jeudi 30 octobre 2014

La musique




Il n’est point d’être si brut, si dur, si furieux, dont la musique ne change pour un moment la nature. L’homme qui n’a pas de musique en lui et qui n’est pas ému par le concert des sons harmonieux, est propre aux trahisons, aux stratagèmes et aux rapines.
Shakespeare, Le Marchand de Venise.

            Je suis parfaitement incapable d’écrire en écoutant de la musique, mais il paraît que certains écrivains ont besoin d’un léger fond musical pour jouer des doigts sur leur clavier AZERTY. Comme quoi il n’y a vraiment pas de règles en littérature…
            On imagine bien l’écrivain en costume cravate tapant sur sa machine à écrire ou, désormais, sur son ordinateur portable, tandis que l’électrophone – ou, désormais, Spotify – joue une petite sonate ou une quelconque musique de chambre. Un truc un peu doucereux, bien sûr, tranquille : c’est quand même plus difficile de se concentrer avec La Chevauchée des Walkyries !
            On pourrait faire un joli tableau avec d’un côté, les écrivains qui travaillent en musique, et de l’autre ceux qui ont besoin du plus grand calme pour se mettre à l’ouvrage. On en tirerait sûrement des conclusions fort intéressantes. Mais on ne le fera pas.
            Les écrivains sont des gens comme tout le monde (oui, enfin, n’exagérons rien) : ils aiment la musique. Dans l’Antiquité, Platon, Aristote et tous leurs joyeux amis vénéraient Euterpe, la Muse qui présidait à la création musicale. Un homme de lettres, au fond, c’est un compositeur qui ne connaît pas le solfège. Alors il fait de son écriture un chant, il balance du rythme dans ses phrases, croche, double-croche, demi-soupir : l’écriture swingue ! Il y a des œuvres composées comme des symphonies : finalement, c’est au lecteur de se faire sa bande-son. Inutile d’écouter de la musique pour écrire : l’écriture est musique. Moi qui ne sais même pas dans quel sens il faut tenir une guitare, ni par où il faut souffler pour en sortir une note, ça m’arrange.
            Comme la musique a évolué à travers les siècles, la littérature en a fait autant, y’a pas de raison. Nietzsche en pinçait pour les opéras de Richard Wagner (célèbre punk-rocker allemand, 1813-1883), Stendhal s’est fait le biographe de Mozart et de Rossini, André Suarès celui de Debussy… Les écrivains de la nouvelle génération sont plutôt portés sur les musiques actuelles, électriques ou carrément synthétiques. On imagine plutôt Bret Easton Ellis écoutant du rock ou de l’electro que les Quatre Saisons de Vivaldi. Ses livres sont truffées de références à Sonic Youth, aux Doors, aux Clash, à tel point que certains se sont amusés à dresser des playlists à partir des morceaux évoqués dans ses romans. Il ne s’agit plus seulement de swinguer, mais de remuer la tête en cadence à s’en détruire les cervicales : headbanging devant la page Word. Certains mettront des guillemets devant cette « musique » là. Qu’on l’accepte ou non, il y a une filiation entre Beethoven et Jimmy Page… De même qu’il y en a une entre Shakespeare et Bukowski. Et qu’on l’accepte ou non, les écrivains appartiennent à leur génération. Ceux du XXIIème siècle écouteront sans doute de la musique par transfusion ou en sachet lyophilisé (à moins que d’ici là on ne soit revenus au hautbois et au clavecin…).
            À l’époque où je faisais des recherches dans la presse locale sur l’histoire du rock lavallois, je me souviens être tombé, dans un Ouest-France des années 60, sur un article qui décrivait L’Attrape-cœur de Salinger comme un « roman-twist ». C’était l’époque où le rock balbutiait encore, on ne mettait pas le mot à toutes les sauces, alors on était « twist », c’était déjà ça. Voyage au bout de la nuit ou Sur la route ont été qualifiés de romans « jazz » (alors que Céline détestait cette musique). Les critiques sont rapidement à court de comparatifs dès qu’ils se trouvent face à un style nouveau, qui fait entendre sa propre musique ! Sade écrivait-il des romans « menuet » ou plutôt « gigue » ? Et quel sera le roman « r’n’b » de l’année ?
            Bon, tout ça pour dire que les écrivains, qu’ils écoutent ou non de la musique en travaillant, font entendre chacun la leur, imposant à leur phrase un rythme qui leur vient instantanément ou qui se construit petit à petit, par retouches successives, et que par bonheur, ils n’ont pas besoin pour cela d’avoir dix ans de conservatoire derrière eux.
           
