucun personnage principal dans le roman (ou disons plutôt qu’il y en a autant qu’il y a de chapitres), le grand défaut du film, c’est qu’il donne l’impression que tout se passe à cent à l’heure et que le problème se retrouve réglé en l’espace d’une semaine, alors que Brooks raconte une guerre mondiale qui s’inscrit dans la durée. Il aurait pourtant été possible de reprendre des éléments du roman, de montrer différents conflits aux quatre coins du monde (pas seulement sous forme d’extraits de journaux télévisés), la bataille de Yonkers ou de Hope, des militaires en lutte contre des hordes de morts-vivants… Mais non, tout tourne autour du personnage interprété par Brad Pitt, or on ne fait pas la guerre tout seul. Une suite est annoncée. Ce pourrait être une bonne nouvelle, qui règlerait au moins ce problème de la rapidité apparente du conflit – mais pour retrouver un peu de l’esprit du livre, il faudrait que cette suite démarre en Chine, par exemple, ou en Russie, avec des acteurs chinois ou russes. Si c’est pour voir encore Brad Pitt cavaler d’un avion à l’autre pendant deux heures…

            Reste un bon divertissement agrémenté de scènes choc, qui ne révolutionne pas le genre, mais qui est loin de la médiocrité annoncée.

            Le reste de ma journée est consacré à la rédaction de trois articles.


Lundi 8 juillet.

            Je fais un dernier article ce matin pour pouvoir renvoyer ma commande en début d’après-midi. Je dois consacrer cette semaine à ma chronique et au prochain épisode de Bag of Bones, avant de revenir aux biographies. Désormais, j’ai toujours au moins un texte à rédiger chaque jour, voire plus – ce qui est un indéniable progrès sur mon oisiveté passée. Mais ça n’empêche pas la procrastination…

            Avec ce soleil et cette chaleur me revient l’envie de me promener autour de Laval, pour en tirer peut-être de nouveaux textes. Mais il faudrait que j’aie la volonté d’ajouter à tout ce que j’écris en ce moment d’autres pages – et c’est à cet endroit que la procrastination revient se greffer. Demain, je m’organiserai mieux…

           
Mercredi 10 juillet.

            Puisque les coureurs du Tour de France passeront en Mayenne demain, sur l’étape Fougères-Tours, j’ai décidé que ma chronique serait consacrée au sport. C’est un thème que j’avais noté dans ma liste avant même de publier ma toute première chronique, en mars, mais que je gardais en réserve, craignant de n’avoir pas beaucoup de matière pour l’alimenter. Finalement, je ne m’en suis pas trop mal sorti. Désormais, chaque semaine, le sujet de mon texte du jeudi est un mystère. Même – et surtout – pour moi.


Jeudi 11 juillet.
           
            Toujours quelque chose à écrire : aujourd’hui, c’est un épisode de Bag of Bones. Il y avait une éternité que je n’avais plus repris ce feuilleton, puisqu’un numéro de Tranzistor, celui du printemps, a sauté. Je crois que la rédaction de l’épisode précédent remonte au mois d’octobre !

            Le soir, je regarde Je suis une légende, avec Will Smith – qui est un très bon film, ma foi, même s’il est une adaptation très libre du roman de Matheson.


Dimanche 14 juillet.

            Loin des Marseillaise et des engouements patriotiques, je me consacre à mes textes de commande et achève la lecture de L’Homme des morts, de V.M. Zito, encore une histoire de zombies – un roman qui m’a plu d’ailleurs, et Dieu sait pourtant que la littérature n’est pas favorable aux morts-vivants, bien que Richard Matheson ait ouvert la voie en 1954 avec Je suis une légende. Matheson qui, d’ailleurs, est mort le 23 juin dernier, comme je viens de l’apprendre…

            Ce soir, tout de même, je sors profiter de la fraîcheur de la soirée – fraîcheur toute relative : on peut se balader en tee-shirt sans crainte d’attraper froid – à l’occasion du feu d’artifice. Je ne suis pas sensible à ce genre de spectacle, mais j’en profite pour regarder les filles. Après le bouquet final, en creusant mon sillon à travers la foule, j’ai surpris à deux reprises le genre de réflexions « beauf » qu’on entend dans ces moments-là : « Ah ! Là, on les a vu partir, nos impôts ! »

            Bien sûr, si je trouve cette remarque ridicule, c’est certainement parce que je n’en paie pas, d’impôts…

 
Lundi 15 juillet.

