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jeudi 9 juin 2011

Point de fuite


Un beau jour, on se dit que cette fois, c'est bien fini. On jette l'éponge. Ça suffit comme ça. On claque la porte. On démissionne.

Un beau jour... Oui, il faisait beau, ce mardi-là, en plein mois de mai, quand Antoine Salmon décida de continuer tout droit après le feu rouge de la rue des Arcades, au lieu de tourner à droite pour rejoindre le magasin d'ameublement qui l'employait depuis bientôt douze ans. Le soleil se reflétait sur les vitrines de Rancœur-sur-Mièvre, tombait en cascade sur les façades des bâtiments étonnés de retrouver une peau dorée, rajeunie, alors que peu de temps auparavant, tout n'était que grisaille et décrépitude... Et la radio jouait On The Road Again. Antoine reconnut le morceau dès les premières mesures d'harmonica. C'était le nom du groupe qui ne lui revenait pas. Un nom de boîte de conserve...


Well, I'm so tired of crying, but I'm out
On the road again - I'm on the road again...


Ah ! oui : Canned Heat.

Comme tout paraît simple, soudain : continuer tout droit au lieu de tourner le volant. Aller voir ailleurs, plus loin, ce que les habitudes du quotidien ont fini par vous cacher. D'autres rues, d'autres visages que ceux que l'on croise chaque matin, à la même heure, depuis des années... Un beau jour, rompre les rangs. Déserter. On s'en fait une montagne, on pense qu'on n'osera jamais tout plaquer comme ça, sur un coup de tête, renoncer à tout ce qu'on a bâti depuis des années... Et puis finalement, il n'y a rien de plus facile. Tout est dans le "coup de tête", justement. Le renoncement, il suffit de le vouloir. C'est la réflexion qui vous empêche de vivre. Penser aux autres. Au patron, à la tête qu'il fera en ne vous voyant pas à votre poste. Aux collègues. Et puis surtout à l'épouse, aux enfants...

Nathalie. Son désespoir quand elle va comprendre... Et les filles ! Julie et Margot... Combien de temps avant qu'elles comprennent qu'elles ne me reverront plus ? Que papa est parti pour toujours ? D'abord, Nathalie recevra un appel de Giroux lui annonçant que je ne me suis pas présenté au travail ce matin. Elle pourra tout imaginer - elle se dira sans doute que j'ai eu un accident, quand elle s'apercevra qu'elle n'arrive pas à joindre...

Antoine regarda le téléphone portable qui attendait muettement sur le siège passager. Il l'attrapa de la main droite, ouvrit sa vitre et le jeta hors de la voiture au moment même où il s'engageait sur le pont. Un beau lancé : il crut l'entendre, plouf, s'engloutir au fond de la Mièvre.

... quand elle s'apercevra qu'elle n'arrive pas à joindre mon portable. Peut-être qu'elle se mettra à téléphoner aux hôpitaux du coin... Ou d'abord à la police ? A quel moment va-t-elle se rendre à l'évidence qu'il ne m'est rien arrivé - que j'ai tout simplement décidé de disparaître ?

Assez. Ce genre de choses qui vous trottent dans la tronche, c'est du poison. Un coup à lui faire rebrousser chemin. Il pourrait encore le faire : un demi-tour au prochain rond-point, et il arriverait à l'heure au boulot. Personne ne s'apercevrait qu'il a eu un moment l'intention de foutre le camp. Ses collègues reprendraient les conversations habituelles, les mêmes éternelles blagues, comme si rien ne s'était passé... puisque rien ne se serait passé. Non. Se soucier des autres, de ceux qui restent, c'est renoncer à sauver sa peau. Tout ce qui compte, désormais, c'est penser à soi, penser à toutes les raisons qui nous poussent à agir. Retrouver toutes les excellentes raisons que l'on a de tirer sa révérence - de quitter la scène avant la fin du tableau.

Je pense, donc je fuis.


