[Ce texte a été écrit à l'occasion de la "sortie" du nouvel EP de DJ Zukry sur qod lab°l. On l'applaudit bien fort.]
C'était devenu une habitude, avec le gros Max. Un genre de rituel. Ca nous permettait de mesurer sans trop se planter à quel stade de l'ivresse il était arrivé. Il racontait beaucoup de conneries, Max, mais quand il nous ressortait son histoire de clébard, on savait qu'il était mûr. A la fin, moi, je l'écoutais plus. Quand il s'y mettait, je comprenais que c'était le moment de mettre les voiles. Pour que je reste, il fallait vraiment que quelqu'un paie sa tournée. Ou que ce soit un jour de RMI.
Le pire, c'est qu'il ne la racontait jamais de la même façon. "Vous me croirez si vous voulez", c'était sa phrase. Nous, c'est pas tellement qu'on voulait pas, mais pour qu'on le croie, il aurait fallu qu'il soit un peu plus constant dans son récit... Je vous la fais courte : en gros, c'est l'histoire d'un type qui prenait tous les jours le bus à la même heure, pour partir et rentrer du boulot. Et tous les matins, son chien l'accompagnait jusqu'à l'arrêt, regardait le bus partir en emportait son maître, et retournait tout seul à la maison. On sent déjà le chien vachement évolué, vous voyez. Et chaque soir, il ressortait et allait attendre son maître à l'arrêt de bus, pile à l'heure. Jusqu'au jour où le type claque. Eh bien vous me croirez si vous voulez, mais ce putain de clébard, une fois son maître crevé, continuait, matin et soir, à faire le trajet jusqu'au bus pour l'attendre, et rentrait ensuite à la maison, tête basse, triste à pleurer. Et pour finir, il se laissait crever sous l'abribus, en gémissant comme un chien.
C'était ça, l'histoire du gros Max, et il nous la racontait des sanglots dans la voix. Mais parfois, le mec en question était le chauffeur du bus, parfois c'était un gars qu'il avait connu à l'armée, voire un cousin, enfin bref : il était incapable de s'en tenir à un récit définitif. Et puis alors, si vous le coupiez pour lui demander comment le chien pouvait rentrer comme ça chez lui, est-ce que ça voulait dire que le gars ne fermait jamais sa porte à clé (oui, parce que évidemment, il vivait tout seul avec son chien, vous l'aviez compris, j'espère ?) ; ou si vous vouliez savoir comment c'était possible qu'après la mort de son maître, le chien ne soit pas recueilli par la SPA, alors là, le récit pouvait prendre des embranchements et des déviations monstrueuses. Le simple fait de montrer que vous vous intéressiez à l'histoire, que vous vouliez en savoir plus, bien en comprendre tous les éléments, alors ça, vous vous en faisiez un ami, du Max, et il ne vous lâchait plus.
La conclusion qu'il en tirait, Max, s'il était encore capable de tirer quoi que ce soit après ça, c'était que le chien était un ami super fidèle, tu vois, c'est pas comme les bonnes femmes. Je vous la fais courte. Ca faisait bien deux coupes du monde que la femme de Max s'était barrée avec un ingénieur des eaux et forêts, et il ne s'en était toujours pas remis. Salope. Il picolait comme un trou pour soigner son alcoolisme, au cas où elle reviendrait. Mais comme sa femme n'était pas un chien et que Max n'était pas un arrêt de bus, c'était pas gagné.
A la fin, il venait plus au bar, Max. On n'avait plus droit à l'histoire du chien. Quelque part, ça nous manquait un peu. Et puis on a appris qu'il s'était pendu. C'est les flics qui l'ont trouvé accroché au lustre, au bout d'un mois. Les voisins se plaignaient de l'odeur. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais le jour de son enterrement, sa concierge a adopté un clebs !
2 commentaires:
je la connaissais avec une autruche. Ou un flétan je sais plus.
Ne réponds pas Raphaël ... on méprise !
iPidiblue et l'histoire du hareng saur
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