            Le directeur d’un lycée de Mayenne m’appelle aujourd’hui pour me proposer un poste de « documentaliste et lettres modernes » (je suppose qu’il faut comprendre « et professeur de français » ?) pour la rentrée, en remplacement d’un congé maternité. Je le verrai la semaine prochaine pour en discuter. Je ne vais pas trop m’emballer cette fois, de peur de voir le poste me passer sous le nez comme en mars dernier. Évidemment, ce qui m’inquiète un peu, c’est l’aspect « et lettres modernes » ; j’ai déjà suffisamment écrit ici même combien je m’imaginais difficilement affronter une classe d’une trentaine d’élèves…

            Je me suis lancé dans la lecture de Jules Verne – que je n’ai pratiquement jamais lu, je dois l’avouer – en commençant par De la Terre à la Lune. Je compte écrire un de ces quatre jeudis une chronique sur la lune, où j’évoquerai Jules Verne, Laforgue, Cyrano de Bergerac (il faudra que je lise également Les États et empires de la Lune) et Camille Flammarion, entre autres…
           
            Reçu une assez grosse commande d’articles à rédiger et à rendre la semaine prochaine (mercredi au plus tard). Il va donc falloir que dès demain, je m’occupe de ma chronique. Comment vais-je pouvoir m’organiser, en septembre, si je travaille à nouveau ?


Mardi 16 juillet.

            Voilà, ma chronique est prête pour jeudi. Je vais donc pouvoir – dès demain, parce que je ne suis pas un bourreau de travail – m’occuper de la commande d’articles reçue hier. Une dizaine d’articles entre 2000 et 3000 signes. J’ai intérêt à en faire au moins deux par jour, et plus si affinités…


Mercredi 17 juillet.

            Je suis vraiment un indécrottable loser… Alors que je devrais me réjouir que le lycée de Mayenne me propose une nouvelle fois de travailler avec eux, je n’en ressens que de l’angoisse. En mars, ils me proposaient un poste de documentaliste, et j’étais parfaitement ravi de cette chance – mais je n’ai pas été pris. Cette fois, il faudrait vraiment que je le sois… mais l’idée d’être à la fois documentaliste et prof de français me terrorise. Je ne sais même pas comment on prépare un cours, moi ! Et à quel moment je saurai quel est le programme de l’année ? Et de combien de classes devrais-je m’occuper ? Une fois de plus, il est idiot de s’inquiéter avant même d’avoir passé l’entretien, mais je ne peux pas m’en empêcher…

            Écriture d’un texte sur L’Écume des jours – le film de Gondry. Je comptais écrire deux textes aujourd’hui, mais celui-ci épuise toute mon énergie (déjà plutôt pauvre, avouons-le). Pourtant, ces petits articles de commande ne me posent généralement pas de problèmes…


Jeudi 18 juillet.

            Anthony et ses collègues ont prévu un apéro aux Artistes. J’ai un texte en chantier, encore un petit texte de 2000 signes qui ne devrait pas me poser trop de problèmes, surtout que je l’abandonne après en avoir rédigé la moitié, laissant la suite pour ce soir. Je retrouve donc Fabien et Anthony aux Artistes, Guillaume Payen nous rejoint, puis Candice, Séverine et Simon accompagnés de Capucine, Yoan, Marie et Charles, et quelques autres… Il est question de la dernière livraison de la revue Feuilleton et notamment de l’article consacré au « pickpocket » Apollo Robbins, de la première victoire française du Tour de France, des baies de goji, mais surtout des vacances et des voyages, Anthony et Candice ayant prévu d’assiéger Berlin, Charles et Marie se rendant sur la Côte d’Azur… Okay, s’il en faut un qui reste en Mayenne pendant ce temps, je serai celui-là (une fois de plus) ! Charles me propose tout de même, pour l’été prochain, de l’accompagner dans des randonnées en montagne. Je suis partant – mais qu’en sera-t-il de ma vie l’année prochaine ?...
           
