samedi 30 juin 2007

Voyage à Istanbul (6/15)


Vendredi 11 juillet 2003.


Songeant que le vendredi est le jour le plus important de la prière chez les musulmans, j’avais dit à Sébastien que ce n’était peut-être pas judicieux d’aller visiter la mosquée d’Eyüp ce jour-là, comme nous comptions le faire. Nous avons donc décidé de remettre cette visite à demain et de nous rendre aujourd’hui sur la rive européenne, dans le quartier de Pera. Nous traversons donc à pied le pont de Galata, sur lequel les taksis font des queues de poisson aux voitures tandis que les vendeurs de fruits et de pâtisseries crient pour vendre leur marchandise. Ce qu’on trouve aussi fréquemment sur notre chemin, ce sont des Turcs assis derrière un pèse-personne, attendant que quelqu’un leur donne quelques milliers de livres pour se peser. Le temps est couvert aujourd’hui, la rive asiatique est presque invisible au loin…

Une fois de l’autre côté, nous prenons des jetons pour le funiculaire souterrain, le « tünel », qui nous mène sur les hauteurs de Pera. Nous longeons la longue avenue de l’Indépendance (Istiklal Caddesi), et dejà nous sommes loin de ce que nous connaissions d’Istanbul : larges artères, magasins modernes, librairies, disquaires (avec toujours en vitrine des albums ou des affiches de Tarkan, le Florent Pagny local), magasins d’instruments de musique. Nous nous sommes trompé de chemin, nous retournons sur nos pas et trouvons assez vite la tour de Galata. C’est de là qu’est parti le premier « homme volant » qui s’était construit des ailes et avait atterri de l’autre côté du Bosphore. C’est au XVIIème siècle, et le sultan Murat IV envoya ce cinglé à Alger, le jugeant dangereux. Du haut de cette tour, comme le ciel est un peu bouché, la vue n’est pas si exaltante (sauf celle, très furtive, d’une jolie paire de cuisses sous une longue jupe noire, alors que la fille qui portait cette jupe était assise par terre. Je n’ai rien vu de plus, mais c’est l’intention qui compte…).


Nous redescendons et allons nous asseoir à l’ombre, sur un banc. Sébastien part acheter une bouteille d’eau. Un oiseau le prend pour cible et sa chemise se retrouve maculée de fiente. Une fois ce petit problème plus ou moins réparé, nous repartons en suivant assez attentivement les conseils du Routard. Nous voyons les maisons levantines, l’ancienne prison anglaise transformée en restaurant, le lycée autrichien Sen Jorj et, juste en face, l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Petite église toute bleue dont nous ne voyons que la cour, n’osant frapper pour la visiter. C’est effectivement un havre de paix en pleine ville, et nous lisons les inscriptions rédigées en français de deux tombes levantines. Plus loin, nous voyons l’entrée de la maison natale d’André Chénier. Impossible de trouver la plaque commémorative, mais si c’est le guide qui le dit… Nous sommes là dans une atmosphère plus génoise que turque. Nous poursuivons cette rue qui descend dru jusqu’à la porte des remparts génois. C’est tout ce qu’il reste des remparts. Nous avons vu l’emblème de Gênes, nous pouvons passer outre.