*


A la sortie de Rancœur, il s'engagea sur la route nationale. Au même moment, ses collègues devaient actionner le rideau de fer pour accueillir les premiers clients. Désormais, son absence ne faisait plus aucun doute. Mais il s'agissait d'une simple absence, et encore, de quelques minutes de retard - pas d'une disparition. Il faudrait plusieurs heures pour qu'on s'aperçoive qu'Antoine était introuvable. Et plusieurs jours pour que l'évidence s'impose : cette disparition était sérieuse. Pas du chiqué, pas une lubie qui lui passerait après quarante-huit heures d'errance hors du domicile conjugal... Sa femme lancerait une recherche "dans l'intérêt des familles"... Il serait déjà loin.

La circulation, d'abord dense, s'était raréfiée peu à peu, à mesure que les travailleurs avaient gagné leurs bureaux et leurs usines. On avait dépassé l'heure de pointe... Droit devant lui, Antoine voyait les arbres, de chaque côté de la route, se resserrer là-bas, à l'horizon. Il pouvait tracer mentalement les lignes formées par ces arbres, qui se croisaient au point de fuite. Le point de fuite. Quel beau nom ! "Fuir ! Là-bas fuir !" C'est de qui déjà, Rimbaud ? Non, pas Rimbaud. A vue de nez, il dirait Mallarmé...

Fuir, oui. Mais comment fait-on ?

Comment disparaître ? Comment disparaître vraiment ? Un homme laisse toujours des traces derrière lui : un retrait bancaire dans un guichet automatique, un plein dans une station service, une réservation d'hôtel...

Antoine pensait d'abord à mettre le plus de distance possible entre son domicile et lui. Le réservoir d'essence avait été rempli la veille, il était tranquille pour plusieurs heures. Ensuite... Allait-il devoir retirer d'un seul coup tout l'argent qu'il possédait sur son compte pour ne plus payer ensuite qu'en liquide ? Il faudrait aussi se débarrasser de son alliance. Devrait-il songer à se procurer de faux papiers ? Il ne savait pas comment faire ce genre de choses. Il y avait sûrement des réseaux à connaître, qu'il ne connaissait pas... Il lui faudrait dépenser une fortune... Et puis il ne se voyait pas passer le restant de ses jours dans la clandestinité. Il n'était pas bâti pour ça. Il était tout juste taillé pour la fuite, l'absence, l'effacement - pour raser les murs. Ce n'était pas l'homme de la cavale sublime à la Spaggiari, de la marge glorieuse, de la grande vie des truands en exil...

Non, il allait rester Antoine Salmon, né le 2 novembre 1968 à Périgueux, marié depuis juin 1997 avec Nathalie Herrault et père de deux enfants : Julie, née en 1999, et Margot, née en 2002. Des dates. Finalement, c'est à peu près tout ce qu'il reste de la vie d'un homme quand on cherche à la résumer : quelques dates, quelques lieux, quelques noms... Mais ce qui faisait les jours, chacun des jours, l'ennui, les joies, les odeurs... Ça ne rentre pas dans les cases des fichiers administratifs.

Alors, comment disparaître ? Passer les frontières, traverser les océans ? Partir vivre en Afrique, en Bolivie, en Australie ? Toute une vie à réapprendre, alors... De toute façon, il lui faudrait repartir de zéro. Alors, oui, pourquoi ne pas carrément changer de latitude ? Tout était possible, maintenant. Tout s'ouvrait à lui. La vie allait recommencer. Cette fois, il faudrait tâcher de ne pas complètement la rater...


*


L'absence, ça le connaissait. Il avait toujours eu des prédispositions pour ça. A l'école, déjà, il s'évadait en pensée par les fenêtres de la classe. "Toujours dans la lune", constatait avec un air d'accablement amusé son institutrice de CM2, madame... Le nom lui échappait. Peu importe, de toute façon, puisque lui aussi, il s'échappait.

Dans la lune, oui. Ou ailleurs. Et quand ses copains de lycée traînaient aux bras des filles, lui se faisait tout petit, incapable de parler. Il baissait la tête quand une fille s'adressait à lui, il essayait de rentrer à l'intérieur des murs quand le prof de maths lui posait une question... Et oui, déjà, il ne pensait qu'à disparaître. Cette envie d'être absent, il la retrouva intacte ensuite pendant les examens, les entretiens d'embauche, les rendez-vous amoureux... Il n'était pas assez robuste pour cette vie-là. Il avait un trou dans la coque, il prenait l'eau... Il n'était pas là. Il était tout juste vivant, et le moins possible. Déjà, il lorgnait vers les canots de sauvetage, pour pouvoir s'esquiver avant la catastrophe...