Et là, les vrais musiciens de s’arracher les cheveux en criant que non, quand même, on ne peut pas comparer un orchestre symphonique et un groupe de rock, déjà, ni se contenter d’un parallèle grossier entre la musique et le rythme des phrases dans un texte littéraire !
Ah bon, mince... Ben mettons que je n’ai rien dit, alors. Mais je publie quand même ce texte, parce que je viens de le finir et que je n’aime pas gâcher.

jeudi 23 octobre 2014

L'image






« On reconnaît facilement le photographe professionnel au milieu d’un troupeau de touristes : c’est celui qui cache son appareil. »
Roland Topor

            « Moi, pour me faire lire un livre, il faut qu’il y ait des images ! »
            Combien de fois l’avez-vous entendue, cette phrase prononcée par un jeune imbécile ravi d’étaler au grand jour son ignorance, d’y mettre un joli ruban, de s’en faire un étendard ? Et vous, sautant sur l’occasion, vous le prenez au mot : un fin lettré amoureux de l’image, c’est une aubaine ! Vous allez pouvoir discuter avec lui des enlumineurs du Moyen Âge, peut-être connaît-il le De Laudibus Sanctae Crucis de Raban Maur et ses calligrammes extraordinaires ? Ou Opicinus de Canistris, le scribe fou, et ses cartes anthropomorphes ? Ou peut-être que lorsqu’il parle d’images, il veut parler de peinture ? Une belle monographie consacrée à un grand peintre de la Renaissance lui ferait certainement plaisir…
            Ou alors, mais bien sûr, où aviez-vous la tête ? Quand il vous parle de livres contenant des images, il pense plutôt, par exemple, à Un cœur simple, de Flaubert, où les affiches, les gravures, les portraits, les vitraux s’accumulent ! « Les deux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à la plume, des paysages à la gouache et des gravures d’Audran, souvenirs d’un temps meilleur et d’un luxe évanoui. […] À l’église, elle contemplait toujours le Saint-Esprit, et observa qu’il avait quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image d’Épinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses ailes de pourpre et son corps d’émeraude, c’était vraiment le portrait de Loulou. »
            Ou peut-être aux livres de Jean-Jacques Schuhl, où les paysages et les portraits de toute sorte abondent, sur photographie, polaroïd, billets de banque, affiches, couvertures de magazine… « Il existe une photo de Marlene Dietrich qu’elle a donnée à Hemingway : elle y est toute en jambes, assise, comme dans la fameuse publicité qu’elle fera plus tard pour les fourrures Blackgammon, la tête est baissée, juste, en profil perdu, la ligne nez-bouche-menton : assez pour l’identifier instantanément comme on réagit à un logo, un sigle, un pictogramme, et, à côté de ses célèbres jambes nues croisées qui dévorent l’espace et que la Lloyd assurait cinq millions de dollars, elle a écrit : I cook too. » (Ingrid Caven)