C’est là que ça cafouille un peu. Il faut toujours un moment où ça cafouille, sinon pourquoi voyager ? Et nous voilà tournant dans des rues étroites, en descendant une dont la pente est vertigineuse pour se casser les jambes à la remonter cinq minutes après… C’est que nous cherchons la mosquée des Arabes, une petite mosquée de briques rouges autour de laquelle nous tournons longtemps sans la voir. Vendredi ou pas, nous y entrons dès que nous l’avons trouvée. C’est une ancienne église dominicaine transformée en mosquée. Elle a gardé un petit air de mission de son époque dominicaine. De la cour, bien que petite, elle semble un peu plus imposante que nous ne l’avions cru de prime abord. Nous faisons une pause avant de repartir, et ce n’est qu’en la retrouvant au détour d’une rue quelques minutes après que nous pouvons voir son clocher de briques transformé en minaret. Nous sommes dans le bazar de Pera, peuplé de marchands de quincaillerie. Nous cherchons un caravansérail construit par Sinan, sans le trouver. Ce n’est qu’ensuite que nous en déduisons que nous l’avons peut-être bien vu, mais que nous l’avons pris pour l’entrée du bazar, envahie de tuyaux, de robinets, de pièces détachées et de bidons. Sortis de ce bazar nous voyons les escaliers Camondo, affreux tortillon art-déco, que nous gravissons pour voir la maison du même banquier juif, devenue un hôtel sans intérêt. Nous reprenons les escaliers et descendons jusqu’à l’angle de la Kemeralti Caddesi. Là, autre façade moche, qui fait l’angle : celle de la maison Minerva, ornée d’angelots boudeurs. Nous remontons l’avenue (faible pente, ça nous change), voyons la façade du lycée français, empruntons une petite rue très raide pour le voir de dos. Ca ne nous avance pas beaucoup. On remonte jusqu’à Istiklal Caddesi, à la recherche de quelque chose de frais à manger et à boire. Nous entrons dans les « passages », sortes de galeries remplies de marchands (légumes, poissons, pâtisseries, restaurants à foison où les serveurs font les rabatteurs). Finalement, dans une rue très passante, pleine de vie, nous nous installons à la terrasse d’un café. Comme il n’y a toujours pas d’üzüm suyu, Sébastien se rabat sur une bière, moi sur un Coca.


Il est près de cinq heures, nous avons vu ce que nous voulions voir et nous arpentons Istiklal Caddesi pleine de monde et de mauvaise musique, le tramway minuscule faisant l’aller et le retour entre nous. Nous entrons dans les librairies, essayant de trouver des rayons de livres en français. On en déniche bien un, essentiellement composé de livres d’occasion. On y trouve tout et n’importe quoi : du 99 F de Beigbeder à Ingrid Caven de Schuhl, en passant par Derrida, Kristeva et consorts. Un seul Loti : Pêcheur d’Islande. Pas très turc, Pêcheur d’Islande. Dans une autre librairie, plus loin, je trouve un livre que je compte bien acheter, composé essentiellement de photographies représentant Loti à Istanbul. Aussi passionnant pour les amateurs de Loti que pour ceux qui s’intéressent à l’aspect que pouvaient avoir les rues stambouliotes en 1905, par exemple.


Passant devant l’église Saint-Antoine-de-Padoue, construite au début du XXème siècle, nous décidons d’y entrer et de s’y asseoir un moment. Puis nous mangeons en face du Consulat de France, dans un restaurant sans terrasse à l’intérieur duquel nous crevons de chaud. Je prends un pide – une pizza – au fromage qu’ils appellent kasarli. Je m’en fous plein la panse, je repars plein à ras bords. Un petit tour sur la place de Taksim toute proche (avec sa statue d’Atatürk), puis nous retournons dans le passage où nous étions plus tôt dans l’après-midi pour acheter des loukoums. Encore une adresse du Routard. Je paye la boîte de confiseries sous le portrait imposant d’Atatürk, et nous repartons.


Place du Tünel, nous trouvons un café qui sert du vrai café turc, le Coco-Gramofon. Enfin nous allons voir ce que c’est. Il faut le demander « sekerli » (très sucré) parce qu’ils ne donnent ni sucre ni cuillère. Juste un verre d’eau pour faire passer le goût très fort du marc. Ce café turc est un régal, à boire à petites gorgées, tranquillement, devant le tramway qui monte et qui descend et les passants qui font de même, dans le soir de la Porte d’Orient. Ambiance douce dans ce café qui diffuse du jazz sous une lumière tamisée. Très reposant. Nous rentrons à pied sur l’autre rive, où un feu d’artifice nous accueille alors que nous arrivons. Sébastien adore les feux d’artifice, moi pas trop, mais hier déjà, revenant du Doy-Doy, nous en avions vu un s’achever au-dessus de Sultanahmet, et il n’avait pas pu en profiter. Alors aujourd’hui, c’est fête.

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