A bien y réfléchir, Nathalie avait toujours eu un mari absent. Peut-être qu'il lui faudrait beaucoup plus de temps que prévu, après tout, pour réaliser que cette fois, c'était pour de bon. Il était déjà tellement effacé, retranché dans le silence, évanescent... Un homme discret. C'était avec cette discrétion qu'il l'avait séduite, d'ailleurs. Elle avait trouvé sa timidité "touchante". Ça lui avait donné une bonne excuse pour ne pas la toucher plus.

Jeunes et amoureux, ils avaient des rêves, des semblants de rêves. Ça arrive même à des gens très bien. Ils avaient voulu ouvrir une librairie d'occasion. Un rêve commun, comme en ont les amoureux. Elle avait l'esprit d'initiative, et lui encore un peu de curiosité. Il avait toujours été d'un naturel curieux. Curieux de voir comment les choses tourneraient mal... Et ils l'avaient ouverte, cette librairie, sur la place principale de Rancœur. C'était un peu leur premier enfant, leur œuvre à tous les deux.

Ils avaient tenu trois ans, le temps de s'apercevoir que les gens ne lisent plus. Antoine s'était senti responsable du dépôt de bilan. C'était comme ça : il avait l'impression que le ratage était en lui depuis toujours. La rencontre avec Nathalie l'avait un peu rassuré sur ses aptitudes, et elle avait de l'ambition pour deux. Il avait cru que peut-être, avec son aide, il allait réussir à faire quelque chose de sa vie, en fin de compte. L'histoire avait tourné court, et il n'en avait pas éprouvé de surprise particulière. Il fallait viser moins haut, il fallait veiller à une certaine stabilité sociale (ils s'étaient mariés, et Nathalie était enceinte) : il devint vendeur chez Monsieur Meuble et elle secrétaire médicale. Du concret, du solide : solide et stable et immobile comme un meuble. Un salaire tous les mois. Les enfants allaient pouvoir grandir dans un univers protégé.

Protégé, il l'avait été depuis sa naissance, Antoine. C'était peut-être ce qui l'avait rendu aussi frileux devant la vie. Curieux, mais poltron. Sortir de soi, se risquer à l'extérieur, c'était s'exposer au danger. Oui, longtemps, il avait cru que c'était ce qu'il pouvait faire de mieux pour ses enfants : leur offrir la sécurité, les tenir à l'abri du risque, des hasards de la vie.

Eh bien ! Les "hasards de la vie", c'était ce qu'il recherchait, maintenant. Il ne pouvait plus les supporter, ces quatre murs protecteurs, chaleureux. Il voulait des aléas, du chaotique. En disparaissant aux yeux des autres, qui sait, il allait peut-être enfin apparaître à ses propres yeux ? Peut-être aussi que c'était vers un nouvel échec qu'il s'en allait ainsi, à tombeau ouverts comme on dit... Mais alors, ce serait un vrai, un bel échec ! Un naufrage qui aurait du panache, pas cette agonie molle, aseptisée, ce cancer en sucre d'orge...

C'était d'abandonner ses filles qui lui faisait le plus de peine. Il essayait de ne pas trop y songer. Il ne serait même pas présent pour le dixième anniversaire de Margot. Et inutile d'imaginer envoyer des cartes postales : on brûle ses vaisseaux, on coupe tous les liens. Table rase. C'est dur, mais c'est le seul moyen de sauver sa peau.

Antoine employait des termes comme ça, dans ses ruminations, alors qu'à la radio passait maintenant un truc que Julie écoutait souvent. Rihanna, peut-être, ou quelque chose dans le genre... "Table rase". "Sauver sa peau". Le genre de vocabulaire qui en jette, qui vous pose en héros... En vérité, ce qui faisait fuir Antoine, c'était peut-être la trouille, et rien d'autre. La trouille d'être un mari et un père responsable, la trouille de se sentir moins libre qu'avant, surchargé de devoirs qui le dépassaient. La trouille et l'égoïsme, aussi : "Laissez-moi tranquille ! Vous ne m'aurez pas vivant ! Laissez-moi me retrouver enfin, moi ! Moi tout seul ! Voir à quoi je ressemble..."