            Non, évidemment. Ne vous faites pas plus idiot que vous n’êtes : vous savez très bien que lorsque Jean-Kévin déclare, avec un petit sourire arrogant, qu’il préfère les livres « avec des images », ce n’est pas de cela qu’il parle. Ce qu’il veut dire, c’est tout simplement qu’il n’aime pas lire, que tous ces mots agglutinés sur la page l’angoissent. Et après tout, on peut le comprendre : moi, ça me fait pareil avec les chiffres.
            Quand il parle de livre « avec des images », Jean-Kévin ne pense évidemment pas à des livres d’art ou à des manuscrits enluminés, qu’est-ce que vous croyez ? Pour lui, un livre d’images c’est, à la rigueur, un roman agrémenté de nombreuses illustrations, ou une bande dessinée.
            Ce que Jean-Kévin n’a pas l’air de comprendre (en plus du fait que c’est ridicule de porter un pantalon qui vous laisse la moitié du cul à l’air), c’est qu’il est tout aussi difficile de « lire » une image qu’un chapitre de roman. Notre jeune ami, ce qu’il aime, c’est « regarder » les images. « Moi j’lis pas, je regarde les images. » Mais non, même ça tu ne le fais pas. Tu ne sais pas regarder.
            Tu te dis : okay, une image, c’est simple à comprendre, y’a qu’à regarder. D’ailleurs, les premiers hommes, dans leurs cavernes à la con, ils ne savaient pas écrire, ils dessinaient. Ils faisaient du pochoir avec leurs mains sur les parois des grottes, et puis ils dessinaient des bisons. D’accord, mais qu’est-ce qu’elles veulent dire, ces mains négatives ? Et c’est quoi, ces bisons ? Ce n’est pas tout, de regarder, mon p’tit bonhomme : il faut aussi comprendre ce qu’on regarde. On s’en fout un peu, que tu trouves que L’Enlèvement des Sabines c’est « bien peint », ou que le Nu descendant un escalier c’est de la merde… Maintenant, il va falloir que tu nous expliques tout ça…
            Et d’ailleurs, il suffit qu’un professeur de français propose à ses élèves une séance d’« analyse de l’image » pour qu’il se rende compte assez vite que, malgré ce qu’ils pouvaient prétendre jusque là, ils ne sont pas beaucoup plus à l’aise face à l’iconographie qu’ils ne le sont devant le texte. « On n’y voit rien ! », cette exclamation que l’historien d’art Daniel Arasse avait choisie pour titre d’un de ses essais, a simplement remplacé « On n’y comprend rien ! » Et le gentil professeur d’évaluer, d’un regard vers la fenêtre, la distance qui sépare son corps du bitume de la cour. « Bon ! lance-t-il avec un sourire qui se veut débonnaire, eh bien nous allons commencer par apprendre à regarder, les enfants… » Et voilà des milliers de petits yeux jusqu’ici pleins d’innocence, définitivement assombris par la révélation soudaine que ce qu’ils croyaient savoir faire depuis toujours (« ben y’a qu’à ouvrir les yeux, quoi ! »), cela s’apprend aussi, comme tout le reste.
            « Ouais, bon, okay. Fais voir ce qu’il y a écrit, à côté de l’image, là ? »

