lundi 4 janvier 2010

Le diable et Polly Jean

Trois billets seulement en 2009 ! Je dois avouer que j'ai un peu honte - même si je sais que ma capacité à disparaître fait partie de mon charme... Alors, pour me rattraper en 2010, j'inaugure une chronique que j'espère régulière, et qu'on pourrait appeler "La bande-son de ma vie". Chaque semaine (enfin, si le courage ne me manque pas en court de route), j'y parlerai d'une chanson, d'un album ou d'un groupe qui m'a marqué. Et pour commencer, honneur aux dames avec PJ Harvey...

PJ Harvey - To Bring You My Love (1995)

Il y a quelque chose de souterrain dans ce disque. Quelque chose d'enterré, d'utérin... A commencer par la pochette, sur laquelle la chanteuse, Ophélie en robe rouge, flotte comme un grand lys sur une eau verdâtre qui se confond avec la brume du ciel.


Entrer dans le monde de PJ Harvey par ce disque ! Ce riff de guitare, lent et répétitif, qui ouvre l'album : six notes qui traînent, qui semblent s'arracher à la terre avec peine, comme un marcheur harassé, à peine suivi d'une cymbale discrète, accrochée à ses pas comme son ombre. Et enfin, la voix de Polly Jean, rocailleuse, âpre et fatiguée... Une voix qui a marché, elle aussi, qui a traversé le monde pour arriver jusqu'à nous - une voix à bout de souffle, à bout de force : "I was born in the desert... I've been down for years... Jesus, come closer... I think my time is near..." Bon Dieu, d'où vient cette voix ? De quel désert a-t-elle été traînée jusqu'à nous ? C'est une voix qui revient de l'enfer, qui a tout subi, tout vécu. Elle se terre puis ressurgit sauvagement, passe du gémissement au cri : "I've laid with the devil... Cursed god above... Forsaken heaven... TO BRING YOU MY LOOOOVE !!!"

To Bring You My Love est sans doute l'album le plus cohérent "l'air de rien" que je connaisse. Ce n'est pas un opéra rock, l'auditeur n'est pas invité, a priori, à suivre la quête amoureuse effrénée d'une femme prête à se damner pour un homme... Et pourtant, chaque chanson tourne autour de ce thème, chaque "piste" nous ramène au même désir brûlant. Tout est cohérent : du visuel de la pochette (le rouge sang de cette robe !) à cette voix oscillant entre la suffocation et le hurlement, jusqu'aux instruments qui peuvent se faire aériens ou au contraire paraître engloutis. Un disque d'outre-tombe, une voix revenue d'entre les morts.

Et quand il faut affronter le monstre, la musique fait trembler le sol, démolit les bâtiments qui encombrent son passage, vrrramm ! blaaaam ! C'est Godzilla qui débarque dans "Meet Ze Monsta". C'en est presque caricatural, on se croirait dans une bande dessinée Marvel ! Et PJ Harvey, en Lara Croft surentraînée, qui fanfaronne aux pieds du géant vert : "I'm not jerking, I won't hide ! Yeah I'm ready, To meet ze monsta tonight !" Depuis le temps qu'elle la cherche, sa vilaine bestiole ! Elle a soulevé chaque pavé (de bonnes intentions) de l'enfer pour la trouver : elle compte bien en profiter, et si l'amour est un combat, elle est la mante religieuse qui terrassera son adversaire ! "What a monster ! What a night ! What a lover ! What a fight !" Et Godzilla, penaud, remonte son falzar et part sans demander son reste, désarmé pour un moment...

Quel contraste avec le morceau suivant ! Retour à l'enfouissement, à la demi-teinte... La voix est filtrée, elle chuchote... Nous sommes invités dans la tête de Polly Jean, dans ses ruminations nocturnes, dans ses prières. Car To Bring You My Love, avec sa violence, avec ses blasphèmes, peut aussi devenir pieux. "Get my strength from the man above. God of piston, god of steel. God is here behind my wheel." Tout est là : Dieu et la route. La foi et l'errance. Thèmes autour desquels Polly Jean ne cesse de danser, traversant cet album à pieds, en voiture, à genoux, en rampant , acharnée et suppliante, les mains jointes vers Dieu ou vers son amant, sans faire de distinction - elle a bien couché avec le diable, après tout...

Il n'y a plus aucune retenue, plus aucun orgueil dans "C'mon Billy", véritable cri d'amour accompagné de guitares au son très clair. Plus de filtre, plus d'obstacle à la parole : après l'errance, après l'épuisement, la voix retrouve son timbre, proche du cri : "Come home / Is my plea / Your home now / Is here with me !" mais retourne en bout de course à l'essoufflement, à l'imploration répétitive et désespérée, "Come along Billy, now come to me..." C'est encore raté, et "Teclo", avec ses clochettes lointaines, ces guitares et cette voix lancinantes, nous renvoient à la poussière, à la génuflexion, à la douleur - souffrance et piété. "I learn to beg / I learn to pray / Send me his love / Send him to me again..."

La voix de PJ Harvey ! Finalement, c'est elle, le personnage récurrent de cette love story sans espoir ! Et un personnage qui change continuellement de visage... On l'a découverte éraillée, au bord de l'extinction, implorante, gémissante, mais elle peut aussi se montrer pleine de violence : désir brutal, jouissance explosive. "You wanna hear my long snake... MOAN !!! You oughta see me crawl my... ROAR !!!" Puis la voix se fait murmure sur "Down By The Water" avant d'éclater à nouveau, claire et nue, avec cette légère rugosité dans le timbre, sur "Send His Love To Me", nouvelle prière, mais fièrement affirmée celle-là - la prière de la dernière chance.

Enfin ce sont d'autres cris, orgasme et volupté, lorsqu'enfin les prières sont exaucées. Et c'est sur les prières exaucées que l'on verse le plus de larmes, a dit Truman Capote. Alors, quand arrive ce "Dancer" tant attendu, il ne peut avoir que l'inquiétante beauté du diable : "He came riding fast like a phoenix out of fire flames / He came dressed in black with a cross bearing my name..." De la prière au blasphème, de la foi à la damnation, il n'y a qu'un pas - et l'amour, il faut le croire, ne se trouve que sous le soleil de Satan.

Oui, To Bring You My Love est un disque souterrain, un disque de reptation, un album diabolique et, pourtant, un hymne à l'amour - le Kama Sutra renversé par Helter Skelter.

[Alors que j'écrivais ce texte, j'ai appris tôt ce matin la mort de la chanteuse Lhasa de Sela. 2010 me fatigue déjà... Au moins, je sais de qui parlera mon prochain billet...]

4 commentaires:

Anonyme a dit…

D'un côté t'as PJ Harvey, de l'autre t'as Lhasa.

G. Pernoud

Raphaël Juldé a dit…

Okay, je m'étais promis de faire bouffer la collection complète de l'almanach Vermot 1900-1990 au premier qui la sortirait, celle-là... Finalement, je l'accepte, mais c'est bien parce que c'est toi, Anonyme !

Anonyme a dit…

j'ai rien pigé.

Harvey

iPidiblue a dit…

Ca demarre sur les chapeaux de roue cette année !

Ai-je droit à tout le semestre pour réfléchir à ta note avant de m'exprimer péremptoirement sur un style de musique dont je ne connais que nibe mais qui doit certainement ressembler à un autre genre musical comme le Blues auquel je n'entrave rien non plus ?

iPidiblue et des restes