mercredi 16 mars 2011

Propagande 7 - Le Magazine des Livres n° 29


Nouvelle formule, nouvelle périodicité : Le Magazine des Livres est devenu mensuel et se présente maintenant sous format tabloïd. Andrée Chédid, André Gide et Louis-Ferdinand Céline en sont les sujets principaux, et c'est à ce dernier que j'ai consacré mon article... Bonne lecture !

mercredi 2 mars 2011

La vie, tu l'aimes ou tu la quittes


Monsieur,

L'association pour le respect de la joie de vivre (ARJV) et le département de l'innocence et du bonheur sans faille (DIBOF) vous informent que votre existence est désormais considérée comme nuisible à l'équilibre de l'insouciance planétaire.

En effet, il nous est apparu qu'à de nombreuses reprises, vous avez fait montre dans vos écrits d'un pessimisme morbide, d'un humour noir souvent déplacé et d'une certaine complaisance dans le désespoir qui nous incitent à penser, Monsieur, que vous travaillez secrètement à la démoralisation générale de la société.

"Vivre est une humiliation", avez-vous pu écrire par exemple. Vraiment ? Savez-vous que par ces mots, vous insultez plus de six milliards de vivants et de vivantes ? Et nous ne parlons que des humains, bien entendu. Mais peut-être jugez-vous aussi que la vie des animaux est une humiliation ?

Il est vrai que vous concédez parfois à autrui un courage dont vous vous sentez vous-même incapable, ce qui tendrait à prouver que vous ne méprisez pas l'humanité autant que vous pouvez le prétendre parfois. Nous y voyons, pour notre part, de coupables contradictions. Ainsi, cet extrait de votre journal intime, daté de 1999, et que nos agents ont pu se procurer :

"Chaque jour qui passe est un jour perdu, irrémédiablement perdu... Eternel leitmotiv... Quel effort faut-il fournir jour après jour, heure après heure, pour tenir debout, pour vivre, ne serait-ce qu'un peu... Quels combats faut-il mener pour espérer avoir droit à une infime part de bonheur... Quels drames intérieurs se nouent dès lors qu'il faut approcher les gens, se prendre en main, agir en homme responsable... Parfois les passants croisés dans la rue, les gens les plus insignifiants, me font l'effet d'être des combattants de l'ombre... N'ont-ils pas dû remiser leur orgueil, l'enfouir au plus profond d'eux-mêmes, avant d'oser aborder la personne qui partage maintenant leur vie ? N'ont-ils pas dû enterrer leur timidité, leurs maladresses, leurs contradictions avant d 'oser ouvrir la porte d'une agence pour l'emploi ? Mais moi, comment pourrais-je être aussi fort qu'eux ? Comment pourrais-je un jour avoir le courage de vivre ?"

Alors ? Vivre est une humiliation, ou au contraire une action qu'il faut avoir le courage de mener ? La vie est nulle, ou elle mérite d'être vécue ? Il faudrait savoir !

Et cette pratique odieuse du journal intime ! Le lacrymatoire quotidien, l'épanchement onaniste ! Et je suis malheureux, et je suis seul, et personne ne m'aime - et qu'est-ce que je suis beau quand j'ai mal ! Comme mes blessures me vont bien ! Exquises ecchymoses ! Névrose adorée ! Embrasse-moi, Malheur ! Caresse-moi, Catastrophe ! Foutaises...

Bien sûr, ces lignes datent un peu. Mais vous ne nous ferez pas croire que vos sentiments sur la question ont évolué. Voulez-vous des extraits plus récents ? Tenez, ces lignes qui datent de 2007 :

"J'ai réglé la question du suicide le jour où je me suis aperçu que je n'en avais pas besoin, puisque je n'étais pas suffisamment en vie pour éprouver le désir de mourir. Je me suicide au quotidien, en restant enroulé sous mes couvertures jusqu'au milieu de l'après-midi, inatteignable. A l'armée, j'aurais été grandiose dans les opérations de camouflage... Mais l'armée, non merci. Je suis un déserteur professionnel."

Félicitations, vraiment ! Avec quel orgueil vous assénez cette vérité ! La fierté des lâches. Je suis paresseux et je le revendique. C'est bien la seule chose que vous revendiquez, d'ailleurs ! Nous vous croisons rarement à proximité des isoloirs, le jour des élections ; et nous ne nous souvenons pas vous avoir vu manifester pour défendre les peuples opprimés... Il paraît que vous refusez même de donner votre sang ? "Les prises de sang me font tourner de l'oeil !" Chochotte !

Mais la vie, ce n'est pas pour les planqués ! Le bonheur ça se mérite, Monsieur ! La joie de vivre, c'est un travail de chaque instant ! Il ne suffit pas de flâner dans les rues en regardant les filles et d'attendre que ça vous tombe tout cuit dans le bec ! Il faut se donner les moyens du bonheur ! Se lever tôt, prendre un bain, porter des chemises Dolce & Gabbana, faire du sport, offrir un bouquet à sa mère, apprendre à parler aux femmes, trier ses déchets... En un mot : s'ouvrir aux autres !

Au lieu de cela, vous vous fermez. Vous vous pelotonnez autour de votre souffrance chérie, votre seul animal de compagnie... Et vous vous en rendez compte, et vous ne faites rien pour changer. Comme un enfant têtu qui ne veut pas embrasser sa grand-mère parce qu'elle pique. Si vous vous contentiez de ça... Mais non : vous écrivez, en plus ! Monsieur a des prétentions littéraires ! Monsieur se trouve tellement intéressant qu'il veut enseigner à tout le monde sa profonde philosophie de la vie !

Ah oui ! Cioran, Schopenhauer, Houellebecq, Rosset... Belles références ! Le simple fait de taper ces noms m'épuise déjà. Vous dites ? Céline ?!?... Il serait préférable pour vous que nous n'insistions pas sur cet individu...

Non vraiment, il n'est pas possible de vous sauver. Et vous ne nous ferez pas croire qu'à trente-quatre ans, vous pouvez encore changer. Tout est joué avant six ans ! On ne vous a pas appris ça, dans vos bouquins ?

Monsieur, vous êtes néfaste à la société. Par votre exemple, vous êtes une publicité vivante pour l'aboulie, le manque d'entrain, le renoncement... Vous découragez tous les enthousiasmes, vous fatiguez tous les héroïsmes. Ne parlons même pas de l'amour : vous feriez fuir la plus bienveillante des adoratrices ! Dans la grande course au bonheur universel, vous êtes une entorse.

Le bonheur, ce n'est pas pour vous ? Très bien ! Mais alors, vous n'avez plus rien à faire dans notre société. Dehors, les rabats-joie ! Fini, le temps du suicide-au-quotidien ! Les faibles de votre sorte, les faibles qui ne veulent pas faire l'effort de changer, nous n'en avons plus besoin. A compter du jour où vous recevrez cette lettre, vous aurez une semaine pour dire adieu à vos proches - si vous en avez, pauvres d'eux ! - et quitter la vie par tout moyen que vous jugerez opportun. L'un de nos agents se présentera à votre domicile lundi matin pour constater le décès.

Avec nos meilleurs sentiments,

L'association pour le respect de la joie de vivre (ARJV)
et
Le département de l'innocence et du bonheur sans faille (DIBOF).



Le bonheur n'est pas un droit mais un devoir !

Luttons contre le mauvais esprit mortifère !

Protégeons les droits de l'homme heureux et de la femme heureuse !