dimanche 1 juillet 2007

Voyage à Istanbul (7/15)


Samedi 12 juillet 2003.


En route pour Eyüp ! Enfin, en route… De retour à Eminönü, plutôt, où nous devons prendre le bus, entre les cris des marchands d’eau et de simit, les klaxons des véhicules stationnés au petit malheur la guigne, les sirènes des vapür annonçant leur départ… et la ribambelle jaune des taxis. Cohue colorée sous un ciel pâlot. Le bus que nous devons prendre est le 47, selon le Routard. Ca tombe bien, en voilà un. Mais avec tous les bus qui sont devant lui nous pourrions avoir une demi-douzaine d’embolies pulmonaires chacun avant qu’il ne s’arrête enfin et ne nous ouvre ses portes. Nous nous asseyons, en confiance, et le bus démarre. Nous sommes un peu surpris de voir qu’il emprunte le pont de Galata pour traverser la Corne d’Or. Mais nous nous disons qu’il reprendra la bonne rive avec le pont Atatürk… Et puis non. Il continue sa route, en longeant toujours la Corne d’Or, certes, mais du mauvais côté. C’est peu pour nous faire perdre notre flegme ; nous attendons de voir ce qu’il va se passer. Nous voyons, en face, la mosquée d’Eyüp et le cimetière qui glisse en cascade de dominos blancs le long de la colline. Mais nous nous en éloignons. Nous continuons à rouler, nous avons dépassé le quartier d’Hasköy quand le chauffeur, voyant qu’il n’y a plus que quatre personnes dans son bus, nous compris, et se demandant sans doute ce que des touristes peuvent bien avoir à découvrir de ce côté-là d’Istanbul, se renseigne sur nos intentions et nous dépose là, en nous indiquant sur un bout de papier le numéro du bus que nous devons prendre : le 39. Il nous suffit de traverser la Corne d’Or, vraiment le bout de la corne, le moment où elle n’est plus qu’un ruisseau entre les herbes. L’avantage de notre mésaventure, c’est de nous avoir fait découvrir un quartier que nous ne connaissions pas et que nous n’aurions jamais eu l’idée d’aller découvrir. Nous trouvons assez vite un arrêt de bus et le bus qui va avec. Il porte le numéro 399, mais cette fois je crie au chauffeur : « Eyüp Camii ? » et le guichetier acquiesce. Nous payons le trajet et, quelques minutes plus tard, nous descendons à l’arrêt Eyüp Sultan. La foule est nombreuse, nous n’avons qu’à suivre les femmes voilées de noir, les hommes, les marchands, pour atteindre une grande place envahie de pigeons, d’enfants et de camelots, entourée de cimetières, et qui forme le parvis de la mosquée. Dans une cour des femmes prient devant les grilles d’un tombeau. Nous nous déchaussons et soulevons la bâche verte. Mosquée très sobre d’allure, où les fidèles prient avec ferveur ou égrènent leur chapelet. L’imam, nous voyant assis en tailleur et contemplant la coupole et les vitraux, vient nous voir en lançant : « Photo ! photo ! » et nous guide vers les escaliers menant à la galerie. Il referme la porte derrière nous, sur le moment nous pensons qu’il a voulu nous isoler parce qu’il était l’heure de la prière, mais pourquoi ne nous aurait-il pas fait sortir ? Finalement nous comprenons qu’il voulait tout simplement que nous profitions de la vue pour prendre des photos. La mosquée est trop sombre, malheureusement. Nous sortons et remercions l’imam en lui donnant un million. Très serviable, il continue : « Piyerloti Kahve ! » Oui, c’est justement là que nous allons. Mais avant, nous jetons un coup d’œil au mausolée d’un autre Mehmet (mais lequel ?), à travers la grille. Enorme turban au-dessus du tombeau.

En route pour le café Pierre Loti ! Et encore une colline à gravir !... Vaillamment nous montons, suivant les rares pancartes jaunes nous indiquant la direction à prendre. Lorsqu’à un moment le chemin se sépare en deux, un épicier qui nous regarde passer devant son échoppe, sachant très bien ce que nous cherchons, nous indique le bon. Nous arrivons donc, après le restaurant Pierre Loti en bois, après les pancartes annonçant l’ouverture prochaine du teleferik Pierre Loti – fainéants ! boire le thé chez Loti, ça se mérite ! -, nous arrivons donc sur une petite terrasse discrète, sous les arbres, offrant un panorama immense sur la Corne d’Or. Au-dessous de nous, le cimetière en gradins dévale la colline. J’achète une carte postale de circonstance et écris un mot à Adrianne. Ca s’impose ! Le thé n’est pas meilleur ici qu’ailleurs mais il se prend de plus haut. Dommage que le ciel soit couvert… Avant de repartir, nous allons voir la boutique de souvenirs du café. Sébastien achète une édition stambouliote d’Aziyadé (en français, bien sûr) et moi un livre sur le Stamboul lotien, orné de très belles photos.