            Séverine et Simon ayant acheté un mölkky, il est décidé que nous en ferons une partie au square de Boston. Un peu hésitant d’abord (il faut que je me remette à écrire, bla, bla, bla…), je me laisse convaincre. Après une escale au Marché Plus pour acheter quelques victuailles, nous nous retrouvons donc au square. C’est là que Séverine et Simon s’aperçoivent qu’ils ne retrouvent pas le carnet de mölkky censé accompagner leur jeu. Ce mystère demeurera, heureusement Yoan possède une application « mölkky » sur son téléphone portable – nous sommes sauvés. On commence par la répartition des équipes, que l’on choisit d’établir en fonction des bacs passés par chacun de nous. C’est ainsi que Candice et Yoan forme l’équipe des bacs ES, Anthony et Simon celui des bacs D, et Séverine, Marion et moi celui des bacs L. La partie commence très bien : les L remportent la première manche, grâce à un esprit d’équipe en béton armé et au lancer final de Séverine. La deuxième manche est gagnée par les bacs D, et la troisième par les bacs ES. Il faut donc une bonne fois pour toutes nous départager, et c’est Anthony et Simon qui remportent la victoire finale. Les scores ont été serrés, le suspense intense jusqu’au bout : aucun de nous n’a démérité, même pas Capucine qui se faisait dans son coin une partie d’Angry Birds (ou d’autre chose).

            De retour chez moi, je me remets à mon texte, atteins enfin – avec les plus grandes difficultés – les 2000 signes… tout en me disant, comme hier, que ce genre de textes, habituellement, ne me pose pas autant de problèmes. Du coup, par curiosité, je vérifie ma commande : il s’agissait de textes de 1000 signes ! Nom de Dieu ! Depuis hier, je me suis fatigué à rallonger la sauce de mes textes pour rien, et maintenant je dois supprimer une partie de ce que j’ai fait. Si je n’avais pas peur de me faire mal, je me mettrais des gifles…


Vendredi 19 juillet.

            Le plus ennuyeux dans cette histoire, c’est que si je ne m’étais pas échiné à écrire des textes trop longs, j’aurais pu en écrire quatre ces deux derniers jours, au lieu de n’en pondre que deux… Du coup, aujourd’hui, je rattrape le temps perdu en en rédigeant trois !
           

Samedi 20 juillet.

            Assommé par la chaleur orageuse qui règne depuis plusieurs jours maintenant, je décide de m’octroyer une pause dans mes écrits de commande. Je m’y remettrai demain : après tout, le dimanche est le jour du travail, pour moi…

            Je ne sais vraiment pas comment je pourrai m’organiser si je recommence à travailler en septembre, surtout si j’ai des cours à préparer (mais comment prépare-t-on des cours, bon Dieu ?). D’autant plus que je tenterai une nouvelle fois le CAPES de documentation, et qu’il faudra donc que je révise… Peut-être qu’en instaurant des journées de 48 heures…


Dimanche 21 juillet.

            Comme prévu, je me consacre à l’écriture : un article sur le festival de Deauville, un autre sur les personnages célèbres au cinéma (Camille Claudel, Truman Capote, Margaret Thatcher, etc.). Il aurait fallu que j’en fasse d’autres, mais la chaleur et la flemme ont eu raison de ma motivation. Heureusement, l’orage a fini par éclater dans la soirée (et heureusement, je n’étais pas dessous, cette fois…).


Lundi 22 juillet.

            Finalement, l’orage ne change pas grand-chose : la chaleur est toujours aussi étouffante. Ceci dit, je trouve plutôt intéressant de nous laisser profiter du soleil dans la journée et de ne laisser parler la foudre que le soir. C’est encore ce qui se passe aujourd’hui. Timing remarquable.

            Je sais de quoi parlera ma prochaine chronique. Et c’est une bonne chose, puisque je compte bien l’écrire demain, étant donné que je passerai la journée à Mayenne mercredi… Pour ce texte, je resterai dans une thématique estivale et causerai de la littérature de plage. Pour n’en rien dire vraiment, d’ailleurs : surtout pour parler. Je consacre ma soirée à des articles de commande.
           

Mardi 23 juillet.