*


Antoine gara son Audi à sa place habituelle sur le parking des employés de Monsieur Meuble. Il était à l'heure, comme toujours. De plus en plus souvent, maintenant, il se laissait aller pendant le trajet à imaginer qu'il plaquait tout, du jour au lendemain, et qu'il prenait la route. De l'entrée, un collègue arrivé un peu plus tôt lui fit un geste de la main pour le saluer de loin. Antoine coupa le contact et sortit de la voiture. Il marchait un peu voûté. Il avait quarante-deux ans de remords sur les épaules.

vendredi 13 juillet 2007

Le déserteur professionnel

Je ne fais pas partie de ces gens qui s'interrogent sur le sens de la vie.
On ne leur a donc jamais appris qu'une blague perdait tout son effet à être expliquée ?

Maintenant que les vacances scolaires sont arrivées et que les professeurs de mathématiques peuvent aller s’alcooliser sans honte dans tous les débits de boisson qui jalonnent leur parcours zigzaguant pour oublier leurs mauvaises notes, et que les surveillants d’internat peuvent sans honte passer des nuits blanches à se masturber sur les dernières vidéos de Naughty America en espérant parvenir à se faire fondre la bite (adieu les soucis), pendant que les lycéens, eux, s’échinent sur un job d’été idiot pour pouvoir s’acheter l’intégrale de Prison Break en DVD ou, à défaut, se payer le permis (heureusement qu’il y en a qui bossent) – maintenant que les vacances sont arrivées, j’aurai beaucoup plus de temps pour m’entretenir avec vous ici même.


Mais j’ai beau dire que ma passion c’est l’écriture (sans aller jusqu’à me prétendre sérieusement écrivain, n’ayant encore rien publié), j’ai beau laisser entendre qu’en dehors de mon roman en gésine (L’Arlésienne, titre provisoire) et mes divers travaux en chantier (une grande exposition consacrée à Stanislas Ferron (1900-1968), inventeur, poète et artiste lavallois trop méconnu ; un livre consacré à l’histoire de la scène rock du Palindrome de 1960 à 2000…), qu’en dehors de toutes ces activités rien n’a d’importance, surtout pas cet emploi idiot de surveillant de lycée, j’ai beau prétendre tout ça, je n’en continue pas moins à écrire des phrases trop longues et à m’astiquer le flageolet devant des kilomètres de clitoris virtuels. Et imberbes, pour la plupart d’entre eux, ce qui est contraire à ma religion.

Certains portent plainte contre Dieu pour les avoir arnaqués. Pas de chance, je n’y crois pas. Il faudra que je cherche ailleurs les raisons profondes de ma paresse de vivre. À mon avis, ça vient du bide. Je dois manquer d’estomac, d’où mon anorexie sexuelle. Tout glisse sur moi, et je n’attrape jamais rien. Les bras trop maigres. Je n’ai même pas tenté une seule fois de me suicider. J’ai du respect pour les suicidés, mais je me méfie de ceux qui en sont à leur quatrième ou cinquième tentative : ils appellent au secours, c’est tout. Si par malheur ils y passaient, ce serait qu’ils ont raté leur T.S., ces maladroits. Si je devais en finir, je n’irais pas par quatre chemins : je n’ai pas envie d’appeler au secours. Trop peur de me réveiller dans une chambre d’hôpital pour m’apercevoir que la seule personne à qui cet appel était destiné ne se trouve pas à mon chevet ?

J’ai réglé la question du suicide le jour où je me suis aperçu que je n’en avais pas besoin, puisque je n’étais pas suffisamment en vie pour éprouver le désir de mourir. Je me suicide au quotidien, en restant enroulé sous mes couvertures jusqu’au milieu de l’après-midi, inatteignable. À l’armée, j’aurais été grandiose dans les opérations de camouflage… Mais l’armée, non merci. Je suis un déserteur professionnel.

