vendredi 21 septembre 2012

Bag of Bones [épisode 6]



Et le grand jour est arrivé. On allait faire notre baptême de la scène, et on était tous flippés à mort. Du genre à regretter d’être nés. Mais qu’est-ce qui nous a pris de vouloir jouer à cette putain de fête de fin d’année ? On n’était pas bien, planqués peinards comme des élèves ordinaires, non ?

Au fil des semaines, le projet de Chassagne, le CPE du lycée, a pris de l’ampleur. Un DJ, des jongleurs, un guitariste solo – il y avait même un mini spectacle de danse au milieu de tout ça. Et nous – nous, les Bag of Bones – on était censés être la cerise sur le gâteau, le clou du spectacle, le moment inoubliable de la soirée. Rien que ça. J’attendais ce moment aussi sereinement que si on m’avait demandé d’aller en Afghanistan régler le conflit à mains nues.

On est montés à l’échafaud vers 22 heures, j’avais l’impression d’avoir oublié mon estomac à la maison. Je me suis recroquevillé derrière mes fûts comme si c’était une barricade, attendant l’assaut sans savoir comment calmer le tremblement de mes jambes. Mais qu’est-ce que je foutais là, vous pouvez me dire ? Le père Chassagne a fait une petite introduction au micro, le genre bien grandiloquent, « les Bag of Bones vont vous remuer les tripes », ce genre de truc (c’étaient plutôt les miennes, de tripes, que je sentais flageoler comme de la gelée anglaise). Ça devait lui rappeler sa jeunesse, faut croire : Elvis Presley, les Chaussettes noires et tout le bordel…

Bref. On avait choisi d’attaquer avec un morceau un peu costaud, le genre qui montre la couleur tout de suite : « Anarchy in the UK ». J’étais censé lancer le truc, compter 1, 2, 3, 4 – j’ai oublié. Ça commençait très fort : pendant deux bonnes minutes, tout le monde me regardait, Adrien, Noémie, Steven et Florian, genre c’est quand tu veux mec, et moi je me demandais ce qu’ils avaient, tous. Pourquoi personne joue ?

Finalement, j’ai repris mes esprits, j’ai compté, et vlan, on a joué. Et là, c’est comme si un mur de bruit s’était dressé devant nous, un truc incompréhensible. Comme c’était Chassagne qui avait loué une sono pour la soirée, il s’occupait plus ou moins des réglages. C’est-à-dire qu’on avait branché nos micros et nos instruments, et qu’on avait testé chaque branchement séparément. On ne savait pas encore ce que c’était que des balances, ni même à quoi servaient les retours. En gros, personne ne s’entendait. Oui, c’était un peu l’Afghanistan. J’étais au beau milieu d’un bombardement, j’avais de la sueur qui me tombait dans les yeux, je voyais plus rien, j’attendais juste que ça se termine. Je n’insisterais pas sur le moment épique où Adrien a cassé une corde qu’il a mis trois plombes à changer, ni sur le micro de Florian qui a préféré démissionner (on le comprend) : quand ça s’est terminé, on avait tous perdu dix kilos. Plein de gens nous ont dit que le concert était génial. On doit pas avoir vu le même.

Tranzistor, n° 48, automne 2012.

lundi 17 septembre 2012

Lucette 2012

Lucette vient de fêter ses cent ans, le 20 juillet dernier. Quoi, Lucette ? Lucette qui ? Mais Lucette Destouches, enfin ! Lucie Almansor ! La femme de Céline !

La danseuse de Meudon, veuve du plus grand écrivain français du XXe siècle (en toute objectivité), est plus vivante que jamais, et Marc-Édouard Nabe, qui lui avait consacré un roman en 1995, a profité de l’occasion pour le ressortir en édition de poche. Dix-sept ans pour passer en poche, c’est long, mais ça valait le coup d’attendre ! Et puis, voir ce livre, écrit à l’occasion du centenaire de la naissance de Céline et publié l’année d’après, ressortir pour le centenaire de la naissance de Lucette – un centenaire fêté du vivant de l’intéressée qui plus est –, voilà sans doute l’une des meilleures nouvelles de la rentrée littéraire.

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dimanche 9 septembre 2012

Léautaud, l'homme-journal

« Vous étiez une sorte de phénomène dans l’abstention », disait Robert Mallet à Léautaud qui évoquait ses souvenirs d’enfance. L’ami des bêtes lui exposait combien, adolescent, il s’intéressait peu aux filles de son âge. Plus tard, cet abstentionnisme prendra d’autres formes : désintérêt total pour la chose militaire et l’idée de patrie, pour la religion, pour la réussite littéraire… Peut-être, au fond, que cette façon de se tenir en marge de tout, en simple témoin de son époque, en observateur amusé des artistes de son temps, était la condition nécessaire à l’écriture de son Journal littéraire

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Karoo, une tragédie américaine

Nous sommes à New York, au début des années 90, tout juste après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime de Ceaucescu. Saul Karoo travaille pour l’industrie du cinéma, il réécrit des scénarios. Depuis quelques temps, il s’est rendu compte qu’il était atteint d’une étrange maladie : quelle que soit la quantité d’alcool qu’il absorbe, il ne parvient pas à être saoul. Désormais, il lui faut jouer l’ivresse pour que ses proches ne soient pas déstabilisés : qu’ils puissent encore voir en lui l’incurable alcoolique qu’ils ont toujours connu.

Déformation professionnelle ? À force de côtoyer l’univers factice d’Hollywood, Karoo passe son temps à jouer un rôle. Menteur professionnel, il joue le raté que son ex-femme voudrait voir en lui, ou le « Doc », le génie du rafistolage de films que le producteur Jay Cromwell lui affirme qu’il est, capable de transformer n’importe quel scénario médiocre en chef-d’œuvre. « Incarner l’image que Cromwell me donne à incarner est très relaxant. J’avais oublié le confort facile qu’il y a à être une image plutôt qu’un être humain. » Bref, il pose.
 
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