Ca y est, notre dernière journée stambouliote est là : nous partons demain. La première partie de la matinée est consacrée à de nouvelles recherches, décisives cette fois, autour des bijouteries des environs de Sultanahmet. Nous finissons par nous décider pour un pendentif serti d’or blanc et parsemé d’aigues-marines. Le bijoutier encaisse notre argent et nous offre un thé pour conclure le marché. Nous retournons à l’hôtel déposer le bijou, puis nous redescendons.
Il y a encore un coin d’Istanbul que nous ne connaissons pas, un petit coin en bas à gauche sur la carte : Yedikule. Un tramway nous en rapproche en quelques coups de rames. Nous descendons en direction de la Marmara et, debout sur la digue, nous suivons à distance les murailles byzantines jusqu’à la première porte de la ville, large ouverte aux voitures et aux camions. Nous traversons la rue et continuons à suivre les remparts jusqu’à Yedikule, le Château aux sept tours, enceinte fortifiée qui abritait les défenseurs de Constantinople. Nous n’y entrons pas, l’extérieur nous suffit : belle ruine qui garde encore sa dignité, serpent rose à sept têtes couché devant la ville… Ce que nous voulons voir, c’est la Porte Dorée, qui servait à l’entrée des empereurs victorieux dans la ville. Nous ne savons pas trop à quoi elle ressemble ni où la chercher, mais en suivant le Guide nous tombons dessus après quelques valses-hésitations : perdue au milieu d’un tas de broussailles sèches, pathétique avec ses deux colonnes aux chapiteaux corinthiens, un peu écrasée par sa propre splendeur passée, comme une vieille femme qui fut trop belle et veut se laisser crever discrètement, toute seule, elle se tient là toute conne, dans l’herbe folle qui la grignote, fermée de bronze, l’interstice entre les deux battants de la porte permettant à peine de jeter un œil sur ce qui reste de l’Arc de triomphe aux trois arcades, désormais murées. Voilà.
Nous entrons de nouveau dans le quartier de Yedikule, achetons une bouteille d’eau au passage et poursuivons notre route, sans trop savoir où nous allons, à la recherche improbable d’un bus qui nous mènerait à Eyüp.
C’est ainsi que, sans l’avoir voulu, nous nous retrouvons à Findikzade, là où nous avait laissés le tramway. Au moins nous savons où nous sommes. D’une passerelle sur laquelle nous traversons le boulevard, nous voyons en bas passer les bus. Aucun ne semble aller en direction d’Eyüp. Eminönü, Topkapi, Taksim, Beyazit… En dernier recours je propose à Sébastien de prendre un taksi et nous voilà, pour une somme modique, devant la mosquée d’Eyüp. Nous tentons de prendre quelques photos de personnages typiques de la ville (des femmes voilées de noir pour Sébastien, un attroupement de pigeons pour ma part) et montons en direction du café Pierre Loti par le cimetière. L’ascension se fait très rapide : nous étions venus par le plus long chemin la semaine dernière.
Cette fois toutes les tables sont occupées, il y a des gens qui attendent au soleil, d’autres à l’ombre, devant la Corne d’Or. Nous faisons quelques achats, des cartes postales de Loti en gentilhomme turc égrenant son chapelet ou déguisé en bédouin, moi Les Désenchantées et Sébastien Constantinople en 1890. Nous retournons sur la terrasse et attendons un certain temps qu’une table se libère. Lorsqu’enfin c’est le cas, nous nous y installons. Pour la vue sur la Corne d’Or, on repassera (on n’aura pas le temps) : les arbres nous la cachent. Tant pis. Deuxième thé de la journée et nous redescendons par où nous sommes venus, quittant une fois pour toutes ce petit café à flanc de cimetière.
Le bus nous ramène à Eminönü et nous slalomons entre les corps humains, les chaussures, les ceinturons, les tissus : ce n’est plus un marché, c’est une forêt vierge. Je ne peux résister à mon nabisme profond et m’achète un chapelet, un tesbik, près de l’hippodrome. Nous nous faisons photographier devant Sainte-Sophie et nous nous prélassons dans l’herbe de l’hippodrome, devant une famille entière en train de grignoter des graines de tournesol. On se paye deux verres de jus de citron et Sébastien achète du café turc avant de rentrer à l’hôtel.
Dernière soirée au Doy-Doy, je reprends un Bagdat Kebap. Derniers coups d’œil à la vue sur le Bosphore, à la vue sur Sultanahmet, à la vue sur le chantier quelques mètres sous la terrasse, les ouvriers soudant sans cesse (c’est fou le nombre de gens en train de souder que nous aurons vus à Istanbul ! Je ne sais plus si j’ai noté ça…), trimballant des poutres, l’un d’eux escaladant la sienne, de poutre, pour prendre le plateau de thé que lui tend le serveur du Doy-Doy… Cette faune-là nous manquera. Cet endroit nous manquera, nous y avions nos habitudes. Un riz au lait et le troisième thé de la journée, le dernier dans ce restau… Nous avions l’habitude d’entendre les muezzins psalmodier à contre-temps, celui de la Mosquée Bleue commençant plus tôt que celui de la Petite Sainte-Sophie ; la petite musiquette du restau, toujours la même, mélangée aux refrains langoureux du chanteur quelques mètres plus loin, à la terrasse d’un autre café…
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