On arrive à trente ans, et on se retourne pour s’apercevoir avec effroi qu’on n’a rien fait. À mourir de rire, non ? Surtout quand on pense à tout ce qu’on a fait pour parvenir à ne rien avoir fait, tous ces gestes désordonnés, tous ces projets, et combien il nous a fallu agiter les bras comme un type qui se noie, les yeux rivés sur la rive d’en face… Et chaque jour, on s’aperçoit qu’on n’a même pas essayé de l’atteindre. Demain, c’est promis, on tente quelque chose : peut-être qu’en se propulsant en avant plusieurs fois, on finira par parcourir de bonnes distances ? Demain, on tente le coup. En attendant, attendons. Et à trop attendre, on vieillit, et la rive est toujours aussi éloignée.

Alors le déserteur professionnel se gratte le front et finit par comprendre que cette rive, finalement, il ne tient pas tant que ça à la rejoindre. Bien sûr, il est un peu seul, et la nuit tombe, mais finalement, elle n’est pas si froide, cette eau, une fois qu’on est dedans. Et puis vous savez ce que c’est, les buts, quand on les a atteints : il faut encore les conserver, défendre sa position, il faut encore se battre. Bof. À quoi bon, puisqu’on sera bientôt mort ?

Tenez, l’amour, par exemple. Si je fonds devant une jolie femme aux jambes admirablement croisées sur le rotin d’une terrasse estivale (je parle d’un été futur, idéal, conceptuel – un été à terrasses), j’ai deux possibilités : la regarder sans rien faire et détailler pour moi seul tout ce qui chez elle m’émeut aux larmes, ou lui parler et risquer de tout détruire. Je pourrais balbutier, ou m’apercevoir à l’écouter parler qu’elle n’a rien de mystérieux, qu’elle est comme tout le monde. Surtout, après l’avoir saluée et peut-être un peu flattée en rougissant comme un collégien – hmm-hum, cette chaise est libre ? – j’aurais encore un bon bout de chemin à parcourir ! Je ne peux que respecter les amoureux qui bêtifient en se tenant la main : moi, j’ai un petit problème avec cette question de la séduction. Si je ne craignais qu’un refus de la créature qui m’anime, ce ne serait rien. L’ennui, c’est qu’elle pourrait très bien accepter qu’on se revoie. Alors, horreur et consternation : il me faudrait encore parler ? lui sourire ? la flatter de nouveau ? être présentable, ne pas mettre mes doigts dans mon nez, avoir de l’humour et des chaussures cirées ? Tout ça pour atterrir dans son lit – ou dans le mien, mais cette fois-ci sans camouflage, à découvert – et s’apercevoir que les choses sont bien plus simples quand on est seul avec sa main devant Internet !

L’ennui avec la vie, c’est que les étapes, elles, on ne peut pas les sauter.

Et la littérature, alors ? Mettons que je termine ce roman (Ah ! La bonne blague, titre provisoire). Il me faudrait encore démarcher les maisons d’éditions, me vendre, sourire, avoir de l’humour et des chaussures cirées – et s’il était accepté ? Vous imaginez l’angoisse ? L’inconnu me terrifie, je n’y peux rien. Alors je perds du temps. Ça, c’est mon truc. En attendant de me sentir prêt, j’attends. Et j’ai beau attendre, je ne suis jamais prêt. Alors j’attends.

Et tous les trains partent, et reviennent, et repartent, et je commence à m’y habituer, à ce quai de gare, je tutoie la machine à café, je compatis aux peines de cœur de la poinçonneuse automatique (le distributeur de monnaie l’a plaquée, salaud), je suis chez moi. Et je commence à m’y habituer, à cette eau glacée, alors que la nuit tombe. Je vais essayer de trouver une position confortable pour dormir…

Alors oui, je déserte, je m’efface, je m’absente. Je reste sur la touche et je vous regarde. Allez-y, prenez tous les trains du monde, je resterai sur le quai. Vous me retrouverez inchangé à votre retour, juste quelques rides en plus et quelques cheveux en moins. Vous me raconterez votre voyage, j’espère.