Nous redescendons par le cimetière, empruntant parfois le sentier qui serpente entre chaque terrasse, parfois les marches minuscules cachées entre les tombes. Une fois descendue la colline, nous prenons une bouteille d’eau et allons attendre le bus sur la route qui longe le bras de mer – ou plutôt la corne de mer… N’importe lequel fait l’affaire dès l’instant qu’il s’arrête à Eminönü, et nous voilà donc brinquebalés dans un bus bondé slalomant entre les voitures. Ajoutez-y les odeurs et la chaleur (le ciel est de nouveau bleu, maintenant que nous n’avons plus cette vue superbe sur Istanbul) et vous comprendrez que nous n’avons pas attendu d’avoir atteint Eminönü pour descendre. A nous de zigzaguer entre les taxis. La circulation en Turquie est très pittoresque : les feux rouges sont considérés comme des stops et le passant est inexistant (sauf pour le chauffeur de taksi qui le considère comme un client potentiel). On finit par s’y habituer : pour traverser il ne faut pas attendre que le flot de voitures cesse (il ne cesse jamais) mais se lancer comme un obus entre les voitures en imaginant qu’on porte sur le corps une armure blindée. En général, ça passe.


Nous parvenons même sans encombre à traverser le pont de Galata. Après avoir sans succès tenté d’approcher un trois mâts amarré à quelques mètres, Sébastien cherche un bureau de poste pour y acheter des timbres afin de se refaire un peu de monnaie, mais celui qu’on trouve paraît fermé, bien que deux autochtones nous affirment le contraire. Nous prenons le Tünel, comme hier, pour nous transporter sur les hauteurs de Pera.


La raison de notre retour ici, c’est un spectacle de derviches tourneurs annoncé pour 17 heures. Lorsque nous arrivons, avec deux heures d’avance, dans la mosquée où cela doit avoir lieu, le guichetier se précipite derrière son guichet pour nous recevoir. Nous lui demandons en anglais combien coûte le spectacle. Et je l’entends bien distinctement répondre : « Fifty millions ». Nous pensons d’abord qu’il s’est trompé, que son anglais est aussi médiocre que le nôtre et qu’il voulait dire « five » ou à l’extrême rigueur « fifteen »… Mais non, il répète « Fifty millions ». Cinquante millions pour des derviches ? C’est beaucoup trop cher. Nous repartons bredouilles et un peu frustrés aussi d’avoir quitté aussi rapidement Eyüp pour cette déconfiture. De nouveau sur Istiklal Caddesi, nous ne savons pas trop où nous rendre. Nous achetons des simit, ces pains ronds et troués au centre, parsemés de grains de sésame, très serrés, pas mauvais mais très bourratifs. Nous les accompagnons d’un jus de citron bourré de colorants mais rafraîchissant. Sébastien mange son simit et achève le mien, dont je n’ai pas réussi à voir le bout alors que, après avoir cherché un parc sans parvenir à le trouver, nous sommes assis désoeuvrés sur le bord de la route. Nous nous remettons en marche, malgré tout, en direction de l’Institut français qui possède une bibliothèque à laquelle on peut, semble-t-il, avoir accès. Ca se situe dans une petite rue (en pente, bien entendu), et nous demandons au gardien, dans sa guérite, si nous pouvons entrer. Comme nous sommes français, il nous fait comprendre que nous pouvons toujours sonner, ce que nous faisons, pour demander la même chose au gardien français qui se trouve derrière la grille. Celui-ci, avec un petit air ennuyé, nous explique que nous ne pouvons pas visiter le bâtiment. Nous repartons bredouilles, une nouvelle fois, et avec une rue à remonter ! Là, ça suffit, nous abdiquons : retour au Tünel. Une fois que celui-ci nous a ramené au pont de Galata, nous zigzaguons entre les marchands d’Eminönü et ceux, plus nombreux encore, formant une foule plus compacte, de Yeni Camii, la Nouvelle Mosquée, pour entrer dans celle-ci. Beaucoup de fidèles en prière ici aussi, dans cette très grande mosquée aux murs et aux piliers de faïence bleue. Nous restons un moment assis sur la moquette, à contempler les quatre piliers, la coupole et les demi-coupoles, et nous repartons en direction de l’hôtel.


Là nous replongeons dans le Stamboul de Loti avec nos livres, tout en mangeant quelques loukoums.


En soirée nous repartons en direction du Doy-Doy, un peu plus peuplé ce soir. Je reprends un pide délicieux dont le nom m’échappe (composé de viande de mouton, de fromage et de salami). Derrière nous, un groupe de Françaises parle à haute voix, l’une affirmant que « la Bretagne, c’est plein de bactéries », et à notre table un groupe de jeunes que j’ai tout d’abord pris pour des Américains mais qui sont peut-être plutôt Allemands, s’empiffre en causant aussi bruyamment. A la fin du repas, nous commandons un café turc. La formule va vite nous devenir habituelle : « Iki sekerli türk kahvesi ! » Celui du Doy-Doy est moins fort que celui du Coco-Gramofon, et ils le servent sans verre d’eau.


Une fois rassasiés, nous remontons vers la rue Pierre Loti, toute proche. J’ai vu dans le livre acheté ce matin qu’il habitait en 1910 une maison située sur Divanyolu. Nous essayons en vain de la retrouver, dans l’entourage du (faux) café Pierre Loti. Nous tenterons une nouvelle fois l’expérience demain, avec le livre dans les mains !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un super souvenir, qu'Istanbul ...d'ailleurs il va falloir que je fasse un compte-rendu de notre périple de février 2005 !