samedi 12 juillet 2008

Voyage à Rome (5/11)


Lundi 12 juillet 2004.


Couché à trois heures moins vingt, je ne suis pas très frais lorsque le réveil sonne à 8 h 30. Je laisse donc Sébastien faire sa toilette et grappille ainsi quelques minutes supplémentaires de somnolence. Nous frappons à la porte de la chambre 313 à 9 h 30 et partons déjeuner. Carine veut absolument voir le Colisée aujourd’hui, et comme nous sommes à Rome depuis quatre jours et que nous ne l’avons toujours pas vu, nous avons accepté fort volontiers. Le métro nous dépose aux pieds du Colosse ébréché. La file d’attente est déjà tellement longue que nous prenons la décision de visiter le forum romain et le Palatin d’abord. Le ciel de Rome fait un peu grise mine et la température a baissé, Carine ne tarde pas à se plaindre du froid. Je trouve au contraire que l’air est très clément et que c’est une chance, j’ai juste un peu peur que ça tourne à la pluie, mais il faut reconnaître aussi que le soleil nous a épargné depuis notre arrivée : à part vendredi où le manque d’habitude de ces 30° de plomb a joué contre moi, les journées ne sont pas si brûlantes, et la fraîcheur et l’ombre sont toujours proches. Un peu trop aujourd’hui, peut-être…


Le forum est déjà une sorte de village dans la ville, il y a de quoi se sentir bien petit devant ces ruines gigantesques, la basilique Emilienne, l’arc de Septime Sévère, le temple de Saturne, la basilique de Maxence et de Constantin… Nous cheminons dans les allées du forum, parmi les touristes. Tous ces gens qui se faufilent, posent le temps d’une photo, ces gamins qui courent, sont un peu les nouveaux habitants, aussi nombreux qu’anonymes, qui peuplent désormais ce lieu l’espace d’une heure ou deux… Devant la basilique de Maxence et Constantin, des archéologues, casque jaune sur la tête, font des fouilles dans un trou. Archéologue, c’est le métier que j’aurais rêvé de faire lorsque j’étais très jeune, au moment où je voulais aussi devenir auteur de B.D. et grand reporter (à l’époque j’adorais Tintin, j’ai bien changé maintenant). Mais archéologue, c’est avant tout un travail manuel : ça ressemble fort à un ouvrier, un archéologue…


Nous entrons ensuite dans le Palatin, ce qui nous permet d’acheter un billet qui vaut aussi pour le Colisée et qui nous évitera de faire la queue quand nous voudrons le visiter. Sur la Colline des Frères ennemis, c’est un autre village encore, d’autres ruines. Le centre de Rome n’est au bout du compte qu’une vaste ruine. Mais quelle ruine ! Le stade de Domitien est un sublime ovale beaucoup plus long que large, surplombé par la maison des Augustes. Dans l’antiquarium nous voyons encore une belle série de statues, de bas-reliefs, de bustes… Le drapé de la robe d’Héra Borghèse est admirable de précision, de légèreté. Carine a peu mangé ce matin, et elle dort mal en ce moment, ce qui fait qu’elle a des étourdissements. On se pose sur un banc devant le stade de Domitien, un moment, mais elle a toujours un peu froid. Ça ne prouve rien, d’ailleurs, parce qu’en dessous de 28° elle a la chair de poule et les mains glacées.


On quitte le Palatin. De ses hauteurs, Sébastien a vu une belle bâtisse sur la via Labicana, nous faisons un détour pour voir de quoi il s’agit : c’est une église, qu’il est malheureusement impossible de visiter aujourd’hui. Carine tient à ce qu’on aille au Colisée maintenant, mais en montant une rue un peu au hasard nous trouvons, outre un charmant presbytère, une porte assez immense que nous pensons d’abord appartenir à une propriété privée et qui s’avère n’ouvrir sur rien de moins qu’un parc public. Nous proposons une petite halte à Carine, mais elle veut son Colisée. Très bien, direction le Colisée. Évidemment, c’est immense. Évidemment, c’est impressionnant… Mais que dire de plus d’un monument que tout le monde connaît sans même l’avoir vu ? Il y a malgré tout quelque chose d’un peu ridicule là-dedans. Dans ce genre de circonstance, je pense toujours à ce poème de Corbière, « Vésuves & Cie », dans lequel il énumère, devant le volcan, toutes les reproductions qu’il en a déjà vu, et qui s’achève ainsi : « Le Vrai vésuve est toi, puisqu’on m’a fait cent francs ! / … Mais les autres petits étaient plus ressemblants. » Nous gravissons les marches jusqu’au deuxième étage : évidemment, c’est beau. Une exposition grotesque est installée derrière des parois noires éclairées d’un bleu pour boîte de nuit. À l’intérieur, des écrans au ventre arrondi, très inconfortables à regarder, montrent des images un peu incompréhensibles et sans continuité : maquettes du Colisée, de son emplacement à l’époque impériale, etc. Quelques statues sont exposées là également : sans doute la caution « art et histoire » de l’entreprise. De jeunes cons (pléonasme) s’amusent à faire sonner l’alarme des statues en approchant leurs mains et courent dans le couloir sombre. Carine souffre beaucoup des courants d’air.