            Anthony n’a rien trouvé de mieux, pour lutter contre la chaleur, que d’organiser une danse de la pluie autour de l’arbre planté devant le bar des Artistes. Au moins, lui a proposé quelque chose, pas comme ces politiciens qui font semblant de ne rien voir… Bon, en fait de lutte contre la chaleur, il s’agit évidemment de se rafraîchir le gosier après le boulot – puisque les trois quarts des personnes présentes sont des employés d’ERDF qui ont achevé leur journée. Il est donc un peu question du travail, beaucoup question des vacances (mais quand on parle des vacances, on parle toujours un peu du travail…), des grilles de mots fléchés (Fabien est déjà en vacances, il a donc acheté l’accessoire indispensable du vacancier), des bars lavallois cités dans le guide Lonely Planet des Pays de Loire, du film The Human Centipede… Je ne reste pas longtemps parce que je veux écrire ma chronique ce soir, afin de ne pas avoir à le faire demain, après mon entretien à Mayenne. À ce propos, je craignais de devoir passer toute la journée à Mayenne, mais non : il y a des cars qui font la navette jusqu’à Laval le midi. Je vais devoir poireauter un bon moment, avant et après mon entretien, mais au moins, je serai rentré plus tôt que la dernière fois. Du coup, rien ne m’empêcherait d’écrire mon texte demain, mais je préfère m’en occuper ce soir, et en être débarrassé.



Mercredi 24 juillet.

            Je me lève aux aurores pour prendre le car de 8 heures pour Mayenne, un peu comme si je partais en vacances. Sauf que je pars plutôt pour un futur boulot… Je descends à 8 h 45 à la gare de Mayenne, mon rendez-vous n’est qu’à 10 heures. J’ai donc un peu de temps à tuer, et c’est à la terrasse de la Renaissance que je vais lui régler son compte. En buvant mon café, je me dis que décidément, Mayenne a un aspect de petite ville portuaire que je ne m’explique pas. Peut-être que ça vient simplement du fait que je la vois sous le soleil… Et puis, me trouver à la terrasse d’un café à neuf heures et demie du matin, ça ne m’arrive guère que lorsque je suis en vacances au bord de la mer ! Si je ne m’abuse, la dernière fois que cela s’est produit, c’était en 2011, à Paimpol, avec Jacques-Pierre Amette…

            La rencontre avec le directeur du lycée est très brève, il ne s’agit même pas d’un entretien visant à savoir s’il va m’embaucher ou pas : la question ne se pose pas. Il m’explique en quoi consistera mon travail : 25 heures de documentation au CDI, et 5 heures de cours pour une classe de sixième. Je commencerai le 22 septembre, ou peut-être plus tôt, puisque je remplace deux professeurs en congés maternité (qui, donc, se sont débrouillées pour que leurs congés tombent au même moment, ce qui dénote un esprit d’équipe peu commun !). À vrai dire, je me sens rassuré : 5 heures de cours de français par semaine, c’est faisable, a priori, surtout avec une classe unique, et surtout avec des sixièmes. Je m’imaginais déjà enseignant à plusieurs niveaux, y compris à des premières (avec le bac à préparer) – vision d’horreur à m’en faire dresser les cheveux sur la calvitie…

            Puisque je ne suis resté qu’un petit quart d’heure dans le bureau du directeur et qu’il n’y a pas de car avant 12 h 30, je me promène dans les rues de Mayenne, mange un sandwich à l’ombre, sur un banc du jardin public entourant le château et surplombant la rivière. Je me sens l’âme d’un touriste. Ça ne durera pas, puisque pendant quatre mois, je vais être amené à voir cette ville régulièrement !
           
            Soirée Carpenter ce soir, avec The Thing. Eh bien ! Je pensais que ce film génial qui se déroule dans la neige me rafraîchirait un peu… C’est raté.


Jeudi 25 juillet.
           
            Retour à une grasse matinée bienvenue. Au fond, cette fois, je peux me déclarer vraiment en vacances, et non plus au chômage, puisque j’ai au moins la certitude de travailler à la rentrée, jusqu’aux vacances de Noël… Je vais préparer consciencieusement mes cours en m’appuyant sur le programme de la classe de sixième – mais je m’y mettrai au mois d’août. Pour l’instant, j’ai un court article publicitaire à écrire pour une agence de location de voitures, je m’en occupe donc et savoure ensuite mon oisiveté.
           