jeudi 9 octobre 2014

Le titre



C’est CASSE-PIPE sans S. J’y tiens. Je ne sais pourquoi mais j’y tiens – ainsi soit-il. Que les jean-foutre respectent mes textes, et merde du reste !
Louis-Ferdinand Céline, lettre à Marie Canavaggia, 27 mars 1948.

            Un bon titre, c’est déjà un gage de réussite.
            Attention, ça ne veut pas dire que vous n’aurez pas à assurer, derrière ! Il faut quand même que le récit soit à la hauteur ! Rappelez-vous, au lycée : vos professeurs insistaient sur le soin à apporter à votre introduction : « Il faut accrocher le lecteur ! » Seulement le lecteur, si vous l’appâtez avec des marshmallows pour lui servir ensuite un ragoût de restes de la semaine dernière, il va bien se rendre compte qu’il a été arnaqué… Ne jamais sous-estimer le lecteur : rappelez-vous qu’il sait lire, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
            Donc, pensez d’abord à écrire un bon livre, puis trouvez-lui un bon titre. Le titre, c’est la vitrine. Votre histoire se dandine derrière comme les putes à Amsterdam. C’est bête à dire, mais le lecteur a besoin qu’on le pousse un peu pour se diriger vers votre livre, tout bon soit-il. Il faut qu’il puisse se dire qu’une bonne histoire se cache là-dessous. Avec son bon titre, votre bon livre lui fait de l’œil, il lui agite un peu les nichons sous le nez, j’te plais, mon grand ?
            Seulement voilà : comment définir un bon titre ? Est-ce que Crime crapuleux à Cracovie est un meilleur titre que, je sais pas, moi, La Serpillière ? Le premier montre un effort dans l’allitération, mais finalement, si l’histoire nous raconte ensuite un crime crapuleux commis à Cracovie, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. C’est un titre à la SAS : si Gérard de Villiers était encore en vie, j’aurais éventuellement pu le lui vendre. La Serpillière ouvre beaucoup plus de possibilités : est-ce qu’on va parler de tâches domestiques ou, eh bien je ne sais pas, est-ce que ça ne pourrait pas être le surnom d’un personnage ?
            Là, on vient de soulever un point important. Ce sera mon petit deux. Selon les genres littéraires, un même titre peut être jugé bon ou médiocre. Crime crapuleux à Cracovie est un titre qui peut convenir dans la littérature policière. Le polar (comme on dit dans notre jargon) doit attirer l’œil du chaland qui n’a pas de temps à perdre, qui veut de la lecture pas-prise-de-tête, un truc à lire dans le train ou sur la plage. Il ne veut pas, dès la couverture, se demander si le bouquin va lui parler d’un personnage qui va passer la serpillière pendant dix chapitres, ou si Serpillière est un nom de code. Un titre de polar n’a pas besoin d’être ambigu : il faut que ça claque, tout de suite, qu’on sache où on va ! Morgue pleine, paf ! Casse-pipe à la Nation ! Le Crime de l’Orient-Express ! Du rififi à Paname ! Touchez pas au grisbi !... Le lecteur est content : il sait où il met les pieds. À la rigueur, si votre couverture montre une serpillière en train d’éponger une flaque de sang, vous pouvez peut-être intituler votre polar La Serpillière. Si vous y tenez vraiment.
            Dans la « grande » littérature, le tape-à-l’œil doit être un peu plus discret. Mais il est surtout plus difficile de définir ce qu’est un bon ou un mauvais titre. Il y a tellement de possibilités ! Le nom d’un personnage peut vous faire un bon titre : Oliver Twist, Anna Karénine, Modeste Mignon, Karoo… Un nom de lieu aussi : Les Hauts de Hurlevent, Tropique du Cancer, Berlin Alexanderplatz, Le Côté de Guermantes
            Vous avez des titres qui transcendent l’histoire, qui avertissent le lecteur : ce qu’il lit est plus que ce qu’il lit. Cette histoire se veut un symbole, elle dépasse la simple anecdote pour devenir un concept. Par exemple : Crime et châtiment, Les Misérables, Guerre et paix… Si Dostoïevski avait intitulé son roman Raskolnikov, par exemple, on en serait resté à l’anecdotique, au fait divers, à la petite vieille dame assassinée pour trois fois rien…
            Un bon titre peut aussi être une formule mystérieuse, qui ne trouvera sa signification réelle qu’au cours de la lecture, ou qui imposera à celle-ci une couleur, une atmosphère particulière : Voyage au bout de la nuit, À la recherche du temps perdu, Détruire dit-elle… Au fond, la règle, c’est qu’il n’y en a pas. Un article et un substantif peuvent suffire à vous donner un bon titre : L’Or, Le Feu, L’Enfant… Démerdez-vous avec ça. Un bon titre, c’est important, mais parfois c’est parce que l’histoire est bonne qu’un titre en apparence banal s’impose dans les esprits, et reste. Un bon titre, c’est bien, on est d’accord ; mais le gage de réussite, ça reste quand même l’histoire. Ah, mince. Ça veut dire qu’il va falloir bosser encore un peu ?


jeudi 2 octobre 2014

Les dialogues




« À quoi peut servir un livre sans images ni dialogues ? », se demandait Alice.
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles.

