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vendredi 13 juillet 2007

Le déserteur professionnel

Je ne fais pas partie de ces gens qui s'interrogent sur le sens de la vie.
On ne leur a donc jamais appris qu'une blague perdait tout son effet à être expliquée ?

Maintenant que les vacances scolaires sont arrivées et que les professeurs de mathématiques peuvent aller s’alcooliser sans honte dans tous les débits de boisson qui jalonnent leur parcours zigzaguant pour oublier leurs mauvaises notes, et que les surveillants d’internat peuvent sans honte passer des nuits blanches à se masturber sur les dernières vidéos de Naughty America en espérant parvenir à se faire fondre la bite (adieu les soucis), pendant que les lycéens, eux, s’échinent sur un job d’été idiot pour pouvoir s’acheter l’intégrale de Prison Break en DVD ou, à défaut, se payer le permis (heureusement qu’il y en a qui bossent) – maintenant que les vacances sont arrivées, j’aurai beaucoup plus de temps pour m’entretenir avec vous ici même.


Mais j’ai beau dire que ma passion c’est l’écriture (sans aller jusqu’à me prétendre sérieusement écrivain, n’ayant encore rien publié), j’ai beau laisser entendre qu’en dehors de mon roman en gésine (L’Arlésienne, titre provisoire) et mes divers travaux en chantier (une grande exposition consacrée à Stanislas Ferron (1900-1968), inventeur, poète et artiste lavallois trop méconnu ; un livre consacré à l’histoire de la scène rock du Palindrome de 1960 à 2000…), qu’en dehors de toutes ces activités rien n’a d’importance, surtout pas cet emploi idiot de surveillant de lycée, j’ai beau prétendre tout ça, je n’en continue pas moins à écrire des phrases trop longues et à m’astiquer le flageolet devant des kilomètres de clitoris virtuels. Et imberbes, pour la plupart d’entre eux, ce qui est contraire à ma religion.

Certains portent plainte contre Dieu pour les avoir arnaqués. Pas de chance, je n’y crois pas. Il faudra que je cherche ailleurs les raisons profondes de ma paresse de vivre. À mon avis, ça vient du bide. Je dois manquer d’estomac, d’où mon anorexie sexuelle. Tout glisse sur moi, et je n’attrape jamais rien. Les bras trop maigres. Je n’ai même pas tenté une seule fois de me suicider. J’ai du respect pour les suicidés, mais je me méfie de ceux qui en sont à leur quatrième ou cinquième tentative : ils appellent au secours, c’est tout. Si par malheur ils y passaient, ce serait qu’ils ont raté leur T.S., ces maladroits. Si je devais en finir, je n’irais pas par quatre chemins : je n’ai pas envie d’appeler au secours. Trop peur de me réveiller dans une chambre d’hôpital pour m’apercevoir que la seule personne à qui cet appel était destiné ne se trouve pas à mon chevet ?

J’ai réglé la question du suicide le jour où je me suis aperçu que je n’en avais pas besoin, puisque je n’étais pas suffisamment en vie pour éprouver le désir de mourir. Je me suicide au quotidien, en restant enroulé sous mes couvertures jusqu’au milieu de l’après-midi, inatteignable. À l’armée, j’aurais été grandiose dans les opérations de camouflage… Mais l’armée, non merci. Je suis un déserteur professionnel.

On arrive à trente ans, et on se retourne pour s’apercevoir avec effroi qu’on n’a rien fait. À mourir de rire, non ? Surtout quand on pense à tout ce qu’on a fait pour parvenir à ne rien avoir fait, tous ces gestes désordonnés, tous ces projets, et combien il nous a fallu agiter les bras comme un type qui se noie, les yeux rivés sur la rive d’en face… Et chaque jour, on s’aperçoit qu’on n’a même pas essayé de l’atteindre. Demain, c’est promis, on tente quelque chose : peut-être qu’en se propulsant en avant plusieurs fois, on finira par parcourir de bonnes distances ? Demain, on tente le coup. En attendant, attendons. Et à trop attendre, on vieillit, et la rive est toujours aussi éloignée.

Alors le déserteur professionnel se gratte le front et finit par comprendre que cette rive, finalement, il ne tient pas tant que ça à la rejoindre. Bien sûr, il est un peu seul, et la nuit tombe, mais finalement, elle n’est pas si froide, cette eau, une fois qu’on est dedans. Et puis vous savez ce que c’est, les buts, quand on les a atteints : il faut encore les conserver, défendre sa position, il faut encore se battre. Bof. À quoi bon, puisqu’on sera bientôt mort ?

Tenez, l’amour, par exemple. Si je fonds devant une jolie femme aux jambes admirablement croisées sur le rotin d’une terrasse estivale (je parle d’un été futur, idéal, conceptuel – un été à terrasses), j’ai deux possibilités : la regarder sans rien faire et détailler pour moi seul tout ce qui chez elle m’émeut aux larmes, ou lui parler et risquer de tout détruire. Je pourrais balbutier, ou m’apercevoir à l’écouter parler qu’elle n’a rien de mystérieux, qu’elle est comme tout le monde. Surtout, après l’avoir saluée et peut-être un peu flattée en rougissant comme un collégien – hmm-hum, cette chaise est libre ? – j’aurais encore un bon bout de chemin à parcourir ! Je ne peux que respecter les amoureux qui bêtifient en se tenant la main : moi, j’ai un petit problème avec cette question de la séduction. Si je ne craignais qu’un refus de la créature qui m’anime, ce ne serait rien. L’ennui, c’est qu’elle pourrait très bien accepter qu’on se revoie. Alors, horreur et consternation : il me faudrait encore parler ? lui sourire ? la flatter de nouveau ? être présentable, ne pas mettre mes doigts dans mon nez, avoir de l’humour et des chaussures cirées ? Tout ça pour atterrir dans son lit – ou dans le mien, mais cette fois-ci sans camouflage, à découvert – et s’apercevoir que les choses sont bien plus simples quand on est seul avec sa main devant Internet !

L’ennui avec la vie, c’est que les étapes, elles, on ne peut pas les sauter.

Et la littérature, alors ? Mettons que je termine ce roman (Ah ! La bonne blague, titre provisoire). Il me faudrait encore démarcher les maisons d’éditions, me vendre, sourire, avoir de l’humour et des chaussures cirées – et s’il était accepté ? Vous imaginez l’angoisse ? L’inconnu me terrifie, je n’y peux rien. Alors je perds du temps. Ça, c’est mon truc. En attendant de me sentir prêt, j’attends. Et j’ai beau attendre, je ne suis jamais prêt. Alors j’attends.

Et tous les trains partent, et reviennent, et repartent, et je commence à m’y habituer, à ce quai de gare, je tutoie la machine à café, je compatis aux peines de cœur de la poinçonneuse automatique (le distributeur de monnaie l’a plaquée, salaud), je suis chez moi. Et je commence à m’y habituer, à cette eau glacée, alors que la nuit tombe. Je vais essayer de trouver une position confortable pour dormir…

Alors oui, je déserte, je m’efface, je m’absente. Je reste sur la touche et je vous regarde. Allez-y, prenez tous les trains du monde, je resterai sur le quai. Vous me retrouverez inchangé à votre retour, juste quelques rides en plus et quelques cheveux en moins. Vous me raconterez votre voyage, j’espère.