mardi 29 janvier 2008

Le crachin


Ligne droite impeccable en chute verticale
Dans ce lieu isolé, clos à tous les regards
Fougueux jet solitaire arrosant le blanc sale
Sur lequel vont s’asseoir quelques culs de hasard

Je verse d’un seul trait l’averse bienfaitrice
L’ondée nourricière qui rejoindra l’égout
Je vois les courbes qui sur la faïence glissent
Et j’hume leur fumet qui fait votre dégoût

Mon crachin matinal s’enroule en un glouglou
Je contemple mon œuvre
L’écume est sa défaite

Le siphon entreprend la valse qui noie tout
L’avale comme une pieuvre
Je ferme ma braguette

lundi 14 janvier 2008

Nouvel an au soliflore

Jean-Baptiste Plancher se réveilla au beau milieu de l’après-midi ce premier janvier, un peu la tête dans les ordures, à quelques mètres de son lit. Sa chemise rouge épate-gonzesses était encore humide : sans doute un ami nocturne avait-il eu la charité d’éponger quelques régurgitations intempestives. Ou peut-être était-ce lui qui en avait encore eu la force, peu de temps avant de s’écrouler ? L’odeur de vomi était toujours présente, l’eau n’avait pas été de taille. La dernière chose dont il se souvenait, bizarrement, était d’avoir pris la résolution de réduire sa consommation d’alcool pour l’année nouvelle. Il l’avait dit très sérieusement, en trinquant les yeux dans les yeux avec cette splendide brune, comment s’appelait-elle déjà, aux épaules couvertes de taches de rousseur. Elle avait les yeux verts aussi profonds que son amnésie. Jean-Baptiste Plancher s’aperçut soudain qu’une partie de sa joue droite, sa mâchoire plus exactement, reposait sur sa pantoufle et, en levant un peu les yeux sans pouvoir remuer la tête d’un millième de millimètre, il vit une chaussette roulée en boule qui avait l’air de lui dire :

- Bonne année, Jean-Baptiste.

« Bonne année, chaussette », était-il incapable d’articuler. Visiblement, quelqu’un avait pris la peine de le déshabiller pour le mettre au lit. Avec un peu de chance, c’était la brune aux taches de rousseur, comment s’appelait-elle déjà, avec ce chemisier follement ouvert où il s’était imaginé entre deux verres que des spéléologues descendaient en rappel avec lampes frontales, casques et piolets, s’accrochant dans la mollesse de la peau, essayant de ne pas glisser au milieu, sachant qu’alors ils ne pourraient échapper à une mort atroce, coincés entre les seins énormes, sueur et dentelles, je ne m’en sortirai pas cette fois Charlie, dis à Rose et aux enfants que je les aime.

À bien y réfléchir, Jean-Baptiste s’était sans doute déshabillé tout seul. Si la brune l’avait fait, comment s’appelait-elle déjà, quelque chose comme Camille, non, Suzy, il semble qu’elle aurait pris la peine de le porter jusqu’à son lit. Or, il était visiblement allongé devant la porte de sa chambre et, même si sa position ne lui permettait pas de s’en assurer, tout le portait à croire qu’il possédait encore son pantalon blanc piège-à-meufs. Il espérait un peu avoir, malgré l’ivresse, ou grâce à elle qui sait, ramené cette brune, Christelle peut-être, et être parvenu à ses fins. Des copains lui ont dit que ça leur était arrivé, bourrés, de ramener des filles sans s’en souvenir le lendemain. Mais lui, Plancher, il aurait bien aimé s’en souvenir un petit peu quand même, de sa super nuit de super baise avec la brune, Adeline… Finalement, il valait mieux qu’il ne se soit rien passé, parce qu’il n’aurait sans doute pas été très glorieux, avec une chemise anciennement rouge qui sent le vomi, une pantoufle sous la joue et un seul pied nu, l’autre étant toujours enfoncé dans une Burlington ce-soir-je-vais-pécho qui était encore impeccablement cirée vingt-quatre heures auparavant. Jean-Baptiste Plancher n’avait pas vraiment de théorie à ce sujet, mais il était profondément convaincu qu’il y avait des moments dans la vie où un homme pouvait avoir la classe et d’autres où ça lui était plus difficile – et qu’à ce moment précis, par exemple, lui-même manquait un peu d’élégance.

Constatant qu’un filet de bave s’échappait, depuis quelques heures sans doute, de sa bouche entrouverte, il prit la décision de se lever.

Oui, cette décision, il la prit.

Bon. Ce ne serait jamais que la deuxième résolution de l’année à ne pas être suivie d’effet. La position verticale lui sembla soudain aussi impensable que l’Everest, aussi difficile à atteindre que cette brune, c’était quoi son nom bordel, Martine, non, Élodie. Quelque chose comme ça. Jean-Baptiste se serait bien gratté l’entrejambes, mais ses mains pesaient des tonnes. Il avait la douce sensation de s’enfoncer dans la moquette comme dans un bain moussant. Il y aurait bien passé sa vie. Ou du moins l’année qui commençait. Dire qu’il allait falloir en faire quelque chose, de cette année. Jean-Baptiste ne s’imaginait pas pouvoir tenir debout, même en février. Pas plus en mars ou en octobre. Depuis que sa femme était partie, trois mois auparavant, il ne savait plus trop ce qu’il faisait debout. Son patron non plus, d’ailleurs, puisqu’il l’avait viré quelques semaines plus tard. De toute façon il n’allait pas livrer du courrier toute sa vie : il était né pour de plus grandes choses… Attendez seulement que je me lève et vous allez voir…

D’un bond volontaire, Jean-Baptiste Plancher se retrouva accroupit et, sur sa lancée, se redressa brusquement. Déséquilibré, il heurta un petit secrétaire qui traînait là, je le voyais plus loin ce con-là, et tomba en arrière, de tout son long, sur une table basse, brisant une ou deux de ses côtes flottantes et un soliflore qui ne contenait plus de fleur depuis trois mois. Ah oui, voilà, j’y suis : Florence.
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Première publication le 16 janvier 2005 dans le blog Palindrome