Prochaine étape : la Maison dorée. Nous consultons d’abord longuement le plan, pourtant elle est vraiment à quelques pas. Lorsque nous nous présentons au guichet, un jeune homme nous explique en français que la prochaine visite n’aura lieu qu’à 17 heures, or il est 16 h 30. Il nous donne nos tickets et nous cherchons les thermes de Trajan. Nous ne savons pas vraiment où ils se trouvent, nous finissons par en voir un bout d’ailleurs un peu par hasard, en passant, et ça ne nous emballe pas tant que ça. Nous nous asseyons sur un banc en attendant notre heure, qui vient enfin. Pourquoi faut-il donc qu’une découverte qui pourrait, qui devrait être passionnante, soit toujours polluée par les touristes qui nous entourent ? Dans notre groupe, un Français en short et sandalettes, lunettes de soleil façon Alpes d’Huez sur les yeux, écoute son « audioguide » (un appareil qui peut ressembler à un gros téléphone portable ou à un baladeur et qui donne des informations en plusieurs langues, que l’on trouve beaucoup dans les musées de Rome) ; l’homme écoute donc son « audioguide » et donne à haute et trop intelligible voix à sa femme et à ses enfants le compte-rendu de ce que l’enregistrement lui a appris. J’avais presque envie de lui donner un euro à la fin de la visite pour le remercier au nom de tout le groupe. Le vrai guide, quant à lui, ne donne aucune explication : il se contente d’ouvrir la marche, de faire une station prolongée dans les salles les plus intéressantes et de faire repartir la troupe. Ce n’est donc qu’après la visite, en revenant sur nos pas, que nous profitons de la beauté du site, des fresques dont il ne reste presque rien, de tout ce que le temps a imprimé dans les pierres de la cité de Néron…


Ressortis de là, et après une pause aux toilettes et sur un banc, nous repartons en direction du forum de Trajan. Il est 18 heures, les forums des Empereurs sont fermés mais celui de Trajan, qui n’est pas ouvert au public, est visible à travers des grilles. Il ne reste plus qu’à monter sur le Capitole pour avoir vu une bonne partie de ce qu’il y avait à voir dans le coin. L’immense palais de la piazza Venezia sera pour un autre jour. Déception au Capitole : sur la place principale des ouvriers installent une scène pour un spectacle. Ça ne nous empêche pas d’admirer les trois bâtiments (dont l’hôtel de ville) qui encerclent le lieu d’une seule masse, ni la statue équestre de Marc-Aurèle. Parce que sur un buste du même Marc-Aurèle, Sébastien ce matin à l’antiquarium cherchait s’il portait une « marque à l’oreille », il regarde maintenant attentivement cette partie anatomique des représentations de l’empereur, par goût pour l’humour de répétition. Pour cette statue, nous sommes trop loin. Nous redescendons par les escaliers de Michel-Ange et reprenons le métro à la station Colosseo.


Après une bonne douche, nous attendons Carine en zappant sur la télé de l’hôtel. Entre deux chaînes de voyance en direct, une autre de gym tonique, une chaîne de marchands de tapis et d’autres merdes saturées de logos, de menus déroulants, de numéros de téléphone ne réservant qu’une minuscule lucarne à l’image elle-même, nous apprenons que la température a considérablement baissé en Italie : il neige dans le nord ( !) et beaucoup de villes subissent des averses impressionnantes. La situation ne devrait pas s’améliorer avant jeudi…


Nous sortons manger à quelques pas de l’hôtel, à l’Al 39, via Palestro. Carine commande des spaghetti alla carbonara, Sébastien une pizza aux aubergines et moi des buscatini all’amatriciana, plat que je ne connaissais pas : il s’agit de pâtes longues beaucoup plus épaisses que des spaghetti. Les assiettes qu’on nous ramène sont copieuses, certes, mais je les trouve pour ma part beaucoup trop salées (d’autant que mon plat contient déjà du bacon), et Carine n’aime pas du tout ses spaghetti. Je trouve d’ailleurs que les Italiens salent beaucoup trop en général. Sébastien ne raffole pas des aubergines, mais il est finalement le seul à finir son assiette. Deux femmes obèses qui mangent à côté de nous un pantagruélique plat de charcuterie sont offusquées de la remarque de Carine qui déclare au serveur qu’elle n’a pas aimé son plat. Visiblement, ce restaurant est un peu leur cantine… Je viens en aide à ma compagne d’épopée lorsque le patron entre en jeu, en disant juste : « Too much salt », ce qui choque d’autant plus les ogresses d’à côté. Finalement, Carine se verra offrir un sorbet au citron. Je suis pris de fou rire lorsque, au passage d’une femme un peu forte vêtue de cuir noir et bardée de chaînes, Sébastien s’exclame : « V’là le bourreau de Béthune ! » Nous sommes bien vite de retour à l’hôtel et Sébastien nous offre ses Grany, des barres aux céréales et aux fruits des bois qu’il nous vantait depuis des jours. Nous cherchons ce que nous ferons demain en rigolant beaucoup, puis Carine va se coucher.

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