            Le soir, je regarde la première adaptation cinématographique de Je suis une légende (The Last Man on Earth, 1964), avec Vincent Price. Adaptation très fidèle au roman de Matheson – ce dernier ayant d’ailleurs participé à l’écriture du scénario – et qui préfigure La Nuit des morts-vivants, sorti quatre ans plus tard. Un même noir et blanc englobe ces deux films, et les zombies de Romero ressemblent beaucoup aux vampires de Je suis une légende, depuis leur déplacement lent et maladroit jusqu’à leurs regards inexpressifs. Richard Matheson, à la parution de son livre en 1954, avait posé tous les codes du genre dont Romero allait s’emparer (en avouant s’être inspiré de ce roman) : la maison assiégée par les morts, qu’il faut barricader ; la survie au quotidien (approvisionnement en vivres, en essence, en armes…) ; les vampires/zombies, faciles à neutraliser lorsqu’ils sont seuls, mais redoutables quand ils avancent en nombre ; les proches, jusqu’à l’enfant et la femme aimée, qui peuvent devenir un danger mortel s’ils sont contaminés… Ce dernier point, d’ailleurs, est totalement absent du film World War Z. Dans un blockbuster familial, mieux vaut ne pas laisser entendre que votre gentille fillette ou votre épouse sont susceptibles de vous sauter à la gorge si elles ont été mordues…



Vendredi 26 juillet.
           
            Ce soir, je revois White Zombie, de Victor Halperin, avec Bela Lugosi (1932). Le tout premier film de zombie, qui se passe dans un Haïti peuplé de blancs (il y avait encore peu d’acteurs noirs à Hollywood, encore moins dans des rôles principaux). Le scénario simpliste et l’histoire romantique qui est au cœur du film lui donnent aujourd’hui un air de gentil nanard. Il a pourtant profondément marqué les esprits, autant que les autres grands films d’horreur de l’époque : Frankenstein, Dracula (1931) ou King Kong (1933) !


Samedi 27 juillet.

            Un an jour pour jour après la « plus petite apocalypse du monde », l’inondation de Laval par une belle après-midi d’orage – on remet ça. Et comme je suis le type le moins original du monde, je me trouvais exactement au même endroit que l’année dernière, à la Médiapole, quand les torrents de flotte ont commencé à rouler dans la rue du Général-de-Gaulle. Comme l’année dernière, le hall de la Médiapole a vite été totalement inondé, des clients se pressaient sur la passerelle pour prendre des clichés avec leur téléphone portable… Seulement moi, contrairement à l’an dernier, je ne me faisais aucun souci. Les employés de Chapitre couraient dans tous les sens, et moi je me disais simplement qu’il n’y avait qu’à attendre que ça se calme, que le niveau de l’eau baisse, et voilà tout. Une vendeuse qui se tenait à la caisse est montée à l’étage, les pieds nus et l’air quelque peu paniqué, pour prévenir les clients que les caisses étaient fermées et qu’ils ne pourraient pas acheter de livres aujourd’hui. Comme l’année dernière, la sortie du magasin s’est faite par la rue Souchu-Servinière, mais cette fois, j’ai attendu que la rue ne soit plus inondée pour quitter le magasin. Et je suis rentré chez moi en faisant un détour par la rue Saint-Martin, les pieds parfaitement secs. Quand on a vu une apocalypse, on les a toutes vues.

            Encore un film des frères Halperin ce soir, La Révolte des zombies (1936). Il ne s’agit d’ailleurs pas réellement de zombies, mais plutôt d’individus sous contrôle, en état d’hypnose. Mais encore une fois, ce film qui n’a l’air de rien préfigure un thème qui fera florès, celui de l’armée des zombies. Pendant la Première Guerre mondiale, un officier rencontre un prêtre cambodgien capable de contrôler une armée de zombies qu’aucune balle ne peut faire reculer. Il envisage ce qu’une telle armée pourrait apporter aux forces alliées, mais après toute une série de péripéties, c’est lui-même qui apprendra à dresser des zombies pour reconquérir la femme qu’il aime et qui l’a trahi. Et ces armées de zombies auront beaucoup de succès au cinéma après la deuxième guerre mondiale : ce sont généralement les nazis qui s’amusent à réveiller les morts, comme dans Le Commando des morts-vivants, entre autres…


Dimanche 28 juillet.

