vendredi 6 juillet 2007

Voyage à Istanbul (12/15)


Jeudi 17 juillet 2003.


Que penser d’une journée qui commence par un affront tel qu’un rab de pastèque longtemps attendu, qui arrive alors que nous avons fini notre petit déjeuner et que nous remontons dans notre chambre ?

C’est une bonne journée, contre toute attente : il faut profiter de nos derniers jours à Istanbul. Le vapür nous attend, aujourd’hui, pour une heure de traversée, du Bosphore à la Marmara, jusqu’aux Iles des Princes. Le ciel est couvert, brumeux, les rives de Constantinople sont assez vagues, au loin, et le bateau file droit devant lui, attirant quelques mouettes curieuses qui battent des ailes à rebrousse-vent. Nous laissons la rive asiatique s’éloigner, le vapür fait quelques escales dans les îles avant de nous déposer au terminus : Büyük Ada.


Voilà une île-colline, dressée dans la mer, où l’on ne voyage qu’à pied, à vélo ou en calèche. C’est le fin du fin, la calèche : tous les touristes s’y précipitent, pour faire le tour de l’île. Nous, éternels frappadingues, nous le faisons à pied, en suivant l’odeur du crottin. Longtemps nous croisons les calèches, puis nous les semons à un embranchement, alors que les chevaux et les passagers s’abreuvent. Nous suivons des chemins de pinède avec l’impression parfois d’être seuls au monde, la Marmara nous apparaissant entre les arbres. Seuls, de loin en loin, une calèche ou un camion. Nous aurons vu une voiture et deux camions en tout. Que c’est reposant ! Nous mettons à peu près trois heures, sans nous presser, à faire le tour de l’île, sous le soleil, sans ombre, sur une route qui monte sans cesse, quoiqu’en pente assez douce. Sur le chemin du retour, nous comprenons que pour atteindre le sommet et voir d’un peu plus près le monastère Saint-Georges, il nous aurait fallu prendre un autre chemin après l’embranchement évoqué. Tant pis, puisque le but était avant tout de bien marcher, de risquer l’insolation ou, pour Sébastien, l’amputation des deux pieds (très tendance à Istanbul).


Une fois ce petit tour achevé, nous retournons à l’embarcadère pour rejoindre une autre île : Heybeli Ada. Le vapür met du temps à se remplir et part avec une bonne demi-heure de retard sur l’horaire. Pour quinze minutes de trajet, c’est un peu cavalier. Et en parlant de cavalier, les calèches sont encore légion sur cette île, mais plus question pour nous d’en faire le tour : nous espérons ne pas rentrer trop tard sur Eminönü. Nous voulons juste faire une petite promenade, mais nous sommes refoulés quelques mètres plus loin alors que nous avons sans le vouloir dépassé une barrière. Il faudrait payer pour aller plus loin : non merci. Nous revenons sur nos pas, tournons sans conviction dans une ou deux rues : il n’y a rien à voir sur cette île truffée de plages payantes en béton, véritable piège à touristes. Alors nous nous installons à une terrasse de café, choisie parce que le garçon n’est pas venu faire le rabatteur (c’est juste qu’il n’a pas eu le temps de le faire, bien sûr, mais c’était notre plaisir d’aller nous y asseoir sous les yeux des garçons de café voisins qui, eux, s’étaient précipités à notre rencontre…). Sébastien boit deux jus de cerise, moi un jus de pêche et un ayran. Et nous allons attendre le vapür du retour. Et nous attendons très longtemps, sur le quai d’embarquement, en plein soleil. Je remarque qu’une fille assise contre un mur a l’air d’avoir du mal à respirer. C’est d’abord son décolleté que j’ai remarqué, puis qu’elle avait du mal à respirer. Elle a quelques crises de larmes, je la sens proche du malaise. Quand, au bout d’une bonne heure de cette attente, notre ferry apparaît, la fille, debout devant Sébastien, se décide enfin à tomber dans les pommes. Sébastien la maintient debout, une femme lui donne à boire et lui verse de l’eau sur la tête. La fille est confiée à l’homme qui s’occupe de l’embarquement.


Comme il y a foule dans le vapür nous nous installons à l’intérieur et non dehors, sur le ponton, comme on le fait généralement. Le soleil brûlant du soir me fatigue. Il n’y a pas d’air là-dedans. Sébastien a la cote avec les filles aujourd’hui : une fillette vient jouer à se lancer dans ses jambes, une autre l’interpelle… Moi, j’attire les obèses et les personnes âgées, qui viennent s’asseoir avec moi. Les vendeurs de simit croisent les vendeurs de glaces, qui croisent ceux de boissons fraîches, qui croisent ceux de cigarettes, qui croisent un violoniste bigleux qui ne sort aucun son de son instrument… Il y a même un vendeur de ventilateurs de poche qui fait son baratin (et ça marche), puis un vendeur d’éventails qui fait le sien avec la voix de Toshiro Mifune (et ça ne marche pas). Il y a aussi un type qui vend un petit miroir de poche… Tout ça dans un espace très étroit !


En arrivant à proximité de la rive européenne, nous sortons prendre l’air sur le pont et regarder le soleil rouge commencer à se coucher au-dessus de la Mosquée bleue, puis sur les hauteurs d’Eyüp alors que nous accostons. Un deuxième vapür vient s’arrimer au nôtre, nos regardons la manœuvre avant de descendre.


Nous prenons le tramway jusqu’à Sultanahmet, par indulgence pour nos pieds, et nous retournons manger au Doy-Doy. En chemin, Sébastien se fait accoster par une fille qui a quelque chose à vendre et lui dit : « Unchain my heart ! It means I love you ! » Décidément !...


Par négligence, je commande au Doy-Doy le même plat que la dernière fois (karasik pide), mais tant pis, puisque c’est bon. En dessert, nous goûtons au baklava, pâtisserie fourrée et très sucrée. Enfin, nous commandons un thé au kiwi, liquide vert fluo, plein de colorants. Ce n’est pas mauvais, mais en quoi est-ce du thé ?


Il nous manquera, ce petit restau dont la terrasse donne d’un côté sur le Bosphore, de l’autre sur la Mosquée Bleue…

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