Dimanche 11 juillet 2004.
Le réveil sonne à 7 h 20, plus d’une heure avant notre levé habituel : c’est que l’on veut aller au Vatican et qu’on se prépare à une journée chargée. Comme tous les matins, Sébastien est muet, et comme tous les matins, Carine veut absolument le faire parler (et si possible pour ne rien dire), ce qui ne fait que le museler encore plus. On part donc vers 9 h 30, direction le métro. Carine est en tee-shirt et bermuda parce que la visite de Saint-Pierre de Rome ne peut se faire en débardeur ni en short. Le métro nous dépose à la station Ottaviano, le Vatican est devant nous, tout droit. Nous sommes en quelques pas place Saint-Pierre. Le Guide du routard, dont nous nous servons bien peu cette fois tant l’édition de Rome est déplorable, annonce que le pape bénit la foule tous les dimanches à midi, de la fenêtre de sa bibliothèque. On espère donc un peu l’apercevoir, on n’est pas loin de créer le Wojtyla fan-club. J’ai même proposé à Carine d’écrire en grand sur une banderole : « Karol, j’attends un enfant de toi ». Elle ne l’a pas fait. En attendant la bénédiction papale, nous allons visiter le château Saint-Ange, construit sur le mausolée d’Hadrien. La légende veut que l’archange saint Michel soit apparu au sommet de la forteresse et ait indiqué la fin de l’épidémie de peste en remettant son épée dans son fourreau. Dans l’entrée, une maquette représente le mausolée tel qu’il était au IIe siècle. Une rampe hélicoïdale mène aux salles supérieures du château. La salle d’Apollon est décorée de fresques de la Renaissance. Nous voyons les geôles, les monumentales arbalètes, arquebuses et canons qui assuraient la défense du château. Nous voyons aussi dans un renfoncement à l’angle d’un escalier la salle de bain de Clément VII. La grande salle Pauline est décorée de magnifiques peintures Renaissance. À droite de l’entrée, un homme en trompe-l’œil semble observer les badauds derrière une porte. Il s’agirait d’une caricature de Raphaël di Montelupo. Au fond à droite, une porte mène vers la chambre papale, décorée de tableaux religieux et meublée d’un lit double… La bibliothèque est ornée de fresques aquatiques. Nous grimpons les dernières marches qui nous séparent du panorama superbe sur le Tibre et la basilique saint-Pierre. La statue gigantesque de l’Archange rengaine sa rapière au-dessus de nos têtes. Quelques salles encore montrent des uniformes de gardes du XIXe siècle.
Nous quittons le château, passons un moment à l’ombre du parc. Quand Sébastien et moi profitons d’une fraîcheur bienvenue, Carine a froid et s’installe au soleil. Peu importe. Nous sommes largement en avance pour notre bénédiction, mais nous retournons vers la basilique. En chemin, nous voyons une église, Santa Maria in Traspontina, dans laquelle nous entrons. Nous n’y restons pas longtemps, d’ailleurs, parce que l’heure tourne malgré tout. Nous sommes ponctuels sur la place Saint-Pierre, mais alors que nous attendons un petit geste de lui, une émission diffusée sur de grandes toiles nous montre Jean-Paul II en direct du val d’Aoste, où il est parti en bénir de plus chanceux. Du coup, nous nous rangeons dans la file d’attente pour la visite de la basilique. Un passage au détecteur de métaux et nous voilà dans le Saint des saints. Finalement, ce n’est pas si difficile. Ah ! Que j’aime le monumental !... Ces portes immenses aux gravures à thème : la Mort, le Bien, le Mal… La Pietà de Michel-Ange nous foudroie dès l’entrée. La foule n’est d’ailleurs pas trop compacte, il faut dire qu’il y a de la place où s’ébattre, et nous pouvons admirer tout notre soûl le chef-d’œuvre. Carine va poser sa main au pied de l’immense crucifix près duquel tous les dévots font un vœu. L’angoissant, c’est de ne pas pouvoir tout voir. Il y a tellement de choses… L’immensité du baldaquin créé par le Bernin écrase la statue plutôt piteuse de saint Pierre, dont les pieds dégoulinent d’avoir été touchés par toutes les mains des croyants et des touristes… C’est assez rare tout de même, une œuvre d’art qui ne cesse de prendre de la valeur au fur et à mesure qu’elle se désagrège ! Parce que son délabrement prouve la dévotion des fidèles, la statue de saint Pierre est vouée à s’abîmer sans cesse. Nous faisons le tour de la basilique, observant toutes les statues glorifiant les pontifes qui se sont succédés depuis Pierre. À tous les voir là, Pie XI et Benoît XV, Innocent II et Jean XXIII, je suis presque rassuré de savoir que la tradition perdure, que nous avons aussi notre Jean-Paul II qui rejoindra la troupe à son tour, qui aura à son tour son petit sarcophage… Nous pénétrons dans les grottes vaticanes qui conservent les tombeaux de onze papes, de la reine Christine de Suède, d’empereurs, et surtout une vue sur le tombeau de saint Pierre, autour de laquelle se pressent tous les touristes.