            J’ai une cinquantaine d’entrées de dictionnaire à rédiger. Ce ne serait pas très difficile, et même plutôt amusant, s’il n’y avait pas une contrainte absurde à suivre : chaque entrée doit compter une moyenne de deux cents signes, quel que soit le mot à définir. Or, le but d’un dictionnaire est de donner la définition la plus concise possible d’un mot ! Et la plupart du temps, je me trouve obligé de complexifier ma définition afin d’atteindre mes deux cents signes… D’autre part, il y a parmi ces mots à définir, des mots anglais que je dois donc traduire en français, et auxquels je dois ajouter (toujours pour atteindre les deux cents signes) un exemple… en anglais ! Heureusement que je maîtrise un peu la langue de Johnny Rotten…

            Toujours dans mon exploration des films de zombies antérieurs à Romero, je regarde King of the zombies ce soir. Un film de 1941 dans lequel un avion s’écrase sur une île où une espèce de savant fou, à l’accent germanique, utilise l’hypnose et la magie noire pour créer un groupe de zombies. Toujours la même histoire, au fond, mais c’est un film très drôle, notamment grâce à un personnage de domestique noir forcément peureux, superstitieux et ridicule, mais qui s’avèrera le véritable héros et donnera même le mot de la fin, superbe morale à méditer : « Il n’y a pas de pire expérience que celle d’être transformé en zombie ! »



Lundi 29 juillet 2013.
           
           Encore des zombies ce soir (ma « dévédéthèque » en regorge) : Le Commando des morts-vivants (Shock Waves), un film de 1977 avec Peter Cushing et John Carradine. Un film à petit budget pas si nanardesque que ça, notamment grâce au réalisateur qui a eu la bonne idée de ne pas chercher la surenchère d’effets spéciaux. Drôles de zombies aryens et amphibies, parfaitement blonds et élégants dans leurs uniformes SS. Au même moment, Arte rediffusait La Maman et la putain, en hommage à Bernadette Lafont, qui vient de mourir. Mais La Maman et la putain, c’est un film que je connais par cœur, et je n’avais pas le courage de regarder un film de 3 heures et 40 minutes ce soir, surtout dans une version streaming de mauvaise qualité. Si encore, j’avais eu la télé…

           Par ailleurs, je suis plongé dans la lecture de L’Homme qui rétrécit, de Richard Matheson, qui a le don, décidément, pour faire entrer le fantastique et l’épouvante dans le quotidien le plus banal…


Mardi 30 juillet.

            J’ai un gros arrivage de commandes d’articles assez urgents, rien de difficile à faire, mais ils viennent s’ajouter à mes définitions de dictionnaire. J’en suis à me demander si je ne vais pas prendre une semaine de vacances dans ma Bibliothèque de Jupiter, puisque je n’ai toujours pas de sujet en tête et que ça devient problématique. En cette période, une semaine sans chronique ne devrait pas déranger grand monde, puisque la plupart de mes lecteurs sont en train d’attraper des mélanomes sur les plages… Mais je ne sais pas, un vieux fond de culpabilité me pousse à refuser de m’inventer ce genre d’excuse… Serais-je encore plus catholique que je ne le crois ?
           
            Chef d’œuvre trop méconnu ce soir, avec Dellamorte Dellamore de Michele Soavi, l’un des films dont l’humour noir s’accorde certainement le plus au mien, avec ce goût pour le macabre, les cadavres et la pourriture ; et sans doute l’un des films dont l’érotisme m’a le plus marqué quand je l’avais vu à seize ou dix-sept ans. La nécrophilie, dans ce film, est d’une élégance et d’un raffinement rares, à mille lieues du sordide…


Jamais la mort n'a été aussi sexy...


Mercredi 31 juillet.
           
            C’est décidé, je vais me faire haïr des – disons – deux personnes et demie qui lisent encore ma chronique malgré l’appel des planches à voile et du pastis, mais je vais m’octroyer une trêve cette semaine. La première depuis que j’ai commencé cette potacherie hebdomadaire. Je peux bien me permettre de tirer un peu au flanc…
           

jeudi 8 août 2013

La mort



« To die, to sleep – No more. »
William Shakespeare, Hamlet, III, 1.