            Ça faisait au moins deux Leffe pression qu’ils n’avaient plus grand-chose à se dire. Le plus grand des deux regardait l’autre en attendant qu’il brise le silence. Le plus petit regardait la serveuse. On n’allait pas y arriver. Le plus grand décida de rouvrir les guillemets :
            « Sinon, dans les romans, tu préfères quoi ? Les dialogues ou les descriptions ? »
            Le petit fit une grimace qui se voulait un sourire ironique. Il savait d’avance que l’autre chercherait à le désarçonner, mais il n’allait pas se laisser faire aussi facilement. Avant de répondre, il s’autorisa une nouvelle gorgée de bière, pour faire durer le déplaisir. En reposant son verre, il décida de ne pas encore répondre, de laisser le gars s’avancer en terrain hostile, sans artillerie pour le couvrir. Et il le fit sans hésitation, mettant les pieds dans le plat, indirect et libre. Non parce que les gens, en général, ils aiment pas trop les descriptions, quoi. Ils trouvent ça limite chiant, alors que les dialogues c’est quand même plus vivant. Le petit le laissait causer, la serveuse passait entre les tables. Joli petit lot. Mais faut encore savoir de quel genre de dialogue on parle. Non parce que si il suffit d’aligner les tirets pour avoir du dialogue, moi je veux bien, mais c’est quand même un peu classique, si tu veux mon avis. Genre machin dit un truc, bidule répond, et puis machin reprend, et puis bidule… Ping-pong de répliques, tu vois c’que j’veux dire ? Autant se lancer dans le théâtre, à ce compte-là, si tu veux mon avis. Le petit ne voulait pas de l’avis du grand, mais il ne répondit rien. Il allait le laisser s’embourber. Alors okay, les guillemets, les tirets, on est d’accord, ça pose le dialogue tout de suite. Le lecteur voit bien où il est, où finit la narration, où commence la parlotte. Mais c’est un peu « le dialogue pour les nuls », ça, si tu veux mon avis (non, non, toujours pas). Pi t’as quand même des écrivains qui te foutent carrément des portions de dialogues au beau milieu de la narration, plof, et va te démerder après pour t’y retrouver ! Le petit, le nez dans le houblon, se marrait intérieurement : ça y est, l’autre avait déjà oublié que son propos initial était une comparaison entre les descriptions et le dialogue. Il n’était déjà plus du tout question de descriptions. Les conversations des autres buveurs lui parvenaient aux oreilles, et certaines avaient l’air plus intéressantes que ses minables réflexions littéraires. La cacophonie devenait confortable. Antoine ! Combien de fois je t’ai dit de pas parler la bouche pleine ? T’façon si y mettent pas Thiago en défense, c’est clair, c’est mort. Tout ça pour dire en fait que j’crois que le dialogue, c’est vraiment un truc avec lequel tu peux t’amuser, quant t’es écrivain. Un terrain de jeu, quoi un peu. La narration, bon, c’est la narration, quoi. Le dialogue, paf, tu peux partir dans tous les sens, différer les réponses, imaginer même que les deux, ou trois, ou quatre personnages parlent ensemble, mettons, mais sans jamais vraiment se répondre, tu vois c’que j’veux dire ? Comme si chacun d’eux poursuivait sa propre pensée, sans vraiment se soucier des bavardages des autres. Le petit fit claquer sa langue. Tu parles qu’il voyait ce que l’autre voulait dire ! Lui non plus n’en avait rien à foutre de son bavardage. Tu r’prends un café, chérie, ou tu veux qu’on y aille ? Antoine, c’est la dernière fois que j’t’emmène avec moi ! Il est impossible, ce gamin ! Le grand se recula un peu sur sa chaise, il attendait toujours une réaction de la part de son interlocuteur. Public difficile. Ne s’avouant pas vaincu, il tenta encore une offensive. Du coup, voilà. Les descriptions, j’sais pas trop, j’trouve ça un peu toujours pareil. Le vent soufflait dans les branches et la lumière faisait comme ci et comme ça. C’est p’t’être un peu cliché, hein, mais j’trouve que oui, finalement, les dialogues, c’est plus vivant. Qu’est-ce que t’en dis ?
            Le petit avait enfin la parole. Il reposa son verre, se leva :
            ‒ Faut que j’aille pisser.