En sortant de la basilique, nous nous installons sous le porche et prenons un peu d’air frais — et Carine a froid. Nous redescendons vers la place Saint-Pierre, des gamins se font prendre en photo à côté des gardes suisses, Carine entre dans les boutiques de souvenirs, cherchant quelque chose pour sa grand-mère, mais elle ressort avec un livre sur Rome pour elle, que d’ailleurs je m’achète aussi. Elle voudrait maintenant aller voir le Panthéon. Ce que femme veut… Nous empruntons le corso Vittorio-Emmanuele II, et notre route vers le Panthéon va petit à petit se voir traversée d’églises dans lesquelles nous entrerons avec émotion. Tout d’abord, Santa Maria sopra Minerva, à quelques mètres du Panthéon, devant laquelle un éléphant sculpté par le Bernin supporte un obélisque. L’église a été fondée au VIIIe siècle et reconstruite par les dominicains au XIIIe. C’est la seule église romaine bâtie dans un style gothique. Nous y restons un moment, nous asseyant sur un banc pour profiter de la fraîcheur du lieu. Sébastien observe le martyre de saint Sébastien représenté dans cette église : c’est en quelque sorte sa lubie… J’ai la mienne, puisque dans le Panthéon je me pâme devant le tombeau de Raphaël. Sébastien ordonne à Carine de nous lire les indications du guide sur le Panthéon, elle s’exécute sans rechigner, elle est de bonne composition. Elle lit avec application, en professeur de français. C’est à ce moment-là qu’elle trouve une indication sur Santa Maria sopra Minerva que nous n’avions pas relevée parce qu’ils n’avaient pas réussi à dénicher l’église sur ce guide-là (et que bien sûr le Routard « omet » ce détail) : Fra Angelico repose dans l’église. Du coup, Sébastien et moi y retournons, Carine nous attend sur la piazza della rotonda, au soleil. Effectivement, nous découvrons le tombeau de Fra Angelico.
Carine nous propose de nous rendre sur la piazza Navona. Nous la suivons sur cette immense place touristique, aux trois fontaines, polluée par les mimes, les mauvais portraitistes et les tatoueurs au henné. Mais la place est belle et vaste, il n’y a pas à dire. Nous sommes un peu intrigués par un grand bâtiment à la façade en rénovation, et nous nous rendons compte qu’il s’agit d’une église : Sant’ Agnese in Agone. Nous entrons, évidemment. C’est à l’emplacement même de cette église que sainte Agnès a été martyrisée. Condamnée à mort pour s’être refusée au fils d’un magistrat, elle a été exposée nue dans le stade de Domitien mais ses cheveux se mirent à pousser par miracle pour cacher sa nudité. Dioclétien la fit décapiter parce que les flammes du bûcher ne pouvaient l’atteindre. Alors que nous sommes sur un banc — il y a des fidèles qui se recueillent —, je fais signe à Sébastien : je viens de remarquer à ma gauche l’énorme statue de saint Sébastien transpercé de flèches dorées. Et je ne quitte pas l’église sans être allé voir, dans la sacristie, le reliquaire contenant la tête (incroyablement petite) de la martyre. Quand ma mère va savoir que j’ai vu le crâne de sa patronne !
Nous nous rendons ensuite sur le Campo dei Fiori, toujours suivant Carine, où fût brûlé vif Giordano Bruno, dont il reste la statue à l’endroit même du bûcher. Mais avant de l’atteindre, nous souhaitons entrer dans l’église Sant’ Andrea della Valle, que nous avons vue alors que nous cherchions le Panthéon et qui était fermée. Nous y entrons donc cette fois-ci, et je montre de nouveau à Sébastien sur le plan détaillé de l’entrée l’emplacement d’un tableau représentant le martyre de son Patron. La voûte, en trompe-l’œil, est d’une clarté extraordinaire : on la jurerait peinte de la veille ! Les papes Piccolomini, Pie II et Pie III sont enterrés dans cette église. Leurs tombeaux, plus exactement, ont été creusés dans la paroi, près de l’autel. Il se trouve également ici le tombeau de saint Joseph Tomasi.
Après le Campo dei Fiori, nous poursuivons notre route jusqu’au palais Farnèse, l’ambassade de France, où nous nous reposons de cette journée éprouvante à l’ombre. Pour retourner à notre hôtel, Carine propose de prendre le bus. Comme nous sommes tous fatigués, que nous avons tous mal aux jambes, la suggestion est votée à l’unanimité. Reste à trouver un distributeur de billets, ce qui se fait assez rapidement, sur le Corso. Reste à attendre aussi le 64, qui nous ramène à Termini.
Après une pause bienvenue dans nos chambres respectives, nous nous retrouvons pour le repas du soir. Nous choisissons de ne pas manger trop loin de l’hôtel et trouvons une pizzeria dont le serveur, à notre grande surprise, parle français. Du coup, Carine voit en lui un ami et est prête à faire de l’endroit sa cantine. Je commande une pizza quatre fromages, un verre de pamplemousse et pour dessert une crème brûlée recouverte de groseilles. Carine a pour la première fois fini entièrement son plat, puisqu’elle a fait l’erreur de commander un plat de viande en oubliant de préciser quels légumes elle voulait y ajouter… On rigole beaucoup mais je sais déjà que je vais moins rire quand je vais devoir m’attaquer à la rédaction de mon journal intime…
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