           
L’été se poursuit entre orages et canicule, la chaleur nous assomme, nous luisons de sueur et l’air étouffant du soir nous interdit le sommeil. Parlons d’un sujet de saison – puisqu’il les concerne toutes – et tout à fait rafraîchissant : la mort.
Depuis toujours, la mort est le thème privilégié des écrivains. Avec l’amour, disons. Mais l’amour, c’est un truc de filles : aucun intérêt. De Homère à Bret Easton Ellis, de Platon à Michel Houellebecq, on a noircit des tonnes de papier au sujet de la Grande Faucheuse, on s’est adressé à elle en alexandrins et en mètres iambiques, on l’a décrite en long, en large et en travers, on l’a invoquée en majuscules et à genoux…
            Les écrivains sont donc des escrocs grassement payés pour nous causer d’un truc qu’ils ne connaissent pas.
            Non, parce que la mort, entre nous, y’en a pas beaucoup qui sont allés voir à quoi ça ressemblait et qui sont revenus pour nous le dire ! À une époque, je pensais que les seuls habilités à nous parler de la mort étaient les écrivains morts. Et puis j’ai compris que même eux, ils avaient écrit toutes leurs conneries avant d’aller y voir de plus près. Un tel manque de professionnalisme me navre.
            Mais ces menteurs vous rétorqueront avec orgueil qu’il y a beaucoup plus de mérite à parler d’une chose que l’on ne connaît pas, et que la mort est un phénomène inévitable qui nous concerne tous et que seuls l’artiste, le philosophe ou le curé peuvent apprendre à affronter.
            Bon. C’est un argument qui se tient.
            Bien sûr, si les asticots, les corbeaux et autres charognards savaient écrire, ils seraient sans doute mieux placés que nous pour parler de la mort. Mais ils ne savent pas, et nous oui, alors il faut bien qu’on s’y colle.
            D’ailleurs, on pourrait classer les auteurs selon leur degré d’intimité avec la camarde : certains sembleraient avoir un peu plus de légitimité que d’autres à la décrire ou à théoriser sur elle. Dostoïevski condamné à mort et gracié au tout dernier moment, devant le poteau d’exécution, le 22 décembre 1849, doit pouvoir le dire, lui, si oui ou non on revoit toute sa vie défiler à cet instant… Dans une lettre à son frère Mikhail, il raconte ce qui aurait dû être la dernière minute de sa vie : « Aujourd’hui, 22 décembre, on nous a transportés sur la place Semenovski. Là, on nous a lu à tous notre condamnation à mort, on nous a fait baiser la croix, on a brisé nos épées au-dessus de nos têtes et on a procédé à notre toilette mortuaire (longues chemises blanches). Puis, trois d’entre nous ont été attachés au poteau, pour l’exécution de la peine. J’étais le sixième, on nous appelait par trois, par cons(équent), j’étais de la deuxième fournée, il ne me restait pas plus d’une minute à vivre. […] Enfin, roulements de tambour, on ramène vers nous ceux qui étaient au poteau, et on nous lit que Sa Majesté impériale nous accorde la vie. Puis, viennent les véritables condamnations. » Pour lui, ce sera l’exil et le bagne en Sibérie.
            C’est ce qu’on appelle une expérience de vie, je crois… De la même façon, les écrivains qui ont connu la guerre, qui ont côtoyé la mort sous bien des aspects, n’ont plus grand-chose à apprendre d’elle.
            Et ce qu’il y a de bien, avec la mort, c’est que même ceux qui ne s’y sont jamais frotté y viendront un jour, et peuvent trouver dans cette certitude toute les justifications dont ils ont besoin. Oui, eux aussi, ils sont bien placés pour en parler, puisqu’ils la craignent – ou veulent la défier – ou s’en foutent – ou l’appellent de leurs vœux (c’est le cas des suicidaires, ces arrivistes !). Personne n’est tout à fait impassible devant la mort, tout le monde à son mot à dire sur le sujet, et ça tombe bien, parce que lorsqu’on sait tricoter des phrases pas trop crades, la simple utilisation du mot « mort », ou de ses dérivés, vous donnera l’air d’avoir pondu un aphorisme de génie et vous vaudra l’admiration de tous.
            De plus, la mort est si démocrate qu’elle se marie avec tout : l’amour, la tristesse, la joie, l’humour… Ah ! La mort et l’humour ! Woody Allen : « La différence entre le sexe et la mort, c’est que mourir, vous pouvez le faire seul, et personne ne se moquera de vous. » Ambrose Bierce, dans son Dictionnaire du Diable : « Longévité. Prolongation inconfortable de la peur de la mort. » Cioran : « Qui ne voit pas la mort en rose est affecté d’un daltonisme du cœur. »
            Je vous l’avais dit, que ce thème était rafraîchissant !
La mort finira par avoir notre peau, mais en attendant, elle nous aura bien fait rire. C’est à peu près tout ce qu’on peut faire d’un peu noble devant elle : rire. Pendant ce temps, elle prend nos mesures…